Ça part !


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« …Hermione ? »

« Mmh ? Oh. » avait sursauté la brune.

Au centre d'une chambre encore étrangère, sa valise ouverte avait momentanément volé toute son attention. Six mois de vêtements y étaient pliés avec une minutie qui aurait pu faire pâlir d'envie Marie Kondō. Hermione n'en avait cependant sorti aucun ; soixante-douze heures en terre australienne et son esprit n'avait toujours pas atterri. Pas même la mer à sa fenêtre et le soleil estival de janvier n'y avait remédié.

C'était ton choix, sa petite voix mentale n'avait-elle eu de cesse de lui susurrer.

« Je vous ai perdu un moment. » avait constaté Dr. Mckay depuis le rectangle Zoom remplaçant désormais son bureau physique.

« Oui, je… oui. Désolée. » s'était excusée l'étudiante tout en repositionnant l'ordinateur sur ses genoux.

« Pas de problème. » l'avait rassurée Dr. McKay puis, avec l'expression semi-soucieuse qui précédait souvent les questions délicates : « Est-ce qu'on parle un peu de votre père aujourd'hui, Hermione ? »

L'espace d'une seconde éternelle, le temps s'était arrêté. Puis la brune avait cligné des yeux.

« Non. »

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Penchée par-dessus les lavabos en marbre, Hermione essayait tant bien que mal de ne pas ruiner sa quatrième tentative d'eyeliner. Ce qui, bien sûr, finit par arriver.

« Fuck. » pesta-t-elle à voix basse.

C'était toujours au moment de finaliser la pointe que sa main décidait de trembler. Avec humeur, la brune mouilla le même mouchoir humide qui épongeait toutes ses fautes depuis dix bonnes minutes et essaya d'effacer l'extrémité fautive de son trait. Mais par on ne sait quelle manœuvre, l'encre noire bava plus encore tout autour de son œil, lui offrant l'équivalent d'un coquart.

« Fuuuuck. »

À mi-chemin de l'hyperventilation, Hermione mouilla trois mouchoirs d'un coup pour frotter sa paupière à en disloquer son globe oculaire. Au même instant, la porte de la salle-de-bain s'ouvrait en coup de vent sur Angelina – sa collègue préférée numéro deux –, le nez sur son portable puis sur elle.

« Oh… mon Dieu. » articula-t-elle, les yeux écarquillés.

« Je sais. » gémit aussitôt Hermione, du noir plein les doigts. « Je sais. »

« Tu es ma-gni-fi-que. » souffla Angelina.

Hermione resta bouche bée trois secondes, son algorithme mental en court-circuit, puis :

« …quoi ? »

« Non pas que tu ne sois pas jolie en temps normal ! » s'empressa de préciser Angelina avant de pointer d'un large mouvement de bras sa silhouette. « Mais là… wow. Tu es juste à couper le souffle. »

Ahurie, Hermione se tourna vers le large miroir mural dans l'espoir de comprendre ce qui, dans son reflet, pouvait susciter une seule once d'admiration. Elle portait une robe en satin ocre dont le col bénitier réussissait l'exploit d'à la fois masquer et exposer sa poitrine. Avec cela, avait été déterrée des mules blanches à talons qui n'étaient portées que pour mariages, baptêmes et canicules. Vernissage aussi, apparemment.

Alors oui, peut-être que ses cheveux faisaient la différence. La mousse dont elle les avaient abondamment badigeonné donnait à ses boucles une définition et un rebondi sans pareil. Mais quelques centimètres plus bas, son maquillage de panda ruinait copieusement le tableau.

« Mon eyeliner est… je n'arrive pas à… c'est… ça me… » bredouilla-t-elle, à bout de nerf.

« Du calme, du calme. » s'exclama Angelina en accourant vers elle. « On respire. Tout va bien. »

« Tout va mal. » renifla piteusement Hermione. « Je suis en retard et je suis moche. »

« Tu es absolument radieuse et comme ma tante le dit souvent : les stars n'arrivent jamais à l'heure. » relativisa Angelina qui attrapait son amas de mouchoirs pour essuyer ses yeux avec un peu plus de douceur. « Qu'est-ce que c'est, déjà, ton événement ? Un gala ? Un date ? »

« Une expo. »

Angelina s'arrêta de réparer ses dommages faciaux pour la dévisager, un poil perplexe.

« Tu t'es habillée comme ça pour une simple expo ? »

Hermione dodelina de la tête.

« Mon ex sera là. » précisa-t-elle alors.

« Aaah. » comprit Angelina avec un sourire en coin. « Crois-moi bien qu'il te suppliera de le reprendre à la seconde où il te verra. »

« Plutôt mourir que de dire oui. » siffla la brune. « Mais je veux qu'il regrette. »

« Ça aussi, ça ne devrait pas être très compliqué. » lui assura Angelina en attrapant l'une des palettes posée en bordure du lavabo. « Ferme les yeux. »

Paupières closes, la brune se laissa bercer par le toucher délicat et méthodique d'Angelina. Tout était caressant, chez elle. Elle tapotait sa bouche, effleurait ses pommettes, chatouillait sa peau d'un coup de pinceau et Hermione se demandait : c'est donc ça, avoir une sœur ? Avoir une mère ? Il lui en fallait parfois si peu que ça en devenait pathétique.

Lorsqu'elle fut enfin autorisée à rouvrir les yeux pour constater le rendu, son sourire renaquit de ses cendres par lui-même. Là où Hermione s'était acharnée avec eyeliner noir et rouge à lèvres rouge, Angelina avait opté pour des teintes subtilement rosées, quelques reflets iridescents ici et là, donnant à son teint une fraîcheur pétillante qu'un œil novice aurait pu croire naturelle. Émue, Hermione la remercia d'un câlin à lui en broyer les os tandis que dans leur dos, la porte de la salle-de-bain s'entrouvrait sur une nouvelle personne.

« Mamma mia. » constata Nymphadora, sa collègue préférée numéro un. « Qui se marie et où diantre se trouve mon invitation ? »

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Il fallut six allers-retours dans la même rue pour que le chauffeur de taxi admette enfin que oui, la galerie était effectivement nichée dans la petite impasse piétonne placée en perpendiculaire. Ce n'était pas comme si la voix robotisée du GPS l'indiquait depuis sept bonnes minutes. Hermione mobilisa tout ce qui lui restait de patience et bienséance pour le remercier avant de sortir en trombe de l'habitacle, son sac de travail dans une main et son tote bag contenant ses habits de la journée dans l'autre.

Même de l'extérieur, l'exposition semblait déjà battre son plein, une soixantaine de personnes se mouvant d'un bout à l'autre de la salle, l'écho de leurs voix noyé sous… de la tecktonik japonaise ? C'était un vernissage de Luna Lovegood ou ce n'en était pas un.

À travers la vitrine, Hermione repéra quelques têtes familières – Alicia, Katie, Parvati – et perdit quelques grammes de nervosité. Elle découvrit juste après qu'un vestiaire se trouvait aussi dans le vestibule d'entrée : seconde bonne nouvelle. Ses affaires déposées, la brune se fraya un chemin dans la foule jusqu'aux bras déjà entrouverts de Parvati.

Poudlard sans Poudlard gardait quand même quelque chose d'éternel. Ils n'étaient plus ces ados aux uniformes identiques qui séchaient les cours d'EPS pour se partager une seule cigarette à six sur la terrasse condamnée de la Tour Ouest, le chat du concierge aux trousses. Ils avaient un boulot, un loyer, des impôts, une carte de crédit, un droit de vote et des tatouages ratés.

Mais mettez-les dans la même pièce et c'était un retour au collège instantané.

Un retour à ces années où, pour la survie sociale de tous, il avait fallu qu'un bouc émissaire soit désigné et, sans même le savoir, Luna s'était portée volontaire, ses colliers-totems et lunettes en forme de hiboux faisant d'elle une candidate naturelle. Et dix ans plus tard, Katie donnait ce même coup de coude de connivence à Hermione qui, par politesse ou culpabilité, se retenait de rire ouvertement.

« Qu'est-ce que c'est que… ça ? » demanda Katie.

Le « ça » en question désignant le nounours empalé sur une barre de pole dance qui leur faisait face, des pin's Hello Kitty épinglés sur l'entièreté du visage et le torse revêtu d'un débardeur rouge sur lequel pouvait être lu : « DIE FEEN DER MAGISCHEN WELT SIND KOMMUNISTEN ».

« Je pense que Freud saura mieux y répondre que nous. » opta Hermione, sa coupe de champagne tout contre ses lèvres.

« Les filles, les filles. » commença Alicia avec une solennité purement exagérée. « Cette œuvre est évidemment un commentaire anticapitaliste sur la surproduction de jouets en Allemagne dans une société qui ne fait qu'acheter puis jeter, empirant ainsi le circuit de consommation cyclique et non-éthique qui ruine notre écologie depuis une bonne trentaine d'années. »

« Bof. » haussa des épaules Parvati. « Moi je vois surtout un ours avec un poteau dans le cul. »

Hermione faillit recracher sa gorgée pétillante.

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Quatre-vingt six heures en terre australienne et son esprit avait enfin choisi d'atterrir. D'accepter que neuf heures de décalage horaire l'avait désormais séparé de celle qu'elle avait toujours été. De la Hermione qu'elle avait choisi d'être, ici.

Et soudain, le déclic.

En deux heures, ses habits avaient enfin peuplés sa nouvelle penderie tandis que sa valise vide s'était trouvée une place miraculeuse sous son lit. Elle avait organisé son bureau, accroché photos et emplois du temps aux murs, placé quelques bibelots sur les étagères, ouvert les fenêtres à l'air marin et sympathisé longuement avec Hannah, sa nouvelle colocataire qui crochetait dans le salon commun.

« Cedric est sur les vagues. » l'avait-elle informé à propos du dernier habitant de la maison, sans préciser ce qu'être 'sur les vagues' pouvait signifier. « Mais tu le verras cet après-midi. »

« Génial. » avait aussitôt répondu Hermione en terminant de lacer ses chaussures.

Puis elle était sortie visiter la ville à pied, guidée d'une ruelle à l'autre par le soleil et Google Map, jusqu'à atterrir aux pieds d'une galerie d'art abstrait. Après une ou mille hésitations, elle avait fini par en pousser la porte en verre, se choquant presque elle-même. Mais la nouvelle Hermione sortait de sa zone de confort. Elle se frottait à ce qui lui faisait peur.

Et l'art lui avait toujours fait peur.

Elle était capable de réciter par coeur une cinquantaine de mouvements différents – romantisme, dadaïsme, cubisme, surréalisme, pop art –, d'en décrire l'essence avec justesse, de citer les grands noms qui les avaient porté – Eugène Delacroix, Sophie Taeuber-Arp, Paul Cézanne, André Breton, Andy Warhol – et de vomir à la lettre des passages entiers de manuels d'histoire de l'art. Elle savait, à la manière d'un critique pointilleux du New York Times, repérer ce qui rendait une œuvre conforme aux standards que l'artiste visait.

Mais certains comprenaient l'art sans notice, juste avec leurs émotions, et Hermione avait toujours été secrètement, férocement envieuse de ces personnes. Et il n'en avait effectivement pas fallu plus pour qu'elle sorte de la galerie aussi rapidement qu'elle n'y avait mis les pieds – tant pis ; elle avait encore six bons mois pour devenir Hermione 2.0.

Le restant de l'après-midi avait été passé les pieds dans le sable et le vent dans les cheveux, un Mister Freeze au cola entre les mains. L'oeil distrait, elle avait regardé les surfeurs voguer sur la ligne d'horizon dans une chorégraphie maîtrisée puis gagner en taille, en muscles et en beauté au fur et à mesure qu'ils s'étaient rapprochés du rivage pour finalement regagner le sol, planche sous le bras et rire aux lèvres.

L'un d'entre eux, un grand brun aux yeux très clairs, avait longuement regardé dans sa direction comme s'il venait de reconnaître quelqu'un. Une erreur, sans doute, et Hermione s'était réintéressée à sa glace pour en lécher les gouttes sucrées qui avaient coulé sur ses phalanges. Puis une ombre avait interrompu son dialogue direct avec le soleil, la forçant à lever le nez.

Et soudain, le grand brun s'était tenu juste là.

« Hermione, c'est ça ? » avait-il demandé, un fort accent austral arrondissant ses voyelles. « Hannah m'a dit que tu serais probablement sur la plage. »

« …oui ? » avait lentement articulé la brune, prise de court, avant de tilter : « Oh ! Cedric ? »

« Exact. » avait-il répondu en tendant un bras ruisselant et bronzé vers elle. « Enchanté. »

Hermione avait lentement hoché la tête, un rose traître aux joues. Cette œuvre d'art là, elle n'avait pas eu besoin de manuels pour la décoder.

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Ron faisait semblant de ne pas la dévisager, ce qui était tout bonnement hilarant. Quiconque connaissait Ronald Bilius Weasley un minimum savait qu'il était incapable de feindre quoi que ce soit, même payé pour.

Hermione papillonnait donc d'un bout à l'autre de la galerie, naviguant entre cocktails, petits-fours et micro-discussions devant une énième peluche décapitée, tandis que Ron gravitait dans le sens contraire, l'évitant comme si elle était la peste et le choléra réunis, mais la zieutant tel le plus puissant des aimants.

Et la satisfaction qu'Hermione en tirait était délicieuse.

Elle secouait ses boucles, accentuait son sourire, exagérait sa bonne humeur, présentait son meilleur profil et espérait ardemment qu'il passe la pire soirée possible. Mais pourquoi espérer quand on pouvait en avoir le cœur net ? Sous le prétexte d'une distraite gorgée de champagne, la voix de Katie dans les oreilles, Hermione balaya la salle des yeux en quête d'une tignasse rousse, mais fut freinée en cours de route par la blondeur de Draco.

Aussitôt, elle se liquéfia. Et à quelques mètres seulement, Draco refusait de détourner le regard, ce qui l'échauffa encore plus. Que foutait-il ici ? Qui l'avait même invité ? Sa réponse se matérialisa aussitôt après aux côtés du parasite en question : Harry. Bien évidemment.

Et maintenant, il fallait réussir l'exploit d'aller saluer son meilleur ami sans qu'une nouvelle guerre ne soit déclarée avec son coloc.

Fan-tas-ti-que.

« J'arrive, je vais juste dire bonjour à Harry. » indiqua Hermione en se tournant vers ses comparses.

Mais à peine eut-elle amorcé un premier pas dans la foule que Draco, sans jamais la quitter des yeux, entraînait Harry par l'épaule dans la direction opposée tout en pointant du doigt une œuvre d'art au hasard. Diversion qui fonctionna à merveille – comment ne pas tomber des nues devant un petit ours brun ligoté en bondage shibari – et bientôt, Harry lui tournait le dos sans jamais l'avoir vue.

Wow, pensa Hermione, absolument sidérée.

Et ce petit manège se répéta à quatre ou cinq reprises au cours de la soirée, Draco s'improvisant à la fois guide et garde du corps de son voisin, le menant d'une mise en scène perturbante à l'autre puis anglant sa posture de sorte à bloquer le regard d'Hermione et, avec cela, son existence toute entière auprès d'Harry.

Dans un tout autre monde, la brune aurait presque applaudi cette agressivité passive. Dans celui-ci, elle tremblait physiquement de rage.

« Min ! Il est là ! » jubila Parvati lorsqu'elle revint vers ses amies pour s'offrir un cul-sec – vin, gin, mojito, rhum, champ' ; peu lui importait, à ce stade.

« Qui ça ? » voulut savoir Alicia.

« La pure bombe sexuelle qui est en coloc avec Harry. » pépia Parvati, surexcitée.

« Attends, mais tu n'habites plus avec Potter ? » demanda Katie à Hermione, la mine confuse.

« J'ai déménagé en janvier, juste avant mon départ en Australie. » indiqua Hermione.

« Pour aller vivre la dolce vita avec un surfeur. » compléta Parvati.

« J'étais en échange et il ne s'est rien passé. » rectifia sa voisine, un brin féroce.

« Ok : de quoi j'ai l'air, les filles ? » embrayait déjà Parvati qui ajustait son décolleté en vitesse.

« Grrrr. » ronronna Katie en mimant des griffes de chat.

« Sexy avec un grand S. » renchérit Alicia.

Hermione se réfugia quant à elle dans son fond d'alcool fruité dont le nom italien lui échappait déjà.

« Min ? » insista toutefois Parvati, un sourcil impatiemment haussé.

« Il ne te mérite pas. » marmona-t-elle simplement.

Pour toute réponse, Parvati lui envoya un baiser aérien puis disparut dans un tourbillon d'euphorie.

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Très vite, la brune décida qu'elle avait passé l'âge de ces petits cache-caches puérils, surtout si Draco Malfoy en déterminait les règles. Elle ne se concentra à la place que sur un seul cache-cache : celui consistant à refaire le tour de la salle seule tout en se faisant admirer de loin par un Ron craintif. Ça, c'était gérable.

Et puis, plot-twist : il fallait apparemment être en bon chemin vers l'ivresse pour qu'un déclic artistique se fasse. Ainsi, Hermione se retrouva à communier intensément avec un grand nounours accompagné d'un plus petit, tous deux habillés à l'identique, à l'exception du couteau de boucher transperçant le cœur de la peluche miniature. Pour seule explication trônait une petite plaquette sur laquelle était marqué : « MEINE MUTTER UND IHR SPIEGEL » – ma mère et son miroir, traduisit instinctivement Hermione.

Et elle ne sut pour quelle raison stupide les larmes lui montèrent aux yeux. Peut-être était-ce pour cette existence en miroir de celle de sa propre mère qu'elle s'efforçait à vivre depuis toujours, sans jamais un merci. Juste des mots poignards et des « peut mieux faire » alors qu'elle faisait déjà de son mieux.

Elle n'avait pas eu besoin de sa psy pour réaliser que les exigences de sa mère n'avaient jamais été saines ni même viables. Mais même en étant parfaitement lucide, elle ne savait comment arrêter d'essayer de les atteindre. Comment cesser de nourrir la bête.

De l'aimer, même – la brune chassa une larme furtive avant même qu'elle ne songe à couler – parce qu'aussi cruelle soit-elle, la bête connaissait suffisamment bien Hermione pour la piquer là où elle ne cicatriserait jamais. La bête la voyait.

Elle ne l'oubliait pas.

« Min ! Tu es là ! »

En un clin d'œil, Hermione se retrouva éjectée d'un monde pour rentrer dans un autre grâce à un Harry si surexcité qu'il la secouait par les épaules.

« Je… suis là. » confirma Hermione, un poil désorientée.

« Je ne pensais pas que tu allais venir ! » s'exclama Harry. « Et puis je ne t'avais même pas vue, figure-toi ! C'est Draco qui t'a repérée dans la foule. »

Le regard d'Hermione passa de son meilleur ami au parasite debout droit comme un piquet dans son dos.

« Oh, vraiment. » réagit-elle, glaciale. « Quel œil. »

« Merci. » eut le culot de répondre ledit parasite.

Pas moins de 120 répliques assassines fusèrent dans l'esprit d'Hermione, mais elle pinça des lèvres, les retenant toutes in extremis. Harry lui avait fait promettre d'être… comment ce mot se disait, déjà ? Ah oui : cordiale.

« Pas de quoi. » articula-t-elle alors, chaque syllabe lui écorchant la langue.

« C'est un peu intense comme expo, hein ? » poursuivit Harry avec un petit rire catastrophé.

« C'est très Loufoca. » résuma Hermione.

« Extrêmement Loufoca, même. Excuse-moi, mais la poupée Barbie guillotinée en tutu ? » feignit de chuchoter Harry en pointant la scène du crime en question. « Je pense qu'elle reviendra dans mes cauchemars pendant une bonne semaine au moins. »

« Attends un peu de voir le nounours allemand embroché. » ajouta la brune avec un petit rire.

« On l'a vu. » intervint Draco d'une voix égale.

Hermione en perdit son amorce de sourire pour le toiser avec incrédulité. Que voulait-il même qu'elle réponde à cela, si ce n'était une déclaration de guerre ? Était-elle la seule à œuvrer pour une putain de paix collective, ici ?

« Oui ! Celui avec des broches Hello Kitty accrochées de partout ? Horrifique. » rebondit Harry, inconscient qu'une seconde scène de crime s'apprêtait à être inaugurée juste sous ses yeux.

« Une sorte de Kelly sous acide. » commenta alors Draco, une rare risette aux lèvres.

« Purée, mais c'est vraiment Kelly en plus. » s'exclama Harry avant de partir dans un fou rire.

« Surtout avec sa petite sacoche rose. » continua Draco, son sourire s'accentuant.

« La pire. Oh mon Dieu. » suffoquait déjà Harry. « Et le petit nœud rose ? »

« Indispensable. »

« …Kelly ? » demanda malgré elle Hermione, perdue.

Si Draco l'ignora complètement, Harry fit de grands signes de bras, en quête d'un nouveau souffle avant de pouvoir enfin répondre :

« C'est une collègue de Ginny qui est très fan de Hello Kitty. Genre à un niveau mentalement instable. Genre fan-fan de Hello Kitty. »

« Et de crème Chantilly. » glissa Draco.

Et c'en était reparti pour une nouvelle crise d'hilarité dont Hermione se trouva soigneusement exclue. Le nez dans son verre, la brune regarda son meilleur ami se contorsionner de rire devant un coloc qui alimentait ses éclats à coups de phrases sans queue ni tête – « et si tu la pousses, elle explose » ; what the fuck ? – à propos d'une collègue de Ginny qui – surprise, surprise ! – semblait avoir enfin trouvé un stage. Du temps où Hermione et elle se parlaient encore régulièrement, la benjamine des Weasley était encore en phase de recherche intensive.

« Ron est là. » annonça d'un seul coup Hermione, lassée du spectacle.

Ce qui eut l'effet parfaitement escompté : en une poignée de secondes, Harry passa du rire à la surprise, ses yeux revenant précautionneusement sur elle.

« Oh. » réalisa-t-il. « Et, hum… vous vous êtes parlés ? »

« S'il s'approche à plus de trois mètres de moi, je pense qu'il prend feu. Donc non. » ricana Hermione.

« Oh. » répéta Harry.

Un de ses sourcils se haussa au ralenti en une question silencieuse qu'Hermione devina à l'instant – une demi-vie d'amitié s'accompagnait toujours d'un peu de télépathie.

« Non. » répondit-elle, catégorique.

« Bon. » conclut Harry. « Au moins, vous êtes dans la même pièce. »

« Je n'ai jamais eu de problème à ce niveau. » se dédouana Hermione.

« Je sais… je sais. Je vais aller lui dire bonjour. » concéda Harry avec un soupir résigné. « Est-ce que tu restes un peu ? Il doit nous rester encore deux ou trois cauchemars à observer de près. »

« Deux ou trois Fassli puis on rentre. » marmonna distraitement Draco qui semblait tromper son ennui sur son portable.

« Füssli. » rectifia instinctivement la brune.

Draco leva les yeux de son écran pour les poignarder bien profond dans ceux d'Hermione.

« Quoi ? » siffla-t-il.

« Johann Heinrich Füssli. Le peintre du tableau Le cauchemar. Ce n'est pas 'Fassli', son nom. C'est 'Füssli'. » détailla la brune, non sans une certaine satisfaction.

Draco cligna platement des yeux, l'air affreusement éteint de l'intérieur, puis donna un léger coup de coude à Harry.

« Je continue l'expo. On se rejoint. » lui indiqua-t-il.

Et il tourna des talons.

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« On approche du 20 mars. » avait remis sur la tapis sa psychologue, trois mois plus tard. « Souhaitez-vous qu'on parle de votre père ? »

Face à l'écran Zoom, Hermione avait été en proie à une puissante gueule de bois qu'un bronzage doré parvenait à dissimuler, du sable dans les chaussures et un suçon au creux du cou.

« Non. » avait-elle répondu d'une voix rauque.

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6 minutes, indiqua le petit carré dans son application Uber. Juste assez de temps pour dire au revoir à Harry, Alicia et Katie – Parvati restait introuvable et Draco, rien à foutre –, récupérer ses affaires dans le vestiaire puis affronter la fraîcheur du dehors jusqu'à ce qu'une Toyota gris métallisé vienne s'amarrer à l'entrée de l'impasse.

Occupée à stabiliser ses sacs sur le sol dallé, Hermione n'aperçut l'ennemi que trop tard et croiser son regard lui ôta toute possibilité d'indifférence feinte. Car Draco était adossé à quelques pas d'elle, tout contre la façade en brique du bâtiment voisin à celui de l'exposition, et fumait sans se presser.

Sans la quitter des yeux.

Contre toute attente, il finit par tendre son paquet de cigarettes vers elle. Hermione crut d'abord à un mirage, puis à une tentative d'assassinat, avant de se résoudre à une dernière option plus impensable encore : un drapeau blanc. Devant son hésitation, le blond secoua légèrement son paquet, l'incitant plus ouvertement à s'y servir.

Et qu'était Hermione pour refuser une clope gratuite ?

Le remercier fut toutefois au-dessus de ses capacités, même une fois sa tige de nicotine gratuite au bec. Qu'à cela ne tienne, Draco ne s'en formalisa pas et dégaina même son briquet pour rapprocher la flamme de l'embout de sa cigarette. La première taffe, Hermione l'accueillit à plein poumon, se perdant temporairement dans l'habituel brouillard agréable qui s'ensuivait au point de manquer d'entendre la phrase de son voisin.

« Je peux te poser une question ? »

Hermione le scruta dans la pénombre. Tira une seconde taffe. L'expira. Puis haussa des épaules.

« Est-ce que tu penses que Harry t'apprécie ? » lui demanda-t-il de but en blanc.

La bouche d'Hermione s'entrouvrit sous le coup du choc, manquant d'en laisser tomber au sol son cadeau empoisonné.

« Indépendamment du fait que vous soyez amis depuis longtemps. Juste en tant que personne. » continuait Draco devant elle. « Est-ce que tu penses qu'il t'apprécie ? »

« Qu'est-ce… que c'est que cette question ? » prononça-t-elle, sidérée.

« Ça m'intrigue. » haussa-t-il des épaules à son tour. « Si vous vous étiez rencontré dans un autre contexte — au travail, par exemple — est-ce que tu penses qu'il t'aurait aimée ? »

« Je te retourne l'interrogation. » cingla la brune.

« Moi, je sais qu'il m'apprécie. » répondit Draco avec toute l'aisance du monde avant de pointer son mégot dans sa direction : « Mais toi, je pense qu'il te tolère. »

Face à elle, Draco arborait cette même figure stoïque de l'extérieur, mais victorieuse de l'intérieur, qui donnait envie à la brune d'écraser sa clope en plein milieu.

« Tu es, et je pèse mes mots, une sombre merde. » articula-t-elle, une fureur contenue dans la voix.

« Et toi, une personne imbuvable, hypocrite, insécure, aigrie, jalouse, misérable et pitoyable qui a visiblement de gros problèmes à gérer son alcool correctement, à en juger les états purement minables dans lesquels tu te mets une fête sur deux. Un jour, Harry en aura juste marre de te ramasser à la petite cuillère. » dégaina Draco sans même battre d'un cil.

Le coup partit de lui-même, sans même qu'Hermione ne l'anticipe. Sans même qu'elle ne le sente.

Une seconde, elle voyait rouge, une rage sourde traversant son corps comme la foudre, et l'autre seconde, ce rouge était sur son poing, sur le sol, sur la figure de Draco qui titubait vers l'arrière en proférant des jurons. Il la dévisageait désormais d'une paire d'yeux bleus paniqués, ses deux paumes plaquées sur son nez ensanglanté, et face à ce tableau terrible, Hermione se retrouva elle aussi à reculer, prise d'une terreur frisant le haut-le-cœur.

Son instinct de fuite lui chuchota que son Uber venait tout juste d'arriver et elle s'engouffra aussitôt sur le siège arrière, le cœur battant la chamade, pressant même le chauffeur pour qu'il démarre plus vite, plus vite, plus vite. Grand seigneur, le sexagénaire obtempéra sans même questionner la tâche écarlate qui souillait le blanc immaculé de sa robe.

Le souffle haché, Hermione ouvrit et referma sa main fautive et douloureuse, du sang incrusté sous les ongles.

Tel monstre, telle fille.

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FINISH HIM!

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Rar :

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Telguen : Super contente que tu puisses réussir à ressentir l'essence de cette Hermione ! J'aime beaucoup le fait que chaque personne lisant cette histoire réussisse à se l'apprivoiser (et moi aussi hihi). Merciiii pour ces jolis compliments sucrés :D

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Skaelds : Oh, merci beaucoup ! Le projet d'écrire un livre ne me quitte jamais, ne t'inquiète pas ;)

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Quel est votre personnage préféré, so far ? Pour ma part, j'a-do-re écrire sur Parvati. See you (very) soon ❤️