Je vous mets ci-dessous le résumé complet :
Tout était lié à cette nuit de dix octobre, le jour de la mort du troisième et du quatrième Hokage, vingt ans plus tôt. Ils ne savaient pas ce qu'il s'était réellement passé cette nuit-là, étant donné que les récits différaient à chaque point de vue, mais il était clair que l'attaque du démon millénaire avait tout bouleversé. La disparition simultanée des deux figures emblématiques du village caché par les feuilles à savoir Hiruzen Sarutobi, le Sandaime, et Minato Namikaze, le Yondaime, avait plongé Konoha dans l'anarchie et avait mis à mal les défenses du pays, offrant le pouvoir en place à un homme bien moins clément que le furent les porteurs de la volonté du feu.
Toutes les personnes ayant entendu les rumeurs concernant la grossesse de Kushina Uzumaki pensèrent avec raison que l'enfant du quatrième avait péri avec ses parents. Il n'en était rien. Caché aux yeux du monde, l'héritier de la volonté des Senju avait survécu à l'offensive, mais se volatilisa seulement quelques jours plus tard sans laisser aucune trace, abandonnant à son triste sort la Feuille gangrénée. Une simple attaque ciblée d'un renard géant avait suffi à affaiblir la plus grande puissance de la péninsule et ses alliés, brisant l'équilibre des cinq grandes nations et éteignant la suprématie qu'ils avaient jusqu'alors représentée.
Tel un cycle que l'on ne pouvait arrêter, la quatrième Grande Guerre qui suivit dura plus d'une décennie et plongea la péninsule dans la souffrance et le chaos. Elle ne fut pas la plus longue ni la plus meurtrière, mais la manière dont elle se termina fit d'elle la plus mémorable. Deux mille shinobis, aux frontières du pays de la Pluie et de l'Herbe, perdirent la vie en un instant, vaporisés par une impulsion de plusieurs kilomètres de diamètre dont personne, encore aujourd'hui, ne connait l'origine.
Trois années après la fin de la quatrième Grande Guerre et vingt ans après la disparition du plus puissant démon à queues de mémoire d'homme, les cinq grandes nations élémentaires, n'ayant pas appris de leurs erreurs, avancent leurs pions et manigancent dans l'ombre. La cinquième Grande Guerre ninja se prépare, et elle sera la dernière.
Sennin, les chroniques d'un ninja caractériel.
TLDR : Si vous vous décidez à lire cette fanfiction, sachez que j'ai pris certaines libertés lorsque je l'ai commencé (encore aujourd'hui, étant donné que je l'écris dans le but de m'améliorer, j'essaye beaucoup de chose, que ce soit dans mon style ou dans l'intrigue. Pour donner un exemple le chapitre 3 et 4 sont une scène continue de 28k/mots.), mais cela vous le découvrirez de vous même. Elle diffère certainement des autres histoires que vous avez lu sur l'univers de Naruto et est proche d'une œuvre originale, bien qu'elle reste très ancrée dans l'univers du manga (c'est ce que l'on me dit lorsqu'on me lit.). L'intrigue prend son temps dans son avancement et les romances tout autant. Pour donner un autre exemple le "prologue de l'histoire" regroupe les quatre premiers chapitres, soit presque 60k/mots. Et je ne peux que supposer que cette fan-fic dépassera le million de mots, donc si vous souhaitez la lire, sachez que j'en ai encore pour quelques années de publication.
Cette fanfiction demande de la réflexion, peut-être un peu trop. Si vous n'aimez pas ce genre d'intrigue... essayez quand même, qui sait. S'il y a une chose que je suggère, c'est de lire le prologue en entier avant de renoncer (les quatre premiers chapitres). Je sais que lorsque j'ai écrit cette fanfic, j'ai un peu exagéré le mystère dans les deux premiers chapitres, ce qui est un peu rebutant. Mais d'un autre côté, étant donné que l'histoire est très lente dans sa narration, cela permet à ceux qui n'aiment pas ce style d'arrêter sans avoir perdu trop de temps, donc... c'est peut-être une bonne chose.
Bonne lecture.
Tags : Graphic Depictions Of Violence / Major Character Death / Romance / Psychology / Action/Adventure / Drama / Realistic / Alternate Universe - Canon Divergence / Humor / Angst and Hurt/Comfort / Mental Instability / Moral Lessons / Injustice / War / Past Rape/Non-con / Adult Content / Explicit Language / Emotional/Psychological Abuse / Alternate Universe - Modern Technology / Original Character(s)
Taille chapitre : 13000 mots.
Le Ninja de la Feuille
Takeshi
23 Novembre 1020, 23h27
Pays de la Terre, Yariba
Les yeux plissés au-dessus de sa grimace déformant les traits de son visage, à moitié dissimulé par son imperméable noir, Takeshi centra son attention sur la pluie battante avant d'observer d'un d'œil agacé la porte dans son dos.
Encastrée dans la montagne qui le surplombait et partiellement recouverte de racines et de ronces poursuivant leur lente ascension, celle-ci l'énervait tout particulièrement. Elle lui donnait même l'envie de foutre le camp. Par chance, les gouttes d'eau qui martelaient sa capuche parvenaient à lui faire garder en mémoire le fait qu'il ne devait sous aucun prétexte quitter sa position.
D'un air ennuyé, il ramena son attention sur la luxuriante forêt d'habitude pleine de vie, mais cette fois-ci réduite au silence par l'orage qui tonnait. Un éclair illumina les immenses pins et épicéas pullulant à perte de vue et, sous le grondement du tonnerre, il ne put retenir un énième soupir.
- Tu parles d'un poste à haute responsabilité, maugréa-t-il en essuyant de rage son visage à l'aide de sa manche trempée, ce qui n'aida en rien à calmer son humeur passagère. « Attendre sous la pluie que rien ne se passe. »
Cela ne faisait qu'un mois qu'il exerçait ce tout nouveau travail, ou plutôt, ce tout nouveau calvaire. Un minuscule mois, pourtant, il avait l'impression qu'une année entière s'était écoulée tant l'ennui se faisait présent.
En cet instant, il aurait tout donné pour aller jouer une partie de cartes avec Judan et Tsuke au lieu de restait là à ne rien faire, planté comme un arbre isolé dans les montagnes.
- Heureusement que Reimu et ses arguments avantageux passent me voir de temps en temps.
À peine murmura-t-il le nom de la femme, que ses élans d'humeurs s'en allèrent.
Il n'arrivait tout simplement pas à ressentir autre chose que de l'apaisement lorsqu'il pensait à elle. Il n'avait observé la responsable du complexe que deux fois, de loin et accompagné d'un soleil lui gâchant la vue, mais cela avait été suffisant pour qu'il en tombe fou amoureux, littéralement. Il finirait ses jours avec, il en était convaincu.
Hidetoshi à ses côtés jusqu'alors silencieux, une clope au bec et d'une vingtaine d'années son ainé, pouffa légèrement de rire à l'entente de sa dernière tirade.
- Les jeunes de nos jours… se moqua-t-il en inhalant la fumée de sa cigarette, se réchauffant de la meilleure manière qu'il connaissait. « Regarde-toi, tu as quoi... seize ans ? » spécula-t-il en levant une main trempée et moqueuse dans sa direction.
Ne lui laissant pas le plaisir de lui cracher au visage le ton acerbe qui se logea à l'embrasure de ses lèvres, l'enfoiré qui lui servait d'équipier enchaîna aussitôt.
- Redescends sur terre mon garçon. Tu n'es qu'un gringalet, une mauviette. Ça se voit que c'est une femme qui aime les hommes, les vrais, affirma-t-il d'une voix hilare avant de recracher, entre deux rires caricaturés, une éparse fumée. « Si tu veux un bon conseil, tente ta chance dans vingt… peut-être même trente kilos. » ajouta-t-il en s'esclaffant cette fois-ci franchement.
La haine s'accapara de la moindre de ses pensées adolescentes.
- Tu t'es regardé avant de parler de poids, gros tas ?
À la suite de sa réplique, les cent dix kilos d'Hidetoshi se braquèrent dans sa direction et, au vu de l'expression que l'homme arborait, il fut sûr d'avoir touché un point sensible.
- Fais gaffe à ce que tu dis petite m…
Un grésillement strident, émanant du petit gadget blanc logé dans leur oreille droite, arracha l'opportunité au quadragénaire de terminer son insulte et les ramenèrent brutalement à la réalité.
Les sourcils froncés, Takeshi déposa instinctivement sa main droite sur son oreille au travers de sa capuche et observa, d'un air soucieux, l'expression d'Hidetoshi à sa gauche. Similaire à la sienne, celui-ci avait reproduit le même geste au millimètre près.
Le temps sembla s'étirer et s'écouler sans que rien ne se fasse entendre. Puis, le flux continu se fit doucement étouffer par la précipitation qui s'abattait sur son imperméable avant de complètement s'estomper. Sous l'apaisement de son rythme cardiaque, il reprit une bouffée d'air, convaincu que ce n'était finalement qu'une interférence.
La légère brise qui avait jusqu'alors fait osciller le tissu noir recouvrant son corps s'arrêta brutalement.
« Il… arrive… »
Par cette soirée de demi-lune, un frisson traversa son corps encalminé. Il sut, en jetant un rapide coup d'œil à la porte en acier trempé dans son dos et au simple timbre de cette voix saturée, moribonde, que son ennui était arrivé à son terme.
- Pourquoi tu tires cette tête ?
Bloqués sur l'entendue boisée, ses iris chocolat observèrent l'éclat de la foudre qui fissura de nouveau les cieux et, dans un élan de courage et d'adrénaline, il parvint à les tourner à l'encontre d'Hidetoshi.
- Tu-tu n'as… pas… entendu ? balbutia-t-il en espérant au plus profond de son être que ce soit le cas, que cette voix se soit jouée dans son esprit.
- Entendu quoi ?! aboya le quadragénaire d'un timbre agacé par son étrange comportement. « Pourquoi est-ce qu'ils me mettent toujours avec des tarés. » se renfrogna-t-il quelques secondes plus tard.
Il ne pouvait clairement pas s'imaginer à quel point il aurait aimé que ses dires soient vrais, qu'il soit tout simplement fou, mais au fond de lui, il savait que ce que c'était tout sauf le fruit de son imagination. Il savait qu'il avait bel et bien entendu les dernières paroles d'un homme.
Alors qu'il allait expliquer à Hidetoshi la raison de son silence, un vacillement de lumière dans le dos de celui-ci, continuant de le dévisager, attira son attention à la fois débutante et médusée.
- C'est quoi… ça ? demanda-t-il d'une voix bien plus craintive que ce qu'il aurait voulu faire entendre.
Un air sceptique dessiné sur le visage, se demandant s'il s'agissait encore d'un autre de ses délires, Hidetoshi recracha la fumée qu'il venait tout juste d'inhaler avant de jeter sa cigarette au loin. D'un mouvement lent et incertain, il déplaça alors son attention à l'ouest, là où son regard chocolat et stupéfait orbitait.
À plusieurs kilomètres de leur position, au-delà de la forêt et de la pluie brouillant leur vision, située entre deux monts escarpés, une source de lumière orangée, ressemblant à peu de chose près à un incendie, illuminait l'horizon.
- Ça, c'est le sixième avant-poste, lui répondit Hidetoshi, la mâchoire contractée, en déposant la paume de sa main sur la garde de la lame accrochée à son dos. « Qu'as-tu entendu au juste ?! Réponds ! » vociféra-t-il d'un timbre sévère en dégainant son arme, lui reprochant très clairement le fait de n'avoir encore rien dit.
- Ce-ce n'était pas très c-clair… mais ça disait q-que quelqu'un arrivait, se hâta de répondre Takeshi, pris de panique.
Un blanc monumental suivit de près son explication, durant lequel il se demanda si la lame aiguisée était destinée à ce qui était à l'origine de l'incendie ou à son explication inexpérimentée.
Un air grave imprégné sur son visage, Hidetoshi s'avança d'un pas hésitant vers le plus grand des conifères qui les entouraient.
- C'est tout ?
Cette situation était tout bonnement dénuée de sens, Takeshi en était convaincu. Tout ceci n'était rien d'autre qu'une vaste coïncidence.
- C'est tout.
Son oncle, juste avant lui avoir dégoté ce poste, lui avait très clairement fait comprendre qu'il ne courrait aucun danger en l'acceptant, que, depuis la fondation de ce lieu, soit plus de cinquante ans, aucune tentative d'attaque ou d'infiltration n'avait été enregistrée. Il s'agissait d'une véritable forteresse cachée dans les montagnes escarpées de Yarabi, situées au nord-est de Tsuchi, le pays de la Terre. Seuls un fou ou un suicidaire s'aventureraient dans ce lieu avec comme objectif de l'assaillir.
Un frisson le prit de court.
Des fous… cette péninsule en regorgeait.
- Je vais voir ce qui se passe.
La peur ainsi que l'appréhension de se retrouver seul lui en retourna l'estomac, mais déglutissant péniblement, Takeshi ne fit rien transparaitre et se contenta d'acquiescer. Si tel était le cas, s'ils subissaient réellement une attaque, alors il devait certainement y avoir des blessés, son inquiétude passait donc au second plan.
Fermant les yeux, il inspira profondément afin de s'armer de courage et la dernière chose qu'il vit fut Hidetoshi sautant sur une des nombreuses branches d'un imposant sapin.
Il était un shinobi et devait se comporter comme tel. Qu'importe la situation à laquelle il allait faire face, il la surmonterait comme il l'avait toujours fait. Comme le voulait l'éducation que son père lui avait inculquée.
- Toi reste ici et empêche quiconque d'ent…
Il rouvrit subitement ses yeux chocolat imbibés d'incompréhension alors que la phrase du quadragénaire s'arrêta net, et son expression craintive et adolescente croisa inévitablement la grimace de son équipier perchée sur la branche du conifère. Les iris de l'homme se détachèrent de leurs orbites et, entrainé par le poids de son corps en équilibre sur son perchoir, il tomba à la renverse.
Âgé de seulement seize ans, Takeshi observa, en déglutissant péniblement, la chute libre à une dizaine de mètres de ses jambes clouées au sol. Les images de ce qui venait de se produire se rejouèrent dans son esprit, lui faisant ainsi comprendre, après une fraction de seconde à tout remettre en ordre, qu'il n'avait rien vu, rien senti, rien perçu. Il ne savait pas d'où l'attaque était venue, ni même s'il y avait eu une réelle attaque.
Encore une fois, une pensée insolite, n'ayant que pour unique but de ne pas le faire céder à la panique, s'insinua entre deux de ses réflexions affolées.
Peut-être bien que tout ceci n'était qu'un pur hasard, peut-être bien qu'Hidetoshi avait tout simplement glissé et qu'il allait se rattraper in extremis.
Le bruit sourd émis par le corps s'écrasant lourdement sur le sol détrempé stoppa la moindre de ses pensées, ne laissant que l'image de sa petite sœur qui attendait son retour dans son village natal. Il lui fit remémorer son sourire étincelant et son regard noir de jais, le laissa admirer son magnifique visage innocent ainsi que sa chevelure châtain foncé. Il lui remémora ce qu'il protégeait, la raison pour laquelle il avait rejoint les forces armées.
L'adrénaline que cette vision lui procura se répandit dans les moindres parcelles de son corps. D'une main trépidante, il attrapa alors le manche de la lame dans son dos et comprit qu'il n'avait plus le temps de se rassurer ou de ne serait-ce que réfléchir que, peu importe ce qui venait de se produire, il était le prochain sur la liste.
Tout comme le furent ses pensées, sa respiration et sa bravoure s'arrêtèrent brutalement. Le regard écarquillé, il contempla la foudre qui s'abattit au loin sur les monts escarpés.
Une indescriptible force, tel un serpent qui avait attendu le mouvement de sa proie, venait de se glisser sur son avant-bras droit et lui avait entravé ses mouvements, l'empêchant ainsi d'extirper sa lame.
S'il ne parvenait pas à entendre les palpitations de son cœur, il aurait alors juré que celui-ci s'était arrêté en même temps que sa capacité d'analyse qui ne trouvait aucune logique à ce qui venait de se produire.
Aucune fluctuation de chakra, aucune apparition, aucun mouvement de l'air, aucun bruit.
Pourtant elle était bel et bien là, cette force effroyable lui broyant les os. Elle avait réussi à mettre à terre un Chūnin avec une facilité déconcertante et avait traversé la distance les séparant en une fraction de seconde, sans qu'il ne la ressente, comme si elle s'était littéralement téléportée.
Il observa du coin de son regard exorbité la silhouette à l'origine de son incapacité motrice, mais n'eut pas le temps de se rendre compte de la gravité de la situation. Un coup dans son abdomen lui arracha la moindre de ses pensées, emportant dans son sillage sa respiration déjà aux arrêts. La force maintenant son bras se relâcha lentement et, le laissant recracher le peu d'air encore présent dans ses poumons, elle s'éloigna de son corps tombé face contre terre.
Le Prisonnier
23 Novembre 1020, 23h22
Pays de la Terre, Yariba
Assis et accompagné par le poids des chaînes qui lui brûlaient les poignets, il ouvrit ses paupières marquées de cernes et regarda la seule porte de la pièce dans le même silence qu'il maintenait depuis plusieurs heures.
Un des gardes postés devant celle-ci l'ouvrit et céda le passage à un homme de grande taille, aux rides naissantes et à la chevelure brune, qui portait la tenue traditionnelle des ninjas d'Iwa.
Arborant une barbe de plusieurs jours et une carrure d'athlète, le nouvel arrivé s'installa sur la seule chaise libre de l'autre côté de la table en fer, la seule qui lui faisait face.
- Tu es une véritable énigme, soupira-t-il d'une voix rauque en comprenant que, une fois de plus, il serait le seul à parler. « Aucun registre de passage aux frontières, pas de papier d'identité, pas de signe quelconque prouvant ton affiliation à quoi que ce soit… et pour couronner tout ça, tu restes plongé dans ce silence. »
Il écouta le monologue du ninja d'Iwa d'un air détaché, ce qui fit naitre une expression agacée sur le visage de celui-ci.
- Étant donné que tu ne sembles pas vouloir parler, laisse-moi t'expliquer ce qui va suivre, lui indiqua l'homme, exaspéré. « La prochaine fois que je quitterai cette pièce, ce sera la dernière. Et ces personnes te feront amèrement regretter le fait de ne pas avoir ouvert la bouche tant que tu le pouvais encore. »
Il laissa durant quelques secondes le doute planer puis, d'un mouvement fatigué, déplaça son attention sur les tâches écarlates et séchées qui décoraient le sol, plafond et mur, avant d'observer du coin de l'œil les quatre peintres qui l'entouraient.
Habillés tout de noir et d'un gilet en kevlar gris, les quatre Anbu examinaient ses moindres faits et gestes.
- Parle maintenant, après ce sera trop tard.
Pour la première fois depuis son arrivée et sous l'enjouement de l'homme ayant mené son interrogatoire, il se décolla du dossier de la chaise métallique et fit tinter les menottes qui entravaient ses poignets. Les quatre masques blancs déposèrent leur main gantée sur les armes qu'ils transportaient tandis que, d'un geste lent afin de ne pas les brusquer, il attrapa le gobelet en plastique sur la table et but plusieurs gorgées avant de le redéposer délicatement là où il l'avait trouvé.
Alors que tout laissait à penser qu'il allait enfin s'exprimer, qu'ils allaient enfin entendre le son de sa voix tant recherchée, le silence se réinstalla pour ne plus s'en aller.
- Très bien, si c'est ce que tu souhaites.
Sous le grincement de sa chaise, le ninja d'Iwa se leva vers la porte dans une démarche énervée et la frappa avec force. Celle-ci s'ouvrit dans la seconde qui suivit et se referma sous la disparition des vêtements bordeaux, l'abandonnant à ses quatre bourreaux.
Dans une longue expiration, il ferma ses paupières alourdies par la fatigue. L'instant d'après, son ouïe s'aventura dans le couloir, au-delà des murs insonorisés. Ce fut tout d'abord le bruit des pas de l'homme, lourds et frustrés, qu'il entendit en premier. S'ensuivit l'écho d'une poignée de porte à peine audible.
- Enfoi…
La voix emplie d'animosité s'arrêta net, et l'irritation que le Shinobi d'Iwa extériorisait jusqu'alors se volatilisa tout bonnement.
- Reimu-sama ? Que faites-vous ici ?
Face au soudain ton respectueux dont l'homme fit preuve, il laissa sa concentration se déposer sur cette source inconnue derrière le miroir avant de se sentir épié, comme si elle l'observait attentivement de l'autre côté.
- On parle de cette affaire dans tout le bâtiment, difficile de ne pas s'y intéresser, s'éleva après plusieurs secondes une voix mielleuse et féminine. « Ce qu'on raconte est vrai ? » enchaîna-t-elle tandis que l'attention qu'elle lui portait se dissipa.
- D'après ce qui m'est parvenu, oui, tout est vrai.
Il n'eut nul besoin de se concentrer davantage sur les émotions de la dite Reimu pour savoir ce à quoi elle pensait. Il aurait pu ressentir son scepticisme à des kilomètres à la ronde.
- Shuhan et Atoashi se sont retrouvés avec les deux tibias fracturés sans même voir ses déplacements, rajouta l'homme en plaçant dans un bruit sourd son avant-bras contre la vitre. « Cet enfoiré a tenu tête à quatre Jōnins en utilisant uniquement du Taijutsu… c'est à n'y rien comprendre. »
- Comment l'ont-ils arrêté ?
- Il s'est rendu de lui-même.
Le silence de la femme fit comprendre au ninja d'Iwa qu'il pouvait continuer sur sa lancée.
- Une escouade chargée de surveiller la baie du nord aux frontières de Yakishio passait par là au moment où il a attaqué Shuhan et son équipe. J'imagine que face à une escouade entière, il s'est rapidement résigné.
De nouveau, il sentit Reimu le dévisageait mais, cette fois-ci, ce ne fut pas seulement de la curiosité, il y avait autre chose. Un sentiment qu'il décela bien rapidement : l'incompréhension.
Elle n'était pas du genre à croire à ce genre de coïncidences.
- Les escouades envoyées au nord sont en quasi-totalité formées de Chūnins fraîchement promus, je me trompe ?
L'homme ne répondit pas et son silence ne fit que refléter le fait qu'il avait compris.
- Pourquoi s'est-il rendu si facilement face à une vingtaine de Chūnins si une fraction de seconde lui a suffi pour mettre à terre une unité de Jōnins expéri…
Il se leva subitement sous le tintement des chaînes accrochées à ses poignets.
Dans une agitation grandissante les quatre Anbu confinés avec lui extirpèrent de leur fourreau les katanas qu'ils transportaient et le menacèrent avec.
S'il ne parvenait pas à entendre les deux souffles courts qui animaient la salle d'observation, il aurait alors pu jurer que plus personne ne se trouvait dedans.
- Assieds-toi !
Debout devant la chaise, parfaitement immobile dans la salle d'interrogation, il détourna son expression impassible à l'encontre du miroir et toisa très distinctement l'exact endroit où il savait que la voix féminine se trouvait. Le sentiment d'effroi qu'il ressentit de l'autre côté du miroir fut si prégnant qu'il l'entendit déglutir péniblement.
- Qu-que-ce que…
Ses iris azur se perdirent dans la contemplation de leur propre reflet tandis que, les fermant un court instant sous le hurlement des deux hommes et deux femmes le menaçant de leurs armes, il se retrouva, en les rouvrant, sous une pluie battante, au beau milieu de l'une de ses nombreuses réminiscences et d'une forêt verdoyante.
L'orage s'abattant sur sa capuche comme seule source de bruit environnant, il observa d'un air impassible les deux corps inertes qui jonchaient le sol. L'un au pied d'un immense sapin, les yeux exorbités et la bouche grande ouverte, et l'autre aux siens, à plat ventre, une main tétanisée sur le manche de l'arme dans son dos.
Il jeta un rapide coup d'œil au brasier illuminant l'horizon et les immenses vallées du mont Yariba, avant de se diriger vers la porte en acier trempé dans son dos. Celle-ci, qui mesurait deux mètres et une centaine de kilos, était encastrée dans un mur en béton s'enfonçant à même la roche et la montagne le surplombant.
Il s'empara de la poignée de la porte et tira dessus sous le grincement de l'acier qui dès lors se tordit. Les gonds de l'autre côté se mirent tout bonnement à sauter. La porte émit un ultime râle d'agonie tandis qu'une partie du mur en béton s'arracha de la montagne. La seconde qui suivit, l'acier s'écrasa lourdement au sol dans un vacarme assourdissant. La poussière retombée le laissa observer l'escalier rouillé qui s'engouffrait dans la roche. Alors et seulement, il enjamba les morceaux de béton qui bloquaient le chemin et pénétra à l'intérieur du bunker souterrain.
Sous un autre grincement, mais qui émanait cette fois-ci des marches rouillées à mesure qu'il descendait, il ne lui fallut pas plus que trois sauts et un nombre similaire de secondes pour atteindre la raison de sa présence en ce lieu : un immense générateur de cinq mètres de haut pour dix de large.
S'approchant de la machine, il s'empara du parchemin explosif dans sa sacoche accrochée à sa jambe droite afin d'insuffler de son chakra à l'intérieur du papier. Dans une fumée grisâtre, celui-ci s'enflamma avant qu'il ne le jette vers les immenses ventilateurs. Tournant à plein régime, ceux-ci l'aspirèrent instantanément. Une inspiration plus tard et sous l'illumination du détecteur de fumée sur le tableau de commandes à sa droite, un déraillement engendra un dysfonctionnement de la motricité du générateur et l'arrêt complet des hélices. Dès lors, les alarmes retentirent.
Reculant dans un premier temps doucement sous la perte de puissance des ventilateurs d'où une fumée noirâtre émanait, il rebroussa finalement chemin à une vitesse ahurissante. S'il lui avait fallu trois secondes pour descendre dans la cavité, une fraction lui suffit pour s'en extirper. La poussière volatile devant l'entrée peina à retranscrire ses déplacements tant il fut rapide. Même le son du grondement dans son dos eut du mal à le rattraper alors même qu'il récupéra les deux hommes inconscients.
Contrairement au bruit tonitruant et éphémère du tonnerre, le grondement ne s'arrêta pas et prit même en ampleur. S'arrêtant une centaine de mètres plus loin, Il détacha son attention des deux ninjas inconscients à ses pieds afin d'observer la lumière aveuglante, afin d'observer le nuage de gravats et de fumée se faire éjecter de l'intérieur de la montagne.
Le souffle de l'explosion fit virevolter ses cheveux en batailles et le laissa admirer la boule de feu qui dévora le flanc de la montagne, illuminant le ciel à des kilomètres à la ronde. Inévitablement et sachant ce qu'il avait fait, il observa la dizaine d'autres sites stratégiques éparpillés dans le massif montagneux imploser à leur tour et emportaient avec eux leur générateur respectif.
Sous le tremblement incessant du sol, il examina les avant-postes, encore intacts et formant un cercle autour du complexe pénitencier, s'éteindre les uns après les autres en direction du bâtiment principal au centre.
Sa tâche terminée et en manque de chakra, il ferma ses paupières afin de rejoindre son créateur.
Il rouvrit ses paupières sous la menace des lames des quatre Anbu qui sifflèrent dans l'air de la pièce. L'esprit saturé par la réminiscence de son clone, il eut le réflexe d'envoyer valdinguer la table en fer sur la trajectoire du premier masque blanc avant de s'abaisser et d'esquiver l'offensive du second. Accroupie, il s'aida de ses mains et fit un salto arrière afin de percuter de ses pieds les thorax des deux derniers.
- Ces chaînes ne sont-elles pas supposées sceller son chakra !? s'éleva le timbre féminin et étouffé de l'autre côté du miroir.
Les néons jaunis au-dessus de son air concentré s'éteignirent et plongèrent la pièce à huis clos dans le noir complet. Et au vu de la panique qu'il ressentit dans la salle d'observation, il en conclut qu'il en fut de même pour celle-ci ainsi que pour tout le bâtiment.
Quelques étincelles éclatèrent, éclairant ce qui semblait être un affrontement à sens unique sous l'œil effrayé des deux personnes dans la salle d'à côté. Un poids mort percuta le miroir et le craquela dans un brut sinistre, qui n'eut d'autre effet d'encore plus augmenter la tension.
- Qu'est-ce que c'est que ce bordel !?
Un tremblement de terre amenant avec lui une dizaine d'autre, étouffa la vocifération de Reimu, fit trembler le sol et les murs, et lui fit presque perdre l'équilibre.
Reprenant ses esprits sous l'étonnant silence de la pièce voisine, la chef du complexe se précipita dans un geste commun avec Mukushi vers la seule sortie, mais cessa tout mouvement et tout bonnement de respirer à peine se retourna-t-elle.
Elle rabaissa alors son attention terrorisée sur la lueur bleutée qui éclaira la silhouette devant l'entrée. Prenant une forme sphérique, rotative, et éblouissante dans la main de celui qu'elle avait dévisagé durant plus de dix minutes sans le reconnaitre, la technique qui avait traumatisé toute une génération de la nation de la Terre se matérialisa devant elle.
Un grincement de dents s'échappa de la bouche de Mukushi à ses côtés alors que, accompagnée de son murmure presque imperceptible, elle dévisagea le fantôme de Minato Namikaze.
- Impossible…
Tsuke
23 Novembre 1020, 23h22
Pays de la Terre, Yariba
À moitié assis sur le bureau au beau milieu de la salle commune où une quarantaine de personnes étaient penchées sur leurs ordinateurs respectifs, Tsuke ne put retenir un rire tant l'histoire qu'il venait d'entendre était absurde.
- Tu te moques de moi n'est-ce pas ? demanda-t-il pour la seconde fois, n'arrivant pas à croire cette histoire dénuée de sens.
- Non, je t'assure, cet abruti est mort noyé dans une bouche d'égout, il y est tombé tête la première en essayant d'attraper ce qu'il avait fait tomber, lui affirma Judan assis devant le pupitre, hilare.
- Ces immigrés ne cesseront jamais de me surprendre, déclara Tsuke en secouant son visage afin de chasser de son esprit ce qu'il venait d'entendre. « Et d'où venait-il cette fois ? Attends, attends, laisse-moi deviner… du Feu ? »
Signant une feuille qu'il rangea dans un classeur, l'ami d'enfance de Tsuke déposa le dossier dans le coin du bureau et rapporta son attention sur celui-ci avant d'hausser des épaules.
- Il n'avait pas de papiers sur lui, mais d'après ses effets personnels il aurait pu venir des Rivières où du Vent, on ne sait pas vraiment.
Alors que Tsuke allait répliquer, Motoichi, un de leur collègue, habillé à l'identique d'eux, à savoir de rouge et de marron, arriva à leur encontre en se saisissant du dossier fraîchement terminé. Mais, au lieu de partir comme à son habitude, l'homme s'appuya sur l'un des nombreux murets qui séparaient les bureaux.
- Vous avez entendu ce qui est arrivé à l'unité quarante-deux ce matin ? chuchota-t-il d'un timbre grave, ce qui attira inévitablement leur attention dispersée.
- Ouais, articula Tsuke en pouffant sans prendre la peine de baisser le ton. « J'imagine que Shuhan a encore exagéré pour ne pas avoir de problèmes avec la hiérarchie. » ajouta-t-il en frappant de son coude l'épaule de son complice toujours assis sur sa chaise, qui le rejoignit dans son rictus amusé.
- Ça m'étonnerait, déclara le nouvel arrivé en réhaussant un tout petit peu la voix et d'un air sérieux, les intimant à reprendre le leur. « Je suis allé le voir à l'hôpital de Jinkou ce matin, ce serait un miracle qu'il puisse encore marcher un jour. »
Les moqueries s'estompèrent subitement et se firent remplacer par deux mines hébétées.
- Cet enfoiré est en train d'être interrogé par Mukushi en ce moment même. J'imagine qu'au vu des circonstances et du manque de place, son exécution se fera dans la nuit, déclara Motoichi en pointant de son doigt le corridor dans leur dos. « Enfin bon, ce n'est pas tout, mais j'ai du travail qui m'attend, moi. »
Sous l'air hagard de ses deux collègues de travail, Motoichi reprit sa marche entre les bureaux avant de se stopper seulement quelques mètres plus loin, au beau milieu de l'allée principale, quand le courant émit ses derniers rayonnements à l'étonnement général.
La pièce toute entière eut un sursaut de lumière, et tous s'observèrent, étonnés. La pluie battante qui s'abattait sur les fenêtres amena avec elle un grondement assourdissant et la moindre réflexion de la pièce s'estompa subitement. Toutes les personnes présentes dans l'immense pièce cessèrent leurs occupations et comprirent bien rapidement, en observant l'horizon au travers des nombreuses vitres côté nord et sud, que ce qu'ils venaient d'entendre ne provenait aucunement de l'orage.
Ils observèrent à l'unisson et avec une pointe d'affolement la déflagration qui s'élevait dans les airs à plusieurs kilomètres au sud de leur position, emportant avec elle le générateur principal. Tous debout dans la pièce, ils échangèrent à nouveau plusieurs regards ainsi que plusieurs murmures, aussi paniqués qu'apeurés, avant qu'une seconde explosion, bien plus spectaculaire et émanant du même endroit, n'illumine de sa splendeur la face sud des montagnes escarpées de Yariba.
Dans un silence presque irréel, ils observèrent avec terreur l'immense boule de feu dévorer le flanc du mont. À l'abri de l'orage sous les feuillages des arbres de la forêt qui entourait le complexe, les milliers d'oiseaux se précipitèrent dans les cieux avant de se faire frapper par une force invisible qui les tétanisèrent et les firent retomber tête la première.
Sous une pluie aviaire, l'onde de choc atteignit le double vitrage de la bâtisse, qui ne résista pas une seule seconde.
Se protégeant du mieux qu'ils purent des bouts de verre qui se répandirent dans une violente tempête à l'intérieur de l'enceinte, des dizaines de hurlements de panique s'élevèrent dans le bâtiment jusqu'au vingtième étage, sans que personne, ne se trouvant pas au rez-de-chaussée, ne comprenne la raison de cette explosion.
Tenant fermement le classeur de sa main droite tremblotante, Motoichi observa, du coin de l'œil, la silhouette plongée dans la pénombre qui s'extirpa du corridor devant lui et se plaça sous le rayonnement de la déflagration.
Les cheveux rouge cerise et les iris noir encre, elle était habillée d'un chemisier blanc ainsi qu'un jean noir. La même tenue de civil qu'il avait reluquée lorsqu'elle était passée devant son bureau dix minutes plus tôt.
Malgré le fait qu'il connaissait la femme depuis maintenant trois années, Motoichi déplaça sa main à l'intérieur de la sacoche accrochée à sa jambe gauche et, s'armant de l'arme blanche qui se trouvait à l'intérieur, déglutit péniblement.
Ce ne fut pas seulement le visage horrifié de la trentenaire et les menottes accrochées à ses poignets dans son dos qui l'obligèrent à réaliser ce geste. Ce qui était en grande partie responsable de son mouvement se trouvait être l'homme derrière elle. Celui qui, maintenant le kunai sous la gorge de la responsable du complexe, s'apprêtait à exécuter un mouvement irrévocable si jamais quelqu'un se décidait à jouer les héros.
- C'est quoi ce bordel ? chuchota difficilement Motoichi.
- R-Reimu-sama !
La vingtaine de personnes présentes déglutirent et observèrent leur supérieur qui, la tête légèrement tirée vers l'arrière, envoya un regard vers les deux salles situées dans le corridor.
- Judan, Tsuke, allez-vous occuper d'eux, quémanda-elle d'un timbre calme, mais qui trahissait pourtant une profonde angoisse.
Un rictus de douleur déchira les traits de Reimu tandis que son bourreau tira de manière brutale sur sa chevelure et qu'il pressa un peu plus son arme contre sa trachée.
Les deux hommes firent le tour de la pièce et passèrent le plus loin possible de la situation les dépassant avant de se précipiter vers les salles d'interrogations.
Reimu observa les expressions de toutes les personnes présentes passer de convaincues à hésitantes alors que celles-ci se rendirent compte que par eux, elle parlait de Mukushi, mais surtout des quatre membres des forces spéciales.
La déflagration à plus d'un kilomètre se résorba finalement et ne laissa que pour seule source de lumière celle de la pleine lune qui éclaira avec parcimonie les airs moribonds de la pièce.
Que pouvaient-ils faire ?
Sans que Reimu ne s'y attende, et ce fut ce pourquoi elle tomba presque à la renverse, son agresseur appuya contre son dos et la força à avancer entre les bureaux. La faisant passer dans l'allée principale à moins d'un mètre d'un homme portant un classeur dont elle ne connaissait pas le nom, il lui fit faire un demi-tour sur elle-même afin de reprendre leur traversée à reculons.
Les plus courageux commencèrent à s'avancer dans leur direction, prêts à lui venir en aide avant qu'ils n'atteignent l'extérieur, mais stoppèrent leur vaine tentative lorsqu'elle se fit entrainer au-delà de l'entrée et qu'ils se stoppèrent quelques mètres plus loin.
Prise au dépourvu, elle le heurta dans une expression terrorisée.
Il n'en fallut pas plus pour que le kunai sur sa trachée ne se resserre davantage.
En un instant, des milliers d'images et de sensations traversèrent l'esprit de la jeune femme, défilant à la vitesse de la lumière, ils lui remémorèrent sa vie entière. De son premier jour à l'académie d'Iwagakure au baiser sur le front de son fils datant d'hier.
Elle renferma ses paupières, comprenant que son heure était arrivée, et dans un réflexe qu'elle savait humiliant, se mit sur la pointe de ses pieds afin de retarder l'inévitable.
Les deux mains accrochées au t-shirt de l'homme dans son dos, elle le sentit, à sa grande surprise, relâcher ses cheveux qui retombèrent silencieusement sur ses épaules et, doucement, libérer la pression sur sa gorge, ce qui lui permit de redescendre sur la plante de ses pieds.
Alors, seulement, elle rouvrit ses yeux et tourna son attention sur les barreaux dans leur dos, ceux qui entravaient le passage vers un corridor déplorable, aux antipodes de la salle dans laquelle ils se trouvaient.
- O-ouvrez la porte, articula-t-elle difficilement en jetant un regard accusateur sur le garde chargé de la régulation vers les niveaux inférieurs, le doigt posé sur le bouton actionnant le système dans son abri fortifié.
Elle ne savait pas pourquoi il cherchait à emprunter ce chemin, ni même pourquoi il n'essayait pas de s'enfuir, mais une chose était sûre, s'il passait ce couloir, il ne sortirait jamais vivant de cet endroit et, si tel était son souhait, elle ne pouvait pas le refuser.
Encore une fois et en l'espace de quelques secondes, il fit quelque chose qui la surprit au plus haut point, aussi bien elle que tous les regards désemparés qui observaient la scène : il balança sa main ayant relâché sa chevelure dans un mouvement aussi sec qu'imperceptible derrière lui et fit sauter le verrou ainsi que les gonds des barreaux. La structure en fer forgé valdingua sur plusieurs rebonds arracha le carrelage ainsi que le béton avant de profondément s'encastrer dans le mur qui faisait l'angle dans un vacarme assourdissant.
Le garde, le doigt suspendu au-dessus du bouton actionnant l'ouverture de la porte, déglutit péniblement.
Afin de suivre le rythme qu'il lui imposa en lui retirant la chaleur de son torse, Reimu relâcha le t-shirt et recula aussi vite qu'elle le put. Dans un dernier regard, elle examina les mines à la fois alarmées et désolées du rez-de-chaussée.
Un long silence s'ensuivit ainsi qu'une cessation de mouvement quasi général alors qu'ils disparurent à l'intersection du couloir. Plusieurs protestations s'élevèrent dans la salle. Les hommes et les femmes, se comptant par dizaines et ayant assisté à la déflagration, descendirent des étages supérieurs, en quête de réponses.
- Allez voir s'il y a des blessés sur les lieux, et allez prévenir les unités les plus proches, il ne doit pas être seul, on va avoir besoin de renfort ! s'écria une voix comme un appel à la raison, sortant définitivement la salle de la léthargie dans laquelle elle s'était plongée.
Reimu
23 Novembre 1020, 23h35
Pays de la Terre, Yariba
Si on avait lui posé la question vingt minutes plus tôt, elle aurait alors répondu que Yariba était une véritable forteresse naturelle impénétrable. Et que c'était pourquoi, cinquante ans auparavant, le village caché par les Roches avait décidé de faire de cet endroit le plus grand centre pénitencier du pays.
Elle aurait dit que, formée de quatre monts impraticables de plus d'un kilomètre de hauteur qui se faisaient face les uns des autres, seulement quatre sentiers se frayaient un chemin au travers de la chaîne de montagnes et de la forêt. Ceux-ci, parsemaient de plus d'une dizaine d'avant-postes et orientés vers les quatre points cardinaux, descendaient dans la cuve intérieure où, en son centre, se trouvait l'immense complexe.
Elle aurait rappelé que d'une superficie de mille mètres carrés et vingt étages, le bâtiment montait à plus de soixante mètres de hauteur pour deux cents de profondeur et possédé une structure unique en son genre, labyrinthique. Pouvant se confondre avec les racines d'un arbre, celle-ci renfermait plus de deux mille cellules pour cinq mille prisonniers et était, à ce jour, considérée comme la plus grande prison de toute la péninsule.
Si on lui posait la question maintenant, elle répondrait que Yariba était une forteresse naturelle impénétrable, sauf pour un homme…
L'air climatisé et sec n'était plus. Une fraîcheur et une humidité sans nom s'étaient insinuées autour d'elle à chaque nouveau couloir qu'il lui avait fait traverser et chaque nouvel escalier qu'il lui avait fait descendre dans le dédale lugubre. S'il n'éclairait pas les lieux avec le bâton lumineux et rouge qu'il avait fait apparaitre dans un nuage de fumée, il était clair qu'elle ne parviendrait pas à voir ne serait-ce que le bout de son nez.
Quel niveau pouvait-il bien avoir en Fūinjutsu pour que les personnes l'ayant fouillé n'aient rien trouvé ?
Alors qu'elle tourna pour la troisième fois son attention sur le panneau accroché au mur qui indiquait le sous-sol dix-sept, elle se rendit compte d'une chose : il ne savait pas où il allait et, pire encore, il tournait en rond.
Comme s'il avait parfaitement entendu ses pensées, il estompa sa marche, la forçant à s'arrêter à son tour. Le dos collé à son thorax, elle ne put retenir son sursaut lorsque la vibration de sa voix traversa son corps.
- Le prisonnier trois mille deux cent trente-quatre, où est-il ?
Sentant la pression de la lame sur sa gorge diminuer, Reimu se libéra de son emprise et, avec hésitation, s'avança. Après une inspiration qui la gava de courage, elle se retourna finalement pour lui faire face. Ses pupilles dilatées s'écarquillèrent de surprise.
La sérénité qu'il manifestait sur son visage, malgré tout ce qui venait de se produire, était surréaliste.
- Comment pourrais-je savoir ? Est-ce que tu te rends compte seulement du nombre de prisonniers qu'il y a ici ?
Il rapporta la pointe du kunai en dessous de son menton, et le mur froid et résilient qu'elle rencontra dans son dos réduisit ses espoirs de retraite à néant.
- La section E… au vingt-et-unième sous-sol… finit-elle par avouer.
Elle ne comprenait pas. Pour la première fois depuis longtemps, elle était perdue.
Elle ne l'avait rencontré qu'une seule fois, et c'était pourquoi elle n'avait pas fait le rapprochement tout de suite, des blonds aux yeux bleus, elle en croisait tous les jours. Mais maintenant qu'elle avait observé pour la seconde fois cette technique, celle qui l'avait traumatisé à un tel point qu'elle en avait oublié la forme du visage de son utilisateur, la parfaite dorure de sa chevelure lui était revenue.
Le Yondaime Hokage. L'homme qui affrontait des armées.
Elle n'avait pas onze ans lorsqu'elle avait vu cette exacte chevelure dorée pour la première fois au pays de l'Herbe et, elle devait l'avouer, elle ne savait toujours pas pourquoi elle était encore en vie pour en parler.
Après n'avoir laissé absolument aucune chance aux cinquante membres de l'unité à laquelle elle avait été affiliée, et ce, qu'importent leurs âges, le futur Kage de Konoha s'était retourné vers elle… et n'avait rien fait. Cela paraissait invraisemblable lorsque l'on connaissait la réputation du grand Minato Namikaze durant la troisième Grande Guerre, et s'était d'ailleurs le mot qu'avaient utilisés le Chūnin ayant récupéré son rapport, invraisemblable, mais c'était le cas. L'éclair jaune de Konoha l'avait épargné. Il l'avait dévisagé longuement, comme s'il avait vu un fantôme, avant de la laisser partir. Elle ne s'était bien entendu pas fait prier pour se mettre à courir et, bien qu'elle eût cru qu'il s'amusait d'elle et qu'il l'attaquerait à peine ressentirait-elle de l'espoir, il n'en fut rien.
Il l'avait laissé vivre.
Prise de courage, elle surmonta les iris azur qui la surplombaient d'une tête.
Était-ce vraiment lui ou sa mémoire lui jouait des tours ? Il était mort depuis plus de vingt ans, comment aurait-il fait pour ne pas vieillir ? Étrangement, la première chose qui lui vint à l'esprit à ce moment précis ne fut pas de s'en sortir indemne, mais bel et bien de trouver réponse à sa question.
Sans pour autant la menacer directement, le Yondaime lui fit comprendre, en bougeant le kunai à quelques centimètres de son visage, de se remettre en marche, mais à peine entama-t-elle son premier pas que son rythme cardiaque s'affola.
Un groupe armé de lampes torches et d'une respiration vacillante s'extirpa en trombe de l'intersection au bout du couloir tandis qu'elle se demanda si ces hommes, certes courageux, avaient la moindre once d'intelligence.
N'étant que de simples civils pour la plupart, soulignant ainsi le fait qu'ils n'avaient absolument aucune chance, leur geste allait juste précipiter sa mort.
- Ne vous en faites pas Reimu-sama on va vous sortir de là !
Dans un martèlement du sol, le groupe, accompagné de grognements rageurs et d'une lumière retranscrivant leurs mouvements, chargea dans leur direction.
Un clone à la chevelure dorée se matérialisa à leurs côtés dans un nuage de fumée et, quittant le halo rougeâtre, il s'enfonça dans la pénombre vers le groupe d'hommes.
Les iris noir encre de Reimu se fermèrent à plusieurs reprises en observant les ténèbres, ne comprenant pas le but de cette manœuvre. Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir davantage que la lame dans son dos l'obligea à s'enfoncer dans un autre couloir.
Les nombreux cris de terreur ainsi que ce qui s'apparentait à l'effondrement de l'un des murs porteurs lui firent comprendre à que, une fois de plus, il avait été question d'un combat à sens unique.
Arrivée aux dernières marches de l'escalier du vingt-deuxième sous-sol, la question que Minato lui avait posée une minute plus tôt lui revint en mémoire. Et celle-ci lui paraissait encore plus étrange que la présence juste derrière elle. Le prisonnier trois mille deux cent trente-quatre…
Pourquoi risquer sa vie pour ce prisonnier en particulier ? Cela n'avait aucun sens, il ne valait ri…
La moindre ses pensées s'arrêta tandis que son attention se perdit sur le bâton lumineux qui chuta dans les marches de l'escalier de la section E.
- Non ! ATTENDS !
Un hurlement de rage se fit entendre, suivi de près par une lame qui jaillit de l'intersection et qui n'eut que pour unique but de trancher toutes choses qui se dressaient sur sa trajectoire.
Affolée et tombant à la renverse, Reimu lorgna la pointe aiguisée du katana s'arrêter à seulement un centimètre de son œil, avant d'examiner le kunai qui avait arrêté la lame et qui, par conséquent, lui avait sauvé la vie. La petite arme blanche eut un sursaut de chakra et découpa comme du beurre son opposante.
L'homme à l'origine de l'attaque-surprise, ayant mis toute sa force et tout son poids dans celle-ci, bascula vers l'avant par manque d'adversité et, d'une expression tétanisée par l'incompréhension, rencontra le poing dur et froid du ninja de la Feuille qui l'éjecta à l'autre bout du couloir contre une porte délabrée.
Le bâton lumineux entra en contact avec le carrelage de l'étage et entama son premier rebond vers la section E, dévoilant au grand jour un deuxième homme à l'origine de l'avertissement qu'elle avait entendu juste avant de se voir mourir.
Dissimulé dans l'ombre du corridor, le ninja d'Iwa était armé d'un katana similaire en tous points à celui que son sauveur venait de découper.
- Enfoiré !
Esquivant aisément l'arme inquisitrice, le quatrième Hokage balaya les appuis du garde d'un revers de jambes avant de lui asséner un coup de genou dans l'abdomen, l'envoyant rejoindre son prédécesseur contre la porte. Sous le tambourinement contre sa cage thoracique et le tintement de l'arme sur le sol, Reimu observa les corps des deux hommes inconscients devant la porte en fer qui arborait les marques de leurs collisions.
L'éclair jaune passa devant elle et, sans un mot, récupéra le bâton rouge avant de pousser la porte rouillée. Celle-ci se décrocha de ses gonds dans un grincement et s'écrasa au sol dans un retentissement rocambolesque qui annonça leur arrivée. Tous les regards de la section E se tournèrent dans leur direction tandis qu'il revint sur ses pas afin d'attraper son avant-bras et de la relever.
- Dans laquelle est-il ?
Reimu éleva son attention sur toutes les cellules amalgamées sur plusieurs étages, comprenant parfois jusqu'à cinq détenus, alors que, du coin de l'œil, elle le dévisagea, espérant y observer une forme de moquerie.
- Sais-tu au moins qui tu recherches ? demanda-t-elle sérieusement, essayant de comprendre son implication dans cette histoire.
Face à son silence et son regard lui faisant comprendre que cette question resterait sans réponse, elle se résigna et pointa du bout de son nez les geôles à l'étage inférieur. « Quatre-vingt-deux. »
- Regardez les gars, on a de la compagnie !
- C'est elle ! C'est Reimu !
- Matez-moi cette paire de fesses !
- Viens me voir bébé je saurais te faire plaisir !
Une multitude d'yeux avides reluquèrent ses formes tandis qu'elle descendit les escaliers centraux. Inévitablement, l'un des prisonniers finit par déposer son regard sur les menottes qui entravaient ses poignets.
- On dirait qu'elle a des ennuis !
- Hey mon garçon, ne sois pas radin, partage on s'en occupera pour toi !
Complètement paralysée par la peur, elle s'arrêta au beau milieu de l'étage inférieur sur la terre desséchée et se retourna vers son ravisseur. D'une mine apeurée, elle le supplia alors du regard.
Un léger soufflement s'empara de ses tympans, et dans un silence morbide où le tambourinement de son cœur parvenait à atteindre son ouïe n'attendant qu'un seul son, qu'une seule réponse, il lui fit un signe de s'en aller de la tête.
En dépit de tout ce qu'il avait fait et malgré les circonstances qui les avaient réunis en ce lieu, elle lui en fut reconnaissante. Mais cette même reconnaissance lui fit faire un geste qu'elle n'aurait jamais pensé : S'étant précipitamment retournée, elle s'arrêta au beau milieu de l'escalier et rapporta une dernière fois son attention sur le célèbre Namikaze.
- Pour… pourquoi ne m'as-tu pas tué ce jour-là ?
Toujours aussi impassible, il ne répondit pas et elle crut que, comme il l'avait fait depuis qu'elle avait pu l'observer, il ne le ferait pas, mais à sa grande surprise il entrouvrit ses lèvres.
- Certainement parce que tu ressembles à ma mère.
Un léger blanc s'accapara de la majeure partie des pensées de Reimu.
Sa… mère ? Que voulait-il di…
Sous sa soudaine compréhension, elle dévisagea l'inconnu au centre de la section E.
Elle avait eu tort tout du long, et s'en rendait seulement compte maintenant. Minato Namikaze était bel et bien mort. Elle avait finalement trouvé réponse à sa question.
Le village caché de la Feuille renfermait bien des secrets.
Ce fut sous le son d'une course effrénée remontant les escaliers et sous les martèlements des barreaux de la section, que tous les prisonniers observèrent leur fantasme prendre les jambes à son cou.
Le Prisonnier
23 Novembre 1020, 23h51
Pays de la Terre, Yariba
Contrairement aux autres cellules situées sur les étages au-dessus de sa chevelure dorée, où de simples barreaux empêcher quiconque de sortir ou d'entrer, toute la rangée du bas se trouvait être des sortes de pièces de confinement où aucune lumière ne pouvait s'aventurer, si lumière il y avait.
- Qu'est-ce que tu crois faire enfoiré ? Ne touche pas à cette cellule !
Sous un flot d'insultes encore jamais atteint, il força la serrure détériorée et ouvrit la porte rouillée de la geôle quatre-vingt-deux. Celle-ci, raclant la terre sèche, s'arrêta à mi-chemin. Une odeur indescriptible, bien plus forte que celle qu'il avait sentie en entrant dans ce lieu et à laquelle il s'était d'ores et déjà accoutumé, s'échappa de la cage à huis clos.
- C'est mon jouet, il est à moi tu m'entends ?! Tu le touches t'es un homme mort !
Les vociférations et les coups contre les barreaux s'intensifièrent et, même lorsqu'il pénétra à l'intérieur de la cellule, ceux-ci ne cessèrent guère. Alors seulement il déplaça la lumière rouge sur le prisonnier trois mille deux cent trente-quatre. Son souffle dépité se fit entendre. Pour la première fois, un sentiment de colère, de dégoût, se matérialisa sur ses traits, lui donnant envie de rebrousser chemin afin de tous les éliminer.
Il comprenait maintenant pourquoi cette femme avait remis en question ses mots concernant le prisonnier : il n'avait jamais été question d'un quelconque il.
Assise, les bras attachés au-dessus de sa tête où des cheveux gras et pouilleux avaient arrêté de combattre la gravité, un tissu usagé et troué recouvrait partiellement le corps dénudé de la prisonnière, de la jeune femme. Bizarrement, elle ne dégageait pas la moindre présence. S'il ne l'avait pas sous les yeux, il aurait alors affirmé qu'il était seul dans la cage.
S'accroupissant devant elle, il déposa ses doigts sur sa tempe afin de s'assurer qu'elle était toujours en vie et, dans un mécanisme d'autodéfense brisé, un son, à peine audible, s'extirpa de sa gorge asséchée.
- Pitié…
Il cessa immédiatement tout contact.
Malgré le fait qu'elle venait d'explicitement exprimer de la miséricorde, il ne ressentit rien. Pas la moindre émotion. À croire que celles-ci s'en étaient allées depuis bien longtemps. Soupirant de nouveau, il planta le kunai à même le sol et se releva afin de se diriger à l'entrée de la cellule.
Cela faisait quelques secondes maintenant que les tambourinements contre les barreaux s'étaient estompés et, bien qu'il n'eut pas besoin de les voir pour ressentir leurs présences, la curiosité le poussa quand même devant l'entrée de la geôle quatre-vingt-deux.
Les vingt Anbu, éparpillés sur les trois étages faisant face au placard à jouet de la section E, le toisèrent.
- Bande de chiens ! Enlevez-moi ces menottes si vous l'osez !
Au deuxième étage de la rangée B, dans la cellule numéro vingt-cinq, les trois détenus, partageant l'enfer de celui venant de hurler à pleins poumons, s'écartèrent de sa folie. La seconde qui suivit, une lame fendit l'air et se logea dans la gorge du quadragénaire.
L'homme tomba lourdement au sol et se noya dans son propre sang.
Observant les ombres dispersées, il comprit que l'heure des représailles n'était pas pour aujourd'hui. Cette fois-ci l'effet de surprise n'était pas de son côté et ils étaient beaucoup plus nombreux. Dans un silence parfait, il fit un pas en arrière et, dans un calme tout aussi exemplaire, les masques blancs commencèrent à descendre de leur perchoir pour atterrir à sa hauteur.
Il se retourna alors vers la raison de tout cela et traversa le chemin qui les séparait en un instant. D'un revers de main, il brisa les chaînes qui bloquaient ses poignets avant de la rattraper in extremis dans sa chute. Inspectant sa mine endormie, meurtrie, il la souleva et s'assura de parfaitement la tenir.
Le plus rapide des membres des forces spéciales se précipita d'un mouvement presque imperceptible à l'intérieur de la cellule rouge, mais fut éjecté en dehors de celle-ci sans ménagement dans une violente bourrasque. La porte rouillée par le temps et l'humidité s'arracha de ses fixations et s'encastra dans la geôle voisine, défonçant le mur et laissant apercevoir une autre entité ayant arrêté de lutter. La tempête passée, plusieurs masques se précipitèrent à l'intérieur de la cellule, vide de toute vie.
[…]
Aux abords d'un petit village plongé d'un en sommeil profond, une vive lumière, de l'intérieur d'une fenêtre d'un hôtel tout aussi petit, illumina les arbres qui dansaient sous le vent et la pluie. Un bruit sourd résonna dans tout le bâtiment, comme si quelque chose de lourd était soudainement tombé sur le parquet de la chambre dix-sept au deuxième étage.
Il s'avança vers le seul lit de la chambre et la déposa délicatement sur l'oreiller avant de la recouvrir de l'épaisse couverture beige. Inconsciemment, elle s'enfonça plus profondément sous la couette dans un léger gémissement.
Immobile devant le sommier, il se contenta de l'observer durant plus d'une minute. Puis, à la suite d'un souffle fatigué, il se dirigea vers la salle de bain.
Éclairée au travers de la fenêtre de la chambre par la lumière des lampadaires qui longeaient l'allée, il ouvrit le robinet du lavabo et s'aspergea le visage d'eau glacée. Éreinté, il examina ses cernes dans le miroir avant de se rattraper in extremis à la céramique lorsqu'un violent vertige le prit de court. Ses paupières se fermèrent toutes seules tandis que, secouant vigoureusement son visage humide, une forte chaleur grimpa le long de sa colonne vertébrale. Un sourire nerveux se déforma ses traits tandis que les effets secondaires commencèrent à se faire ressentir dans les moindres parcelles de son corps.
D'un mouvement las, il stoppa l'écoulement de l'eau et quitta la salle de bain à l'aide du mur sur lequel il s'appuya pour garder l'équilibre. S'arrêtant un court instant à l'embrasure de la porte, il se décida à traverser la chambre d'une démarche impotente et s'abandonna dans un rictus de douleur sur le seul fauteuil de la pièce.
Il ne lui avait pas dit.
L'astre solaire débuta sa révérence à l'horizon sous une pluie battante tandis qu'il la dévisagea une dernière fois. Il écouta ses somniloques et observa le mouvement perpétuel de ses yeux derrière ses paupières closes qui lui dévoilèrent le cauchemar qu'elle traversait.
Il aurait dû lui préciser qu'il s'agissait d'une femme. Certaines choses se voulaient plus difficiles à oublier que d'autres.
Kazunori
24 Novembre 1020, 11h42
Pays de la Terre, Iwa
- Nous l'avons reçu ce matin.
Debout au milieu du bureau, Kazunori déposa son attention sur les sept personnes face à lui qui, dès lors, cessèrent toutes discussions. Avec une certaine forme d'admiration et de respect, il observa plus précisément Ōnoki, son Tsuchikage, au centre du groupe. Vieux, de petite taille, les cheveux blancs et un nez bulbeux, celui-ci était assis sur la seule chaise dont disposait le bureau, son fils et sa petite fille à ses côtés.
Si le Kage et la montagne de muscles de deux mètres qu'était Kitsuchi ne semblaient nullement intéressé par sa personne, mais plus par le visage sur le poste de télévision qu'il avait amené pour l'occasion, Kurosutchi quant à elle le dévisageait sans ciller. À croire qu'il était le responsable de ce qu'il s'apprêtait à expliquer. Et ce fut par ailleurs un miracle que ses premiers mots ne débutèrent pas d'un bégaiement.
- Ça s'est passé hier soir, indiqua-t-il d'un timbre se voulant le plus respectueux possible. « Cet homme a fait exploser les générateurs principaux ainsi que les générateurs auxiliaires de Yariba, avant de s'enfoncer à l'intérieur à l'aide d'un otage. Il a réussi à s'introduire jusqu'à la section E du vingt et unième sous-sol où il est allé forcer la cellule quat… »
- Pourquoi ne pas l'avoir arrêté avant ? le coupa Kitsuchi d'un timbre rauque.
Kazunori ne put s'empêcher de déglutir. Réajustant ses lunettes d'une main tremblante, il croisa le regard sévère du Jōnin d'Iwa.
- Ils… ils ont essayé, mais il a mis hors d'état de nuire quatre membres des forces spéciales à lui tout seul et plus de trente-deux gardes chargés de la surveillance des avant-postes, répondit-il avant de reprendre sous le regard insistant du fils du Tsuchikage. « L'escouade qui a été prévenue de l'attaque a préféré le laisser se piéger de lui-même dans le complexe. »
- Dans ce cas comment se fait-il qu'il soit parvenu à s'enfuir avec le prisonnier trois mille deux cent trente-quatre ? demanda aussitôt Kurotsuchi, lui faisant comprendre qu'elle était d'ores et déjà au courant de l'histoire.
Les traits fins aux cheveux courts et noirs, la jeune femme ne l'observait plus. Elle semblait maintenant elle aussi obnubilée par la poste de télévision où, sur l'écran cathodique, se trouvait le visage pixélisé d'un homme aux cheveux dorées.
- C'est là que quelque chose s'est produit, répondit Kazunori en appuyant sur le bouton de la télécommande qu'il maintenait dans le creux de sa main depuis son arrivée.
Tous se turent, voulant savoir quelle était cette chose inattendue ayant joué en la faveur de l'humiliante l'évasion.
- Désolé pour la qualité de l'image, mais seules les anciennes caméras à batteries portatives ayant pris le relais après la panne ont pu filmer ce qu'il s'est passé.
La vidéo d'une caméra de surveillance se mit en mode lecture. L'homme, sur les pixels rouges de l'écran, quitta sa position et s'aventura derrière une porte rouillée où un membre des forces spéciales, plus rapide, plus habile, s'introduisit à son tour. La vidéo se brouilla légèrement quand une bourrasque s'extirpa de la geôle, propulsant dans un fracas l'Anbu et la porte de la cellule de l'autre côté de la section.
- L'avez-vous vu ? demanda-t-il dans un sourire incrédule.
Son rictus se volatilisa au moment où il accusa le visage de toutes les personnes présentes, sauf celui de son Kage.
Ōnoki ne bougeait pas d'un millimètre. Silencieux et les mains jointes devant son regard plissé, il n'avait toujours pas réussi à détacher son regard de l'écran de télévision.
- Voir quoi ? demanda un autre homme présent dans la pièce, n'ayant lui rien vu du tout.
Kazunori relança la vidéo, mais cette fois-ci au ralenti. Comme précédemment, un individu s'engouffra dans la cellule, suivi de près par le membre des forces spéciales d'Iwa qui, une nouvelle fois, se fit éjecter de la pièce dans laquelle il essaya de pénétrer.
- Là, indiqua-t-il en déposant son doigt sur l'écran au moment même où la rafale balaya la porte ainsi que la vue de l'escouade présente sur les lieux.
Un flash, ne durant qu'une fraction de seconde sur une vidéo déjà au ralenti, illumina l'intérieur de la cellule, jaunissant les pixels de l'écran.
La Kunoichi de la Feuille
23 Novembre 1020, 15h11
Pays de la Terre, Ninohe
La douleur de ses poignets ainsi que la raideur de ses bras la sortirent de sa torpeur. Une sensation oubliée, qui mélangeait de la chaleur et de l'apaisement, fit rougir ses paupières endolories.
À contrecœur, elle tourna son visage à l'opposé de la rassurante tiédeur et ferma ses paupières avec force. Elle parvint par ce simple geste à faire disparaître cette étrange couleur flamboyante afin de retourner dans ce qu'elle désirait le plus : l'obscurité.
Une douce odeur s'insinua dans ses poumons en parfaite coordination avec ses sourcils, qui se froncèrent inlassablement.
Elle reprit peu à peu conscience et le sol dur et humide lui parut bien plus moelleux que lors de son dernier éveil. Chose encore plus étrange, l'habituelle fraîcheur présente à chacune de ses pertes de connaissances avait été remplacée par une légère couche de textile qui la recouvrait chaleureusement.
À cette pensée, elle ouvrit ses yeux avec crainte, et les palpitations de son rythme cardiaque lui arrachèrent une grimace de douleur. D'autres couleurs que le gris terne et le noir se présentèrent alors à son air stoïque. Des teintes dont elle avait oublié le nom.
Le regard exorbité, la bouche asséchée et entrouverte, elle utilisa le peu d'énergie encore présent en elle et se releva précipitamment dans un second rictus qui dévoila la souffrance de son geste.
Son cœur, qui martelait maintenant ses tympans, ne fit que la désorienter davantage. Dans un mouvement qu'elle ne contrôla pas, elle plaça la paume de sa main sur la trajectoire des rayons de lumière qui la brûlaient et l'aveuglaient. Alors seulement et du coin de son œil parsemé de vaisseaux éclatés, elle l'aperçut.
Dans un réflexe, elle referma brutalement ses yeux et abaissa son visage, laissant ainsi la panique prendre le dessus sur ses pensées. Sa respiration se coupa instinctivement afin de lui offrir un silence parfait durant lequel elle s'immobilisa, espérant qu'il disparaisse. Elle fit perdurer son mutisme presque une minute entière et se contenta d'écouter l'apaisant silence, avant d'inévitablement l'entendre.
Elle aurait pu dans un premier temps croire qu'il s'agissait de la sienne, mais compte tenu du manque d'oxygène qui commençait à se faire ressentir à l'intérieur de ses poumons lancinants, elle sut qu'il n'en était rien. La respiration qui lui parvenait ne lui appartenait aucunement. Rouvrant les yeux avec prudence et sans bouger d'un millimètre, elle releva son attention à l'exact endroit où il l'épiait.
Ce fut à ce moment précis qu'elle se rendit compte que sa paralysie n'était en rien un choix. Elle n'arrivait tout simplement plus à faire quoi que ce soit. Le simple fait de penser était devenu un supplice.
Le dos droit et le regard grand ouvert, quelques instants s'écoulèrent sans que la situation évolue, sans qu'elle hydrate ses pupilles. Elle le dévisageait dans le coin de la pièce, et il l'observait en retour.
Dans une trahison instinctive, elle reprit une bouffée d'air, mais si faiblement qu'elle en resta de marbre. Une petite forme noire à sa droite, sur ce qui semblait être le chevet du lit sur lequel elle se trouvait, attira son regard un instant, avant qu'elle ne le rabatte dans le coin de la pièce.
- Je pensais que tu te sentirais plus en sécurité si tu l'avais à tes côtés.
Dans un réflexe, elle attrapa le kunai sur le mobilier et le braqua dans le coin de la pièce. Une grimace déforma à nouveau sur sa figure pâle devant son bras qui frémissait de douleur.
Une larme perla le long de sa joue meurtrie, qu'elle essuya d'un revers de main, avant de se rendre compte qu'il n'en était rien. Elle n'avait même pas assez d'eau en elle pour pleurer. À vrai dire, elle ne se souvenait pas de la dernière fois qu'elle avait bu de l'eau.
Son champ de vision se troubla et rabaissa quelque peu son arme acérée alors qu'elle observa avec étonnement ses poignets. Le fer avait disparu, étrangement remplacé par des bandages.
Peinant à maintenir ses yeux ouverts, brûlés par la lumière aveuglante de la vitre à sa droite, elle dirigea l'arme vers la porte beige à sa gauche. Le son continu qui émanait de derrière celle-ci et d'où la délicate odeur qui l'avait éveillé s'extirpait, s'estompa sans crier gare. Elle ne l'avait tout simplement pas noté jusqu'au moment où il s'était arrêté.
Se souvenant de celui qu'elle menaçait une seconde plus tôt, elle rabattit de nouveau l'arme dans le coin de la pièce, puis de nouveau sur la porte, puis de nouveau sur lui, puis sur la porte…
Menaçant pour une énième fois l'air nullement inquiet, elle fut totalement décontenancée et se plaqua contre le mur froid dans son dos en paniquant quand il éclata dans un nuage de fumée. La porte s'ouvrit, ce qui lui fit rater un battement et mit pour la seconde fois un terme à sa respiration.
Un goût ferreux se logea dans le fond de sa gorge alors que le portrait craché de celui à l'origine de cette illusion passa devant elle en lui jetant un rapide coup d'œil, apportant dans son sillage une chaleur humide.
Il traversa la pièce jusqu'à faire face à une commode où, habillé d'un simple pantalon noir, il attrapa un t-shirt de même couleur préalablement déposé dessus afin de s'en habiller. Il se retourna alors dans sa direction et écouta les tintements incessants de l'arme blanche qu'elle maintenait entre ses doigts tremblotants avant d'observer ses poignets où des gouttes de sang tombaient sur le drap immaculé. Dans un soupir, il fit un pas dans sa direction et, prise de panique, elle se recula violemment contre le mur en béton et se cogna l'arrière du crâne dans une autre grimace.
Décidément, cette illusion retranscrivait la souffrance avec une exactitude qu'elle n'avait encore jamais ressentie.
S'asseyant sur le fauteuil où sa réplique se trouvait quelques secondes plus tôt, l'illusionniste ébouriffa ses cheveux dorés et humides.
- Si tu t'en sens capable et si tu n'as pas oublié comment le faire, tu peux toujours essayer de briser ce que tu penses être un Genjutsu, mais je peux t'assurer que rien ne se passera.
Elle l'observa, abasourdie. Il se jouait d'elle. Il lisait dans ses pensées, cela ne faisait aucun doute et ne faisait qu'appuyer ses dires.
- Tu as été maintenue prisonnière de Tsuchi durant un peu plus de deux ans, lui expliqua-t-il sans la quitter des yeux. « Et, hier soir, je t'ai libéré. »
Un silence dont elle en était la seule instigatrice s'installa.
Non… Non… Non…
Elle n'avait pas le droit de croire à cette histoire, elle n'avait pas le droit de goûter à l'espoir. C'était quelque chose qu'elle ne désirait plus. Ce qui lui avait fait endurer ce sentiment avait été la pire chose qui lui était arrivée. Pire que tout ce qu'ils lui avaient fait subir. Tout ceci n'était qu'un ramassis de conneries. Jamais un seul homme n'aurait pu la sortir de cet enfer. Jamais. C'était à sens unique, on ne pouvait en sortir. Elle ne pouvait pas se permettre d'y penser, ce n'était qu'un mensonge.
Un mensonge…
Déposant sa colère fiévreuse sur la chevelure dorée, elle ne put retenir les larmes invisibles qui la gagnèrent.
C'était un monstre, il n'y avait pas pire sensation, pourquoi lui faire ressentir cela ?
- Calme-toi.
Sa voix fut aux antipodes de ce qu'il avait extériorisé jusqu'alors. La douceur avait disparu pour se faire remplacer par un timbre sec.
Du coin de l'œil, elle observa les bandages imbibés de sang qui entouraient ses poignets et déposa sa seule main qui ne menaçait pas le monstre sur son visage. Un rire dérangé et rauque s'extirpa du fond de sa gorge, lui brûlant la trachée.
Le voilà qui s'inquiétait pour elle. Jusqu'où irait-il pour finalement la briser une fois de plus ? Sa souffrance était donc si plaisante à observer ?
- Tu vas aggraver tes blessures si tu continues.
À la suite du retour du timbre calme, elle fit lentement descendre son regard égaré sur sa poitrine qui se hissait à chacune de ses respirations haletantes. Son attention continua ainsi de descendre sur son corps parsemé de bandages qui s'empourpraient un peu plus à chacun de ses mouvements. À bout de force et dans une expiration fatiguée, elle abaissa finalement son bras armé sur ses genoux recroquevillés sous la couverture aux tâches écarlates. Un énième silence pesant s'installa alors qu'elle continuait de le dévisager.
Trois coups sur la seule porte de la chambre firent repartir son cœur au galop et relevèrent instinctivement sa seule protection acérée dans une poussée d'adrénaline. À la limite de l'épuisement, elle se mit à l'évidence que ceci sonnait le glas de ce merveilleux rêve. Elle connaissait la chanson, un scénario qui les avait amusés de nombreuses fois. Un homme allait rentrer et lui dire d'arrêter de jouer avec elle et d'en finir. L'arc-en-ciel de couleur allait alors redevenir terne et le Genjutsu prendrait fin.
Accompagnée par le mouvement de la lame, elle suivit du regard sa traversée jusqu'à s'arrêter sur le couloir qui menait à la porte d'entrée. L'ouverture de celle-ci laissa passer un air frais qui lui arracha un frisson de panique et d'incompréhension.
L'illusion n'avait jamais été aussi parfaite.
Elle entendit une voix féminine, mais ne se concentra pas assez dessus pour comprendre ce qu'ils échangèrent. Le bruit de la porte qui se referma se fit entendre quelques secondes plus tard tandis qu'il refit son apparition, un plateau en main. Il s'avança vers le lit et elle ne fit qu'un avec le mur dans son dos. Une odeur qu'elle ne pensait jamais pouvoir sentir à nouveau atteignit ses narines et l'obligea à contempler le plateau où un bol de riz ainsi qu'une soupe et du poisson étaient déposés.
- Mange tant que c'est encore chaud, lui conseilla-t-il d'une voix douce en déposant le plateau sur le drap.
Elle quitta aussitôt des yeux le péché et elle lui lança un regard incrédule. Pensait-il vraiment qu'elle allait tomber dans un piège aussi grotesque ?
Il soupira pour la deuxième fois et s'accroupit alors devant le lit. Attrapant les baguettes préalablement collées, il récupéra un morceau de poisson avant de manger du riz et de boire une gorgée de la soupe.
- Tu vois, il n'y a rien à craindre, lui indiqua-t-il.
En silence, il reprit sa position initiale sur le fauteuil et l'observa sans un bruit. Tout aussi silencieusement, elle avala la salive pâteuse qui s'était accumulée dans sa bouche.
Une minute entière s'écoula sans qu'elle fasse le moindre geste. Elle essaya d'apercevoir la ruse dans l'azur de ses yeux, mais il ne laissa rien transparaitre. Encore une minute plus tard, elle se décida à déposer l'arme à un endroit accessible, sans pour autant le lâcher du regard et, après qu'encore une de plus se soit écoulée, elle se décolla légèrement du mur afin d'agripper le plateau de bout de ses doigts et de le tirer vers elle.
Délaissant les baguettes, elle empoigna directement le riz à l'aide de ses mains et l'apporta à sa bouche. Un gémissement de plaisir s'échappa de son être. Le riz terminé, elle s'attaqua aux tranches de poisson cru puis à la soupe avant de finalement redescendre sur terre et comprendre qu'il ne restait plus rien.
- Tu en veux encore ?
Elle releva son appétit comblé sans exprimer le moindre mot.
Il prit son silence pour un non et quitta sa place assise, ce qui eut pour seul effet de provoquer chez elle un énième élan de panique. Elle redéposa sa main sur l'arme qu'elle avait préalablement posée à ses côtés.
Il se déplaça jusqu'à la commode et l'ouvrit. Puis, se retournant, il déposa une pile de vêtements sur le lit.
- Tu peux prendre une douche et t'habiller si tu le souhaites. Mais ne mets pas de vêtements si tu sens qu'ils te serrent, cela risquerait de retarder ta guérison, lui conseilla-t-il en se retournant pour fermer le tiroir.
Elle relâcha la pression qu'elle exerçait sur la lame et le regarda encore une fois d'une mine incrédule, mais cette fois-ci pas pour les mêmes raisons. La commode refermée, il attrapa le plateau et quitta la chambre sans un mot. Aussitôt et dans un réflexe, elle jeta un œil à la fenêtre de la chambre et essaya de trouver une échappatoire.
Doucement, l'implacable vérité lui revint en mémoire.
S'il s'agissait d'un Genjutsu, toutes tentatives seraient inutiles et se résumeraient à essayer de trouver une sortie jusqu'à son réveil. S'il s'agissait de la réalité, chose qui, bien entendu, n'était pas possible, elle ne pourrait tout simplement pas s'enfuir de cette chambre sans passer par la porte d'entrée, où il la rattraperait sans contraintes.
Pour seule issue, son cerveau la fit observer la salle de bain où une énième chose qu'elle ne pensait jamais revivre l'attendait à bras ouverts.
Jusqu'où ce mirage pouvait-il aller ?
Cette question occupa la majeure partie de ses pensées alors qu'elle se déplaça avec difficulté dans la baignoire. Ses larmes se mélangèrent à l'eau brûlante qui entra en contact avec son corps et qui fit reprendre à ses cheveux leur couleur d'antan.
Elle ferma les yeux et appuya son front contre le carrelage gelé de la cabine de douche. Même quand le craquement du lit dans son dos la fit sursauter et manqua de la faire glisser, elle ne les ouvrit pas. Elle ne sut pas combien de temps elle resta là, sans bouger, à ne rien faire d'autre que d'apprécier le moment avant que ce rêve n'arrive inévitablement à son terme. Une heure, peut-être deux. Mais elle se sentit partir, loin, très loin de cet endroit, et s'enfonça un peu plus dans cette illusion.
Le Prisonnier
23 Novembre 1020, 15h24
Pays de la Terre, Ninohe
Quittant la chambre, il longea le couloir. Tout en surveillant la faible présence qu'elle dégageait, il déposa le plateau dans le meuble encastré à l'intérieur du mur où une multitude d'autres étaient entreposés. Un sourire en coin se dessina sur son visage alors qu'il entendit le robinet de douche s'ouvrir.
Trois coups sur la vitre dans son dos attirèrent sa curiosité ainsi que ses réflexes qui se déposèrent sur le vide de sa jambe droite. La vision de sa sacoche sur la commode de la chambre lui vint en mémoire alors que son pouls reprit bien rapidement un rythme normal. Pour la première fois depuis longtemps, il avait été pris au dépourvu. Il s'était tellement concentré sur elle qu'il ne l'avait pas senti approcher.
Il combla les quelques mètres qui le séparaient de la fenêtre et l'ouvrit. La brise des balbutiements de l'hiver fit virevolte ses cheveux dorés.
- Comment m'as-tu trouvé ?
Le petit batracien vert, mesurant une vingtaine de centimètres et assis devant la vitre ouverte, le dévisagea de ses yeux globuleux.
- C'est mon travail, répondit-il d'une voix rauque et calme, contrastant avec sa petite taille.
Comme à son habitude, le crapaud régurgita un parchemin de couleur bleue.
Il récupéra le rouleau recouvert de salive et, l'ouvrant d'une seule main, déchiffra le langage codé.
- Shima-sama s'inquiète, elle se demande quand est-ce que tu vas rentrer, rapporta le petit crapaud sous son manque d'attention, bien trop captivé par ce qu'il était en train de lire.
- Il est sûr de ce qu'il affirme ? demanda-t-il en mettant en avant le rouleau qu'il tenait fermement dans sa main.
- Tu n'as qu'à le lui demander par toi-même, conseilla le messager qui plaqua ses pattes l'une contre l'autre. « Je te rappelle que pour des raisons évidentes, je ne comprends pas un traître mot de ce qu'il y a écrit dessus. »
L'animal tira sa révérence dans un nuage de fumée et ne laissa derrière lui qu'un sentiment exaspéré.
À la suite de son départ, il referma le rouleau et injecta de son chakra à l'intérieur avant de le jeter au travers de la fenêtre du deuxième étage et de la refermer. Le papier enroulé n'eut pas le temps de toucher le sol en contrebas qu'il se fit consumer par les flammes. Il reprit sa marche et s'arrêta devant un distributeur de boissons. Y insérant plusieurs pièces, il appuya sur un des nombreux boutons de la machine qui se mit en route.
- J'ai entendu des bruits étranges hier soir provenant de votre chambre jeune homme, s'éleva la voix d'une femme dans son dos, réclamant son attention. « Je ne sais pas à quoi ces vêtements vous ont servi, mais sachez une chose, dans cet établissement, nous n'acceptons pas ce genre de filles. »
Il resta de marbre, comme s'il n'avait pas entendu les insinuations de la gérante de l'hôtel, avant d'attraper les deux bouteilles qu'il venait d'acheter et de continuer son chemin. Arrivé devant la porte dix-sept, il l'ouvrit sous l'attention de l'autre côté de corridor et s'engouffra dedans en silence.
L'écoulement dans la baignoire lui parvint, longeant le mur, il s'arrêta à l'embrasure de la porte entrouverte de la salle de bain. Son regard empli de miséricorde se déposa sur l'eau ruisselant le long du corps parcouru de cicatrices et amaigri, décollant inévitablement les bandages qui n'avaient pas terminé de la soigner.
Il détourna finalement son regard indiscret et déposa les deux bouteilles sur le meuble à sa gauche. Il s'avança ensuite vers le lit défait et se laissa tomber dessus. Soufflant sa fatigue passagère alors que le sommier craqua sous son poids, il ressentit sa peur sous le jet d'eau, mais, trop fatigué pour s'en préoccuper, il se contenta de fermer ses paupières. Bercé par le bruit de l'eau qui s'écroulait dans la baignoire, il se perdit dans ses songes afin d'essayer, ne serait-ce qu'une seconde, d'oublier ses soucis.
À genoux et à bout de souffle, son regard apeuré se déposa sur le sourire ornant le visage écarlate de son maitre. Un mouvement dans son champ de vision l'obligea à le quitter des yeux le temps d'une inspiration pour l'épier, lui, à l'origine de tout. Il hurla sa faiblesse lorsque la main blanchâtre s'éleva dans les airs pour menacer celui lui ayant tout appris, mais rien ne fit. Son air fou bifurqua entre toutes les personnes face à lui, avant de s'arrêter sur le sourire heureux qu'il lui adressa, en disant plus que n'importe quel mot.
Une impulsion sonore et un souffle chaud balayèrent la plupart de ses sens pour seulement lui laisser observer l'endroit où il se trouvait imploser dans une déflagration sans fumée. Les pupilles dilatées, grandes ouvertes, il perdit son libre arbitre. Ces mêmes dilatées pupilles prirent une couleur cramoisie et furent suivies par l'ascension de son corps flageolant. Le seul dieu des environs, entouré de ses apôtres, plaça sa main blanchâtre face à son visage impassible.
Le nom d'un démon millénaire s'éleva dans l'atmosphère saturée de poussière. Il fit un pas vers l'être immortel. Puis un autre, suivi d'un autre et encore un. Des sphères orangées et instables se matérialisèrent dans ses mains et illuminèrent les sinistres environs.
La voix divine tonna sa punition et le sol s'affaissa sous ses pieds.
Il ouvrit brutalement les yeux en même temps que l'afflux d'adrénaline dans ses muscles qui se contractèrent. Les courbes du lit n'eurent pas le temps de se remettre de sa disparition qu'il glissa sur les carreaux humides de la salle de bain et attrapa de justesse sa tête à quelques centimètres du sol.
Soupirant, il la souleva, trempée et inconsciente.
