Chapitre 24 : Unexpected
Legolas s'arrêta sur le sentier et passa son index le long de sa lèvre inférieure. Elle l'avait embrassé. Il ne s'était pas attendu à cela ! Les étoiles étaient blanches et brillantes comme depuis des millénaires, et les grands hêtres tenaient leur position silencieusement, mais tout semblait plus vif, plus étincelant, plus audacieux, plus obscur ... un monde de contrastes, d'opposés : sombre et clair ; chaud et froid ; fort et fragile ; de douleur et de bonheur. Miredhel. Legolas. Des différences perfectionnées en étant assemblées. Le souffle de l'elfe se perdait dans l'air glacial de la nuit alors qu'il serrait la petite fleur violette qu'elle avait déposée dans sa main avant de partir et il la plaça délicatement dans sa poche. Legolas s'appuya contre le tronc d'arbre le plus proche et tapota ses joues brûlantes de ses mains pour les refroidir avant de les poser sur sa poitrine comme pour calmer son cœur.
Oh, comme il souhaitait revenir vers elle, pour ressentir ses sentiments une fois de plus, car vraiment son cœur était resté là dans cette tente à ses côtés. Elle lui faisait confiance, même pour lui rendre son affection. Elle l'avait embrassé ; encore une fois, il s'émerveillait de son audace et de sa surprise. Bien sûr, il avait espéré, même imaginé qu'elle lui répondrait de cette manière, mais Legolas n'avait pas prévu que l'événement tant espéré se produirait ce soir-même. A présent, il devait la quitter pour aller à une horrible réunion. Et si elle changeait d'avis en son absence ? Ou si elle regrettait ses actes ? Il n'aurait pas dû partir.
« —Si seulement j'avais pu rester à ses côtés, la tenir dans mes bras, l'embrasser. », murmura Legolas.
Il regarda derrière lui avec regret et passa ses doigts dans ses cheveux. Il avait tellement envie de lui dire, de lui montrer, pour qu'elle puisse comprendre la profondeur de ses sentiments.
Alors qu'il marchait, ses sensations étaient exacerbées : l'odeur du sapin frais empreint de fumée, la sensation des petits cailloux et de pommes de pins sous ses pieds, l'air glacial brûlant ses poumons, et il ne se souciait d'aucune de ces choses alors que son esprit divaguait vers elle : les taches marron clair dans ses yeux couleur noisette, la façon dont un regard lui avait fait se sentir comblé, le bonheur de connaître le contact de ses lèvres, et la douleur atroce de s'en séparer.
Pendant une seconde, Legolas envisagea la possibilité de se conformer à la requête de son père, et de laisser un subalterne s'en charger. Mais Legolas était un elfe avec le sens du devoir. Il prenait ses responsabilités au sérieux. En dépit de son irascibilité à l'encontre de son père, il devait toujours allégeance à Thranduil, le roi. La grande tente canopée de son père se dressait devant lui. Legolas n'était pas du genre à faire demi-tour.
Il se faufila parmi les personnes rassemblées pour la réunion de son père, observant que Belegil et Sulindal avaient été invités à se joindre également. Certains des capitaines de la garde forestière, incluant Adrendil, y avaient pris part. Personne n'osait pas parler distinctement mais on percevait un brouhaha assez faible de spéculations. Legolas évita le regard de son père et au lieu de prendre place sur le siège vide à côté du roi, il s'installa sur l'une des sièges vides à côté de Sulindal. Son ami se permit un sourire en notant les joues et les yeux brillants du prince.
« — Comment va votre Dame ?, demanda Sulindal.
— Toujours effrayée, mais elle se sent mieux. », répondit Legolas, se demandant ce que Sulindal avait vu.
C'était très inconfortable comme situation. Sa tente avait besoin d'un système de fermeture à l'entrée.
« — Alors je suis rassuré. », dit Sulindal, les yeux pétillants.
Legolas ignora le ton amusé de la voix de son ami.
« — Son frère a-t -il été informé de l'incident?
— De quel incident parlez-vous ? Celui ou l'orque ou celui où vous …»
Legolas lui lança un regard noir, Sulindal se reprit et devint sérieux.
« — Non, il n'est pas au courant. Mais il est en route, il me semble. »
Legolas hocha la tête en signe d'approbation.
« — Il ne sera pas content.
— C'est le moins que l'on puisse dire. », approuva Sulindal.
Le prince regarda autour de lui et dit d'une voix basse :
« — Il y a dû avoir un autre événement pour que mon père convoque un tel conseil. Il ne ferait pas cela juste pour un misérable orque.
— Et à une heure aussi tardive, souligna Belegil, se penchant sur eux pour se joindre à leur conversation.
— A quand remonte la dernière fois que les elfes des bois se sont réunis pour un conseil ? », s'enquit Sulindal.
La réponse de Legolas ne fut pas hésitante :
« — Avant la guerre. Quand Gollum s'est échappé, le conseil s'est réuni et a décidé que je devrais porter la nouvelle à Imladris...et Estel, qui m'avait chargé de garder la créature. »
A ce souvenir, il secoua la tête. Eledhel les rejoignit bientôt avec un regard perplexe sur son visage .
« — Que s'est-il passé? « demanda-t-il au prince, mais Legolas n'eut pas le temps de s'expliquer.
— Que le conseil commence, annonça Thranduil. Je vous ai fait venir pour représenter les intérêts non seulement d'Eryn Lasgalen, mais aussi de l'Ithilien, dit-il en hochant la tête vers Legolas et ses amis de laLorien.
— Nous connaissons la menace des ténèbres depuis de nombreuses années. Désormais, je crains que, de nouveau, nous ayons à affronter l'ombre. »
Le conseil s'agita avec inquiétude. L'un des conseillers les plus respectés du roi, Inglor, qui était entré en service sous Oropher, prit la parole.
« — Mon roi, pardonnez mon ignorance mais j'ai ouï-dire des rumeurs…qu'une jeune elfe imprudente a croisé le chemin d'un orque isolé. »
Il s'interrompit et croisa le regard du roi, l'un des rares elfes assez audacieux pour le faire.
« — Mais vous ne convoqueriez pas le conseil pour une telle rencontre. Que s'est-il passé ? » , demanda-t-il simplement.
Et le conseil retomba dans un débat passionné sur les événements malheureux qui avaient eu lieu dans la nuit.
« — Une jeune elfe a été tuée dans notre bois par des orques! , cria l'un.
— C'est absurde, le prince Legolas l'a sauvée et les a tués, suggéra un autre.
— C'était cette Dame Miredhel, celle qu'il avait amenée à la fête. », corrigea Adrendil.
Eledhel qui écoutait tranquillement les rumeurs, sauta aussitôt de son siège.
« — QUOI ? », s'insurgea-t-il et il fonça sur Adrendil. Eledhel l'attrapa par le col.
— Qu'est ce que vous avez dit ?, siffla-t-il, et son visage passa du rouge au blanc immaculé, et sa main tremblait tout en agrippant le col d'Adrendil.
— Qu'avez-vous dit ? », répéta-t-il dans une colère noire.
Le visage d'Adrendil était empreint de terreur. Legolas et Sulindal apparurent à leurs côtés en une seconde et ramenèrent Eledhel à son siège. Le prince aurait vraiment souhaité voir ce qu'Eledhel aurait pu faire au jeune capitaine, celui qui avait tenté de lui voler Miredhel, mais sa compassion pour son ami lui intima de répondre rapidement et d'apaiser les craintes d'Eledhel.
« — Le prince Legolas commencera par raconter sa version des faits. »
Alors Legolas raconta, aussi brièvement que possible, la façon dont Miredhel avait tué l'orque dans les bois avant qu'il ne la trouve.
« —En a-t-elle vu d'autres ?, demanda Thranduil à son fils.
— Je ne crois pas mais j'ai fouillé son attirail...
— L'orque lui a t-il dit quelque chose ? » , demanda brusquement Thranduil.
Le ton de son père laissa Legolas interrogatif.
« — Oui. », afffirma-t-il avant de se taire.
Il savait ce que l'orque avait dit à propos des fleurs, les appelant l'amour du prince.
« —Eh bien, qu'a-t-il dit? », l'encouragea Oromer, assis à droite de son père.
Legolas regarda son frère avec méfiance, et les deux princes se raidirent sur leurs sièges.
« — L'orque a reconnu les fleurs de la Forêt Noire dans ses cheveux.
— Eh bien, ce ne sont pas des informations utiles, fit son frère, méprisant.
— Pas forcément inutiles, répliqua Inglor, qui avait toujours favorisé le plus jeune des princes de Mirkwood. Une grande partie de la personnalité de Legolas lui rappelait son ancien roi, son vieil ami, Oropher.
— Si l'orque a reconnu les fleurs, alors il a aussi pu en connaître l'importance. Prince Legolas, qu'a dit exactement à la jeune demoiselle. ? »
Legolas remua et jeta un coup d'œil embarrassé à Eledhel. Son ami paraissait détendu, mais ses mains étaient serrées dans ses poings blancs sur ses genoux. Ce n'était pas le meilleur moment pour cette discussion. Il réfléchit attentivement à ses paroles avant de parler puis il dit catégoriquement :
« — L'orque savait que les fleurs appartenaient au palais royal.», déclara-t-il dans l'espoir que cette affirmation fasse consensus.
Inglor sourit. Depuis sa naissance, il observait Legolas, de l'elfling à l'elfe adulte, et il était évident pour lui que le jeune prince tentait de cacher quelque chose.
Legolas vit Inglor sourire et ses propres yeux s'écarquillèrent. Il jeta rapidement un regard à Eledhel à ses côtés, puis secoua légèrement la tête en direction d'Inglor. Tout l'échange n'avait duré que quelques instants, et personne d'autre dans le conseil n'avait remarqué, sauf peut-être Sulindal, qui se trouvait justement être fin observateur, et Thranduil, qui se faisait un devoir de tout remarquer.
« — Si l'orque avait connaissance du palais royal, alors nous pouvons conclure deux choses, déclara Inglor. Premièrement, il a de toute évidence passé du temps dans notre forêt. Deuxièmement, quelqu'un l'a informé des coutumes de la famille royale, ou il l'a de lui-même espionné.
— Aurait-ce pu être un rescapé des forces de Dol Guldur?, demanda Belegil. Certains des capitaines forestiers acquiescèrent .
—Quand nous sommes revenus pour fouiller la zone, le cadavre avait été enlevé. Les armures, les armes et même les vêtements avaient disparu, ajouta Sulindal.
— Or, j'avais laissé le corps intact.», termina Legolas.
En entendant ces révélations, le conseil fut pris d'une vive agitation, et Thranduil éleva la voix:
« —Donc quelque chose a dû revenir pour retirer ces affaires. Notre orque solitaire n'était pas si seul après tout. »
Il s'interrompit pour observer l'assemblée, et quand son regard parvint aux jumeaux de la Lorien, il demanda:
« —Parlez moi de vos découvertes, Belegil du Boir d'Or.
— Nous avons inspecté la zone concernée et trouvé quelques traces, mais rien de flagrant. Ces orques ont pris soin de ne pas être retrouvés.
— Peut-être qu'il serait mieux pour le conseil d'amener Dame Miredhel devant le roi pour qu'il puisse l'interroger.», suggéra Adrendil.
Eledhel agrippa les accoudoirs de son siège, et les yeux de Legola coulèrent vers Adrendil.
« — Elle est fatiguée et effrayée. Laissez-la se reposer.
—Qui êtes-vous, sa nourrice? », se moqua Adrendil.
Sulindal ne prêta aucune attention aux piques du capitaine. Il se contenta de lever un sourcil.
« — Je suis d'accord avec Sulindal. Elle a vécu beaucoup de choses et a dit tout ce qu'elle savait, fit rapidement Legolas.
— Si elle pouvait ajouter une quantité de détails qui pourraient fournir un aperçu de cette possible conspiration des orques à nos frontières, alors il convient au conseil de l'entendre.», persista Adrendil, recherchant le soutien d'autres personnes à cet argument.
Le roi avait l'air impassible, mais pas complètement insensible à cette suggestion.
« —Nous en savons déjà assez pour conclure qu'une bande d'orques a traversé cette partie de la forêt.», souligna Belegil.
Soudain, Eledhel prit la parole. C'était la première fois qu'il parlait depuis qu'il s'en était pris à Adrendil, et sa voix semblait blanche.
« —Où se trouvait-elle?
—Loin du feu de joie...dans la forêt.», lui répondit Legolas.
Eledhel acquiesça pensif, et ses yeux gris semblaient absents.
« —Pendant de nombreuses années, j'ai servi en tant que maréchal de la garde dans le Boir d'or ; ce sujet ne me semble pas significatif. Pour autant, aussi vils qu'ils puissent nous paraître, ces orques peuvent être des ennemis rusés. Il ne faut pas les sous-estimer. »
Il s'arrêta et regarda Adrendil.
« — Ils se sont avérés assez intelligents pour échapper à votre surveillance, Capitaine.
— Qu'essayez-vous d'insinuer exactement, elfe de la Lorien? , se courrouça Adrendil.
— Ma question est la suivante, demanda froidement Eledhel. Si ces orques étaient assez intelligents pour passer entre les mailles du filet, alors pourquoi étaient-ils assez stupides pour errer si près d'un camp elfique?
— A moins , bien sûr, qu'ils ne soient censés le faire. L'ami du prince Legolas a tout à fait raison, roi Thranduil. Ces orques ne sont pas complètement idiots . Ils sont entrés dans les bois dans le but de se rapprocher de notre camp. Il n'y a pas d'autres suppositions à avoir. S'ils cherchaient à combattre, ils seraient venus en bien plus grand nombre. »
Thranduil hocha la tête et se caressa le menton, bien que le doute planait dans ses yeux.
« —Ils cherchent à recueillir des informations? », demanda le roi un peu incrédule.
De nombreux elfes du conseil acquiescèrent mais tous ne furent pas convaincus. Même Legolas n'était pas entièrement assuré.
« —Si ce que vous dites est vrai, quel peut être leur objectif ? », demanda-t-il, et son regard croisa celui de son père dans une approbation tacite.
Même s'ils n'étaient peut-être pas dans les meilleures conditions, ils étaient toujours père et fils, et leur esprit fonctionnait de manière similaire.
Personne n'avait répondu à ses questions.
« — Quel genre d'informations pourraient-ils éventuellement recueillir? Je suis d'accord avec mon frère , ici présent.», ajouta Oromer en se redressant de son siège.
« — C'est une réunion qui concerne le départ du prince Legolas, pas un conseil de guerre. »
Une fois de plus, une rumeur fit le tour de l'assemblée, de nombreux elfes confirmant les idées des princes. Legolas passa ses mains dans ses cheveux et commença à s'impatienter. Cette réunion s'était avérée vaine jusque là. Beaucoup de sujets avaient été brassés sans conclusion. Il regarda son frère et sut qu'Oromer ressentait la même chose. A côté de lui, il entendit Sulindal marmonner dans sa barbe. Les oreilles de Legolas le démangèrent et il jeta un regard à son ami.
« —Et si c'était justement leur but ? D'en savoir plus sur les elfes qui partent pour l'Ithilien? Leur nombre, leur force, leur chef…», fit remarquer calmement Sulindal.
Sa remarque resta en suspens, et la pièce se tut alors que chaque membre du conseil envisageait cette possibilité. Inglor prit finalement la parole.
« —Ils auraient pu le faire avec beaucoup plus de facilités avant que vous n'atteignez le bois.
— Et peut-être l'ont-ils fait, ou tenté du moins. Nous sommes tombés sur un groupe de cadavres d'orques brûlés sur le chemin.
— Grâce à la générosité du dragon. », ajouta Belegil.
Thranduil soupira puis prit la parole.
« — Nous ne pouvons pas négliger le point soulevé par Sulindal. Les elfes d'Ithilien peuvent très bien être la cible de ces orques, mais nous devons aussi considérer l'autre menace possible : ce dragon. »
Thranduil tourna son regard vers Belegil, et le prince ne détourna pas les yeux.
« — Mon fils, es-tu certain que ce dragon est mort ? »
Legolas hésita.
« — Avez-vous entendu un rapport indiquant le contraire?
— Pas encore, mais je ne mettrais pas en péril l'avenir de nombreuses âmes par les ouï-dires et autres spéculations.»
Legolas se raidit. Il pouvait sentir le poids lourd de chaque regard posé sur lui. Il savait maintenant pourquoi son père avait convoqué ce conseil : dans le but d'essayer de le convaincre de rester. Son père comptait sur le fait que Legolas ne serait pas ouvertement en désaccord avec lui en public. En tant que roi, il avait inculqué cette valeur à ses fils depuis leurs naissances.
« — J'ai vu Anglachur le Noir tomber, insista-t-il. Il ne nous aurait pas laissé fuir s'il avait été en capacité de nous arrêter.
— J'ordonne que votre peuple reste dans ce royaume sous ma protection jusqu'à ce que nous puissions garantir leur sécurité.»
Il se leva comme pour signer la fin du conseil, et Legolas se leva à son tour.
Legolas craignait que sa voix ne tremblât, mais il prit tout de même la parole.
« — Je ne peux pas approuver cet ordre.», osa-t-il.
Les autres elfes, sur le point de partir, se figèrent et le fixèrent. Inglor et plusieurs des elfes plus âgés de la Forêt Noire haussèrent les sourcils devant cette scène inhabituelle qui se déroulait devant eux. En tant que famille royale, la maison d'Oropher s'était toujours montré unie. Les fils de Thranduil acceptaient toutes les demandes de leur père, en particulier Legolas qui était beaucoup plus doux que son frère aîné. Certains auraient pu s'y attendre de la part d'Oromer, mais Legolas ? Jamais.
Thranduil et son fils se regardèrent froidement.
« — Alors que suggérerait le "Seigneur de l'Ithilien"? , fit Thranduil.
—Nous devrions envoyer…» , commença à dire Legolas.
Il ne put terminer sa déclaration ; un trio d'éclaireurs se précipita dans la tente pour se poster devant le roi. Ils s'inclinèrent puis se mirent à parler à la hâte.
« —Mon roi, je vous porte de mauvaises nouvelles. Nous avons chevauché au-delà de la limite sud . Un grand rassemblement d'orques a contourné nos frontières, se dirigeant vers l'est puis vers le sud. »
Thranduil grimaça.
« —Un grand rassemblement, dites-vous ? C'est-à -dire ?
— Le plus grand que j'ai vu depuis la guerre, plus qu'un petit attroupement isolé. Ils marchaient d'un pas rapide, mon roi. »
Un autre des pisteurs s'avança.
« — Nous étions à plus d'une lieue, mais je pouvais sentir leur méchanceté et leur haine rayonner.
— Combien? Deux cents, cinq cents?, demanda le roi, impatient.
— Mon seigneur, pardonnez-moi. J'ai commencé à compter les rangs et le nombre par rangée. Il y en avait tellement. »
Il secoua la tête.
« —J'ai arrêté de compter à quatre mille lorsque nous avons décidé de partir vous faire notre rapport, mais le reste de l'armée semblait s'étirer sur une longueur incommensurable. »
Il recula et la plupart des membres du conseil pâlissaient à ses paroles.
« —C'est en effet une funeste nouvelle. », dit le roi, et il se laissa tomber sur son trône sur l'estrade.
Legolas s'approcha du trône de son père et s'agenouilla. Son visage avait pris une couleur cendrée presque irréelle et sa voix tremblait à cause de la peur.
« — Père, des jours remplis de dangers se dessinent encore à l'horizon. Si ces légions d'orques tournent vers le sud, elles ne peuvent se diriger que vers le Gondor. »
Il pensa aux nombreux villages et cités qui n'étaient plus protégés en ces temps de paix. Même Minas Tirith gardait ses portes ouvertes désormais la journée durant.
« —Père, sil vous plait. Laisse-moi y aller pour les avertir. »
Ses yeux imploraient le roi.
« — Legolas non. C'est trop dangereux.
— Je n'irai pas seul. Je peux emmener un groupe de guerriers avec moi. Nous pouvons avancer plus vite que l'ennemi et les devancer.
— Non, mon fils. Je ne veux pas que vous risquiez votre vie et celles des autres d'une manière aussi imprudente.
— Et le Gondor?, insista le Prince. Leurs défenses sont dérisoires à l'heure actuelle. Des centaines d'innocents pourraient y perdre la vie. »
Thranduil jeta un regard averti à son fils.
« — J'ai dit…»
Legolas l'interrompit.
« — Je sais ce que vous avez dit ! Mais nous avons une chance de les avertir. Voulez-vous leur sang sur vos mains? »
Des murmures parcoururent le conseil. Ils n'avaient jamais vu le prince aussi agité, ni aussi provocateur d'ailleurs. La patience du roi envers son fils s'amenuisait et Thranduil se leva de son trône.
« — Je n'aurais pas votre sang ni celui des autres elfes, si je vous y envoyais. Dois -je vous rappeler, Prince Legolas, où réside votre allégeance? »
Legolas se leva de l'endroit où il s'était agenouillé. Il regarda son père droit dans les yeux et déglutit. Ses propres yeux étaient brillants et humides à cause de leur confrontation, et à l'intérieur, c'était une masse de nerfs déchiquetés et à vif.
« — Je sais où se trouve mon allégeance. Et j'accepte votre offre de protection pour mon peuple. »
Thranduil fait un signe de tête à son fils avec un sentiment d'immense satisfaction, heureux que son fils ait agi de nouveau de manière raisonnable. Legolas n'en avait pas fini, cependant ; il attrapa le léger cercle doré sur sa tête, sa couronne de prince et la retira.
« — Mon allégeance va désormais au Gondor, père, dit Legolas en remettant la couronne au roi. L'Ithilien se trouve à ses frontières. Mon sens du devoir ne me permettra pas de rester les bras croisés et de laisser faire un massacre.»
Les yeux de Thranduil s'assombrirent alors qu'il regardait la couronne qui pendait entre ses mains , et ses doigts se resserrèrent autour.
« — Choisissez-vous de partir contre mon gré? Pour partir défendre les hommes?
— J'espérais y aller avec votre bénédiction, Père, mais ma réponse reste inchangée. Je partirai sous la douleur du bannissement, ou je partirai avec votre faveur. Le choix est entre vos mains, mais dans tous les cas, je m'en irai. »
Ses yeux et sa voix ne montrèrent aucun signe d'hésitation à cette dernière déclaration ; son apparence déterminée camouflait la mer de conflits en son être intérieur. Il avait l'impression que son cœur pourrait se briser en voyant le visage de son père se métamorphoser durant un instant, révélant le chagrin et la douleur infligés par son benjamin.
Thranduil reprit ses esprits, et en un instant, son visage devint sombre et royal.
« — Qu'il en soit ainsi, Seigneur de l'Ithilien.», dit-il.
La lueur des pupilles de Legolas vacilla sous la froideur de la voix de son père. Il observa alentour en parlant.
« — L'Ithilien ne sera qu'un rêve, si le Gondor tombe entre les mains des ténèbres. »
Il éleva sa belle voix, chargée d'émotions.
« —Nous sommes donc confrontés au crépuscule de nos années sur la Terre du Milieu. Je ne passerai pas ce temps isolé, à reculer devant le changement. »
Legolas pensa à la bataille du gouffre de Helm, quand ils étaient revenus au donjon, et que tout espoir semblait anéanti.
Pourtant, le soleil se levait toujours , et la victoire avait été leur bannière alors qu'ils allaient affronter leurs ennemis. Il voulait à nouveau ressentir cette sensation, sortir et affronter tout ce qui pourrait arriver.
Il lança un un long regard à son père.
« —Je resterai pas victime de la lâcheté et du doute. Quoi qu'il arrive, je partirai et j'irai à leur rencontre ; pour moi, pour l'Ithilien, il y a pas d'autre moyen. Gardez foi en le Gondor. J'irai seul si nécessaire. »
« — Non,seigneur, nous sommes avec vous, dit Eledhel en lui serrant la main.
— Alors il n'y a plus rien à dire.», déclara Thranduil.
Il fit signe au conseil de prendre congé, et se retira de l'estrade, laissant son trône et la couronne de Legolas derrière lui. Il adressa un dernier regard à son plus jeune fils avant de se détourner et, pour beaucoup, son visage parut énigmatique. Pour un roi qui venait de perdre un prince, les yeux de Thranduil semblaient tristes mais triomphants et ...fiers?
Legolas quitta la tente en compagnie de ses amis, tous silencieux. C'était dans sa nature de vouloir plaire aux autres plutôt qu'à lui-même. A de nombreuses reprises, il avait placé les besoins des autres au-delà des siens, et maintenant, il agissait pour lui-même, pris une décision qu'il voulait prendre. Il devrait se sentir ravi, mais tout ce qu'il ressentait, c'était la culpabilité d'avoir déplu à son père.
Même Belegil ressentit le désarroi de son ami. Personne ne parlait et l'elfe guerrier détestait les silences pesants.
« — Legolas , si vous le souhaitez, nous pourrions passer en revue quelques cartes et planifier un itinéraire pour Minas Tirith, proposa-t-il.
— Allez-y, répondit Legolas, déprimé. J'ai besoin d'être seul quelques instants, je pense….pour réfléchir aux aboutissements de ce conseil.»
"Ou plutôt au fait que mon père ne voudra probablement plus jamais m'adresser la parole", pensa-t-il.
« — Legolas…, commença Eledhel.
— Alors, on se verra plus tard. », interrompit Sulindal et ce dernier poussa Eledhel dans le dos dans la même direction que lui.
La matinée était d'une clarté frémissante, et Legolas trouva étrange que sa propre humeur soit tout aussi sombre. Il retourna à sa tente. Il ne croyait toujours pas qu'il avait eu l'audace de soutenir ses propres choix : d'aller à l'encontre de la volonté de son père, de dire ce qu'il pensait au conseil, de renoncer à son titre de prince. La liberté découlait de tout cela, et pourtant Legolas se sentait vraiment pitoyable. Il avait blessé son père, c'était certain, sans parler du dégoût de son frère. Il avait agi pour lui-même , pour l'Ithilien. Il se demandait ce que sa mère aurait dit si elle avait appris ce qu'il avait commis.
Legolas ouvrit la porte en tissu, ne souhaitant rien de plus que de se jeter sur son lit et de ressasser chaque mot de la réunion jusqu'à ce qu'il soit sûr d'avoir fait la bonne chose.
Le destin eut une intention différente. Les yeux de Legolas se posèrent sur Miredhel aux joues rosées dormant sur son lit. Les lèvres légèrement entrouvertes, le souffle léger et ses mains minces qui étreignaient la couverture contre sa poitrine. Elle s'était changée en chemise de nuit couleur crème. Il supposait que les domestiques le lui avaient apporté. Pour la première fois, il voyait tout son cou laiteux comme le brouillard dans le soleil matinal.
Elle ne bougea pas et il s'agenouilla à ses côtés. Alors que Legolas regardait la lente montée et descente des couvertures grises pendant qu'elle respirait, il sut qu'il avait pris la bonne décision. Il défendrait le rêve de l'Ithilien pour elle, le construirait pour elle et d'autres comme elle, comme lui. Il hésita puis se pencha pour déposer un baiser des plus doux sur ses lèvres.
Les cils de la femme papillonnèrent et elle le reconnut alors qu'il le regardait de près, son visage fier, désormais doux, et l'acier dans ses prunelles se fondit dans le puits de bleu. Elle leva une main alourdie par le sommeil pour la reposer contre sa joue, puis ses doigts glissèrent pour aller dans ses cheveux.
« — Jusqu'à présent, je rêvais, murmura-t-elle, fermant les yeux puis les rouvrant. Je vous en prie, ne me réveillez pas maintenant. »
Legolas la dévisagea et déglutit doucement avant de se pencher et d'amener doucement ses lèvres contre les siennes. Il se redressa pour s'asseoir à côté d'elle sur le lit, elle enroula la couverture de soie autour de sa fine robe et s'assit à côté de lui. Il posa ses mains sur ses épaules chaudes pour la regarder, puis les fit courir le long de ses bras nus avant de l'attirer vers lui.
Il ne voulait pas parler, n'étant même pas sûr qu'il était en capacité de le faire, mais son cœur battait dans la poitrine, et il désirait follement connaître ses sentiments, au-delà de la façon dont le regarder, au -delà de la façon dont elle l'avait embrassé. Ressentir avec le bref contact de ses lèvres. Il devrait, il ne pourrait jamais, mais il aurait simplement dû lui demander. Sa voix était tremblotante et incertaine, pas du tout comme celle d'un homme d'état ou d'un guerrier, ou même d'un courtisan expérimenté. Il pâlit en parlant et désirant sa réponse à sa question.
« — Miredhel, qu'est qui vous a fait changer d'avis à mon sujet ?
— Vous, répondit elle simplement, Avec votre courage, vos idéaux et vos foss...vous avez vu le meilleur en moi, même quand je ne le pouvais pas. »
Il leva les yeux pour la regarder, et ceux-ci s'éclairaient lorsqu'il se pencha jusqu'à ce que leurs fronts se touchent presque. L'elfe enroula ses bras autour de sa taille et emmêla ses mains dans ses yeux.
« — Vous m'avez offert un nouveau rêve, Legolas, dit-elle doucement.
— Je ne vous ai rien offert, Miredhel, que vous ne m'ayez pas offert en premier. », murmura-t-il à son oreille.
Elle se mit à rire, non pas parce qu'elle trouvait ses paroles badines ou drôles le moins du monde, mais parce qu'elle était plutôt chatouilleuse, et la joie qu'elle ressentait à cet instant l'emportait sur toute ses sensations, jaillissant du puits de son cœur et ruisselant à travers son rire dans ses bras et à travers le large sourire sur son visage.
Si Legolas la trouvait jolie selon ses codes, alors elle était enchanteresse dans la joie. Legolas ne l'avait jamais entendue rire aussi librement et sans retenue et les quelques elfes qui l'entendaient alors qu'ils se promenaient près de la tente du prince ressentaient une légèreté dans leur démarche qui n'était pas là auparavant et se sentait généralement mieux en l'entendant.
Avec des yeux rieurs et des lèvres incurvés, elle leva la main et l'embrassa, se jetant à son cou. La sombre couverture de doutes qui avait assombri ses émotions se dissipa et disparut dès les premières lueurs de l'aube. C'était un baiser à la fois imprudent et tendre, et il lui paraissait être tout à la fois, la passion de la jeunesse, associée à la sagesse et à la patience acquises par un grand âge. Cette fois, il n'y eut pas d'interruptions, pas de visiteurs intempestifs, et Miredhel et Legolas pénétrèrent dans leur moment à eux, un moment comme un rêve qui leur était propre. Ensemble, ils retombèrents à bout de souffle dans une myriade de coussins, et lui, appuyé sur son coude et ne pouvant s'en empêcher, il la colla à lui, sachant qu'elle avait sa place ici, dans son lit, avec ses cheveux épars et soyeux autour de son visage, à ses côtés. Durant un moment, ils n'appartenaient que l'un à l'autre. Elle ne rougit pas, ne détourna pas les yeux, et la lumière douce du matin, et le chant des oiseaux à la lisière de la forêt. Miredhel tendit la main avec un bras mince, toujours tapissé de légères cicatrices causées par le dragon, pour toucher les pointes de ses cheveux, pour sentir la chaleur et la force de son cou, et oh ses lèvres, ses joues, et elle sourit à nouveau.
Le toucher était une chose étrange et merveilleuse. Pendant si longtemps, il avait fait preuve de retenue, s'y refusant depuis ce moment malencontreux dans le jardin. Il adorait ce jardin. Il adorait ce jardin désormais. Il lui était aussi cher que n'importe quel endroit, et alors qu'il regardait dans ses doux yeux noisette. Il jura qu'il commanderait un jardin comme celui-ci rien que pour elle à Ithilien. Il traça une ligne paresseuse sur sa joue de son pouce, sur son cou, sur sa clavicule et sur son bras, savourant à quel point il était absurde de tirer tant de plaisir d'un si petit geste.
Et ils restèrent ainsi pour le restant de la matinée : se touchant, s'embrassant, se parlant. Aucune déclaration d'amour n'avait été faite, car aucun des deux ne savait exactement ce qu'il ressentait. Legolas omit tous les détails de la réunion, et Miredhel évita joyeusement de discuter de sa rencontre avec l'orque. Au lieu de cela, ils riaient et méditaient sur leurs sentiments, tout en rêvant de l'Ithilien et de leur voyage là-bas ensemble.
