Le soir était finalement tombé. Pour Stiles, c'était à la fois trop lent et trop rapide. Trop lent parce qu'il avait passé le reste de la journée à tenter de rester digne devant Isaac et Jackson tout en essayant de ne pas se rendormir, et trop rapide pour la bonne et simple raison qu'il était dans une impasse. Il n'était pas certain d'être capable de faire une nuit blanche de plus – il était réellement épuisé. Et en même temps, Stiles avait réellement peur d'essayer de dormir.

D'autant plus qu'il avait été surpris la seule fois où il s'était permis un temps de repos.

Rien que d'y repenser, Stiles se recroquevilla lamentablement dans son lit. Dire qu'il avait honte relèverait de l'euphémisme. Il n'avait pas osé leur adresser la parole, se contentant de répondre lorsqu'on lui parlait, qu'on lui posait une question. Et encore, il avait fait court. Tout pour s'invisibiliser. Limiter l'ampleur de son humiliation. Chaque fois que les deux loups-garous étaient apparus dans son champ de vision, il avait évité leurs regards et agi comme si rien de tout cela ne l'avait affecté. Toutefois, il n'était pas stupide. Bien sûr qu'il savait que ses coéquipiers pouvaient percevoir ses émotions et, par extension, voir qu'il mentait sur son état. Et alors ? Ce n'était pas comme s'ils y accordaient une réelle importance. Ils s'étaient montrés assez aimables pour ne pas lui rappeler sans arrêt ce qu'il s'était passé – ils ne s'étaient même pas moqués ! – et c'était largement suffisant. Stiles considérait cela comme leur bonne action de l'année, les concernant. Et encore, l'hyperactif n'était pas au courant du fait qu'ils l'avaient vu se débattre comme un diable et qu'ils l'avaient empêché de se faire davantage de mal, de se marquer plus qu'il ne l'était déjà.

Stiles passa sa main sur son visage. Sentit les croûtes, les légères excroissances. Visualisa ce qu'il avait vu dans le miroir. C'était… Il n'avait pas de mots pour décrire ce qu'il ressentait à l'heure actuelle. Merde, pourquoi Derek lui avait-il ordonné d'exécuter cette mission avec les deux zouaves ? Qu'on n'aille pas faire croire à l'hyperactif que ce loup mal luné n'avait pas d'autres bêtes poilues sous la main pour le remplacer. Mais alors pourquoi lui ? Pourquoi lui ?! Stiles n'était pas du genre à abandonner et c'était pour cette raison qu'il n'allait pas chercher à contacter son alpha, ni lui demander de trouver quelqu'un d'autre. Néanmoins, il était certain de finir par craquer à un moment ou à un autre. Pour l'instant, ça pouvait passer… Mais combien de temps réussirait-il à garder la face ? S'il ne dormait pas rapidement, les choses pourraient s'avérer compliquées et ce, très rapidement. Déjà, il n'avançait pas grand-chose et n'aidait que péniblement ses coéquipiers. Viendrait un moment où ceux-ci lui demanderaient des comptes. Et Stiles ne saurait pas quoi dire.

Alors voilà, il fallait qu'il dorme – sans se faire de mal. Ne pas se rajouter quelque marque que ce soit sur son visage par inadvertance.

Stiles angoissa un moment. Il n'avait jamais parlé de ses problèmes de sommeil à personne. Et ce, parce que… C'était son petit secret, son truc à lui. Depuis tout jeune, il avait cet oreiller, son oreiller fétiche. L'hyperactif était incapable d'expliquer pourquoi, mais… Il était le seul qui lui permettait de passer des nuits à peu près viables. Sans, il ne faisait que cauchemarder. Pourquoi ? Aucune idée. Sans doute l'habitude.

En plus de garder ce souci-là secret, il n'avait toujours pas parlé à ses comparses de la disparition dudit oreiller. Parce qu'ils en étaient sans doute à l'origine, même si c'était stupide. Complètement stupide, car ils se condamnaient ainsi à subir la présence d'un hyperactif incapable de réellement dormir, et parfaitement inefficace. Et pourtant, il mourait d'envie de leur demander s'ils avaient quelque chose à voir là-dedans. A nouveau, sa raison lui soufflait qu'Isaac et Jackson auraient plus à y perdre de l'embêter qu'autre chose. Mais alors qui ? Comment ? Si les deux loups ne lui avaient rien dit quant à une éventuelle odeur indésirable, cela voulait dire que personne n'avait pu s'introduire dans le chalet. Stiles était donc dans une impasse car il avait eu beau fouiller, son oreiller n'était nulle part. Il s'était comme… Volatilisé.

Stiles éteignit la lumière et s'installa aussi confortablement que possible. Plus par un réflexe sécuritaire qu'un réel besoin, l'hyperactif remonta la couette jusqu'à son nez. S'il avait peur ? Oui, dans un sens. Continuer de passer des nuits de ce type le terrifiait. Et si on finissait par avoir besoin de lui et qu'il n'était pas en état ? Malgré sa faible constitution, Stiles pouvait parfois se montrer utile et sauver des vies. Il suffisait parfois d'un détail, d'une manipulation, d'une intervention. Un rien pouvait avoir l'effet d'un tout.

Mais s'il s'effondrait, son utilité serait nulle. Et c'était lui qu'on serait obligé d'aider. Bien sûr, cela impacterait la mission et mettrait peut-être ses coéquipiers en danger. Alors, Stiles fit de son mieux pour museler son angoisse, cesser également de penser aux marques sur son visage. Savoir qu'il en était responsable lui tordait le ventre, mais tant pis, il fallait qu'il avance. Il prendrait le temps d'accepter l'œuvre de ses peurs plus tard. Quand il en aurait l'occasion – qu'il se retrouverait seul.

Stiles ferma les yeux et pensa à des Curly Fries. A toutes ces soirées films avec Lydia. A tous ces repas de meute qu'il aimait tant. A son père, aussi. A ces moments aussi bons que rares qu'il passait avec lui. A ces grasses matinées qu'il ferait en rentrant chez lui. Il pensa également à la tonne de nourriture qu'il s'enfilerait, tout simplement parce qu'il adorait manger.

Et très vite, l'épuisement s'imposa avec son évidence claire. Emporta la conscience de l'hyperactif loin, très loin. Il s'assoupit, s'endormit, se laissa happer par Morphée. Maléfique Morphée.

Car la tension s'empara de son corps et de son esprit à vitesse grand V. Ses doigts serrèrent les draps, il tourna brusquement la tête d'un côté. L'harmonie de son visage endormi se brisa complètement au moment où les battements de son cœur s'emballaient.

Ce qui était triste dans cette histoire, c'est que Stiles savait qu'il était d'ores et déjà en train de cauchemarder. Mais, puisque le songe était du genre mineur en termes d'horreur et qu'il n'en était qu'à ses débuts, Stiles avait les moyens de garder le contrôle. Plus ou moins. Disons qu'il pouvait se sortir de cet état consciemment, parce qu'il n'était pas encore trop profondément ancré dans son rêve. Alors, il s'en extirpa comme il le put.

Et se réveilla dans un violent sursaut en retenant à grand peine un cri que l'on aurait entendu dans tout le chalet. Si son cauchemar était léger par rapport à d'autres, il n'en restait pas moins horrible. Terrifiant. Et Stiles, essoufflé par cette terreur, dut s'accorder un temps mort. Attrapa son téléphone de ses mains tremblantes, notifia l'heure. Une demi-heure. Il avait dormi une demi-heure à peine. Stiles laissa son cellulaire reposer à côté de son oreiller. Et il eut envie de craquer. Car c'était infernal. Car il n'en pouvait plus. Car ce n'était pas une vie, de ne pouvoir fermer l'œil sans voir des horreurs telles que celles qui le hantaient. Car il ne savait pas où était son putain d'oreiller, ni quoi faire pour se reposer. Gagner quelques heures de tranquillité. Stiles avait beau combattre facilement ses démons le jour, ceux-ci prenaient toujours le dessus lorsqu'il cédait au sommeil : il s'agissait là du résultat de l'action de trop nombreux traumatismes jamais soignés. Des choses dont il n'avait pas parlé, parce qu'il pensait que ça irait.

Force était de constater qu'il avait tort. Que les choses ne cessaient d'empirer. Qu'il n'arrivait pas à dormir.

Et c'était épuisant.

Epuisant.

Alors Stiles fondit en larmes malgré lui. Ses nerfs lâchèrent contre son gré et il se retrouva à enfouir la tête dans son oreiller, à se cacher sous sa couette, juste pour faire le moins de bruit possible. Il n'en pouvait plus. C'était infâme. Loin de se dire qu'il allait devoir finir par mettre au courant Isaac et Jackson de son léger souci, Stiles se promit d'acheter des somnifères. Il avait entendu que c'était si fort que parfois, les gens ne rêvaient pas. Et c'était ce qu'il lui fallait. Vider sa tête. Être si lourd que son esprit ne pouvait plus créer aucune image… Du moins le temps où celui-ci serait chimiquement mis en veille.

Sauf qu'attendre le lendemain, ça ne lui allait pas. Il lui fallait de quoi dormir le plus tôt possible. Si Stiles avait de la chance, il trouverait quelque chose dans la salle de bain. Peut-être les propriétaires gardaient-ils quelques médicaments ici, et éventuellement des somnifères ? Stiles tremblait à cette idée, comme un drogué en manque. Et il se décida, juste comme ça. Parce qu'il devait dormir, absolument. Parce que ce n'était plus tenable : la situation devenait réellement insupportable. Alors il alluma la douce lumière de sa lampe de chevet, se leva. Marcha en titubant, sortit de sa chambre en essayant de faire le moins de bruit possible. Il se crut discret comme une ombre et pourtant, il avait paradoxalement oublié qu'Isaac et Jackson se trouvaient également dans le chalet et qu'ils pouvaient sortir de leurs chambres à tout moment. A cet instant, il s'en fichait. Il ne songeait qu'à dormir, qu'à la délivrance que pourraient lui apporter les somnifères. Bordel, ce qu'il en avait besoin ! La tête lui tournait et chaque pas était une épreuve, mais il avançait. Arrivé à destination, il appuya un peu brutalement l'interrupteur et la lumière de la lampe de plafond fut si vive qu'il ferma fortement les yeux, aveuglé. Sa tête lui fit mal. Il grimaça. Se força à rouvrir les yeux et entreprit d'ouvrir chaque placard dans un geste tremblant. Se rendait-il compte d'à quel point son souffle était court et sa respiration, saccadée ? Non, pas plus qu'il ne remarquait la teneur de son reflet dans le miroir. Parce qu'il ne le regardait pas.

Il l'évitait.

Tout ce à quoi il pensait, c'était ces putains de somnifères. Au vu de son état, il en était désormais certain : impossible d'attendre le lendemain pour en acheter. Il fallait qu'il y en ait. Oui, il le fallait. Stiles n'imagina même pas que l'inverse soit vrai.

Et pourtant, tout était vide. Les propriétaires n'avaient rien laissé. Les étagères des placards ne contenaient rien, mis à part une très fine pellicule de poussière.

Stiles cligna des yeux. Son mal de crâne empira et son cœur battit d'autant plus vite. Parce qu'autour de lui, le monde tournait et il… Son corps peinait à tenir, d'autant plus qu'il ne s'était écoulé que quelques minutes depuis son réveil. Autant dire qu'il était déphasé et physiquement faible, car il s'était levé avant que chacun de ses membres ne s'éveille complètement. A côté de cela, il n'avait plus réellement de forces.

Constater que ce qu'il cherchait n'était pas là acheva de le vider. S'il ne fondit pas à nouveau en larmes, il s'écroula mollement, complètement épuisé et à bout, aussi bien physiquement que mentalement. Au sol, il tourna de l'œil.

Et perdit connaissance alors même que l'on commençait à s'agiter dans le chalet.