Drago était dans sa cellule.

Du doigt, il repeignait patiemment chaque boulette de papier maché insérée dans le mur de roche nue. La tâche était longue et délicate, car la roche n'était pas tout à fait noire, et qu'il fallait par conséquent avoir la main légère sur les pigments, afin que les sutures se voient le moins possible.

Soudain, son ombre se mit à vibrer et à crachoter.

Il tourna la tête et constata que la porte de sa cellule s'était illuminée de blanc. Le sortilège grésillait et palpitait, comme chaque fois qu'il était activé hors des horaires prévus. C'était en revanche la première fois que Drago était témoin de ce phénomène sans qu'il ne voit l'auteur de la tentative d'effraction.

La lumière s'éteignit d'un coup en déverrouillant la grille.

Drago ne bougea pas d'un pouce.

Une petite sphère argentée apparut alors. Elle flotta à hauteur d'homme, puis la voix de Potter se fit entendre :

« Cache les cartons qu'il reste dans ma chambre, essaye de ranger un peu et trouve un truc à manger »

Drago écarquilla les yeux, interdit. La sphère flotta encore quelques secondes, puis s'évanouit.

Était-ce un piège ? Le message venait forcément de Potter : Drago avait reconnu les nuances opalines qui avaient parcouru le Patronus Messager… En Outre, le Survivant était sans aucun doute le seul Sorcier capable de bloquer le sortilège de verrouillage de sa porte à distance… Potter avait déjà eu sa vengeance le matin même, il n'avait donc aucune raison de souhaiter davantage de mal au prisonnier… Quelle émotion avait évoqué sa voix ? Il avait eu l'air de parler entre ses dents, comme s'il s'efforçait d'être discret, mais son débit avait été rapide, et le ton tendu…

Drago poussa doucement la porte de sa cellule qui s'ouvrit sans un bruit…

Il récupéra ses bottines qu'il enfila sur ses pieds nus et parcouru rapidement son couloir. Evidemment, le monte-charge ne s'ouvrirait pas pour lui, mais une porte menait aux appartements des Gardiens. Une porte grinçante qu'avaient déjà empruntée Waren et Potter. Pas celle-ci qui était celle par laquelle il avait été amené ici le premier jour, ni celle-là, dont la poussière au sol révélait qu'elle n'avait pas été utilisée depuis longtemps. Cette troisième, en revanche…

Le battant s'écarta avec un grincement que Drago aurait reconnu entre mille. Derrière, un couloir, une autre porte, et enfin, des escaliers. Il grimpa quatre étages en espérant ne pas se tromper, entrouvrit tout doucement une énième porte, et reconnut, soulagé, le couloir au tapis somptueux de l'étage du Directeur. Il courut silencieusement jusqu'au bois sombre qu'il connaissait par cœur, et poussa sans frapper.

Il pénétra dans les appartements vides et ne laissa pas le temps à son souffle de se calmer. Contre le mur du salon s'alignaient encore une dizaine de cartons « confidentiel », « affaires personnelles » ou encore « fournitures de bureau ». Drago les entassa tous dans la chambre du Directeur. La table basse du salon était couverte de vieux journaux, livres ouverts sur la tranche, parchemins, dossiers… Drago ne savait pas s'il avait le temps de faire le tri, mais le ton de Potter semblait lui indiquer que non. Il rassembla tout en un énorme tas qu'il alla déposer sur le lit. Il fit de même avec le désordre encombrant la table du salon, puis avec toutes les affaires que Potter avait laissé traîner çà et là : magazines de Quidditch, emballages de Chocogrenouilles, documents administratifs, une écharpe, un gant solitaire, des verres d'eau abandonnés, un paquet de graines de plante à Pipaillon, et enfin un sac de friandises pour goélands GullGrub. Une semaine encore auparavant, la pièce ne comportait que les meubles de l'ancien Directeur. Il replaça correctement les chaises autours de la table, redressa les coussins sur les fauteuils du salon, et s'apprêtait à remettre du bois dans la cheminée quand la porte s'ouvrit bruyamment.

Drago se retrouva aussi figé qu'un Boursouf devant une Manticore.

Deux hommes pénétrèrent dans la pièce. Le premier était évidemment Harry Potter, Directeur d'Azkaban, ordre de Merlin, première classe, superbe dans son élégant costume d'alpaga noir, réalisé sur mesure, avec la taille cintrée et la cape doublée de soie sauvage. A ses côtés, se tenait un homme grand, noir et imposant, avec une superbe voix lente et grave, de somptueuses robes mauves et dorées et un unique anneau d'or à l'oreille, Kingsley Shacklebolt, Ministre de la Magie.

Drago portait une affreuse robe de laine grise trop ample pour lui, élimée aux manches. Ses doigts étaient noirs de suie, à part celui enveloppé dans un vieux bout de gant de caoutchouc. Il se redressa et croisa ses mains dans son dos.

Potter conversait joyeusement avec Shacklebolt :

« Oui, je ne doute pas que la Major Mullan saura lui montrer tout cela. C'est une véritable génie des chiffres. Ah, Malfoy, vous êtes là ! Parfait ! Pourriez-vous nous servir une tasse de thé, s'il-vous plait ? »

Drago tâcha de conserver un visage neutre malgré le ton poli et inhabituel qu'avait employé Potter. Il s'inclina, répondit « Tout de suite, Monsieur le Directeur » puis de se dirigea aussitôt vers la cuisine. Se faisant, il entendit Shacklebolt demander :

« Malfoy ?

– Vous avez bien entendu, répondit Potter. Le manque de moyens nous empêche d'embaucher du personnel, et j'ai été forcé de faire appel à un détenu. Mais n'ayez crainte, un sortilège d'entrave mentale le rend tout à fait incapable d'empoisonner la nourriture. Je vous en prie, asseyez-vous. »

Drago fit chauffer de l'eau dans une casserole en écoutant la conversation. Potter l'avait déjà prévenu qu'il était un excellent menteur, mais il était tout de même impressionné par ce ton badin et cette improvisation.

« Et bien Monsieur Potter, je vois que vous en arrivez très vite au point qui vous intéresse. Cette conversation n'aurait-elle pas été plus profitable si nous l'avions tenue en présence de nos secrétaires ?

– La Surveillante Major Mullan n'est pas une secrétaire, Monsieur Shacklebolt. Quant à Madame Hedge, elle a déjà reçu les chiffres dont nous pouvons, ou non, discuter. »

Etant donné le ton employé, le vocabulaire choisi, il était évident que ce « Monsieur Shacklebolt » à la place d'un « Monsieur le Ministre » était une marque assumée d'irrespect.

« Je vous écoute, Monsieur le Directeur. »

Potter se lança alors dans un exposé sur les conditions de travail et les salaires des Gardiens, ainsi que sur les travaux nécessaires pour sécuriser et rénover les lieux.

Certains points qui avaient échappé à Drago firent sens, mais dans l'ensemble, il avait déjà appris tout cela. Il sortit d'un placard le plateau en argent que Potter lui avait présenté lors de leur premier entretien. Il y déposa le sucrier assorti et rempli, avec la pince à sucre à côté et le petit pot de lait, les tasses de porcelaine anglaise, qu'il fit préchauffer, sur leurs sous-tasses, ainsi que deux serviettes blanches en lin. Il sortit du placard l'antique boite de thés de l'ancien Directeur et farfouilla pour trouver un thé à la hauteur de l'invité. Enfin, il remplit la théière, et compta le temps d'infusion en se lavant les mains et en continuant à espionner.

« Tout ceci me semble frappé du sceau du Bon Sens, fit la belle voix de Shacklebolt, mais vous devez savoir que le budget du Ministère n'est pas extensible à souhait.

– Je ne doute pas un instant que le Ministère saura trouver les fonds nécessaires.

– De quelle somme parle-t-on, exactement ?

– Pour offrir un salaire honnête à mes Hommes, 9600 Gallions de plus par année. Pour effectuer les travaux, une avance de 500 000 Gallions sera nécessaire. Puis en fonction des ouvriers présent, une enveloppe supérieure de…

– Monsieur Potter, vous plaisantez ?

– Ai-je l'air de plaisanter, Kingsley ? »

Le moment semblait mal choisi. C'est pourtant à celui-ci que Drago amena le plateau de thé sur la table basse. Il versa en silence le liquide dans les deux tasses, salua, puis retourna à la cuisine.

« Monsieur Potter, insista Shacklebolt, le ministère n'a pas tant d'or à dépenser dans…

Kingsley. » Harry Potter marqua une pause pour renforcer son insolence. « Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai lu dans la Gazette que le ministère des Sports venait de voir son budget amélioré de…

– Croies-le ou non, Harry, mais la plupart des Sorciers préfèrent que leurs impôts financent le spectacle et les festivités plutôt qu'ils servent à mettre au chaud et à nourrir une bande de criminels. »

Pendant qu'il entendait le ton monter, Drago fouillait désespérément les placards en espérant trouver quelque chose à grignoter. Malheureusement, ses recherches n'avaient révélé d'une quantité aberrante de Chocogrenouilles, des Chips moldues (étant donné l'emballage, ça n'avait pas l'air d'être un produit très raffiné), du sucre, du lait, et un vieux paquet de cacahuètes entamées.

Il se souvint alors des fruits sur la table du salon. Il traversa la pièce, provoquant un nouveau silence, pour ajouter quelques bûches de bois dans la cheminée. Sur le chemin du retour, il embarqua le plateau. Ses précautions semblaient par ailleurs inutiles : Les deux hommes ne lui accordèrent par un regard, occupés à se fixer comme des chiens de faïence.

Draco éplucha et découpa joliment les fruits, et les disposa sur un nouveau plateau en argent en réalisant un motif délicat et coloré. En même temps, il fit fondre deux Chocogrenouilles dans la casserole encore tiède, et posa, en bordure de plateau, cette sauce au chocolat improvisée dans un joli petit bol assorti à l'ensemble. Il observa sa création d'un œil critique. Il avait déjà vu ce genre de plateaux de sains amuses-gueules dans un quelconque gala mondain. Le chocolat rajoutait une touche d'exubérance et de réconfort dans cet environnement éloigné. Bien. De toute façon, il n'avait rien d'autre.

« Il me semble que la Sécurité figure en bonne place dans les préoccupations principales des Sorciers, soutenait Potter.

– Et bien si le sujet t'inquiète, il est toujours possible de ramener une demi-douzaine de Détraqueurs. S'ils patrouillent suffisamment loin des murs, les répercussions sur la santé de tes employés devrait être quasi nulle.

– Tant que je dirigerai cet établissement, aucun Détraqueur ne s'en approchera. »

Drago amena le plateau de fruits qu'il déposa à côté du service à thé. Encore un fois, il fut parfaitement ignoré. Il regagna aussitôt la sécurité toute relative de la cuisine.

« Dans ce cas, reprit Shacklebolt, je ne doute pas qu'il soit possible d'assurer la Sécurité des Sorciers en gardant simplement ces prisonniers dans leurs cellules actuelles.

– Entassés comme des chiens, vous voulez dire. L'idée ne me révolterait pas si j'avais toute confiance dans la Justice de mon Pays, mais c'est loin d'être le cas.

– Je ne te laisserais pas sous-entendre que nous n'avons pas fait tout ce qui était en notre pouvoir pour éliminer la corruption du Ministère et du Tribunal, gronda Shacklebolt.

– Pourtant des erreurs sont toujours possibles. Voulez-vous une liste de Sorciers qui ont été enfermés ici malgré leur innocence ?

– Je ne pense pas qu'il soit utile de…

– Morfin Gaunt, accusé d'un meurtre qu'il n'avait pas commis, mais l'assassin lui a lancé un sortilège d'Oubliettes pour le priver d'alibi.

– Cette histoire date de…

– Sturgis Podmore et Stan Rocade, tous deux ont été incarcéré alors qu'il est aujourd'hui prouvé qu'ils n'avaient agi que sous Imperium. Encore une fois, Podmore a été dénoncé par le véritable coupable.

– N'utilise pas Sturgis contre moi. C'est l'un de mes amis les plus…

– Sirius Black, accusé à tort d'un meurtre de masse et de celui de l'un de ses meilleurs amis, a passé plus de douze ans derrière les barreaux. Savez-vous qui avait commis le crime dont il a été accusé ?

– Je pense avoir compris l'idée, Harry.

– Rubeus Hagrid. »

Shacklebolt ne se donna pas la peine de répondre.

« Voulez-vous que je vous dise pourquoi Rubeus Hagrid a été incarcéré, Monsieur le Ministre ?

– Comme tous les autres. Le véritable coupable était Tom Jedusor. Le même Jédusor qui l'avait dénoncé… Tu sais que...

– Non, Monsieur le Ministre. Hagrid a été enfermé parce qu'il était un demi-géant. Pensez-vous qu'aujourd'hui, votre incorruptible Tribunal étudierait davantage un dossier comme celui de Rubeus Hagrid ? Pensez-vous que notre société est débarrassée du racisme qui la gangrène ? »

Kingsley Shacklebolt resta silencieux. Il était évident qu'un racisme d'un autre ordre l'avait forcément touché à un moment ou un autre de sa vie. Les Shacklebolt avaient un Sang Pur, et habitaient la Grande Bretagne depuis plus de deux siècles. Pourtant ils restaient des étrangers aux yeux de la plupart des Sorciers.

Enfin, il poussa un profond soupir et reprit la parole : « Et bien je dois admettre que vous avez admirablement préparé votre dossier, Monsieur le Directeur. Avez-vous d'autres arguments percutants à me fournir, ou pouvons-nous commencer les négociations ? » Un nouveau silence s'éternisa avant qu'il ne reprenne : « Les augmentations de salaire ne devraient pas poser de problème, à condition que nous partions sur une prime à l'ancienneté. Cela pourrait-il satisfaire vos attentes ?

– Je devrais pouvoir l'accepter.

– Et bien c'est un commencement. » Puis, après une nouvelle pause : « Je dois dire que ce thé est délicieux. D'où provient-il ?

– Je l'ignore. Je goûte très peu le thé. Malfoy ! »

Drago retint un juron, lissa sa robe et ses cheveux, et retourna au salon, ses mains encore sales cachées dans son dos. « Monsieur le Directeur ? demanda-t-il.

– Le thé ? demanda Potter en portant sa propre tasse à ses lèvres.

– C'est un Darjeeling First Flush du plateau de Gopaldhara, Monsieur. » Drago étudia le profil de Potter. La mâchoire, le sourcil décidé… L'adolescent qui s'amusait à le violenter avait laissé place à un homme adulte, puissant et sûr de lui. Son regard était fixe, et contrairement à devant Drago, il ne cillait pas ni ne détournait le regard. Les lunettes le vieillissaient et lui donnaient une aura respectable, mais les cheveux en bataille indiquaient un homme actif, loin de l'employé de bureau. Drago jeta un œil à la boucle d'oreille du Ministre, et réalisa que l'intention était peut-être bien la même.

« Concernant les travaux, de combien pensez-vous avoir besoin au total ? demanda celui-ci.

– Deux millions, sur cinq ans.

– Jamais le Ministère n'allouera une telle somme à ce bâtiment. Soyez raisonnable.

– Vous n'ignorez pas que depuis l'évasion de 1996, les protections magiques qui protégeaient ce lieu ont été considérablement endommagées. Aujourd'hui, seules les pierres et la mer empêchent réellement ces prisonniers de s'enfuir.

– Encore une fois », soupira Shacklebolt comme si le sujet avait été abordé un millier de fois en long, en large, et en travers, et qu'il s'adressait à un petit garçon idiot, « acceptez qu'un nombre restreint de Détraqueurs soit affecté à…

– Tant que je serais vivant, gronda Potter, aucun Détraqueur ne travaillera jamais plus pour le Ministère »

Drago recula poliment, dans l'intention de regagner la cuisine.

« Je vous prie de surveiller votre ton, Monsieur Potter, renchérit Shacklebolt. Le Ministère n'a pas d'ordre à recevoir de votre part.

– Tout comme je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous. Il est loin le temps où des hommes comme Dumbledore ou vous pouviez m'utiliser à votre guise !

– Mon garçon ! Je ne… »

Le Ministre ne finit pas sa phrase. Une vague de froid intense venait de s'abattre sur la pièce. Le feu de la cheminée, ainsi que toutes les bougies, s'éteignirent d'un coup, plongeant le lieu dans la pénombre.