Noah se rendit aux toilettes et, à son retour, il se pencha vers Doug.
– Je crois que ces deux-là, à l'autre bout du bar, sont en train de nous mater.
Doug se tourna.
Comme lui, les femmes frisaient visiblement la trentaine. La brune s'aperçut qu'il la dévisageait, avant de se retourner vers son amie, une rousse et de rire comme une adolescente.
– Dommage que tu sois marié, hein ? Elles ont l'air drôlement bonnes !
Plutôt flapies, songea Doug.
Pas comme Evan, qui avait la peau claire et sentait le citron, la menthe, et le parfum qu'il lui avait offert à Noël et dont un seul sourire pouvait illuminer une pièce.
– Va leur parler si t'en as envie, dit-il.
– Je crois que je vais y aller, répliqua Noah.
Il commanda une autre bière et gagna l'extrémité opposée du zinc en souriant.
Il leur dit sans doute un truc idiot, mais cela suffit à faire rire les femmes. Doug commanda un nouveau verre de vin, et vit leur reflet dans le miroir, derrière le bar. La brune croisa son regard et il ne détourna pas les yeux.
Elle lui semblait familière mais il ne parvenait pas à savoir d'où il la connaissait.
Dix minutes plus tard, elle le rejoignait d'un pas nonchalant et s'asseyait sur le tabouret délaissé par Noah.
– Pas envie de parler ? s'enquit-elle.
– Je ne suis pas doué pour parler de la pluie et du beau temps.
– Tu es Doug Kendall, pas vrai ?
– Et tu es... ? s'enquit-il curieux.
La brune se pencha vers lui. Elle exhalait un parfum musqué, rien à voir avec la fraîcheur de la menthe et du citron.
– Beverly, répondit-elle. Doherty, on était dans le même cursus en première année de médecine.
– Beverly ? Wow, s'exclama-t-il en se souvenant d'elle d'un coup. Qu'est-ce que tu fais ici ?
– Comme toi je suppose, je noie ma vie dans un verre de vin.
– Tu n'es pas devenu médecin finalement ?
– Je suis responsable administratif dans la boulangerie industrielle de mon frère. Il fournit les restaurants en viennoiserie.
– Ça a l'air intéressant.
Elle lui décocha un sourire cynique.
– Eh ben non, figure-toi ! Mais ça paie les factures, dit-elle en dévoilant ses dents blanches dans la pénombre. Je ne t'ai jamais vu ici avant.
– C'est Noah qui m'a amené.
Elle désigna le coéquipier de Doug d'un signe de tête.
– Lui, je l'ai déjà vu. Il saute sur tout ce qui bouge avec une paire de seins. Et même si ça ne bouge pas, d'ailleurs. Ma copine aime bien cet endroit, mais d'habitude, je ne supporte pas. Elle m'oblige à l'accompagner.
Doug hocha la tête et se trémoussa sur son tabouret.
– J'avais entendu dire que tu étais devenu flic
– Ouais.
– Je suis désolée pour Peter au fait. Tu es partit si vite après tout ça... et je sais que vous étiez proche.
– Ouais, c'était il y a longtemps. Et j'ai retrouvé le gars qui a fait ça. Il a payé.
– Tant mieux, sourit-elle. Peter était drôle. Je me souviens qu'il essayait de te caser avec cette fille, la jolie brune, comment elle s'appelait déjà ?
– J'ai oublié depuis le temps.
– Oui et elle n'est pas resté longtemps. Je crois que son frère ou sa sœur était mort et elle a quitté le cursus.
– Ouais, je me souviens. Ecoute Beverly, je préfère être honnête avec toi, je suis marié.
Elle sourit.
– Je sais. J'ai vu ton alliance mais on ne fait que bavarder.
Elle effleura son verre d'un doigt qui s'humecta de buée.
– Ta femme sait que tu es là ?
– Mon mari, rectifie-t-il en guettant sa réaction. Il n'est pas en ville. Son ami est malade et mon époux est à son chevet.
– Oh, j'avais entendu parler de ça aussi et tu es définitivement gay ou tu t'intéresses toujours aux femmes aussi ?
– J'aime mon époux.
– Ça ne répond pas à ma question mais je crois avoir quand même compris la réponse. Est-ce qu'il est jaloux ?
– Pas vraiment.
– Donc si je te tiens compagnie ce soir, il n'y verra pas d'inconvénient.
– Je suppose que non.
Après avoir bu et flirté pendant les deux heures qui suivirent, ils finirent la soirée chez elle. Beverly comprenait qu'il souhaitait être discret et lui avait donné son adresse. Quand Beverly et son amie eurent quitté le bar, Doug resta encore une demi-heure avec Noah, avant de lui dire qu'il devait rentrer pour appeler Evan.
Au volant, sa vision se troubla. Ses pensées s'embrouillaient et il savait qu'il roulait mal, mais c'était un bon flic. Si d'aventure on l'arrêtait, il ne serait pas emmené au poste, parce que les flics ne s'appréhendaient pas entre eux.
Beverly occupait un appartement à quelques rues du bar. Il frappa à la porte, et lorsqu'elle ouvrit, elle ne portait rien sous le drap qui l'enveloppait. Il l'embrassa et la porta jusqu'à la chambre, en sentant qu'elle lui déboutonnait sa chemise. Il la déposa sur le lit et se déshabilla, puis éteignit la lumière, parce qu'il ne souhaitait pas avoir sous les yeux la preuve qu'il trompait son mari.
Ce n'était pas bien, et à présent qu'il se trouvait là, Doug n'avait plus envie de faire l'amour avec elle mais il avait bu et elle ne portait rien d'autre qu'un drap, et ses pensées s'embrouillaient.
Rien en elle ne ressemblait à Evan.
Son corps, sa silhouette, son odeur tout était différents. Elle exhalait un parfum épicé, quasi animal, et ses mains s'agitaient trop. Tout était nouveau avec Beverly et ça ne lui plaisait pas, mais il ne pouvait pas s'arrêter pour autant. Il l'entendit prononcer son nom et des mots grossiers, et il avait envie de lui dire de la fermer afin de pouvoir penser à Evan, mais impossible de se concentrer tellement il avait l'esprit embrumé.
Il l'attrapa violemment par les bras et la retourna sur le ventre, posant sa main sur la nuque pour la maintenir au matelas. Elle ne dit rien lorsqu'il s'inséra en elle et il put penser à Evan qui lui manquait cruellement, en se demandant où il pouvait bien être et comment il allait.
Doug n'aurait jamais dû le frapper, parce qu'il était doux et gentil, et qu'il ne méritait pas ces coups de poing et de pied. C'était sa faute à lui s'il était parti. Il l'y avait poussé, même s'il l'aimait.
Il s'était lancé à sa recherche, mais n'avait pas pu le retrouver, il s'était rendu à Philadelphie, et voilà qu'il couchait avec une femme appelée Beverly, qui ne savait pas quoi faire de ses mains et poussait des petits gémissements étranges... et tout cela sonnait faux.
Quand ce fut terminé, il ne voulut pas rester.
Il se leva et commença à se rhabiller. Elle ralluma la lumière et se redressa dans le lit. La vision crue de cette femme lui rappela qu'elle n'était pas Evan et il eut soudain la nausée.
Doug devait fuir Beverly. Il ignorait pourquoi il était venu et le simple fait de la regarder lui nouait l'estomac.
– Tout va bien ? demanda-t-elle.
– Je ne devrais pas être là. Je n'aurais pas dû venir.
– C'est un peu tard pour y penser.
– Je dois m'en aller.
– Là, comme ça ?
– Je suis marié.
– Je sais..., soupira-t-elle dans un sourire las. Mais ce n'est pas si grave.
– Bien sûr que si...
– D'accord, alors vas-y. Va le rejoindre.
Après s'être vêtu, il quitta l'appartement et dévala l'escalier, puis grimpa dans sa voiture. Il roula vite mais sans faire d'embardées cette fois, car sa culpabilité lui avait remis les idées en place.
En entrant dans la maison, il eut besoin d'un verre, mais l'idée de boire encore du vin le rendait malade et son esprit bouillonnait. Il avait trompé son mari. Il avait rompu son serment envers Evan, et il savait que la vérité éclaterait au grand jour.
Beverly le savait, Noah le savait et ils le diraient à quelqu'un, qui le répéterait à quelqu'un... et Evan finirait par l'apprendre. Il était foutu, cette fois il ne le lui pardonnerait pas.
Il marcha de long en large dans le salon, suffoquant de plus en plus à l'idée qu'il ne pourrait expliquer son comportement à Evan. Il était son époux et ne lui pardonnerait jamais. Il serait en colère et l'enverrait dormir sur le canapé, et le lendemain matin, il afficherait clairement sa déception parce qu'il l'avait trompé et il ne lui accorderait plus jamais sa confiance.
Il grelottait et la nausée le gagna de nouveau.
Il avait couché avec une femme et trompé son mari. Tout cela le perturbait trop et il voulait cesser de réfléchir, mais c'était impossible. Il voulait boire jusqu'à s'étourdir, mais ne le pouvait pas. Il avait le sentiment qu'Evan allait soudain apparaître sur le pas de la porte.
La maison était sale et en désordre, et Evan devinerait ce qu'il avait fait.
Même si ses pensées s'entremêlaient, il savait que ces deux éléments étaient liés. Il se remit à faire les cent pas avec frénésie. La saleté et la tromperie allaient de pair, parce que la tromperie était répugnante, et Evan saurait qu'il l'avait trompé parce que la maison était immonde, et les deux allaient ensemble.
Soudain, il cessa d'arpenter la pièce pour gagner la cuisine, où il dénicha un sac poubelle sous l'évier. Dans le salon, il tomba à genoux, puis, à quatre pattes, il ramassa les barquettes d'aliments vides, les magazines, les couverts en plastique, les cadavres de bouteilles de vin et les boîtes de pizzas pour les jeter dans le sac.
Il était minuit passé et Doug ne devait pas travailler le lendemain matin, aussi resta-t-il éveillé pour nettoyer, faire la vaisselle, et passer l'aspirateur qu'il avait offert à Evan. Il fit le ménage à fond pour qu'il ne s'aperçoive de rien, parce qu'il savait que tromperie et saleté allaient de pair. Il fourra le linge sale dans la machine à laver et, une fois le cycle terminé, il mit les vêtements dans le séchoir, puis les plia, pendant qu'une autre lessive tournait.
Comme le soleil se leva, Doug retira les coussins du canapé et aspira celui-ci jusqu'à ce que disparaisse la dernière miette. Tout en s'affairant, il jeta un coup d'œil par la fenêtre, car il savait qu'Evan rentrerait d'une minute à l'autre. Il astiqua les toilettes et ôta les taches d'aliments dans le frigo, puis passa la serpillière sur le linoléum.
L'aube céda la place au matin, puis la matinée tira à sa fin. Il lava les draps, ouvrit les rideaux, épousseta le cadre de leur photo de mariage. Il passa ensuite la tondeuse dans le jardin et vida l'herbe coupée dans la poubelle.
Quand il eut terminé, il alla faire des courses et acheta de la dinde, du jambon, de la moutarde de Dijon et du pain de seigle à la boulangerie, puis des fleurs, qu'il disposa au retour dans un vase sur la table, avant d'ajouter des bougies.
Lorsqu'il eut fini, il était pantelant.
Il se servit un verre de vin, s'attabla dans la cuisine et attendit Evan. Il était satisfait d'avoir nettoyé la maison, car cela signifiait qu'Evan ne serait jamais au courant de ses agissements de la veille, et ils auraient le genre de mariage qu'il avait toujours désiré. Ils se feraient mutuellement confiance, vivraient heureux. Il l'aimerait toujours, ne le tromperait plus jamais... Et d'ailleurs, comment avait-il pu faire une chose aussi abjecte ?
Il sursauta lorsque son téléphone émit un bip.
Il se précipita dessus en espérant que ça soit Evan mais fut déçu en voyant que c'était seulement Beverly. Il ne se souvenait même pas de lui avoir donner son numéro mais il l'avait forcément fait sinon comment aurait-elle pu l'avoir?
« Je me souviens du nom de la fille, c'était Maddie Buckley. »
