Chapitre 22 : Into the Darkness
La fête rencontrait un franc succès et dépassait toutes les attentes des elfes, et après que tout le monde se soit rassasié et ait senti qu'il n'était plus possible de consommer, la musique reprit de plus belle. Rapide, joyeuse, légère et bruyante, la musique des elfes des bois virevoltait et tourbillonnait dans le souffle de la nuit et dans l'obscurité se frottant au feu crépitant ; plus puissante qu'un vin capiteux, les chansons enchantaient et occupaient les esprits et les cœurs des elfes. C'était incroyablement féérique, avec le pouvoir d'envoûter bien des personnes, y compris les plus robustes.
Un par un, d'autres elfes se joignirent aux harpes et chantèrent, puis on commença à danser. Le monde, dans son ensemble, semblait se rétrécir sous les étoiles, et on oublia les vieux problèmes ; les soucis s'échappaient comme les volutes de fumée provenant d'un feu ardent, et toute la Terre du Milieu disparut dans l'obscurité, à l'exception de la voie lactée dans la nuit, de la musique, et de la myriade de danseurs éclairés par la lueur du feu.
De leur table, Miredhel et Legolas observaient tous deux tout en discutant à propos de leurs anciennes vies et de leurs nouveaux amis. Legolas racontait à Miredhel sa visite dans la forêt de Fangorn aux côtés de Gimli après la guerre, soulignant à quel point le nain avait aimé les bois.
« — Chaque fois qu'une brindille se cassait ou que les feuilles bruissaient, il sursautait ! A un moment donné, j'ai fini par rire. Et je lui ai dit, Miredhel, qu'il ne devait pas s'inquiéter parce que je ne laisserais pas les grands arbres effrayants l'attraper... eh bien, il a répondu, 'le jour où j'aurai besoin de la protection d'un elfe sera le jour où je serai trop vieux pour porter ma propre hache'. Juste au moment où il dit ça, un des Ents est sorti des bois, et Gimli en a presque lâché sa hache pour venir se réfugier derrière moi ! »
Miredhel rit puis répondit qu'elle aimerait beaucoup le rencontrer et, à son tour, elle conta la façon dont Eledhel les avait effrayées, elle et Annariel, avec une histoire effrayante d'un esprit elfique qui errait dans les bois dorés, à la recherche du fantôme de son amante.
« — Nous avons eu peur pendant des semaines, dit-elle en levant les yeux à ce souvenir. Aucune de nous deux ne voulait sortir la nuit. Quand on a finalement découvert qu'il avait tout inventé, je savais qu'il fallait se venger.
— Alors qu'avez-vous fait ?
— Oh, j'ai dit à Eledhel que quelqu'un m'avait confié que Finduilwen, cette jeune fille qu'il courtisait, était l'amante de cet esprit, et, l'air innocent, Annariel lui a demandé : « Cela ne rendrait-il pas le fantôme très en colère contre vous d'avoir essayé de lui voler son amour ?
— Qu'a répondu Eledhel ?, demanda Legolas, avec un sourire plein d'ironie.
— Il a blêmi et a dit que c'était juste un conte pour enfants, et qu'elle ne pouvait pas être vraie. Je lui ai dit que j'avais demandé à Finduilwen, et qu'elle ne l'avait pas nié. Un peu plus tard, il s'est levé et a dit qu'il devait aller la voir. »
Tout en se remémorant, Miredhel sourit et poursuivit son récit.
« — C'était une nuit sombre, car la lune était cachée. Nous avions demandé à Belegil de peindre son visage en blanc et de se cacher derrière un arbre... Je n'avais jamais vu mon frère sauter aussi haut que cette nuit-là ! Mais il ne nous a jamais plus raconté d'autres histoires effrayantes..., conclut-elle en désignant son frère qui dansait avec l'un des elfes de la forêt.
— Regardez-le, Legolas, dit-elle. Il semble avoir complètement embrassé la culture de votre peuple. »
Le prince observa son frère, dansant au milieu des arbres avec une charmante jeune fille depuis un moment. Il s'efforça de masquer un sourire en contrôlant les commissures de ses lèvres avant de dire.
« — Il semble embrasser bien plus que la culture, Miredhel. »
Miredhel regarda les couples danser et se retourna vers Legolas la tête penchée.
« — Vous avez un don étrange pour vous saisir de mes propos et leur donner le pire sens possible. », grogna-t-elle.
L'air sournois, Legolas sourit et se pencha vers sa chaise.
« — Ah, mais c'est l'un de mes talents les moins intéressants, Miredhel. »
À ses propos, tous deux se turent, se demandant si l'autre voulait éventuellement danser, et Legolas se promit que sur la musique qui suivrait, il lui demanderait de se lever avec lui. Mais le destin avait décidé que le prince n'aurait pas cette chance. Juste au moment où Legolas avait rassemblé assez de courage et de volonté pour danser avec elle, et seulement danser, Eledhel s'approcha de la table. Il s'inclina devant le roi et salua ensuite son ami et sa sœur.
« — Miredhel, tu es ravissante. Je crois qu'il y a quelque chose dans ces bois qui te magnificie, dit-il en regardant Legolas d'un air curieux et en prenant son cadeau devant lui.
— Une belle arme, et un très beau cadeau du roi. Je n'ai pas d'argent et de bijoux, ma sœur, mais tu m'as sauvé la vie aussi. », ajouta-t-il.
Il reposa la lame sur la table et prit sa main.
« — Pourrais-je avoir l'honneur de me voir accorder une danse ce soir ? », lui demanda-t-il.
Cette invitation protocolaire de son propre frère fit inéluctablement sourire Miredhel, puis elle se tourna vers Legolas. Il hocha la tête, mais quelque chose dans ses yeux vacilla. De la déception, peut-être ?
Eledhel l'éloigna de la table, et, ensemble, ils rejoignirent le tourbillon de danseurs au milieu de la clairière. Legolas les observa danser et se reprocha de ne pas lui avoir demandé plus tôt, bien qu'il n'ait rien à blâmer à Eledhel de danser avec sa propre sœur.
Si Celeril et Idrian avaient été là, il aurait voulu danser avec elles aussi. Cependant, elles n'étaient pas présentes et Legolas lança un regard de déception en direction de son frère et de son père alors qu'il se levait.
Il décida de se diriger vers la piste, de manière à ce que, lors de la chanson suivante, il puisse facilement demander à Miredhel d'être sa partenaire.
Cependant, à l'approche de la fin de la première chanson, l'un des jeunes capitaines de la garde de la Forêt Noire prit la place d' Eledhel et entama la danse qui suivit avec Miredhel. Legolas serra la mâchoire de frustration. Ce jeune capitaine, qui s'appelait Adrendil, avait pour habitude de mettre le grappin sur toute jeune fille à laquelle Legolas s'intéressait un tant soit peu. Il se croyait vraiment charmant et se vantait souvent de sa capacité à voler l'affection des elleth.
À ce moment précis, Adrendil et Miredhel tournoyèrent devant le prince, et celui-ci adressa un sourire espiègle à Legolas. Le prince aurait pu se précipiter vers eux et même les séparer à ce moment-là, si l'idée ne lui était pas venue que ses actions ne feraient qu'encourager plus encore le jeune capitaine. Il fronça les sourcils et se détourna. Après tout, il était venu à cette soirée avec l'intention de faire passer un bon moment à Miredhel, et elle ne semblait pas du tout en souffrir pour le moment. Durant un instant, Legolas se dit qu'il allait retourner s'attabler pour se contenter de regarder Miredhel danser avec d'autres personnes, mais dans le même laps de temps, il rejeta cette pensée et commença à réfléchir à un moyen de la dérober à cette concurrence. Après tout, c'étaient ses fleurs dans ses cheveux, et il n'était pas le genre d'elfe qui se laissait facilement berner. Il décida que la meilleure solution était de distraire Adrendil. Ses yeux étaient en train de scruter les groupes d'elfes aux différentes origines quand Limaer apparut à ses côtés.
« — Votre Altesse, bonsoir, osa-t-elle timidement.
— Comment se fait-il que vous soyez seul ? Sans partenaire de danse ? », ajouta-t-elle l'air anxieux.
Il lui adressa un petit sourire.
'Cela va être très simple', pensa-t-il joyeusement.
« — Limaer, m'offririez vous le plaisir d'une danse ? »
Elle se tourna vers lui avec une grande douceur et lui prit le bras.
« — Ce sera un honneur, mon prince. », dit-elle avec une lueur presque prédatrice dans les yeux.
Legolas déglutit. Il n'avait pas manqué le regard affamé de Limaer. Ce plan devait fonctionner. S'il échouait, il risquait de devoir divertir indéfniiment Limaer.
« — Alors ne perdons pas un instant de plus. », dit-il en jetant un coup d'œil à Miredhel, qui se tournoyait joyeusement dans les bras d'Adrendil.
Legolas mena Limaer à travers les couples de danseurs. Elle parlait sans cesse de la musique, et Legolas se demandait si elle parlait autant à Miredhel dans leur tente. Si oui, Miredhel avait toute son admiration. De temps en temps, Limaer lui posait une question, mais elle parlait surtout de l'excitation de vivre à Eryn Lasgalen et de la beauté des bois, et non de l'effroi qu'ils pouvaient provoqués, même si elle était certaine que les habitants de la Lorien n'étaient pas tous du même avis.
Legolas lui jeta un regard confus. Faisait-elle allusion à Miredhel ? Toutefois, il n'eut pas le temps de s'en informer, car à ce moment-là, Miredhel et le capitaine passèrent devant eux. A partir de cet instant, Legolas prit grand soin de rester dans la ligne de mire d'Adrendil et de Miredhel, et quand la musique prit fin, Legolas cessa de danser juste derrière l'autre couple.
Aussitôt, Miredhel l'interpella.
« — Prince Legolas, dit-elle avec une certaine surprise. Je suis ravie de vous voir danser. »
Son regard se posa successivement de Legolas à son partenaire.
« — et avec Limaer, rien de moins. Vous êtes vraiment charmants tous les deux. », s'empressa-t-elle d'ajouter.
Limaer rayonna et serra plus encore le bras de Legolas.
« — Bien sûr, Miredhel. Vous ne m'avez pas encore présentée à votre partenaire., ronronna-t-elle.
— En tant qu'hôte, permettez-moi cette honneur, interrompit Legolas. Dame Limaer, j'ai le plaisir de vous présenter le capitaine Adrendil, de la garde forestière à Eryn Lasgalen. »
Limaer se tut, puis Legolas lui tendit à nouveau son bras au début d'une autre chanson.
« — Souhaitez-vous danser ?, demanda-t-il, voyant avec un espoir grandissant comment le regard d'Adrendil dérivait de Miredhel jusqu'à Limaer.
Legolas fit mine d'emmener Limaer sans oser laisser son regard se poser sur Miredhel. Si seulement Adrendil pouvait mordre à l'hameçon, elle serait à lui pour le reste de la soirée. Le capitaine fit un pas en avant.
« — Prince Legolas, pensez-vous vraiment qu'il soit juste de monopoliser toutes les dames les plus charmantes de Lorien ? », dit-il.
Legolas et Limaer se retournèrent, et elle sourit en papillonnant des cils à ce compliment des plus évidents. Le prince fut envahi par un sentiment de soulagement. Il craignait de devoir partager une autre danse avec Limaer. Son petit plan pourrait bien fonctionner, mais Legolas mit de côté ces pensées et regarda le capitaine avec sang-froid. Il ne devait pas avoir l'air trop enthousiaste, sinon Adrendil aurait des soupçons.
Legolas hésita un moment, puis prit la parole.
« —Je ne voudrais pas qu'on me prenne pour un hôte peu courtois... »
Il s'avança avec Limaer vers le capitaine.
« — Bien sûr que non. » dit Adrendil.
Celui-ci se glissa délicatement entre le prince et Dame Limaer, prit son bras et l'emmena.
Legolas espérait qu'il ne reverrait pas le capitaine ou son ancienne partenaire de danse pour le reste de la soirée. Il se tourna alors vers Miredhel qui, pour le moins, avait l'air plutôt confuse.
« — Que vient-il de se passer ? », demanda-t-elle.
Legolas sourit et secoua la tête.
« — Voulez-vous danser avec moi, Dame Miredhel de la Lorien ? »
Elle fit une révérence des plus formelles puis lui fit un petit clin d'œil.
« — Rien ne me ferait plus plaisir, prince Legolas. »
Il prit donc sa main dans la sienne, s'émerveillant encore une fois de constater à quel point ses doigts s'ajustent parfaitement aux siens, et glissa son bras autour de sa taille. La danse était certainement l'une des plus belles inventions des Eldar à ce jour, conclut-il avec joie.
Alors qu'ils dansaient sous la lumière de nombreuses étoiles étincelantes, Legolas baissa les yeux pour croiser son regard, pour voir si elle partageait son amusement, mais cela sembla être tout le contraire. Miredhel avait l'air de souffrir. Il arrêta de danser avec elle; il n'avait même pas pensé à demander si elle le voulait vraiment…
Les yeux de Miredhel croisèrent les siens, et ceux-ci s'éclairèrent en voyant qu'il s'inquiétait pour elle.
« — Legolas, dit-elle calmement, avant votre arrivée, j'étais prête à m'excuser auprès de ce jeune capitaine et à lui dire que ma cheville était trop douloureuse pour danser. Comme j'étais heureuse que vous soyez venu ! Pour l'instant, je peux danser avec vous. Je vous assure que ma cheville n'est pas du tout douloureuse. »
Legolas n'en était toujours pas convaincu.
« —Je vais bien, insista-t-elle. Si j'ai froncé les sourcils, c'était que je me concentrais pour ne pas m'emmêler dans les pas. »
Miredhel eut un sourire sournois.
« — Je suis certaine que je pourrais tournoiyer autour de vous ...
— En êtes-vous certaine ?, demanda Legolas tout en regardant sa cheville pendant leur échange. Elle semblait en parfaite santé.
— J'en suis certaine. Nous, les elfes de la Lorien, la danse est dans notre nature. »
Legolas libéra une boucle qui s'était emmêlée dans les fleurs de ses cheveux, puis il reprit sa main dans la sienne.
« — Voulez-vous que l'on parie au sujet de cette croyance ? », demanda-t-il alors qu'ils recommençaient à danser.
Elle ne put s'empêcher de rire.
« —Oh non. J'ai ouï dire de ce qui se passait quand de jeunes filles malheureuses pariaient avec des gens comme vous. »
Legolas feint d'être choqué, puis prit un air blessé.
« — Je comprends à peine ce que vous sous-entendez, Miredhel. », répondit-il.
Miredhel haussa un sourcil.
« — Oh, je pense que nous savons, tous deux, très bien ce que je voulais dire par là. Mes jours à faire des paris imprudents sont révolus.
— Eh bien, pour ma part, je suis terriblement affligé de l'entendre. », dit Legolas en l'attirant près de lui tout en posant ses mains sur son cœur.
La main ralentit et les pensées de Miredhel dérivèrent vers des souvenirs empreints de mélancolie. Tant de choses avaient changé dans son coeur depuis ce pari fatidique dans le jardin. Elle ne pouvait pas arrêter de songer au temps qui s'était tristement écoulé depuis la mort d'Annariel, où même les heures de la journée étaient devenues un fardeau, un obstacle à surmonter. Elle pleurait la perte de son amie, mais plus encore la perte de son amitié la plus profonde et la plus sincère qu'elle ait jamais connue ; Miredhel désespérait de ne plus jamais connaître cette joie d'avoir quelqu'un qui comprenait ses rêves, ses espoirs secrets et ses faiblesses et qui l'aimait tout de même en dépit de ces dernières. Pourtant, aux heures les plus sombres de son chagrin, elle avait retrouvé cette sensation d'amitié en Legolas ; lui , qui connaissait son cœur, même avec tous ses défauts et qui recherchait toujours sa compagnie.
Miredhel posa sa tête sur son épaule. Legolas pensa qu'ils devaient peut-être s'asseoir, qu'elle n'était peut-être pas complètement guérie, mais cette pensée diminuait à chaque seconde passée. Il sentait son souffle sur son cou et la chaleur de sa joue à travers sa tunique. Il aurait pu rester avec elle comme ça toute la nuit, si son épaule n'avait pas risqué d'être ankylosée.
Legolas se retourna et vit son frère derrière lui.
« —Je dois te parler. », lui dit-il, l'air grave, avant de faire signe au prince de le suivre.
A contrecœur, Legolas retira sa main de celle de Miredhel, et elle lui lança un regard compréhensif. Il se tourna pour suivre son frère jusqu'au bord de la clairière, puis à l'ombre des arbres.
« — Legolas, Père a quitté la fête il y a quelques instants, commença Oromer.
— S'il te plaît, dis-moi que tu ne m'as pas fait venir juste pour cela. », fit sèchement Legolas.
Il aurait dû rester avec elle. Il pouvait encore sentir la chaleur de leur danse. Ses yeux dérivèrent vers la fête, mais il n'y vit pas Miredhel. Il espérait qu'elle ne dansait pas encore avec un autre compatriote.
« — Legolas, répéta Oromer. Il est véritablement bouleversé par ton comportement.
— Mon comportement ? Si quelqu'un doit être bouleversé, ce devrait être moi.
— Tu lui as à peine parlé, fit remarquer Oromer en clignant de ses yeux gris-vert.
— C'est consternant, Oromer. Je refuse d'en entendre plus, coupa Legolas et il commença à se lever pour retourner à la fête.
— Très bien, petit frère. Fuis tes problèmes comme tu le fais depuis toujours. Tout comme tu t'enfuis vers l'Ithilien. »
Legolas fit volte face et son regard bleu acier croisa celui de son frère. Il s'avança à quelques centimètres d'Oromer.
« — Je ne m'enfuis pas et je suis las que tu me fasses culpabiliser au sujet de mes choix, siffla-t-il.
— C'est ton propre égo qui te culpabilise et non moi, petit frère. », dit Oromer en le saisissant par la manche.
Legolas s'éloigna brusquement. Il avait beaucoup enduré sur les champs de bataille. Il avait affronté des dangers, y compris la mort, et bravé de grands périls. Pourtant, son frère aîné le voyait toujours comme un enfant, et ce pour l'éternité.
Il parla à voix basse.
« — Quel droit avait-il de me faire ça, de lui faire ça ? Il n'aurait jamais dû nous séparer.
— Étant notre père et roi, il avait tous les droits. Tu ne te préoccupes vraiment pas des gens que tu vas laisser derrière toi, n'est-ce pas ? La laisseras-tu disparaître ?, questionna Oromer, les yeux plissés.
— Elle est plus forte que tu ne le crois, insista Legolas.
— Durant la guerre, pendant ton absence, tu n'étais pas là pour la voir. Tu n'as pas dû la regarder s'effacer, devenir une ombre. »
La voix d'Oromer n'était plus qu'un souffle.
« — Si tu l'aimais à moitié autant qu'elle se soucie de toi, tu ne la ferais pas autant souffrir.
— Je l'aime ! Ton incrédulité la conduira au chagrin avant mon départ, dit Legolas, obstiné.
— Que connais-tu du chagrin, Legolas ? »
Legolas déglutit.
« — Au cours de cette dernière année, j'ai été témoin de beaucoup de choses qui ont forgé mon cœur. »
Il ferma les yeux. L'espace d'un instant, il entendit l'appel de la mer, lui soufflant de laisser ses soucis sur les Rivages Blancs.
La voix d'Oromer s'adoucit.
« — Tu es encore très jeune, et elle aussi. Pourquoi ne te fies-tu pas confiance au jugement de notre père ?
— Aucun de vous ne se fit au mien. »
Il regarda en direction de la lune, qui poursuivait sa course au-delà des arbres. Il ne voulait pas se disputer avec Oromer, ni avec son père d'ailleurs. Il se demandait ce que Celeril ressentait au même instant. Est-ce qu'elle disparaissait par le poids du chagrin ? Il savait que son frère ne lui mentait pas. Il n'avait jamais voulu blesser sa famille, mais il ne resterait pas à Mirkwood.
Sa voix était grave, profonde quand il prit la parole.
« —Mes désirs ont dépassé les limites de ces bois. Je ne peux pas rester. Et si cela me rend égoïste, qu'il en soit ainsi. »
Oromer resta impassible.
« — Tu es un prince de la Forêt Noire, d'Eryn Lasgalen. »
Il fronça des sourcils en regardant sonfrère.
« — N'as-tu aucun sens du devoir ? »
Legolas ne répondit pas à sa question. Au lieu de cela, il fit une accolade à son frère et dit d'une voix claire :
« — Tu sais qu'elle ressent la même chose. Tu ne pourras pas la garder indéfiniment dans ces bois. Elle voudra les quitter pour voir d'autres terres ; et quand elle viendra chercher refuge dans mon royaume, je ne l'y refuserai pas. »
Legolas prit congé de son frère et s'aventura dans l'obscurité des bois. Sa conversation avec Oromer l'avait troublé, et il voulait se vider l'esprit avant de se joindre à nouveau au festin. A ce moment précis, s'il avait tourné à droite pour rentrer dans la clairière, il aurait vu que Miredhel l'attendait patiemment, le visage assombri et blanc parce qu'elle avait entendu une partie de leur conversation et elle l'avait vu disparaître dans l'obscurité.
Miredel n'avait pas eu l'intention d'écouter la conversation de Legolas avec son frère. En vérité, elle n'avait pas souhaité entendre ce qu'ils se disaient. Au départ, elle était partie de la clairière pour attendre Legolas sans gêner personne. Puis elle avait commencé à entendre des bribes de leur conversation quand les voix d'Oromer et Legolas se sont élevées. Ils parlaient d'une femme ; son identité, Miredhel l'ignorait. Apparemment, elle était importante aux yeux de Legolas ; il avait dit à son frère qu'il l'aimait. Miredhel ne savait pas pour quelle raison cet aveu la dérangeait autant. Cette jeune elfe pourrait-elle être celle pour laquelle Legolas avait chanté la nuit précédente ? Son excellente mémoire lui rappelait ses paroles, le chagrin dans sa voix alors qu'il chantait :
Soflty now she haunts each dream, and every moment waking,
I hear her cries, her murmured song, the will within me breaking.
With deepest blue and brightest gold…
Elle se mordit la lèvre. Elle décida que le roi avait dû les séparer pour une raison quelconque, mettant fin à leur histoire d'amour, mais cela ne changeait bien évidemment rien aux sentiments pour cette elfe mystérieuse.
Se sentant rejetée comme jamais, Miredhel retourna à table. Apparemment, son amitié n'était qu'une distraction pour le prince. Elle se laissa tomber sur sa chaise, là où elle avait été si heureuse quelques instants plus tôt, à discuter avec Legolas et plaisanter avec lui. Elle prit sa dague, le cadeau de Thranduil, et joua avec le manche, sentant son poids impressionnant, se familiarisant avec le maniement dans sa paume. La lueur des torches miroitait sur ses émeraudes et ses gravures en argent. Elle fit tourner l'arme, tout en la gardant en main. Legolas avait fait preuve de bonté. Elle le lança dans sa main gauche. Quand elle lui avait raconté l'histoire d'Annariel, il avait pleuré avec elle, leur chagrin liant leur cœur d'une manière peu compréhensible. Miredhel replaca la dague dans sa main droite et le dégaina. Les flammes dansaient dans le reflet de la lame. Elle entendit des pas derrière elle et reposa l'arme sur la table. C'était Limaer.
« — Miredhel, où est le prince Legolas ?, demanda-t-elle, surprise de voir son amie seule.
— En train de s'occuper d'affaires royales, ou des préoccupations de ce genre, répondit sèchement Miredhel.
— C'est peut-être bien qu'il ne soit pas avec vous pour le moment. », déclara Limaer.
Miredhel ne releva pas le commentaire de Limaer.. Elle savait que Limaer connaissait moult ragots au sujet de Legolas. Elle en avait assez entendu.
Cependant, Limaer ne se découragea pas face au silence de Miredhel.
Elle continua, pleine de ferveur :
« — Adrendil m'a raconté que le prince Legolas avait courtisé l 'une des filles de son conseiller, une jeune elfe prénommé Lierwen, qu'ils avaient été très amoureux avant son départ pour la Lothlórien .Y croyez-vous ? »
Miredhel contemplait les bois où elle avait vu Legola et le prince Oromer parler.
« — Oui, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour Limaer.
— Je suis désolée, Miredhel, de vous avoir tant taquiné à propos du prince. Alors que, depuis le début, il était probablement fiancé à une autre elfe ! », s'exclama Limaer.
Elle observa attentivement Miredhel. Cette dernière était assise, tranquillement, les mains croisées sur ses genoux, les yeux baissés.
« — Miredhel ? Allez-vous bien ? »
Miredhel releva la tête,affichant un sourire.
« — Je vais très bien, Limaer. Merci.
—Mmmh. Eh bien, Adrendil a proposé de m'accompagner jusqu'à notre tente, alors je suppose que je vous verrai plus tard. »
Limaer regarda Miredhel d'un air suspicieux et partit.
Miredhel l'observa s'éloigner puis elle ramassa la dague. Legolas n'était pas revenu. Peut-être que cette "Lierwen" était la jeune fille dont Legolas et son frère discutaient ; peut -être que le roi n'avait pas approuvé leur relation ; peut-être qu'ils n'avaient plus le droit de se voir. Miredhel en avait assez de ces "peut-être". Elle découvrirait la vérité par elle-même. Elle confronterait le prince aux faits. S'il était réellement son ami, alors il lui dirait tout. Dubitative, elle regardait les bois obscurs. Combien de fois ce bois avait -il fait l'objet de ses rêves ? Miredhel ferma les yeux. Elle les avait à peine observé de jour. Il était imprudent de partir maintenant, en pleine nuit.
« — Espèce de lâche. », se dit-elle.
Ce n'étaient que des rêves. Legolas était là. Elle suivrait ses pas et le trouverait aisément. Elle prit son couteau et se dirigea vers la forêt.
