Chapitre 1 | Quand tout est sombre
"C'est bien sûr la nuit
quand tout est sombre
que le moindre bruit
vient faire peur à l'ombre"
Didier Venturini
3 janvier 1999 | heure inconnue
La peau d'Hermione est froide comme la mort, dur comme un bloc de glace. Son corps tressaille au moindre courant d'air et l'humidité de son souffle gerce ses lèvres et le contour de son nez. Elle voudrait disparaître, se fondre dans le néant qui l'entoure. Les liens qui retiennent le capuchon masquant son visage l'étouffent et l'angoissent. Le silence est assourdissant et le froid de l'hiver brûle sa chair comme une coulée d'acide.
Son esprit est engourdi par la fraîcheur de la nuit. La fatigue pèse lourdement sur ses épaules et l'accable davantage. Elle ne sait pas comment, elle ne sait pas pourquoi, mais elle est là.
Elle hurle sa détresse, son chagrin et ses peurs. Personne ne l'entend, personne n'intervient. Alors peu à peu, ses cris se transforment en sanglots et elle plaque son visage contre le sol pour étouffer ses faiblesses.
Finalement, le froid mordant et la fatigue finissent par avoir raison d'elle ; le temps l'emporte dans un sommeil agité et douloureux.
3 janvier 1999 | heure inconnue
Lorsqu'elle émerge à nouveau, l'espoir d'être en plein cauchemar s'évapore et la réalité la rattrape. Plusieurs heures se sont écoulées mais rien ne semble avoir changé. Il fait froid et l'obscurité domine. Ses épaules sont raides, sa peau meurtrie. Elle rêve de chaleur ; d'un bain chaud et d'un feu de cheminée. La pensée réchauffe son humeur, mais la sensation se meurt aussi vite qu'elle est apparue.
3 janvier 1999 | heure inconnue
Elle entend des voix et des pas qui se rapprochent. La proximité soudaine de plusieurs inconnus lui glace le sang. Elle se recroqueville dans ce qu'elle suppose être un coin de la pièce et tente de se confondre dans le décor.
" - C'est elle ?" Demande une voix bourrue en saisissant le lien qui maintient ses poignets, la forçant à se mettre sur pied.
Ses jambes vacillent et elle manque de tomber.
" - Ce bout de femme pour autant de gallions ? Babeth a perdu la tête."
Des mains baladeuses palpent son buste et pincent la peau de ses hanches.
" - Il n'y a rien à manger là-dessus, je préfère quand elles sont plus volumineuses."
Hermione se tord contre son toucher dans l'espoir de le repousser.
" - Fermes-la Stan, ce qui compte, c'est que cette poule va nous permettre d'empocher un beau paquet de pognon. Dépêches-toi, il ne faut pas le faire attendre."
Le dénommé Stan lui donne une violente claque sur le fessier et ils se mettent en route, traînant la sorcière derrière eux comme s'il s'agissait d'un condamné à mort.
La pensée effraie Hermione ; mais heureusement elle n'a pas le temps de s'y attarder : un sortilège d'étourdissement s'abat sur le sommet de son crâne et la jeune femme perd à nouveau connaissance.
4 janvier 1999 | 8:07
La clarté de la pièce lui brûle les rétines et lui donne la nausée. Hermione plaque une main contre sa bouche pour refouler un haut le cœur et pousse un gémissement de douleur. Ses articulations sont douloureuses, le sang pulse trop bruyamment contre ses tempes et la lumière éclatante brouille sa vision.
Il lui faut plusieurs minutes de réflexion pour retrouver un semblant de calme. Elle analyse la pièce dans laquelle elle se trouve : le lit dans lequel elle est couchée, les vêtements propres qui recouvrent son corps, le soleil qui perce au travers des rideaux, l'heure indiquée sur le réveil, la chaîne attachée à sa cheville qui l'empêche de bouger davantage.
Elle est foutue, perdue. La première idée qui lui vient est douloureusement sinistre et pourtant trop réaliste ; elle finira dans le lit d'un mangemort, utilisée, souillée, usée. Depuis le début de la guerre, c'est une pratique courante. C'est là qu'est la place d'une vulgaire sang-de-bourbe ; aux pieds de son maître, soumise et silencieuse.
" - Mademoiselle est réveillée ! "
Un pop retentit dans la pièce. Hermione tourne la tête vers la porte et aperçoit brièvement un petit elfe de maison à la mine rabougrie.
" - Artie va immédiatement prévenir le maître que mademoiselle est réveillée. "
Un deuxième pop et l'elfe disparaît aussi vite qu'il est apparu laissant Hermione la bouche ouverte.
Elfe de maison , note intérieurement la jeune sorcière. Une preuve supplémentaire qui confirme ses soupçons ; depuis que le Seigneur des Ténèbres a mis la main sur le Ministère, les Elfes sont au service des sangs-purs uniquement. Et sans vouloir faire des généralités, 98% des sangs-purs sont des mangemorts.
4 janvier 1999 | 8:35
Hermione a eu le temps d'inspecter la chambre du sol au plafond à trois reprises ; parquet massif, tapisseries étincelantes, boiseries vernies, meubles imposants, épais rideaux de velours. La pièce empeste la richesse et la mondanité, lui donnant l'étrange sentiment d'avoir atterri par magie deux siècles auparavant . Lorsqu'elle entend des bruits de pas se rapprocher, elle s'attend presque à croiser l'une des héroïnes si chères à son cœur provenant d'un roman de Jane Austen ou Emily Brontë.
La porte s'ouvre et le visage d'Hermione se vide de toutes couleurs. Ses mains sont vides et sans défenses, sa cheville prise en étau ne lui laissant aucune échappatoire.
Dans un monde idéal, une époque différente voire même une dimension parallèle, Hermione pourrait comparer l'homme qui s'avance dans sa direction à l'inégalable Monsieur Darcy.
Le visage lisse et indéniablement hautain, le regard froid et méprisant, la posture droite et aristocratique, une chevalière monogrammée à l'annulaire, un costume trois pièces et des cheveux laminés.
Hermione se déteste d'avoir de telles pensées ; mais Circé, comme ce connard est beau. Il n'a plus rien à voir avec le gringalet qu'il était en sixième année, avec son teint maladif et son regard fuyant. Il a grandi, d'une tête si ce n'est pas plus. Ses épaules se sont élargies, droites et carrées, tout comme sa mâchoire. Son regard a toujours cette étrange teinte argentée qui s'associe parfaitement avec la blancheur de ses cheveux.
" - Granger."
La voix du Mangemort vient mettre fin à sa brève contemplation. La brunette secoue la tête et reprend très rapidement contenance lorsqu'elle se souvient de sa situation très précaire.
" - Malfoy."
Hermione crache son nom de famille comme s'il s'agissait d'un caillou s'étant glissé dans son ragoût.
" - Tu es réveillée."
L'expression de la sorcière se durcit tandis qu'elle rétorque :
" - De toute évidence."
L'héritier Malfoy ne semble pas surpris par le ton de la brunette. Il fait quelques pas supplémentaires dans sa direction, les mains dissimulées dans les poches de son pantalon.
" - Comment vas-tu ?"
Hermione se mord violemment la lèvre inférieure ; elle sait pertinemment qu'il est plus prudent pour elle de se contenir et éviter une éventuelle sanction. Cependant, l'envie de sauter du lit pour venir griffer violemment la peau pâle et sans imperfection du blond lui démange le bout des doigts.
Elle inspire, étudie vaguement ses traits imperturbables, et répond avec nonchalance :
" - Je suis enchainé à un lit comme un putain de chien en cage. Alors si tu pouvais passer directement aux raisons de ma présence ici et éviter les babillages inutiles."
" - Estime-toi heureuse d'être ici et pas ailleurs. Tu aurais pu tomber entre des mains bien plus sales que les miennes", rétorque-t-il d'un ton cassant.
" - Oh ! Alors je devrais probablement te remercier d'avoir sauvé ma dignité ? Me faire violer par un ancien camarade d'école sera effectivement beaucoup plus agréable. Quelle chance de ne pas avoir été choisi par un putain de vieux pervers ayant l'âge de mon grand-père ! Vos princesses aux sangs-purs ne vous suffisent pas ? Vous pensez être supérieur aux autres sorciers mais dans la finalité une chatte reste une chatte, pas vrai ? "
Pour la première fois depuis son arrivée dans la pièce, les traits de Draco s'animent. Ils grimacent à l'écoute de ses propos mais reprend rapidement son sérieux.
" - Je ne vais pas m'abaisser à ce type de comportement moyenâgeux. Je te conseille de redescendre où tu risques de le regretter. "
Sans prévenir, sans même vraiment réfléchir, Hermione s'élance vers Draco Malfoy et lui crache au visage. Avant même d'essuyer la bave qui dégouline le long de sa joue, le mangemort saisi sa baguette et jette un sort à la jeune femme. Hermione se retrouve propulsée vers l'arrière et une ribambelle de cordes s'enroulent autour de sa taille et de ses cuisses pour la maintenir fermement en place.
" - Maudite sorcière ! "
" - Putain de mangemort ! "
Il essui la bave qui dégouline le long de sa joue avec dégoût puis déclare d'un ton calme :
" - De toute évidence, tu n'es pas ouverte à la discussion. Je repasserais lorsque tu seras capable de te comporter comme une adulte raisonnable."
" - Tu risques d'attendre longtemps."
Draco lève les yeux et quitte la chambre sans ajouter quoi que ce soit.
4 janvier 1999 | 10:20
De toutes les familles de sang-purs, de tous les mangemorts de hauts rangs, il a fallu qu'Hermione se retrouve entre les mains de Draco Malfoy. Elle ne sait pas si elle doit rire ou pleurer, peut-être les deux.
Voldemort lui a peut-être fait une fleur ; c'est une chance que ses parents ne soient plus là pour assister à la chute de leur fille unique. S'ils savaient qu'elle finirait ainsi - esclave ou poupée - sa mère aurait perdu connaissance et son père serait allé chercher le fusil de chasse caché dans le sellier.
Mais ils sont morts, et c'est peut-être mieux ainsi.
4 janvier 1999 | 11:45
Hermione alterne entre des phases de colère et de tristesse. Elle pleure de désespoir jusqu'à ce que ce sentiment traître et inférieur soit progressivement remplacé par toute la rage qu'elle accumule depuis des années.
Elle se débat violemment contre les cordes qui la maintiennent mais ses efforts sont vains et les fils rugueux entaillent la peau de ses chevilles et de ses poignets déjà meurtris.
Elle se sent coupable et esseulée. Faible et pathétique.
Capturée et prisonnière alors qu'il s'agissait d'une simple mission de repérage.
Une débutante.
4 janvier 1999 | 12:00
" - Tu es prête à m'écouter ? "
" - Va te faire foutre. "
4 janvier 1999 | 12:30
Un deuxième elfe de maison fait son apparition. Il détache Hermione et la conduit en silence jusqu'à la salle de bain attenante avant de la faire asseoir sur le rebord des toilettes. La sorcière reste immobile plusieurs secondes mais lorsqu'elle comprend que l'elfe n'a pas l'intention de partir, elle capitule et fait ce qu'elle a à faire.
De retour dans la chambre, l'elfe l'autorise à s'asseoir dans le lit et noue de nouveaux liens autour de ses poignets et de ses chevilles.
Les quelques pas et la nouvelle position soulagent ses articulations endoloris mais la douleur refait rapidement surface.
4 janvier 1999 | 17:30
Hermione est fatiguée. Elle a faim. Elle a mal. Elle observe la fenêtre à la droite de son lit avec désespoir. La nuit est en train de tomber. Son estomac est vide et douloureux. Ses muscles sont plus raides que jamais.
Elle est prête à écouter les conneries de Draco Malfoy si cela lui permet d'obtenir une gorgée d'eau et un morceau de pain.
Artie, le petit elfe chétif, fait son apparition.
" - Le maître veut savoir si Mademoiselle consent à se calmer. Si Mademoiselle accepte de l'écouter sans agressivité, Artie apportera à Mademoiselle de la soupe et du thé. "
La jeune femme hoche frénétiquement la tête.
" - Je suis prête à l'écouter à condition de ne plus être enchaîné. "
Artie claque des doigts et les liens se dénouent.
Hermione frotte la peau bleutée et abîmée de ses poignets et s'étire longuement. L'idée de tenter une feinte lui traverse vaguement l'esprit, mais elle sait que le bâtiment doit être immense et elle ne veut pas risquer de tomber entre les mains de Lucius ou pire encore.
Malfoy finit par revenir et la sorcière se fait violence pour rester immobile face à lui car elle sait qu'une soupe et du thé sont en jeu et qu'elle est trop affamée pour désobéir et passer une nuit supplémentaire l'estomac vide.
" - Avant de commencer, je tiens à répondre à ton inquiétude principale : je n'ai pas l'intention d'abuser sexuellement de toi. "
" - Ta bite est trop prestigieuse pour une sang-de-bourbe ? "
Sa pensée lui échappe.
Lorsqu'elle comprend, au vu de l'expression de Draco Malfoy, qu'elle vient de dire cela à voix haute, Hermione se mord violemment la langue et lève les mains en l'air en signe de capitulation.
Le sorcier choisit volontairement d'ignorer sa provocation.
" - J'ai entendu dire que tu avais des talents de guérisseuse. C'est pourquoi… "
" - Je ne suis pas guérisseuse, déclare Hermione en lui coupant la parole. J'ai appris à soigner les blessés par la force des choses. Je n'ai pas eu le choix, parce que ton Seigneur a délibérément décimé toutes les personnes se trouvant à Sainte Mangouste. Soignants, patients, visiteurs : il n'y a eu aucun survivant. Mais je suppose que tu es déjà au courant de cette histoire, n'est-ce pas ? "
De nombreux mois ont passé depuis cette attaque lâche et destructrice, mais Hermione ne s'en est toujours pas réellement remise. L'ordre a perdu beaucoup de partisans et les silhouettes calcinées hantent encore ses cauchemars.
Après un long silence, Draco Malfoy se contente d'une réponse simple.
" - Cette attaque a été préjudiciable pour beaucoup de monde. "
La jeune sorcière secoue la tête vigoureusement pour chasser les souvenirs douloureux qui envahissent et polluent son esprit. Elle a besoin de lucidité pour comprendre sa situation et anticiper la suite de la conversation.
L'attitude de son ancien camarade est surprenante. La retenue dont il fait preuve à son égard est déstabilisante. Le garçon qu'elle a connu autrefois aurait profité de la situation pour lui faire comprendre à quel point elle était insignifiante. L'homme qu'il était supposément devenu, enhardi par la prise de pouvoir du Seigneur des Ténèbres, aurait dû l'humilier et la rabaisser plus bas que terre. Mais au lieu de cela, il fait preuve de patience et de sang-froid et les divers indices qu'elle a amassée depuis sont arrivés en ligne vers une hypothèse tout à fait probable : Draco Malfoy a besoin d'elle.
" - De quoi es-tu capable, Granger ? "
La concernée hausse les épaules, son expression se tord dans une fausse modestie qu'elle affiche depuis ses débuts à Poudlard.
" - Je peux recoudre des bras, soigner des brûlures, faire repousser des os…"
" - Rien d'extraordinaire. Qu'en est-il des blessures causées par la magie noire ? "
" - Tout dépend du type de malédiction. "
Elle a du mal à l'admettre, mais elle ajoute après une brève hésitation :
" - Mes connaissances sont limitées. Il n'y a pas beaucoup d'ouvrages dans les planques de l'ordre qui traitent de ce sujet. Et lorsque des membres sont touchés, j'ai rarement le temps de pouvoir les aider. "
Elle soupire en se remémorant la mort de Seamus Finnigan, survenue quelques mois auparavant. Touché par un sortilège dont elle n'avait pas connaissance, l'ancien Gryffondor avait pourri de l'intérieur en l'espace de quelques heures. Hermione n'avait rien pu faire pour soulager sa douleur ou ralentir le processus. Il était parti en martyr et sa mort hantait les esprits de tous ceux qui avaient assisté à sa lente agonie. Après Seamus, trois membres de l'Ordre avaient également succombé à cette sombre malédiction. Dans leur malheur néanmoins, ils avaient appris que le Mangemort qui avait tué les quatre résistants avait lui aussi succombé ; emporté par sa propre malédiction.
Les gens ont tendance à oublier que la magie à un prix. On ne reçoit pas sans donner. La magie est une source fluctuante, qui s'épuise et se tari si elle n'est pas bien contrôlée, trop utilisée, ou simplement mal manipulée. Et ainsi, le meurtrier devient le condamné.
" - Alors tu ne me serait d'aucune utilité, murmure Draco Malfoy, visiblement dépité par la révélation de la sorcière. "
Hermione étudie longuement l'expression du mangemort. Sa détresse évidente la laisse perplexe. Ce qui laisse supposer qu'il s'agit de quelqu'un qui lui est chère. Elle ne sait pas grand-chose concernant la vie de son ancien tyran d'école, mais elle se souvient distinctement des étroites étreintes auxquelles il avait le droit chaque nouvelle année sur le quai 9 ¾.
La brune se force à restreindre son agressivité et demande d'une voix :
" - S'agit-il de ta mère ? "
La perspicacité de la sorcière surprend le blond. Il lutte contre lui-même pour garder un air détaché, refusant d'ouvrir la porte de ses faiblesses à nulle autre qu' Hermione Granger.
Il fait trois pas en direction du lit sur lequel elle est assise ; le dos droit, les épaules raides, prête à l'attaquer en cas de nécessité.
" - En effet."
" - Tu as de l'influence et de l'argent. Tout ce qu'un homme peut désirer en temps de guerre. Et pourtant… Tu es prêt à t'abaisser aux pieds d'une sang-de-bourbe pour sauver ta mère ? Merlin, tu dois être vraiment désespéré. "
La mâchoire de Draco se contracte à nouveau ; un tic nerveux qu'il ne parvient pas à canaliser et qui se manifeste lorsqu'il a du mal à contenir son agacement face à une situation.
La brune se redresse, son corps fébrile chancelle légèrement lorsque ses pieds touchent le sol. Elle s'avance en direction de l'homme, la tête haute et le regard vindicatif.
" - Si j'accepte de t'aider, qu'ai-je à gagner ? "
Les doigts de l'héritier Malfoy se contractent autour de sa baguette. Sa mâchoire tic une fois de plus.
" - Ta liberté. N'est-ce pas suffisant ? "
" - Et si j'échoue ? "
" - Alors tu ne reverras plus jamais la lumière du jour. "
