Merci pour votre patience et navrée pour ce délai de publication ! Les derniers mois ont été compliqués niveau travail, donc je vais essayer de poster le maximum de chapitres avant la rentrée.
Ce chapitre n'est pas le plus prenant, avec encore beaucoup de blabla, mais nous allons à partir du prochain chapitre entrer dans la deuxième partie de l'histoire, avec de nouveaux personnages et beaucoup plus d'action.
Merci encore aux personnes qui me lisez dans l'ombre. J'espère que l'histoire continue de vous plaire !
Aux armes
Arien ne s'était pas encore montrée, mais le ciel commençait déjà à s'éclaircir à l'est de la forteresse. Le roi s'était rafraîchi, avait brossé sa longue chevelure et avait revêtu un justaucorps en soie bleu argenté. Il enfilait par-dessus une robe amarante quand il discerna le pas discret mais pressé de Seldir se déplaçant le long du hall des quartiers royaux.
Imlothiel avait réussi à persuader Thranduil de se reposer quelques heures et elle était restée à ses côtés pour veiller sur son sommeil. Depuis l'évasion des nains, il était resté en alerte, attendant des nouvelles de la traque, mais jusque-là, aucune des patrouilles de la défense intérieure n'avait trouvé trace des fugitifs.
Quand Seldir toqua finalement à la porte, Thranduil jeta un coup d'œil à Imlothiel qui, assise devant la coiffeuse, s'occupait de tresser en épi ses cheveux. Elle répondit à son regard par un hochement de tête et il commanda alors à son valet d'entrer.
Celui-ci ouvrit la porte doucement et se glissa dans l'encadrement sans un bruit avant de porter sa main à son front et de la faire glisser jusqu'à son menton pour saluer son roi et sa reine.
« Mon seigneur, ma dame.
— Heureuse rencontre, Seldir ! fit Imlothiel en adressant un grand sourire à l'elfe.
— Qu'y a-t-il ? questionna Thranduil en posant sur lui un regard expectatif.
— Sire, la courrière Gwelim vient d'arriver avec une lettre pour vous de la part du capitaine Legolas », répondit le valet en tendant un rouleau de parchemin au roi qui le prit d'un geste vif et le déroula sans attendre, se rapprochant d'une bougie disposée sur une malle pour lire son contenu.
Legolas était parti comme convenu deux jours plus tôt avec ses archers et archères pour essayer de retrouver les nains, et ce courrier était le premier rapport que Thranduil recevait de lui.
« Jour 44 de Iavas
Mon roi,
Nous avons atteint le village de Tegelon après avoir suivi la rivière sans trouver de trace des nains. Nous ne saurions dire s'ils sont passés par là, car nous n'avons trouvé qu'une paire d'empreintes étranges. Néanmoins, les elfes qui ont assuré le transport des tonneaux vers le lac nous assurent avoir vu la troupe de Thorin Écu-de-Chêne entrer dans la ville peu après eux, hier soir. Il semble que le maître d'Esgaroth les a accueillis à bras ouverts après qu'ils ont dévoilé leur but : reprendre Erebor.
Nous allons continuer le chemin vers la ville du lac ce soir pour vérifier ces informations, puis nous rentrerons à Taurothrond.
Que la grâce d'Ivann vous accompagne toujours.
Legolas »
Thranduil ferma les yeux et poussa un long soupir. Ce qu'il avait craint était arrivé. Les nains avaient repris leur route vers Erebor avec la ferme intention de reconquérir leur montagne, et ils allaient sans aucun doute réveiller le dragon et sa fureur par la même occasion. Mais maintenant qu'ils avaient atteint Esgaroth et que le maître de la ville les avait pris sous sa protection, il n'y avait rien que Thranduil pût faire, hormis attendre. Il pouvait bien assiéger Esgaroth et demander à ce qu'on lui livrât les nains, mais il n'était pas un despote, et même parmi son peuple, une telle action eût été difficilement compréhensible.
« Thranduil ? »
La voix inquiète d'Imlothiel le tira de sa réflexion et il ouvrit les yeux pour poser sur elle un regard qui se voulait rassurant.
« Tout va bien », fit-il. Pour le moment, pensa-t-il cependant. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer les conséquences que cela aurait. Il vit devant ses yeux la forêt brûlant ardemment et ses animaux s'enfuyant, leurs regards emplis de terreur. Il extirpa difficilement son esprit de ces images, concentrant son attention sur le valet.
« Seldir, continua-t-il, convoquez mes ministres en salle de conseil dans une heure, de même que les commandantes, commandants et capitaines de l'armée qui sont actuellement dans la cité.
— Bien… mon seigneur, répondit Seldir en fronçant les sourcils. Mais cela fait beaucoup de personnes.
— Vous avez raison, acquiesça Thranduil après un court moment de réflexion. Dans ce cas, faites libérer la grande salle. Nous y tiendrons conseil. »
Le roi dut réprimer un sourire compatissant en voyant le visage de Seldir blêmir. Une heure était peu de temps pour convaincre Galion de vider la grande salle qui avait déjà été préparée pour accueillir le repas des premières heures de la matinée, pour ensuite adresser des pages quérir les elfes que le roi attendait à ce conseil et qui se trouvaient à des endroits différents de la forteresse, ou encore dans les bois avoisinants.
« Seldir, fit alors Imlothiel en jetant un regard désapprobateur à Thranduil, je vais m'occuper de Galion. »
Et sans laisser le temps au valet de la remercier ou de contester cet allègement de charge, elle glissa hors de la pièce. Thranduil se contenta de lever un sourcil avant de fixer une nouvelle fois son regard sur Seldir.
« Faites également venir Laegryn et la commandante Arhaviel dans mon cabinet au plus tôt, continua-t-il, ce sera tout. »
Le valet acquiesça alors, s'apprêtant à sortir de la pièce, mais il fut une dernière fois interrompu par la voix de son roi :
« Seldir. »
L'elfe l'interrogea du regard d'un air expectatif.
« Merci.
— Je ne fais que mon devoir, sire. Et je le fais avec grand plaisir.
— Et pour cela, vous aurez toujours ma gratitude. »
Le valet adressa un sourire reconnaissant à son souverain, puis il le salua une nouvelle fois avant de sortir de la pièce, le laissant à ses réflexions.
Thranduil avait essayé de ne pas alarmer Imlothiel en lui assurant que tout allait bien. Mais il savait qu'en convoquant à la fois le conseil des ministres et les capitaines de l'armée, elle avait compris que la situation était grave. Il avait une annonce à faire et celle-ci ne pouvait attendre. Il soupira. La journée allait être longue et difficile. Mais ce n'était rien en comparaison des semaines à venir.
Il reposa son regard sur le courrier dans sa main, relisant les mots marqués avec l'écriture arrondie et pressée de son fils. Reprendre Erebor. Il s'y était attendu, il s'y était préparé. Alors pourquoi ces mots lui donnaient l'impression d'étouffer ? Pourquoi avait-il le sentiment d'avoir failli à ses devoirs et d'avoir attiré la ruine sur Eryn Galen ? Il prit alors une grande inspiration, serrant les poings pour tenter de stopper le tremblement qui avait pris ses mains. Il n'avait pas le temps de s'apitoyer sur ses erreurs.
Il sortit alors de ses appartements et se mit en route d'un pas pressé vers son cabinet qu'il atteignit rapidement. Il ne fut pas surpris de déjà y trouver Laegryn qui l'arpentait d'un air soucieux. Legolas avait dû lui envoyer le même message. En voyant la porte du cabinet s'ouvrir sur le roi, le maréchal arrêta sa déambulation et porta sa main à son front.
« Nous devons agir vite, lança-t-il avec aplomb.
— Laegryn, marqua Thranduil d'un ton volontairement neutre, si ta suggestion est d'assiéger la ville du lac pour les forcer à nous remettre les nains, ma réponse est non. »
Pour toute réaction, Laegryn leva les yeux au ciel en croisant les bras, mais le roi ne sût si cela était dû au fait de se voir attribuer une telle idée ou si c'était par déception. Peut-être un peu des deux.
« Nous ne pouvons pas les laisser attaquer le dragon, répliqua le maréchal.
— S'il s'avère que le peuple du lac a accepté de leur porter assistance, nous n'aurons peut-être pas d'autre choix.
— La colère de quelques personnages ne saurait nous empêcher d'assurer la sauvegarde de notre forêt ! Tu es pourtant le premier à le vouloir !
— Il ne s'agit pas seulement de la colère de quelques personnes. Ce serait une faute diplomatique qui nous coûterait peut-être autant que le courroux du dragon. A ton avis, quelle serait la réaction des peuples humains du Rhovanion(L), si nous en venions à assujettir leurs semblables ? Comment réagiraient les hommes et les femmes des bois qui vivent à la lisière d'Eryn Galen ? Et ceux et celles du Val d'Anduin et de la Celduin ? Ce sont des êtres susceptibles. Ils se méfient déjà de ce que nous sommes. Si nous leur donnons une seule bonne raison de douter de nos intentions, nous n'aurons plus comme alliés que nos proches de la Lothlórien. Et je ne tiens pas à faire dépendre notre survie de la seule volonté de Galadriel.
— Que penses-tu faire alors ? Négocier ? Nous n'avons rien à leur proposer contre la promesse d'une montagne d'or.
— En effet. Nous pourrions essayer de négocier, mais nous n'en tirerions rien. Nous devons donc nous préparer à affronter le dragon. »
Une ombre passa dans le regard de Laegryn. Thranduil savait que le souvenir qui le hantait depuis des semaines était aussi présent dans l'esprit de son ami.
« Est-ce vraiment ce que tu souhaites ? demanda celui-ci après un temps.
— Non. Peu de choses m'emplissent plus de craintes que de devoir lui faire face. Mais quel autre choix ai-je ? Je ne m'enfermerai pas dans ma forteresse à prier les Belain de faire en sorte que le dragon nous oublie. Cela fait bien longtemps que j'ai arrêté de croire que les Belain pouvaient nous aider. »
Laegryn ne répondit pas, se contentant d'acquiescer légèrement. Son regard était encore sombre et lointain. Thranduil devinait quelles images passaient devant ses yeux.
« J'ai demandé à Seldir de réunir un conseil de guerre. Je veux que l'armée soit mobilisée et prête dans trois semaines à quitter la forêt. C'est le maximum que nous pouvons nous accorder.
— Ce sera fait, répondit Laegryn d'un ton maussade, mais notre armée n'est pas équipée pour affronter un dragon. Nos armures de cuir deviendront cendre tandis que celles en métal cuiront nos elfes à point pour le palais du serpent.
— Je sais tout cela, Laegryn. Mais nous n'allons certainement pas attendre que notre forêt devienne la cible du cracheur de feu et de voir les arbres, les animaux et notre peuple mourir dans les flammes et la destruction. Notre armée se mettra en route dans trois semaines, et je chevaucherai à sa tête.
— Tu n'es pas obligé de…
— Sais-tu ce que je crains plus que de devoir faire face à un dragon ? Que les personnes qui me sont chères se retrouvent dans cette situation. »
Avant que le maréchal eût pu répondre, des coups se firent entendre sur la porte. Thranduil, qui s'était tenu face à Laegryn pendant leur discussion, vint prendre place derrière son bureau tout en ordonnant à la personne d'entrer. Ce fut la commandante Arhaviel qui poussa la porte d'une main, alors qu'elle tenait sur son autre bras un plateau. Elle salua le roi et le maréchal puis demanda :
« Vous m'avez fait appeler ?
— En effet, répondit Thranduil en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que cela ?
— Oh, Seldir m'a demandé de vous le remettre », dit-elle en exposant aux yeux de son roi le plateau qui était composé de baies, de pain et de confiture.
Thranduil acquiesça alors et la commandante vint poser le plateau sur son bureau à l'endroit qu'il lui indiqua puis elle recula pour remettre une distance respectueuse entre elle et lui.
« Merci, répondit le roi en faisant un signe de tête au maréchal pour lui signifier de prendre la parole.
— Nous avons reçu l'information selon laquelle les nains seraient arrivés à Esgaroth, dit alors Laegryn. La compagnie de Legolas est en ce moment en route pour vérifier que cela est vrai, mais elle rentrera juste après. Si cette information s'avère réelle, il vous faudra nous tenir au courant des agissements de Thorin et de ses compagnons en toute discrétion.
— Bien, mon seigneur. Je peux me mettre en route à midi avec plusieurs elfes. Mais que devrions-nous faire si les nains sortaient de la ville ?
— Rien s'ils sont sous la protection du maître, répondit Laegryn en jetant un regard désabusé à Thranduil. Sinon, nous aviserons le moment venu.
— Bien, mon seigneur. Y a-t-il autre chose ? »
Laegryn acquiesça, mais jeta un regard inquisiteur à Thranduil avant de parler :
« Attendez-vous à une longue mission. L'armée va être mobilisée et marchera vers Erebor d'ici trois semaines. Nous compterons sur vos elfes pour éclairer notre passage. »
Les yeux d'Arhaviel s'agrandirent, mais après un instant, elle hocha la tête. Elle comprenait donc l'objet du conseil qui venait d'être convoqué.
« Ce sera fait, mon seigneur. Attendez-vous ma présence au conseil ?
— Utilisez plutôt ce temps pour vous préparer. Vous pouvez disposer. »
Elle les salua alors et sortit sans un bruit du cabinet, laissant le monarque et son maréchal à leur discussion. Celle-ci ne reprit pas cependant et Thranduil en profita pour s'asseoir à son bureau et commencer à grignoter l'encas que lui avait préparé Seldir. La journée allait être longue et il n'aurait sûrement pas d'autre moment pour s'attabler. Laegryn l'observa un moment sans un mot, mais son visage affichait un air suspicieux.
« Comment arrives-tu à manger juste avant de déclarer la guerre à un dragon ?
— Nous sommes en guerre depuis deux millénaires, Laegryn. Si je ne mangeais pas à chaque fois qu'un danger se pointait à notre porte, Eryn Galen n'aurait plus de roi depuis bien longtemps. »
Laegryn le laissa alors à son repas, maugréant qu'il avait des choses à préparer avant le conseil, mais peu de temps après, ce fut Imlothiel qui entra dans le cabinet, prenant place face au roi.
« La grande salle a été vidée et un buffet a été disposé dans la grande clairière, annonça-t-elle, Galion s'occupe de la mise en place pour le conseil.
— Parfait, répondit Thranduil. As-tu mangé ?
— Quelque peu. Je suppose que ma présence est requise à ce conseil ?
— Bien sûr.
— Et je suppose également que les nouvelles ne sont pas heureuses ?
— Certes, admit Thranduil. Je crains que nous ayons une bataille à mener. Soit contre des nains, soit contre un dragon. L'armée partira dans trois semaines vers Erebor. »
Le silence se fit un instant pendant lequel Imlothiel le fixa d'un regard insondable. Elle poussa alors un soupir accablé.
« Dans ce cas, le hall de guérison suivra, affirma-t-elle d'un ton déterminé. Trois semaines ne sont que peu de temps pour réunir toutes les herbes et onguents nécessaires, mais nous ferons notre possible.
— Merci », répondit le roi en esquissant un sourire. Mais celui-ci n'atteignit pas ses yeux et Imlothiel fronça les sourcils en voyant son air presque abattu.
« Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle d'un ton alarmé. Quelque chose est-il arrivé à Legolas ?
— Nenni, notre fils va très bien et sera rentré d'ici une semaine si les Belain le lui permettent.
— Qu'est-ce donc, dans ce cas ?
— Je... commença-t-il en baissant les yeux sur son bureau. J'ai une faveur à te demander. »
Il n'eut pas le temps de l'exprimer que le visage d'Imlothiel s'éclaircit de compréhension, et avant même d'avoir entendu sa demande, elle s'exclama d'un air indigné :
« N'y songe pas, Thranduil, je ne resterai pas en arrière ! Je suis guérisseuse et ma place est auprès de notre armée.
— Je ne le sais que trop bien, mais j'ai besoin d'une personne de confiance ici pour gouverner le royaume en mon absence et le défendre si Bolg choisit ce moment pour attaquer.
— Tu as des ministres qui se feront une joie de se faire attribuer de telles responsabilités.
— Mais personne à qui je souhaiterais en donner. Il n'y a que toi qui as ma confiance absolue. Et puis, n'es-tu pas reine de ce royaume ?
— Consort. Ce n'est pas moi que notre peuple a choisie, mais toi, Thranduil.
— Et pourtant, notre peuple t'écoute et te suivrait tout autant que moi. Il a confiance en toi. »
Imlothiel ne répondit rien pendant un instant, se contentant de fixer son époux d'un air frustré en prenant de grandes inspirations. Puis finalement, elle demanda, d'un ton tranchant :
« Peux-tu me promettre que tu ne me demandes pas cela seulement pour me garder loin du front ?
— Par Elbereth et par Ivann, je te le promets, Melloth. Et pourtant les Belain savent que mon souhait serait de vous garder en lieu sûr, Legolas et toi. Mais je suis roi. Et quelle sorte de roi serais-je si je demandais à mon peuple d'envoyer leurs enfants ou leurs parents sous les flammes du dragon alors que je priverais notre armée de son meilleur archer et de sa plus talentueuse guérisseuse ? »
Thranduil leva alors son bras gauche au-dessus du bureau qui les séparait et tendit sa main vers Imlothiel qui l'observa d'un air hésitant. Il savait qu'il lui en demandait beaucoup. Son épouse était une elfe courageuse et obstinée. Et bien qu'elle le soutînt sans faille depuis trois millénaires, elle avait sa volonté propre. De plus, elle comprenait qu'il lui demandait bien plus que d'être sa reine régente pendant son absence, et qu'il tenait à s'assurer que le trône d'Eryn Galen lui reviendrait à elle, succombât-il contre le dragon.
Il la vit alors fermer ses yeux saillants quelques instants, puis après un soupir résigné, elle les rouvrit, brillants d'une lueur de détermination nouvelle et elle vint glisser sa main cuivrée dans la sienne, pâle comme l'ivoire, acceptant par ce geste la mission qui lui incombait.
« Ah, Thranduil, souffla-t-elle alors, ne t'avise point de rejoindre les cavernes de Badhron, ou tu peux être sûr que j'irai lui réclamer ta libération comme Lúthien le fit pour Beren(L). »
Cela le fit sourire. Il ne doutait pas qu'elle en fût capable. Lúthien avait chanté devant Badhron. Il imaginait qu'Imlothiel eût pu danser et émouvoir un Balan comme elle réussissait à l'attendrir, lui, à chacune de ses danses.
« Je ne puis te promettre cela, mais je ferai de mon mieux », répondit Thranduil. Il jeta alors un regard sur la bougie posée sur son bureau, et remarquant que l'heure du conseil était arrivée, il se leva, puis gardant la main de sa reine dans la sienne, il fit le tour du bureau et vint déposer un baiser sur son front. Il pourrait au moins partir avec la quiétude de savoir son royaume entre de bonnes mains.
Thranduil tira alors Imlothiel doucement pour qu'elle se levât, puis il la guida vers le fond du cabinet, où une grande tapisserie adornait le mur de pierre. Soulevant l'extrémité du panneau, le roi et la reine passèrent alors à travers une ouverture dérobée qui donnait sur un étroit corridor sombre et vide, éclairé uniquement par quelques torches. Les deux elfes le longèrent alors et finirent par se retrouver devant une autre ouverture, également dissimulée derrière un lourd tissu ornementé. De l'autre côté, la rumeur de voix animées se faisait entendre, certaines se plaignaient d'avoir été convoquées dans un délai si court, d'autres exprimaient leur inquiétude. Rares étaient fois où les ministres et les capitaines se réunissaient lors d'une même assemblée. Cela leur signifiait que la situation était belle et bien grave.
Le roi jeta un dernier regard à son épouse, qui hocha la tête pour lui signifier qu'elle était prête à assumer sa responsabilité. Il sourit alors, se demandant si lui-même allait pouvoir endosser son rôle. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas conduit son armée hors d'Eryn Galen. Depuis trois mille ans, ses troupes défendaient les frontières du royaume au sein même de la forêt. Elles avaient mené de très nombreuses escarmouches, mais jamais encore n'avaient-elles quitté la protection des arbres pour combattre.
Du moins, pas depuis la Dernière Alliance et nombre d'elfes qui composaient actuellement l'armée du roi n'avaient alors pas encore vu le jour, ou bien avaient été trop jeunes à cette époque-là. Beaucoup de guerriers et guerrières avaient péri durant cette guerre, et ceux et celles qui avaient survécu n'avaient pour la plupart plus jamais tenu d'arme, alors invalides ou mélancoliques des horreurs du Mordor.
Thranduil repoussa alors le pan de la tapisserie et se retrouva dans le fond de la grande salle de Taurothrond. Suivi de près par Imlothiel, il s'avança dans la vaste pièce caverneuse, devenue silencieuse à leur entrée, puis il vint se tenir devant son siège en bois sculpté qui lui servait de trône. Toutes les tables qui servaient habituellement aux repas avaient été poussées derrière les piliers de part et d'autre de la salle, et en son centre, des chaises avaient été placées en un demi-cercle, toutes faisant désormais face au roi.
Les elfes se trouvant dans le hall, ministres ou capitaines dont les discussions avaient été avortées par l'arrivée du roi, vinrent alors prendre place devant leurs sièges. D'un coup œil rapide, Thranduil constata avec satisfaction que la plupart des chaises étaient occupées, ce qui signifiait que seule une minorité de personnes n'avaient pu répondre à son appel. A l'autre bout de la pièce, les grandes portes étaient déjà closes et il vit Seldir s'approcher de lui.
« Sire, le commandant Celeduil est encore sur la frontière orientale et la capitaine Miruin est sortie en patrouille ce matin. La commandante Lothuil est rentrée dans la nuit et devrait arriver sous peu. Quant au capitaine Nelorn… Le seigneur Laegryn m'a avisé de ne point le convoquer.
— Très bien, merci Seldir.
— Avez-vous besoin d'autre chose ?
— Non, cela ira, vous pouvez disposer. »
Le valet se retira après l'avoir salué, de même qu'Imlothiel qui se tenait à présent à sa droite. Le roi fit alors signe à l'aréopage de ministres et de capitaines de s'asseoir, ce qui se fit d'un même mouvement et sans autre bruit que celui du bruissement des robes et des uniformes. Il resta debout néanmoins, faisant voyager son regard sur chacune des personnes présentes avant de se décider à prendre la parole d'une voix caverneuse :
« Comme vous le savez, la compagnie de treize nains que nous retenions captive dans nos sous-sols a réussi à s'échapper il y a de çà deux jours de façon tout à fait… équivoque. Et bien qu'il n'ait jamais daigné se présenter, il n'y a plus de doute sur le fait que le chef de cette troupe était Thorin Écu-de-Chêne, petit-fils de Thror, dernier roi d'Erebor. Cela était la raison pour laquelle il ne nous était guère envisageable de les laisser partir.
« Ce matin, nous avons reçu l'information selon laquelle les nains seraient arrivés à Esgaroth et auraient été accueillis par le maître de la ville. Et ce que nous craignions semble se confirmer : Thorin Écu-de-Chêne projette de reconquérir Erebor. »
Il marqua une pause, faisant résonner un silence assourdissant sur les parois de la haute pièce caverneuse. La plupart des elfes le fixaient avec des airs soucieux, d'autres avaient des regards confus. Au fond de la salle, la grande porte s'entrouvrit et se referma dans un bruit tonitruant, laissant entrer une elfe en uniforme. Le roi l'ignora cependant, reprenant son allocution :
« Mais que compte-t-il faire contre le dragon qui y a élu domicile ? Cela nous l'ignorons. Et cela nous inquiète. Comment treize nains se mesureraient à Smaug sans craindre de finir en cendre ? Et surtout, que ferait l'imprévisible cracheur de feu, une fois réveillé et provoqué ? Se contenterait-il de s'occuper de ceux qui l'auront dérangé ou chercherait-il à se venger et à détruire pour prouver sa puissance et sa domination ? Quels peuples seraient alors pris pour cible ?
« Si les nains atteignent la montagne, Esgaroth tombera en ruine et Eryn Galen sera réduite en cendre. Il nous faut donc enrayer le projet d'Écu-de-Chêne ou en subir les conséquences. »
Thranduil fit une deuxième pause dans son discours, laissant à nouveau errer son regard perçant sur les elfes qui l'avaient écouté avec toute leur attention. Mais il voyait à présent la crainte dans leurs yeux, bien qu'il ne pût deviner s'il s'agissait de l'appréhension d'imaginer leur forêt brûler ou celle de l'annonce qu'il allait leur faire.
« C'est pourquoi, reprit-il d'une voix très lente, je demande au conseil la mobilisation de l'armée de réserve à hauteur de deux milliers d'elfes. »
Un hoquet de surprise se fit entendre, mais le reste de l'assemblée resta silencieuse alors que des regards abasourdis s'échangeaient parmi elle. Seul Laegryn, qui siégeait à la gauche de Thranduil, gardait un visage imperturbable, fixant néanmoins ses capitaines avec un regard sévère.
Après quelques instants de confusion, ce fut Berethuil, la sénéchale du royaume, qui se leva lentement de son siège, interrogeant le roi de son regard pondéré, attendant d'obtenir la parole. Thranduil la fixa puis hocha la tête pour lui signifier de s'exprimer.
« Loin de moi l'idée de vous contredire en quelque façon, sire, mais… il ne semble pas opportun de mobiliser tant d'elfes pour arrêter treize nains.
— Parce qu'il ne s'agit pas de treize nains, dame Berethuil, répondit alors Laegryn en se levant à son tour. Il s'agit de Thorin Écu-de-Chêne, petit-fils de Thror, de la lignée de Durin. Qui sait quelles alliances le protègent encore ? Attend-il une armée de nains des Emyn Angren? Ou compte-t-il au contraire tuer le dragon comme Turin transperça Glaurung(L) ? Quelles sont les chances d'une armée naine contre Smaug le terrible ? Nous ne pouvons attendre de connaître avec précision les projets d'Écu-de-Chêne, car cela pourrait signifier la ruine de notre peuple.
— Ainsi, devons-nous nous attendre à faire face à une armée de nains ou à un dragon ? » demanda la commandante Lothuil. Celle-ci avait discrètement gagné son siège pendant que Thranduil avait parlé. Laegryn ne répondit pas à sa question cependant, tournant à la place le regard vers son roi. Celui-ci retint un soupir. Il lisait la confusion sur le visage des elfes et il savait que gagner leur confiance ne serait pas aisé. Il devait utiliser les bons mots.
« Depuis plus d'une ên, Smaug a été une menace sur toute la région. Une menace dormante, mais une menace néanmoins. Une qui pourrait détruire la forêt d'un seul souffle, et avec elle tout ce qu'elle abrite : elfes, hommes et animaux. Smaug doit périr. Par notre main ou celle de Thorin Écu-de-Chêne, peu importe, mais il est temps de rayer cette menace de la carte.
« Devrons-nous pour cela nous allier à des nains ? Cela se peut. Devrons-nous souffrir de la perte de nombre de nos proches ? Probablement. Mais nous ne perdrons pas encore une fois notre foyer. »
Ce fut alors le trésorier Beleg qui se leva, et Thranduil sut d'avance ce qu'il souhaitait dire, donc il continua :
« Il est vrai que la levée de cette armée nous coûtera toutes nos ressources. L'hiver sera rude et nous devrons nous attendre à une disette. Mais notre royaume a surmonté des obstacles bien plus contraignants, et un hiver pendant lequel nous devrons nous serrer la ceinture est une image qui me sied plus que de voir Eryn Galen en flamme.
— Dans ce cas, dit Beleg après avoir jeté un bref coup d'œil à ses confrères et sœurs, nous ferons le nécessaire pour établir un plan de rationnement et évaluerons toutes les possibilités que nous avons pour maintenir nos ressources. Il est heureux que le seigneur Elrond ait accepté de nous laisser un délai de paiement pour les armes commandées. »
L'elfe s'inclina puis se rassit tandis que Celondir, le maître d'armes, se levait à son tour pour prendre la parole.
« Ainsi, sire, vous souhaitez marcher sur Erebor ?
— Si cela s'avère nécessaire, oui, répondit Thranduil.
— Mais que fait-on de Bolg ? N'est-il pas en train de réunir une armée à Gundabad ? Ne serait-il pas risqué de laisser la forêt sans protection ?
— C'est une inquiétude légitime, maître Celondir. Cependant, nos frontières resteront bien gardées. Il n'est pas question, en marchant vers la montagne, de démunir les gardes-frontières ou la défense intérieure de leurs forces, mais de les renforcer. Un plan de défense sera mis en place avant notre départ poutre contrecarrer toute éventuelle attaque. »
Berethuil se leva alors une nouvelle fois mais sembla hésiter avant de poser sa question :
« Vous mènerez cette armée ?
— En effet, et le seigneur Laegryn m'assistera dans cette tâche. »
La sénéchale fronça les sourcils, échangeant un regard avec les autres elfes de l'assemblée, mais le roi reprit la parole avant qu'elle eût pu questionner la sagesse de cette décision :
« Comme je l'ai dit, la forêt ne restera pas sans protection. En mon absence, dame Imlothiel assurera la régence du royaume, et prendra ainsi les mesures nécessaires à sa défense. »
Les elfes de l'assemblée tournèrent leurs yeux vers la reine qui fixait quant à elle Berethuil avec un regard déterminé. La sénéchale resta silencieuse quelques instants, semblant chercher une raison de protester cette décision, mais finalement elle acquiesça puis demanda :
« Quand devra être prête cette armée ?
— Nos troupes devront se trouver dans trois semaines au plus tard sur le champ de Taeloen qui se trouve à la lisière orientale. C'est pourquoi il nous faut commencer dès aujourd'hui à nous préparer. »
Des murmures furent alors échangés dans la salle entre les ministres, et le roi les laissa courir. Après quelques moments de débats marmonnés, Berethuil fit signe à ses collègues de se taire, et leur demanda d'une voix claire :
« Qui parmi vous s'oppose à la levée d'une armée de deux milles elfes dans le but de mettre à bas le dragon Smaug ? »
Son regard parcourut chaque membre de l'assemblée, mais personne ne fit un geste ou parla pour protester. Enfin, les yeux de Berethuil revinrent se poser sur le roi et elle déclara :
« Le conseil de guerre consent à la mobilisation de l'armée. »
Il s'était attendu à cette décision et, pourtant, Thranduil se sentit écrasé par cette issue. Il savait que c'était la meilleure action à prendre, mais il ne haïssait pas moins l'idée de mener ses elfes faire face à un cracheur de feu. Combien périraient ? Combien reviendraient ? Survivra-t-il une nouvelle fois ? A sa droite, il sentit la main rassurante d'Imlothiel se poser fermement sur son bras.
Lexique :
- Rhovanion (canon) : Contrée Sauvage. Nom de la région qui s'étend de l'est des Monts Brumeux jusqu'à la mer de Rhûn, puis des montagnes grises au nord jusqu'au Rohan. La région comprend notamment le Vertbois, la Lothlorien, Erebor, Esgaroth, les Collines de Fer, le Val d'Anduin, etc.
- Lúthien et Beren (canon) : L'histoire de Beren et Lúthien est contée notamment dans le Silmarillion. Lúthien était la fille du roi Thingol de Doriath, roi des Sindar. Elle était considérée comme la plus belle elfe au monde, mais est tombée amoureuse de l'homme Beren. Pour les séparer, Thingol demande à Beren de lui ramener un Silmaril, un joyau confectionné par Feanor, mais alors détenu par Morgoth. En ramenant le Silmaril à Doriath, Beren est tué et Lúthien se laisse mourir de chagrin. Elle chante alors devant le Vala Mandos et l'émeut assez pour qu'il leur donne une deuxième vie mortelle en Terre du Milieu.
- Turin et Glaurung (canon) : L'histoire de Turin est contée dans le Silmarillion et les Enfants de Hurin. Glaurung était le premier des dragons créé par Morgoth, capable d'ensorceler ses ennemis. Il ensorcelle Nienor, la sœur de Turin qui ne l'a jamais connu, lui faisant perdre la mémoire. Turin trouve Nienor et tous deux tombent amoureux et se marient. Quand Turin blesse mortellement Glaurung en le transperçant par en-dessous, celui-ci lève le sortilège et Nienor se rend compte qu'elle a épousé son frère et se suicide. Glaurung est inspiré par le dragon Fafnir de la Volsunga Saga, en notamment la façon dont il est tué par Sigurd.
