Chapitre 24

Les bons jours étaient devenus plus fréquents que les mauvais. Mais ça ne voulait pas dire que les mauvais avaient disparus.

Il y avait les mauvais jours et il y avait les pires.
Ce jour était l'un des pires.

Boya s'était réveillé avec une affreuse douleur au niveau des yeux. Il avait l'habitude d'avoir mal à cet endroit. Tellement qu'il n'y prêtait même plus attention depuis bien longtemps. Normalement, c'était plus une pression qu'une vraie douleur. Comme si ses yeux étaient trop gros pour leurs orbites. Boya savait que c'était les cicatrices à l'intérieur de ses orbites qui posaient problème. Les guérisseurs lui avait dit qu'avec le temps, la sensation devrait disparaitre. Boya en doutait mais il avait l'habitude de l'inconfort physique depuis si longtemps qu'il n'y prêtait pas réellement attention.
Alors quand c'était la douleur qui le réveillait comme ce matin, il peinait à conserver son apparence calme et tranquille. Il préférait s'isoler.

Ne le voyant pas venir déjeuner, son Shixiong envoya son shishen voir s'il avait un problème.

Quand il n'obtient pas de réponse lorsqu'il insista à la porte, Xiao PaoMo prit sur lui de passer par une des fenêtres.

"- Boya Daren ?"

"- Laissez-moi tranquille." Le ton était ouvertement douloureux.

La douleur de ses yeux s'était lentement développée avec une migraine monstrueuse en prime.

Lorsque Xiao PaoMo le força à se sortir le nez de ses couvertures, il s'alarma de voir son visage gonflé et rouge, avec des lignes d'infection autour de ses yeux et une respiration de plus en plus laborieuse.

"- Je vous emmène à l'infirmerie."

Boya eut beau protester, le shishen le porta en courant sans lui laisser le choix jusqu'à l'infirmerie. A peine le guérisseur en chef avait-il vu son état qu'il lui faisait avaler un somnifère puis appelait ses apprentis pour qu'ils l'aident à déshabiller Boya, le plonger dans un bain pour le laver du poison qui avait été mis dans ses draps et lui faire avaler des tisanes calmantes pour soulager ses poumons qui se remplissaient lentement de liquide.

Lorsque Boya se réveilla, il se sentait mieux.

Il ne voyait pas les regards inquiets autour de lui.

"- J'avais juste un peu mal à la tête, c'est tout." Il détestait faire s'inquiéter les gens.

"- Boya…"

"- Vous avez fait une allergie qui a failli vous tuer, Boya Daren." Coupa le guérisseur avec un regard meurtrier pour le chef de secte. "Il y avait de la poudre de lys des marais partout dans vos draps."

Boya ne comprenait pas. De la poudre de quoi ?

"- Vous ne savez pas ce que c'est ?"

"- Non ?"

"- Vous avez mis quelque chose dans vos affaires dernièrement ?"

"- …. Je ne crois pas ? Enfin… On m'a offert de l'encens il y a quelques jours." Et il en avait fait brulé pour la première fois hier. "… Ho…."

"- Qui vous a offert ça ?"

"- Je ne sais pas, je l'ai trouvé dans ma chambre. Il y avait juste un petit mot comme quoi c'était un cadeau." Et il ne s'était pas méfié.

Il n'aurait pas imaginé avoir besoin de se méfier ici ! A JingYun, évidemment. Mais ici ? Ça lui faisait de la peine.

Zhong Xing avait serré les mâchoires.

"- J'irais au fond de cette histoire. Tu aurais pu mourir, Boya." Et tout le monde dans la pièce ou presque à part Boya avait le même coupable potentiel en tête. "Ça ne serait pas arrivé si tu avais un shishen." Parce qu'un shishen aurait su d'instinct qu'il y avait un danger pour son maître.

Boya pinça les lèvres.

"- Je n'ai pas besoin d'un shishen. Je me débrouille très bien." C'était vrai. Pour le combat. Mais dans un cas comme celui-là ?

"- Un shishen est censé protéger ton dos, Boya. Ce n'est pas une faiblesse que d'avoir un shishen avec soi."

Lui en avait bien deux !

Gold Spirit secoua la tête lorsque son maître voulu en remettre une couche. Gold Spirit était le shishen du chef de secte du yin yang depuis la fondation de la secte. Il avait accepté le poste d'être le shishen de chacun des chefs de secte, l'un après l'autre. Il veillait sur Zhong Xing depuis presque cinquante ans maintenant. Son jeune maître était encore trop impétueux parfois. C'était le genre de cas où il fallait de la délicatesse et de la conciliation. Là, il n'allait que braquer Boya plus qu'il ne l'était déjà. Boya appellerait son shishen à lui lorsque le moment serait venu. Pas avant. Il n'avait pas grandi pour attendre ce moment. Il fallait qu'il comprenne, non qu'avoir un shishen serait un bénéfice pour lui, mais que l'avoir pour maître serait un bénéfice pour quelqu'un.

Boya avait la protection de l'autre bien trop chevillée au corps pour refuser quelqu'un qui aurait besoin de lui. Il fallait juste qu'il le comprenne seul. Le lui expliquer ne ferait que le braquer davantage en lui donnant l'impression qu'on voulait le manipuler. Mais pour l'instant, ce n'était pas ce qui était important.

"- Vous devez vous reposer, Boya Daren. Vous allez avoir quelque chose d'important à faire d'ici une dizaine de jours."

Boya piquait du nez bien qu'il ne soit réveillé depuis peu. Sa cultivation travaillait de toutes ses forces à évacuer les derniers fragments de poison qui avait irrité tout son corps.

"- Quelque chose d'important ?"

"- Vous en discuterez avec les concernés quand vous serez reposé."

"- Mais…" Il était curieux maintenant. On ne pouvait pas lui agiter quelque chose sous le nez et refuser de lui dire quoi ensuite ! C'était cruel !

"- Remettez-vous et vous le saurez."

Boudeur, Boya se laissa border par Gold Spirit. Il s'endormit à nouveau comme une masse, sans même avoir besoin de somnifère.

Une fois sûr qu'il dormait bel et bien, l'inquiétude apparue sur tous les visages.

"- On pense tous à la même personne n'est-ce pas ?"

Est-ce que He Shouyue irait jusqu'à tenter de tuer quelqu'un qu'il considérait comme un rival ? Zhong Xing refusait l'idée. Son fils était un ronchon trop gâté. Mais un assassin ? Non, il refusait de le croire. S'il était responsable, il était sûr que c'était une blague qui avait mal tournée mais sans volonté de nuire. Il voulait y croire.
Comme il n'y avait pas de preuve non plus, personne ne dit rien. He Shouyue était un sale môme. Tout le monde le savait et l'acceptait. Mais de là à aller jusqu'au meurtre ? Même s'il était la première idée qui était venue à tout le monde, pouvait-elle être réellement vraie ?
Après tout, Boya recevait pas mal de visite dans sa chambre à présent. Il avait de la compagnie galante presque tous les soirs. Se pourrait-il que ce soit un cadeau d'une de ses amantes d'un soir ? Et que ce soit vraiment une erreur ?
Zhong Xing allait investiguer.

Dans son lit, Boya dormait tranquillement sans réaliser encore pleinement qu'il était passé très proche de la mort une fois de plus.

"- GEGE !"

Boya se fit tacler au sol par six adolescents entre douze et quatorze ans. La petite troupe de juniors vibrait d'enthousiasme et d'énergie. Le petit groupe était atypique, même au sein du bureau, parce que ses membres avaient tous au moins un shishen, ce qui était mine de rien très jeune. Comme ils avaient de quoi être défendus et qu'ils avaient réussi leurs examens aussi bien théoriques que les armes à la main, les anciens et le chef de secte avait accepté leur pétition de partir en Chasse Nocturne à leur jeune âge.

Les habitudes de la secte nord étaient de ne pas envoyer de jeunes sur le terrain avant leurs vingt ans. La vie était trop dure et trop dangereuse dans le nord pour risquer des jeunes plein d'avenir avant qu'ils ne soient des adultes.

Là, si leur demande avait été acceptée, c'était uniquement parce que le printemps était très en avance, que la température était au-dessus de zéro en journée presque tous les jours depuis une semaine, que les rapports qui demandaient une intervention ne semblaient pas trop mauvais et qu'ils auraient avec eux trois séniors et un maître pour les accompagner.

"- Boya Daren, vous êtes prêt ?"

Les trois séniors étaient un peu mal à l'aise. Ils avaient l'habitude des Chasses Nocturnes, si tant est qu'on pouvait appeler Chasses Nocturnes les rondes qui en général qui se terminaient sans la moindre anicroche que les nordistes faisaient autour de la secte. Mais en général, ils étaient seuls avec leurs shishen. Et surtout… Ils n'avaient pas un aveugle avec eux !

"- Prêt pour quoi ?"

Boya était perdu. On ne lui avait rien dit, on lui avait juste demandé de se présenter aux sous-sols à son Shixiong pour des ordres.

Shao Zhiqiang sortit de son bureau avec son shishen derrière lui.

"- Vos paquetages sont prêts, chacun le vôtre. Vous partez pour la ville de Shenzhou. L'un de vous a-t-il une référence visuelle pour le portail ?"

"- Oui, moi !" L'un des trois séniors connaissait bien le coin.

Il était né dans le village voisin avant que ses parents ne l'envoient au temple parce qu'ils étaient une famille de onze enfants et qu'il était le dernier. Une bouche de moins à nourrir, l'hiver, ça pouvait faire la différence entre la vie et la mort de tous les autres. Alors pendant un hiver particulièrement rude, il avait été confié à un Maître de passage. Le sénior savait que ses parents lui avaient probablement sauvé la vie. Il avait de bonnes relations avec eux et passait les voir au moins deux fois par an. Ses deux frère ainés avaient déjà prévu de lui envoyer leurs cadets s'ils avaient plus de quatre petits maintenant qu'ils étaient mariés.

"- Parfait."

"- Attendez…" Se troubla Boya. Qu'est-ce qu'il faisait là.

"- Votre mission consiste à découvrir ce qui se produit depuis quelques semaines dans la mine au sud de la ville. Il n'y a pas eu de morts mais plusieurs blessés. D'après les descriptions, ce serait soit une hantise, soit un esprit malin."

"- Shixiong."

"- Vous devrez laissez les juniors investiguer mais les surveiller et leur offrir toute l'assistance nécessaire."

"- SHIXIONG !" Insista Boya.

"- Boya Daren sera votre soutien logistique et militaire si la situation devait mal tourner. Il a également la meilleure expérience de toute la secte en ce qui concerne les Chasses Nocturnes."

Boya commença à paniquer. Il ne pouvait pas encadrer une chasse nocturne ! Encore moins avec des enfants ! S'il devait leur arriver quelque chose….

"- Yuan Boya, vous avez la responsabilité de ramener ces enfants à la maison sans une seule égratignure. Leur vie et leur apprentissage est entre vos mains." La voix de Shao Zhiqiang était froide et stricte. C'était le ton qu'un maître de JingYun utilisait pour donner ses ordres. On ne discutait pas les ordres. On obéissait.

Boya ferma son clapet, avala sa salive et hocha sèchement la tête. On lui avait dit de se préparer avec ses armes. Il avait cru à un entrainement, pas une Chasse. Mais s'il le fallait, il ferait de son mieux. Quitte à se faire tuer pour laisser le temps aux séniors d'ouvrir les portails qui permettraient d'évacuer les enfants.

Shao Zhiqiang laissa son shishen faire la distribution des paquetages. Boya fut rassuré de les trouver identiques à ceux de JingYun. Il comprenait un peu mieux ce que son Shixiong voulait dire quand il lui avait dit en riant qu'il s'occupait de préparer les chasses et les voyages. Même les yeux fermés, Boya aurait trouvé tout ce qu'il y avait dans la poche qiankun qu'il rangea dans sa manche. Il y avait été entrainé justement. En situation désespérée, il trouver un bandage à tâtons dans un sac dévasté pouvait être la différence entre la vie et la mort.

Gu ShenHong ouvrit le portail pour le village qu'il avait plus d'une fois traversé avec ses parents quand il était petit. Il passa le portail suivit par les enfants, ses deux collègues, puis Boya ferma la marche.

Il arrivait à passer les portails tout seul maintenant.

A peine était-il passé de l'autre côté que Boya concentra sa cultivation sur ses sens pour les augmenter et voir le qi résiduel autour de lui. Il ne '"voyait" que des contours plus ou moins gris, les masses lumineuses des autres disciples, mais c'était suffisant pour qu'il puisse naviguer sans trop de mal.

Comme il ne connaissait pas la ville, enfin, le gros village, il laissa Gu ShenHong prendre la tête.

"- Où allons-nous ?" Demanda-t-il

Dans une circonstance comme celle-ci, on commençait par aller voir le chef de village puis aller se renseigner à l'auberge.

"- Et bien… La mine est à l'Est.."

"- Non." Coupa Boya. "On ne va pas foncer tête baissée sans savoir où on va ni ce qu'on va rencontrer."

"- Mais…"

"- C'est qui le chef d'équipe ?" Aboya Boya, son angoisse soudain disparue devant les habitudes dangereuses des gamins.

"- Vous mais… Enfin… C'est honorifique vous savez."

"- Et bien dites-vous que je suis dans cet état alors que nous avions faits toutes les reconnaissances du monde. Alors imaginez si nous n'avions rien fait ?"

Les trois séniors échangèrent un coup d'œil. Non mais évidemment, si on voyait les choses comme ça aussi…

"- Alors on commence par quoi ?"

"- Le chef de village, puis l'auberge, le responsable de la mine, puis on se replie jusqu'à demain matin pour établir une stratégie."

Boya ne s'en rendait pas compte parce qu'il avait mine de rien l'habitude, mais son ton s'était fait plus sec et plus cassant. Il avait pris les rênes de la situation sans même y penser.

Meng JingYi, la grande sœur des deux juniors, protesta gentiment

"- Cette chasse doit donner de l'expérience aux enfants. Si vous faites tout…"

Boya pencha la tête. Elle avait raison.

"- C'est vrai. Veuillez pardonner mes reflexes. Les enfants ? Vous êtes six. Vous allez vous séparer par groupes de deux. Avec un sénior pour vous accompagner. Un groupe va aller voir le chef de village. L'autre interroger les gens à l'auberge et le dernier groupe avec le responsable de la mine. Vous devrez noter ce qu'on vous dit suffisamment bien pour pouvoir faire votre rapport aux autres. Vos informations doivent nous permettre de préparer notre plan d'attaque. Alors soyez bien sûr de retenir la moindre information. Le moindre détail qui vous semble insignifiant peut être affreusement important et notre vie à tous en dépendre."

"- Oui Boya Daren."

"- Faites vos groupes et allez-y. Meng JingYi. Vous n'accompagnerez pas le groupe de votre frère."

La jeune femme hésita une seconde mais c'était logique.

"- Bien Boya Daren."

"- Et vous, qu'allez-vous faire ?"

Boya y réfléchit. Il ne voulait pas accompagner un des groupes pour ne pas les gêner ou leur souffler sur la nuque.

"- Je vais faire le tour de la ville. Vous avez tous des feux d'artifice si nécessaire, n'hésitez pas à les utiliser. Faites attention. Préférez-vous retirer que de vous mettre en danger. Surtout le groupe qui va près de la mine. Appelez vos shishen si vous avez le moindre doute ou la moindre hésitation et utilisez leurs capacités comme vous savez le faire. Il n'y a pas de gloire dans une chasse. Juste la protection et la survie." Ce qui était bien différent de ce qu'enseignait la plus part des autres sectes qui voyaient dans les chasses un moyen facile de se faire de l'argent et de se faire connaitre. Tout au moins pour les sectes les plus petites. Les quatre sectes cardinales de l'Empire n'avaient pas besoin de ça.

Les trois groupes s'organisèrent très vite puis se séparèrent. Boya resta immobile quelques minutes pour percevoir du mieux possible tout ce qui était autour de lui. Dans ses cuirs de chasse totalement blanc, avec son chapeau de chasseur totalement blanc aussi, son épée blanche, son fourreau blanc et même son arc blanc, Boya était aussi impressionnant que fascinant pour les habitants qui s'écartaient devant lui pour le laisser passer. C'était surtout le bandeau blanc brodé d'un phénix rouge et la canne en métal qu'il utilisait pour se déplacer sans heurt qui fascinait. L'homme était un chasseur mais un chasseur aveugle. Un cultivateur comme ils en voyaient souvent, mais un aveugle quand même. Pourtant, il bougeait aussi naturellement que s'il avait sa vue. Juste peut-être un peu lentement.
Boya s'arrêta devant un étal de bonbons. Il avait senti le sucre chaud en train d'être satiné par l'artisan

"- Bonjour ?"

"- Daren ?"

"- Je voudrais un sachet de bonbons pour mes shidi." Ils le mériteraient s'ils travaillaient bien.

Boya avait toujours fait ainsi. Il donnait des bonbons ou des gâteaux à ses cadets pour les féliciter. Il les encourageait de la voix aussi et allait même jusqu'au leur tapoter gentiment la tête. Ça marchait bien avec les chiens aussi.

Boya paya le paquet qui disparut dans sa manche. Ses vêtements étaient ajustés bien sûr, mais ses robes d'extérieur étaient coupées pour lui tenir chaud tout en étant fonctionnelles. Ses manches étaient plus larges que sur son ancien uniforme, mais assez large pour qu'il puisse y ranger sa bourse et accéder à la poche qiankun qui y était cachée sans le gêner pour tirer à l'arc si nécessaire.

Il continua son étude des lieux avec attention tout en faisant le tour des étals. Il acheta un petit dizi en pierre polie qui apparaissait avec des inclusions d'un minéral fortement chargé en qi sous sa vision si particulière. Il était d'un ton différent de celui qu'il avait toujours utilisé à JingYun et qui était bien à l'abri dans une housse rigide à sa ceinture.
Pour tout un chacun, il n'était qu'un cultivateur qui fait ses courses. Pourtant, il faisait bien plus. Pendant que ses shidi occupaient les figures d'autorité de la ville, il avait les mains libres pour sa propre enquête. Les vieilles grand-mère étaient toujours contentes de parler avec un joli garçon. Les enfants avaient toujours milles histoires à raconter et les hommes de peine toujours bien des patrons dont se plaindre.

L'histoire de la ville qui était en train de se peindre sous le regard mental de Boya n'était ni plus horrible, ni meilleure que celle de toutes les autres petites ville de l'Empire. Quelques morts violentes à cause de querelles de personnes, quelques meurtres pour des questions d'héritage, d'honneur, d'orgueil ou de succession. Quelques accidents tragiques, quelques mères mortes en couche avec ou sans leur enfant… Rien que la vie basiquement ordinaire d'une petite ville des Marches de l'Empire.

Si bien que lorsque Boya trouva enfin le temple local et le cimetière attenant, il ne s'attendait pas à l'énorme bâtiment.

Il y entra, surpris. A la capitale, le respect des dieux était le minimum syndical pour paraitre honorable en public. Mais ici ? Les dieux semblaient plus important qu'ailleurs.

"- Bonjour ?"

Boya tourna son regard mort sur le prêtre qui avait faillit lui faire avoir une attaque.

"- Bonjour. Je suis Yuan Boya. De J… Du temple du Yin Yang." Les réflexes…

"- Vous êtes là pour le fantôme ?"

"- C'est exact. Mes hommes et moi avons été envoyés pour régler la situation. Pouvez vous m'en dire plus ?"

"- Bien sûr. Une tasse de thé ?"

"- Je vous en serai gré."

Boya se laissa conduire jusqu'à une petite table. L'intérieur du temple était délicieusement tiède. De la vapeur montait de fractures dans le sol.

"- Le temple est installé sur une source chaude ?"

"- Oui, c'est souvent le cas ici. Comme ça, elle est à la charge de l'Empire puisque l'Empire doit verser un budget à chaque temple de l'Empire." Boya renifla. Le pragmatisme des gens des Marches était toujours fascinant. "Le temple sert aussi de dernier rempart s'il le faut. Alors pouvoir avoir chaud même sans bois à brûler en cas de siège est toujours un plus." Continua le prêtre.

"- Je vois." Ce qui expliquait sa taille et qu'il soit en pierre dure et non en bois.

Le prêtre se mordit la langue pour ne pas faire de remarque fine. Si l'homme était réellement aveugle, il le prendrait peut-être mal.

"- A qui est dédié ce temple ?"

"- Xuanwu bien sûr. Nous sommes dans le Nord après tout. Il y a deux déités principales ici. La tortue serpentine et la neige"

Boya faillit s'étouffer avec son thé.

"- La neige ?"

"- Oui, la neige. Vous parlez avec l'accent du sud. Mais le dialecte d'ici a plus de deux cents quatre vingt mots différents pour la neige."

Boya n'y avait pas pensé, mais la neige était au cœur de la vie des nordistes. Après tout, elle les accompagnait toute l'année à part quelques semaines au cœur de l'été. Qu'elle soit considérée comme une déesse n'était pas si stupide.
Pour la tortue divine au moins, c'était compréhensible.

"- Je vois…. Que pouvez-vous me dire sur ce qui se passe actuellement dans les mines ?"

"- Je suis allé sur place pour voir si mes compétences pouvaient être d'un quelconque secours. Comme tout à commencé après la mort de trois mineurs sur un coup de poussier, je pensais qu'il suffirait d'apaiser leurs âmes et qu'une fois calmés, tout irait mieux mais…"

"- Attendez… Un coup de… Poussier ? C'est une mine de charbon ? Je croyais que c'était une mine de jade ?"

Le prêtre paru troublé un instant.

"- Ho vous savez, quelque soit la mine, il y a toujours des poches de gaz dangereux. Jade, charbon… Ce n'est guère différent quelque part. Coup de grisou pour le charbon, coup de poussier pour les autres. Enfin, c'est ce qu'on m'a expliqué la première fois qu'il y a eu une explosion en dessous."

Boya n'y connaissait rien en mine mais l'explication lui paraissait douteuse. Il savait ce qu'était un coup de grisou parce qu'il se souvenait de l'explosion qui avait eut non loin du temple de JingYun lorsqu'une centaine d'esclaves avaient été tués alors qu'ils finissaient d'assécher une veine qui serait ensuite utilisée comme stockage par le temple. Il n'était pas bien vieux mais il avait été choqué. Le tunnel s'était effondré sur les malheureux. Il avait été décidé de ne toucher à rien pour ne pas déstabiliser d'avantage le pan de montagne. Les hurlements des survivants jusqu'à ce qu'ils meurent de leur blessure, de faim et de soif avait durés des jours. Dans son souvenir d'enfant, des semaines même. Le tunnel n'était pas très loin des arènes d'entrainement. Mais un coup de poussier ? ça existait ? il y avait des gaz dans les mines autre que de charbon ? Il n'y connaissait rien. Il faudrait qu'il s'éduque là-dessus. Le nord était blindé de mines. C'était pour ça que l'Empereur avait à ce point poussé pour que le Nord rejoigne l'Empire malgré les difficultés que les tribus locales, les nomades et les montagnes représentaient. Il y avait plus de richesses que de risques.

"- Je n'y connais rien en mine. Mais je m'y connais en fantôme, monstre et démons." Soupira Boya. "Votre idée était la bonne. Donc si vous n'avez rien pu faire, c'est sans doute que le coup de poussier n'est pas la cause mais une conséquence.

Le prêtre sursauta. Il n'y avait pas pensé mais c'était logique.

"- Par les dieux !"

"- Y a-t-il eut des choses étranges dans la région avant cela ?"

Le pauvre homme se passa la cervelle la faucille mais rien ne lui venait à l'esprit.

"- Non, je suis désolé. Je ne vois pas…"

"- Cela peut-être aussi insignifiant qu'une jument qui disparait une nuit et revient le lendemain."

"- … Maintenant que vous en parlez… Il y a eut quelque chose. Mais ça date ! il y a presque un an maintenant. Deux bons mois avant le coup de poussier. Le troupeau de chèvres à disparu pendant quelques jours puis est revenu comme si de rien n'était. Les chèvres, c'est important ici." Boya le savait.

"- Combien de têtes ?"

"- Le troupeau du village. dix têtes." Une fortune pour le nord.

Toutes les chèvres avaient un nom et étaient décorées avec des rubans de soie. Pour les fêtes, on leur lustrait les sabots et on décorait leurs cornes avec de la poudre d'or pour les plus riches ou des rubans pour les plus pauvres. Lorsque les chevreaux naissaient, ils étaient traités comme des nouveaux nés et étaient présentés au village lors de leur centième jour pour être nommé. On faisait une fête pour remercier la mère du petit et on ajoutait un pompon aux décorations de ses cornes. Les chèvres étaient plus importantes que les enfants.
De ce qu'on lui avait dit, certaines chèvres du troupeau de JingYun avaient plus d'une quarantaine de pompons à leurs cornes.
…. Une chèvre pouvait-elle cultiver ?

"- Ce n'est pas rien ! Le village est assez riche."

"- Il n'y a pas à ce plaindre, mais c'est un village minier. Ça aide. Mais la panique était totale vous vous en doutez bien. Perdre son troupeau pour une ville, il n'y a pas plus grave." En cas d'invasion de nomade, on protégeait les chèvres et on envoyait les vieux au combat. "Lorsque les chèvres sont revenues, tout le monde était soulagé." Boya ne voyait pas le problème jusque-là. A part l'enlèvement en lui-même. Mais des chèvres restaient des chèvres. La chef de troupeau avait peut-être simplement décidé de passer une nuit dehors parce qu'elle avait senti un orage ou il ne savait quoi. "Quelques semaines plus tard, toutes les chèvres ont eut des jumeaux. A quelques heures d'intervalle."

"- Les chevreaux…"

"- Ce sont de simple chevreaux tout ce qu'il y a de plus normal. A part qu'il n'y avait que des jumeaux"

Le mystère était vraiment remarquable. Pourquoi s'embêter de toute cela pour simplement engrosser des chèvres ? Et des jumeaux ? Etrange.

"- C'est tout ?"

"- Après le coup de poussier, les chevreaux ont commencées à changer de couleur. Ils sont normalement blancs ou gris. A présent, elles sont plus marrons que blancs. Comme si toute la poussière de la mine s'était collée à leurs poils"

"- Et c'est un problème ?"

"- Vous plaisantez ? leur laine va se vendre une fortune !"

Boya était de plus en plus perdu. A part le coup de poussier, jusque-là, tout ce qui se passait était plutôt positif.

"- Et puis il y a eut la petite Li. Je l'avais oubliée, elle."

"- Expliquez ?"

"- Une pauvre gamine comme il y en a dans tous les villages j'imagine. Une pauvresse sans famille et à moitié folle. Le village s'en occupe bien sûr mais…"

"- Mais ?"

Le prêtre hésita. Il baissa la voix en regardant autour de lui, comme s'il s'attendait à ce que quelqu'un leur saute dessus.

"- Un jour, elle s'est levée et elle était… Normale. Tout d'un coup, elle ne voulait plus jouer avec les poules mais apprendre à lire et devenir une cultivatrice. Ça a duré quelques jours et puis elle a… Disparue."

Boya fronça les sourcils. Ça, c'était intrigant.

"- Il y a des sectes qu'elle aurait put rejoindre à pied ?"

Le prêtre secoua la tête.

"- La plus proche est la vôtre. On est au milieu de nulle part ici. Tous les autres temples du nord sont davantage au sud. Ici, c'est vraiment les contrefort de nulle part."

Boya ne pouvait qu'être d'accord. Il ne "voyait" pas grand-chose, mais les descriptions que lui avaient fait ses hommes étaient claires. Le village avait poussé là à cause de la mine et s'accrochait à ce flanc de vallée comme une verrue au cul d'une vieille.

"- Quel âge à le village ?"

"- Le même que la mine à quelque mois prêt. Plusieurs siècles. Je ne sais même pas si on a la date d'enregistrée quelque part. Les premiers mois, les mineurs vivaient directement dans la mine. Il n'en sortaient pas à cause du temps. A l'été, ils sont sortis un peu pour construire les premières maisons. Avec le temps, ils se sont mariés et ont amenés leurs familles ici." Rien que de très ordinaire. A part ce début dans la mine elle-même.

"- Savez vous s'il y a eut un temple dans la mine ?"

"- Ho oui ! Il y est resté longtemps. Jusqu'à la construction de celui-là peu avant mon arrivée il y a… trente ans ?"

Boya eut un petit sourire.

D'accord. Il fallait encore qu'il s'assure de deux ou trois détails mais il savait ce qui se passait.

"- Vous savez ce qui se passe n'est-ce pas ?"

"- Je pense avoir une bonne idée oui. Et ce n'est pas négatif."

"- Mais le coup de poussier…."

"- Probablement une simple erreur." Comment pouvait-on considérer la mort d'hommes comme une erreur ? Le prêtre fit grise-mine "Mes hommes ne vont pas tarder à me chercher. Je dois retourner au village."

"- Je vais vous accompagner si vous permettez." Le prêtre était curieux. C'était normal.