Chapitre 26

Zhong Xing et les anciens de la secte avaient interrogés longuement les séniors qui avaient accompagnés Boya ainsi que les deux maîtres qui avaient été envoyé discrètement pour surveiller la situation de loin.

Il n'y avait pas eu que les juniors qui avaient été évalués. Boya aussi.

Zhong Xing comme les anciens étaient très contents du résultat. Ils avaient vraiment craint que le premier réflexe de Boya soit de tenter de massacrer le dieu nouveau-né. Il les avait heureusement surpris en choisissant une approche pacifique et raisonnable. Sa cécité n'avait pas non plus été un trop gros handicap. Il avait su confier sa sécurité personnelle aux Seniors quand il avait fallu au lieu de rester borné sur son indépendance quitte à mettre le groupe entier en danger.

Le village était sauvé, la mine allait reprendre ses exportations et serait positivement disposée à recevoir des émissaires de la secte du yin yang pour établir un contrat commercial pour acheter le jade dont ils manquaient cruellement.

Pour la peine, Boya ainsi que ses juniors allaient avoir des félicitations officielles et une petite prime.
De quoi organiser une petite fête évidemment. Et de quoi faire hurler Boya. Même si ses hurlements étaient de plus en plus pour la galerie qu'autre chose.

He Shouyue fuyait la secte de son mieux.

Il savait qu'il finirait par être dangereux pour les autres. Sa colère croissait en même temps que ses efforts pour retenir les violences qui le submergeaient parfois.

Pour s'étourdir, il jouait.

Il jouait de l'argent, il jouait avec des nobles, il jouait avec… Il jouait.

Pour l'instant, quand il perdait, il pouvait payer.

Jusqu'à quand ?
Répondre à des questions ne coutait pas très cher après tout. Surtout quand les questions étaient sur son sujet hait et adoré du moment à la fois.

Boya ? Ho mais il savait tout de lui.

Il savait tout bien qu'il ne voulait rien en savoir.

Bien loin des magouilles de son Shifu tout neuf, Boya avait repris son train-train beaucoup trop occupé. Ses seules réelles pauses étaient tard le soir, à la Bibliothèque. Il y retrouvait régulièrement Abe no Seimei qui apportaient de nouveaux livres, en lisait d'autres ou simplement buvait du thé.

Les deux hommes n'étaient pas amis mais appréciaient la présence l'un de l'autre.

Il n'était pas rare qu'ils n'échangent pas une parole après s'être salués.

Boya travaillait comme un forcené sur ses recherches pour redécouvrir la technique perdue du troisième œil.

Zhong Xing lui avait donné une date limite. Pour l'instant, Boya n'avait pas trouvé grand-chose. Il y avait bien des vieilles histoires, de vieux contes, mais de véritables documents il n'en trouvait pas.

Le peu qu'il avait trouvé de vraiment utile avait été trouvé et recopié pour lui par Abe no Seimei. Le vieux maître avait plaisanté en lui demandant qu'il fasse de lui son premier élève lorsqu'il aurait recréé la technique.

Boya avait accepté en plaisantant tout autant. Mais, s'il y arrivait, il lui apprendrait tout ce qu'il savait. Il en était toutefois très, très loin.

Pour l'instant, Boya était dans sa chambre, un linge humide pour le front pour tenter de vaincre sa fièvre et la douleur qui pulsaient sous son crâne.

Depuis que le limiteur que JingYun lui avait imposé avait été retiré, les migraines étaient fréquentes et répétées, comme les fièvres. Sa cultivation avait été habituée à progresser par bond au lieu de de croitre doucement sans à-coup. Il faudrait du temps avant que sa progression se fasse plus régulière et non plus par coup de boutoir.

Quelqu'un changea le linge sur son front.

"- Qui…"

"- Bonjour Boya Daren."

"- Seimei Daren."

"- je me suis inquiété de ne pas vous voir à la Bibliothèque ce soir."

Boya resta surpris. Pourquoi se serait-il inquiété particulièrement ce soir ? Ha ! Oui ! Seimei lui avait promis une surprise.

"- Ma surprise ?"

"- Vous n'êtes pas en état. Vous devez vous reposer."

"- Ça va…"

"- Vous avez bien trop de fièvre."

Un grognement échappa au chasseur alors qu'il tentait de se mettre sur le flanc mais ses os lui faisaient mal.

"- Ne bougez pas."

"- Je vais bien…"

Le vieux maître posa ses mains sur ses épaules pour le rallonger correctement. Boya n'eut pas la force de protester. On remis sur son front le linge humide puis Seimei posa sa main sur sa peau, juste sous la gorge. Une bienfaisante fraicheur se rependit sous les vêtements de nuit du jeune homme.

"- Je vais rester avec vous jusqu'à ce que la fièvre baisse. Vous n'avez pas besoin de guérisseur. Juste de repos. Vous en faites trop alors votre santé en pâtit."

"- Non. C'est à cause des limiteurs."

"- Des…Quoi ?"

Boya avait refermé les yeux même si ça ne changeait pas grand-chose. Il était épuisé.

"- Demandez à Zhong Xing."

"- Je n'y manquerai pas."

"- …Soif."

Seimei quitta son chevet le temps de préparer du thé qu'il refroidit juste assez pour qu'il soit désaltérant et aisé à boire. Il aida Boya à l'avaler puis remis sa main sur son torse pour le rafraichir.

Boya soupira encore de soulagement.

"- Seimei…"

"- Boya Daren ?"

"- Continuez à me parler s'il vous plait ?"

Il avait besoin de ça pour tenir la panique à distance aussi bien que pour se permettre de se laisser assez au sommeil.

"- Bien sûr."

Seimei s'assit un peu plus confortablement sur le bord du lit. D'une voix douce qui était à peine plus qu'un murmure, il se mit à décrire des paysages hallucinants que Boya n'aurait jamais pu imaginer. Entre cascades colossales, grottes de diamant, huitres géantes et lézards qui volaient dans le ciel, la fantaisie charmante que le vieux maître construisait pour apaiser et détourner l'esprit volatile et anxieux de Boya fit merveille pour le calmer jusqu'à ce qu'il s'endorme.

Une fois certain que le jeune homme était endormit, Seimei lui transmis davantage de qi pour apaiser sa fièvre et sa migraine avant de le laisser tranquille. Ce n'était pas des histoires tirées de son imagination qu'il lui avait raconté. Seulement quelques-unes des merveilles qu'il avait croisé pendant ses nombreux voyages au cours des années.

Il resta près du jeune homme jusqu'à l'aube, vérifia qu'il n'était plus sous l'emprise de la fièvre puis le quitta discrètement par un portail. Il avait laissé sur la table de chevet le livre qu'il voulait lui confier. Le traité de cultivation avancée était incomplet mais il y avait nombre d'indices qui devraient aider Boya. Plus tard, lorsqu'il aurait maitrisé ce qu'il y avait dans ces quelques feuillets lui donnerait-il la suite. Si quelqu'un pouvait réussir, c'était bien lui. Boya était déterminé et consciencieux. Il réussirait là où d'autres, Seimei lui-même compris, avait échoué depuis bien longtemps.

A son réveil, Boya s'était étonné d'être seul. Il avait l'impression diffuse que quelqu'un avait passé du temps avec lui. Pire encore, il sentait l'odeur de musc qui flottait dans l'air de sa chambre. Pourtant, il n'en fut pas inquiet. C'était une odeur qu'il connaissait à défaut de la reconnaitre. La personne qui avait aidé à faire passer sa fièvre était quelqu'un qui lui était non seulement connue mais proche.

Il ne repéra pas le petit livre tout de suite mais quelques soirs plus tard.

Qui avait laissé là le petit tome ? Ha ! oui ! Il se souvenait. Il reconnaissait maintenant. C'était Seimei Daren.
C'était lui qui avait pris soin de lui ? Mais pourquoi ferait-il ça ?
Boya ouvrit de petit livre. Il était recopié de neuf avec son encre. Boya pouvait le lire sans avoir besoin de qui que ce soit.

Un long frisson lui remonta le dos lorsqu'il prit conscience de ce qu'il était en train de lire. Le petit ouvrage était chargé de promesses et d'idées, peut-être même d'un protocole pour acquérir le troisième œil s'il savait correctement lire ce qu'il avait sous les yeux.

Il reposa lentement le rouleau près de lui sur le lit.

Était-ce enfin un premier véritable indice ? Il le garderait pour le soir même. Il lui faudrait du temps et du calme pour tenter de comprendre. Le faire maintenant, alors qu'il n'avait ni le temps, ni la tranquillité pour serait du gâchis. Il le ferait lorsqu'il n'aurait plus ses devoir de la journée sur les bras.

Boya rangea prudemment le petit volume dans le tiroir de sa table de chevet pour se préparer pour une longue journée. Et s'il souriait largement toute la journée, personne n'y prit trop attention. A part peut-être He Shouyue et ses amis.

Zhong Xing Daren servit le thé à son épouse avec l'empressement d'un serviteur bien dressé lorsqu'elle lui fit signe que sa tasse était vide. La Dame du Temple leva sur son époux un petit regard amusé. Son mari était ridicule quand il se comportait comme un gamin amoureux malgré son âge avancé. C'était peut-être ce qui l'avait charmé au début et qui continuait à la charmer malgré tous les défauts de son mari. Et puis, elle l'aimait. Ça aidait.

"- Vous avez l'air particulièrement content ce soir. Que s'est-il passé ?"

Zhong Xing avait attrapé la main de son épouse pour la couvrir de petits baisers et remonter de son poignet vers son coude.

Un petit gloussement échappa à Fangyue qui le repoussa gentiment.

"- A-Xing. Cesse de faire l'idiot."

"- Mais ton idiot."

Quand il était comme ça, Zhong Xing était insupportable. Fangyue repoussa la table basse pour s'attaquer à son mari avec détermination.

Elle s'assit sur ses cuisses avant de l'embrasser avec tendresse.

"- Mon idiot. Mais mon idiot qui n'a pas répondu à ma question."

Zhong Xing avait passé ses bras autour de la taille de son épouse avec précipitation. Elle savait parfaitement comment le manipuler pour qu'il fasse exactement ce qu'elle voulait.

"- J'ai eu une conversation avec Boya cet après-midi."

"- Ho ?"

"- Mon ultimatum de trois mois s'achevait aujourd'hui." Fangyue hocha la tête sans cesser de déposer des petits baisers sur la gorge de son mari. "J'aurais été bien embêté pour le "punir" s'il n'avait fait quelques progrès."

Zhong Xing aurait même été dans la fange jusqu'aux cuisses. Un peu comme ces parents qui menacent leurs enfants des pires représailles s'ils n'avaient pas rangés leur chambre une fois qu'ils avaient compté jusqu'à trois mais vivaient dans la terreur que leurs rejetons réalisent qu'ils n'avaient aucune idée de quoi faire après "trois".

"- Ho ? Alors ?"

"- Alors il fait des progrès. Ce n'est pas énorme, mais il a trouvé de la documentation et il avance." Comment expliquer ce qu'il ne comprenait pas vraiment lui-même ?

Zhong Xing avait un peu l'impression que Boya déchiffrait un nouveau pan de la cultivation. Il le redécouvrait plus certainement mais il était plaisant de le voir s'accrocher de toutes ses forces à son travail et ses découvertes. Boya lui avait expliqué depuis longtemps comment il pouvait "voir" un peu son environnement avec son qi. Sa technique était finalement très proche de l'écholocation des chauves-souris sauf qu'il n'utilisait pas de son mais du qi. Petit à petit, Boya avait réussi à concentrer son qi sur ses yeux. Ce n'était pas encore un troisième œil, ce n'était pas encore une vraie image, mais c'était un type de vision. Et il ne comptait pas le bond monstrueux que la cultivation du jeune homme avait fait depuis que le limiteur lui avait été retiré

Le maître d'arme aussi avait fait un rapport plus qu'élogieux sur les progrès de Boya.

Suffisamment pour que Zhong Xing félicite le jeune homme et l'encourage à faire encore mieux.

"- C'est remarquable." Souriait Fangyue. "Et donc ?"

"- …Comment ça et donc ?"

"- Et bien il progresse, c'est très bien. Mais et donc ? Il est adapté au Temple, il est indépendant dans ses murs, il a mené une Chasse Nocturne, il est capable de s'occuper de jeunes disciples… Que vas-tu faire de lui ? Il ne peut pas rester un électron libre encore très longtemps, A-Xing. Il va devoir commencer à être utile."

Zhong Xing referma la bouche.

Ha… Oui… Il avait oublié ce détail. C'était bien joli d'avoir Boya chez eux. Mais il allait en faire quoi maintenant qu'il n'était plus une petite chose blessée et maladroite ? D'accord, il n'avait toujours pas de shishen alors qu'en avoir un était un prérequis pour être considéré comme un maître. Comme pouvoir utiliser le bouclier et le portail.

Hum… Si Zhong Xing collait strictement à la lettre des règles du yin yang, Boya n'aurait même pas dû être considéré comme un junior puisqu'il n'avait pas de shishen. Mais c'eut été gâcher son expérience et ses compétences.

"- Zhong Xing, Boya est ton esclave." Rappelle Fangyue. "Même si nous savons tous ce qu'il en est, c'est une excuse parfaite pour que tu puisses faire de lui ce que tu veux."

Le chef de secte ne put que hocher la tête. Il avait de la chance que sa femme soit si pragmatique et intelligente. Il ne savait pas ce qu'il ferait sans elle parfois.

"- Il a un statut de maître malgré tout à cause de son expérience et il fait de la recherche." Rappela encore Fangyue.

Boya n'avait pas besoin de plus finalement. Un statut, il en avait déjà un. Une fonction aussi. Il avait prouvé qu'il pouvait s'occuper de juniors pour les aider à se faire de l'expérience pendant des chasses et pour le reste, il faisait des recherches fondamentales sur les techniques de cultivation. Son rôle dans la secte était évident.

"- Je ne sais pas comment il va réagir de passer de Chasseur à Chercheur."

"- Attends qu'il devienne un Trouveur et quelque chose me dit qu'il pourrait ne pas inventer qu'une encre marrante pour renflouer les caisses de la secte."

Le trou du fond d'urgence fait par l'achat de Boya était comblé par les seuls bénéfices de son encre en moins d'un an.

Cyniquement, le plus rentable pour la secte était encore de le laisser faire ce qu'il voulait.

Le titre officiel de Maître-Chercheur lui en toucha une sans faire bouger l'autre. Boya appréciait la reconnaissance que le titre lui conférait bien qu'il ne maitrise aucunes des trois arcanes majeures du yin yang mais avant d'être un Maître-Chercheur, il restait un esclave avant tout dans sa tête.

Fangyue, Zhong Xing et son shixiong avaient laissés tomber l'idée de parvenir à lui faire rentrer dans le crâne que ça ne marchait pas comme ça dans le Nord.

L'intendance avait été prévenue d'envoyer une note à Boya lorsque son crédit serait à deux milles taels d'or pour qu'il puisse racheter sa liberté. En attendant et bien… He Shouyue continuait à lui cracher dessus, Boya continuait à mettre He Shouyue à terre à l'entrainement et les deux jeunes gens continuaient leur relation de mépris/haine avec un enthousiasme assez déprimant pour les autres, régulièrement dérangé par des commentaires inattendus de la part de He Shouyue qui n'hésitait pas à frapper ceux qui auraient eu l'idée de cracher sur Boya comme lui le faisait. Boya y voyait du positif. He Shouyue s'était attaché à lui. D'une manière tordue mais quand-même.

Sortit de ça, Boya était pour l'instant plus occupé par sa lecture que par autre chose.

Abe no Seimei lui avait trouvé un autre document qui parlait du troisième œil ainsi qu'un traité médical extrêmement vieux qui racontait la création du lien de shishen. Comme on le lui avait dit, c'était à la base une technique qui avait été développée pour soigner des créatures non humaines souffrant de troubles psychologiques violent.

Jusqu'à ce qu'il perde la vue, Boya n'avait jamais été un grand lecteur. Il était plus occupé à chasser le plus qu'il pouvait et à se concentrer sur la réduction de sa dette qu'à perdre du temps à fouiller des documents qui ne lui apporteraient rien. Les seuls à avoir jamais pu reprendre leur liberté (toute relative) au sein de la secte étaient des chasseurs. Lire ? Ça prenait du temps et ça ne rapportait pas d'argent. Maintenant que ses yeux ne fonctionnaient plus, il dévorait le moindre livre ou document qu'on voulait bien lui réécrire avec son encre.

Quand il avait un peu de temps, il retournait dans l'aile du temple dévolue à l'artisanat pour travailler encore dessus pour réduire son cout de production. C'était par total accident qu'il en avait conçu une version sans pigment qui ne fixait que le qi. Pour un médiocre, le papier noircit pour lui était vierge de toute écriture.

Boya était resté un peu perplexe avant d'imaginer tous les usages que les espions de la secte pourraient en faire.

Puis Fangyue avait décidé de lui apprendre à broder. Il était resté encore une fois perplexe jusqu'à ce qu'il comprenne pourquoi. Tous les vêtements des nordistes étaient brodés de sigils et de runes jusqu'aux sous-vêtements. C'était long et épuisant de broder autant de tissu. Tous les petits disciples apprenaient à broder leurs propres robes avant de devenir des juniors. Jusque-là, on lui faisait une fleur en le faisant pour lui. Mais il était temps qu'il apprenne. Et puis, s'il trempait son fil dans son encre transparente…. Tout un monde de possibilités qui avait failli faire une attaque au Maître Tailleur de la secte. Ou un orgasme. Boya ne savait pas trop.

Si Boya avait trouvé que son emploi du temps était bien gonflé jusque-là, il avait découvert une nouvelle au sens du mot "débordé". Et s'il râlait, il commençait à apprendre à se plaindre comme tout le monde au point qu'il était sûr que râler était le sport officiel du temple, il se découvrait un amour immodéré pour l'apprentissage et les découvertes. Cette frénésie permanente d'apprentissage éloignait pour l'instant le spectre de la réalisation que son état de santé ne s'était plus amélioré depuis des semaines.

Lorsqu'il quitta la Bibliothèque cette nuit-là avec les bras chargés de livres qu'il voulait relire au calme pour vérifier ses notes, il ne vit ni n'anticipa une seconde le coup brutal sur ses jambes qui le fit basculer en avant, ni les mains qui le poussèrent brutalement dans le dos dans la pente qui devait le ramener à ses appartements.

Avant de perdre connaissance, il ne put que hurler de douleur lorsque sa jambe gauche se brisa avec un bruit sec.
Il ne perçut pas davantage auprès de lui la présence d'Abe no Seimei se précipiter vers lui quelques heures plus tard lorsqu'il vint apporter de nouveaux rouleaux pour lui alors que le soleil allait se lever.

"- BOYA !"

Le chasseur avait la chance d'être toujours inconscient lorsque le vieux maître le souleva avec précaution pour le porter à l'infirmerie via un portail après avoir bataillé contre le sang congelé qui avait maculé le sol de glace là où l'hémorragie de sa fracture ouverte s'était rependue.

Boya ouvrit juste les yeux lorsqu'on retira avec précaution les glaçons de sang qui l'avait empêché de se vider de son sang sur le sol avant que le vieux maître ne le trouve.

"- Que…"

"- Boya ! Qu'est ce qui s'est passé ?"

"- …tombé ?" Il avait mal à la tête et une commotion grave. Il voyait des formes troubles autour de lui qui n'avaient aucun sens.

Pourquoi un renard était-il penché sur lui ? Et cet ours ? Et pourquoi tout était doré et… Il gémit de douleur. Son crâne lui donnait l'impression qu'il allait se fendre en deux.

"- Zhong Xing Daren. Il a une triple fracture ouverte et une hémorragie dans le cerveau. Il faut qu'on l'opère. Sa meilleure chance de s'en sortir c'est de lui couper la jambe à mi-cuisse. C'est le plus rapide. Avec sa commotion, si on l'endors, il a une chance sur deux de ne pas se réveiller." La voix du guérisseur était tendue et pressée; inquiète aussi.

"- Non…" Le gémissement de Boya était bas mais épouvanté.

"- Je ne sais même pas si on arrivera à sauver sa jambe si on lui remet les os en place. Ça a été pulvérisé et.."

"- Non… pitié…" Suppliait Boya.

Il était trop mal pour comprendre totalement ce qui se disait au-dessus de lui, mais il savait que si on lui coupait la jambe, s'en serait finit de sa mobilité. Sans sa jambe, sans ses yeux, il préférait mourir pour de bon.

Une main serra fortement la sienne.

"- Non. Vous ne coupez rien." Aboya sèchement le renard doré penché sur Boya.

"- Seimei Daren." Tenta Yin RenShu

"- Si vous lui coupez la jambe, ce serait plus simple de l'achever tout de suite." Siffla le vieux maître avec plus de dureté que Boya ne lui en avait jamais entendu.

Zhong Xing était d'accord.

"- S'il n'y a réellement rien à faire, je préfère une euthanasie rapide et sans douleur." La voix du chef de secte était chargée de larmes.

Yin RenShu soupira.

"- Je peux tenter de l'opérer. Mais il me faudra plus de qi pour remplacer son énergie vitale que je n'en ai à fournir."

"- Je m'en occupe." Assura Seimei.

Zhong Xing ne pouvait participer. Il ne pouvait risquer de se retrouver à sec pendant des jours.

"- J'ai prévenu ses amis." Coupa Yi Xiaolian. La jeune apprentie avait de visage fermé mais était déjà en train de préparer les instruments pour l'opération. "Je ne doute pas qu'on aura de l'aide pour le garder en vie pendant l'opération."

"- Pitié…. Pitié…" Soufflait Boya qui n'avait plus que la douleur de sa jambe pour le maintenir éveillé.

Une main glaciale se posa sur son front.

"- Tout va bien se passer, Boya. C'est une promesse." Murmura le renard doré au-dessus de lui sans que le blessé ne sache qui il était.

On lui fit avaler quelque chose d'amer et l'inconscience reprit le contrôle de son corps.

Le retour à la conscience fut difficile.
Si Boya avait été en état de faire un commentaire cynique, il aurait plaisanté sur son incapacité à rester loin de l'infirmerie plus de quelques jours. Mais Boya se sentait à peu près aussi frais qu'un cadavre oublié dans un champ boueux pendant la saison des pluies après avoir été mâchonné par l'intégralité de la faune locale.

Sa tête lui donnait l'impression d'avoir été remplacée par une marmite qu'on cognait en rythme toutes les quelques secondes avec une louche. Il ne sentait plus rien à partir du bassin et ses bras lui semblaient si lourds que bouger un doigt n'était même pas une possibilité.

Il ne put que gémir doucement.

Immédiatement une main fraiche se posa sur son front.

"- Ne faites aucun effort Boya. Vous avez failli mourir mais vous êtes entier et vous allez vous en sortir. Dormez."

Une main fraiche prit la sienne pour glisser ses doigts dans les siens. Le contact fut un soulagement.
Boya se rendormit.

Son réveil suivant fut à peine plus long. Une voix féminine cette fois le rassura, on lui fit boire quelque chose de frais, on lui caressa le front pour l'encourager à dormir encore puis il se laissa sombrer.

A chaque réveil, comme lorsqu'il avait perdu ses yeux, il peinait un peu moins. A chaque réveil néanmoins, il se rendait compte d'une seule chose. Il ne sentait rien à partir de la taille.

Il finit par pouvoir rester éveillé plusieurs minutes sans qu'on ne le fasse dormir ni qu'on remarque son réveil. Sa tête ne lui donnait plus l'impression qu'elle allait éclater sous la pression. Les yeux clos sans besoin, il fit le tour de sa cultivation pour vérifier les dégâts. Son Node doré était bas en réserve mais pas épuisé. Il ne travaillait pas non plus en surmultipliée pour soigner ses blessures.

Quoi qu'il lui soit arrivé, il était hors de danger.

"- Quelqu'un ?"

"- Boya !"

La main glacée se reposa sur son front.

"- Seimei Daren ?"

"- Que de cérémonie mon garçon ! Juste Seimei voulez-vous ?"

"- Qu'est ce qui s'est passé ?"

"- C'est ce que nous aimerions tous savoir. Je vous ai trouvé avec une fracture du crâne dans un couloir et une triple fracture ouverte de la jambe."

Boya se raidit. Immédiatement il tenta de se redresser pour tâter les draps alors que les souvenirs lui revenaient. Ils avaient voulu lui couper la jambe !

Seimei le retint aux épaules.

"- Calmez-vous Boya. Elle est là. Les fractures ont été réduites. Une vingtaine de maîtres et plusieurs de vos amis ont épuisés leurs qi dans vos blessures mais votre jambe est là."

"- Je ne sens rien." Boya se sentait lentement paniquer.

"- C'est normal. Yin RenShu vous a mis des aiguilles pour vous paralyser momentanément tout le bas du corps pour que vous ne fassiez pas de mouvements inconsidérés qui pourraient aggraver vos fractures." Seimei prit sa main pour guider ses doigts sur ses hanches.

Boya sentit les grosses aiguilles de métal qui s'enfonçaient dans ses chairs. Il se détendit d'un bloc.

"- Vous n'êtes pas paralysé. Vous avez été gardé inconscient plusieurs semaines après quelques jours de comas mais grâce à tout le monde, vous n'aurez guère plus de séquelles que quelques cicatrices de plus sur la jambe et une énorme balafre sur le crâne. Je crains par contre qu'on ait dut vous raser le crâne en partie. Vous aviez une fracture du crâne ouverte. Il a fallu nettoyer, remettre l'os en place et refermer. Vos cheveux vont sans doute repousser blancs à cet endroit."

Boya soupira. Ses cheveux qui avaient à peine retrouvés une longueur décente…

"- Si c'est la seule chose, ce n'est pas si cher payé."

Il sentit le sourire de Seimei.

"- Dormez, Boya. Il y a toujours quelqu'un avec vous. Vous n'êtes jamais seul. Vous pouvez continuer à vous reposer."

La caresse de la main froide sur son front était agréable.

Dormir… Oui, il était épuisé. Il allait faire ça.

Boya s'était remis étrangement vite de ses blessures. Il en avait conscience.

Quelques semaines allongés après un coma et une fracture qui aurait dû le priver de sa jambe et il était dans les bains à se refaire du muscle dans les eaux chargées de minéraux des profondeurs de la secte.

Lorsqu'il avait pu rester éveillé au lieu de se rendormir au bout de quelques minutes, Zhong Xing lui avait raconté ce qui lui était arrivé.

Personne ne savait exactement ce qui s'était passé mais Boya avait été poussé pour le faire tomber. Ça n'avait pas été évident au début, jusqu'à ce que l'assistante du maître guérisseur voit les bleus en forme de mains sur ses omoplates pendant qu'elle faisait sa toilette durant son coma.

Boya avait été à la fois surpris et pas vraiment. Il savait que certains ne l'appréciaient pas. C'était normal. Dans une société, quel que soit sa taille, tout le monde ne pouvait pas s'entendre. Mais une tentative de meurtre ? Ici ? C'était quand même choquant. Il n'avait évidemment pas dit qu'il soupçonnait He Shouyue. Zhong Xing non plus ne l'avait pas dit. Mais le silence entre eux avait valu toutes les dénonciations du monde.

Zhong Xing avait préféré lui apprendre que s'il se remettait si vite, il le devait au Seigneur Anbei.
Boya avait un peu grincé des dents. Comment ça il le devait au renard ?

Seimei avait dépensé quasiment toute son énergie pour l'empêcher de mourir pendant l'opération. Une bonne vingtaine d'autres disciples de tous âges avaient aidé aussi à lui transférer leur énergie pour le maintenir en vie. Mais même avec leur aide, le cœur de Boya avait lâché plusieurs fois. La fracture du crâne était ce qui avait été finalement le plus dangereux. Un bout d'os avait effleuré la dure-mère. Parvenir à le récupérer sans causer de dégât, tenir en respect la pression intracrânienne pendant que tout ce consolidait pour ne pas que son cerveau subisse de dégâts avait été compliqué. Assez pour que son cœur faiblisse parce qu'ils se concentraient surtout à protéger son cerveau. Heureusement, il avaient eu de l'aide au dernier moment. Ils avaient réussi à relancer le cœur mais ça avait été juste. Zhong Xing avait utilisé un talisman d'urgence pour demander de l'aide à leur puissant voisin.

Deux guérisseurs étaient venu aider le leur ainsi que plusieurs démons volontaire pour lui donner leur énergie.

Si d'avoir été sauvé par l'aide de démon avait choqué Boya, il n'avait pas été spécialement surpris d'apprendre qu'il devait la vie à Xie Weizhe et Sha ShengShi. Les deux démons étaient des brutes mais ils avaient de l'énergie à revendre. Leurs guérisseurs n'avaient pas fait dans la dentelle. La contribution des deux démons s'était résumée sur les ordres des guérisseurs à se carrer sur leurs talons et pousser un maximum de qi dans ses méridiens. Boya l'avait accepté sans la moindre difficulté ce qui avait à la fois étonné et ravi tout le monde. Normalement, les humains résistaient naturellement à ce genre de traitement. Là…
Zhong Xing n'en avait rien dit mais avait demandé aux guérisseurs du Domaine de vérifier s'il n'y avait pas des traces non humaines dans son sang. Ils attendaient encore la réponse.

"- Sans eux, on aurait pas réussi à te sauver. Il leur a fallu presque une semaine pour s'en remettre eux aussi. Ils y ont passés toutes leurs forces sans se ménager. Tu ne t'en souviens sans doute pas, mais ils ont passé beaucoup de temps tous les deux à t'insulter de t'être fait cabosser pour rien." Boya entendait le sourire de Zhong Xing dans sa voix. "Ils étaient vraiment inquiets. Ils ont refusé de partir tant que les guérisseurs n'ont pas été sûr que tu allais survivre et que tu n'avais plus besoin d'aide. Ils ne sont partit il n'y a que quelque jours." Et encore avaient-ils finit par les mettre dehors.

Sha ShengShi aurait fait un excellent shishen pour Boya mais il était déjà lié au seigneur Anbei. Sans compter que le jeune démon voyait Boya comme un petit frère un peu pataud, Zhong Xing en était certain. Comme Xie Weizhe d'ailleurs.

Boya avait soupiré. Il allait devoir les remercier tous d'une façon ou d'une autre.

"- Zhong Xing Zongzhu, je suis vraiment navré pour tous les problèmes que je vous cause. Et… merci de ne pas avoir laissé Yin RenShu me couper la jambe."

"- C'est Abe no Seimei qu'il faudra remercier pour ça. Il ne nous a pas vraiment laissé le choix. Soit Yin RenShu te soignait, soit il t'aurai tranché la gorge je pense."

Boya soupira de soulagement

"- Je n'aurais pas supporté d'être encore plus diminué que je le suis déjà."

"- C'est ce que j'ai dit aussi à Yin RenShu. Mais il faut que tu arrêtes de te retrouver dans des situations aussi compliquées, Boya. Tu es vraiment passé très près de la mort. Je ne parle même pas de ta fracture du crâne."

Le chasseur hocha la tête. Qu'y pouvait-il s'il avait des ennemis.

"- Il te faut vraiment un shishen, Boya."

"- Shifu…"

"- Je sais, je sais. Mais tu en as besoin. Tu ne te serais pas retrouvé dans cette situation avec un shishen."

"- Shifu."

Zhong Xing lâcha un soupir irrité mais n'ajouta rien. Il savait parfaitement que ça ne servirait à rien. Boya était vivant et il pourrait reprendre son petit train-train ordinaire dès qu'il aurait fini de guérir.

"- Pense à remercier Abe no Seimei. Sans lui, tu serais mort."

"- Ha ? Ce n'est plus un dangereux terroriste que je dois éviter à tout prix ?"

"- Il s'est attaché à toi, je ne sais pas pourquoi. Autant en profiter. Enfin, j'imagine." Grimaça le chef de secte.

Zhong Xing avait personnellement toujours autant de problème avec le vieux maître mais il était aux petits soins avec Boya. Autant capitaliser là-dessus. Il y avait pire comme protecteur.

"- C'est à croire qu'il te fait la court !"

Boya se figea, perturbé.

"- Zongzhu ?"

"- Je plaisante, Boya !" Quoi que.

"- Ho…" Le soulagement fut évident sur le visage du chasseur.

"- Il a d'ailleurs décidé de déménager finalement. Je ne sais pas ce qui l'a décidé." Boya se sentit rosir. Il avait peut-être remis ça sur le terrain tous les deux matins. " Mais j'imagine que les autres suivront rapidement derrière." Et qu'ils pourraient enfin refaire cette fichue tour qui menaçait ruine !