Chapitre 27

L'annonce du déménagement de Abe no Seimei avait causé une quasi-révolution parmi les membres les plus anciens de la secte. Personne n'avait souvenir d'un maitre plus vieux que lui mais contrairement à ceux encore en vie qui avait choisi la séclusion définitive pour tenter de cultiver assez pour s'élever au moins jusqu'à l'immortalité, il était le seul qui ne soit pas totalement cacochyme. Les rumeurs allaient donc forcément bon train sur sa propre immortalité. Certains en étaient persuadés, d'autres murmuraient qu'il n'était pas humain et quelques autres qu'il devait être l'avatar d'un dieu pour être encore là depuis si longtemps.

La seule réponse de l'itinérant était de rire de leur curiosité à tous.

Ils n'auraient pourtant eu qu'à aller voir le livre des disciples et de chercher son nom pour savoir très précisément depuis quand il appartenait à la secte.

Personne ne l'avait fait.

Boya s'en était étonné à son shixiong. Il n'avait pas vu son sourire mais l'avait entendu dans sa voix. Personne ne voulait réellement connaitre la vérité parce que savoir la vérité aurait mis un terme à leur imagination débridée. Contrairement à JingYun, le yin yang encourageait la curiosité, l'imagination et l'intelligence. Il fallait bien qu'il y en ait quelques travers négatifs. L'imagination débridée et délirante des disciples en était la principale. Pourquoi chercher une réponse rationnelle et vraie à quelque chose quand on pouvait inventer une réponse fascinante et qui ne faisait de mal à personne.

Boya avait secoué la tête et laissé les (pas forcément) petits shidi s'amuser. Tant que le principal concerné n'en était pas atteint ou gêné, ce n'était pas bien grave.

Et puis, si Boya voulait vraiment savoir, il n'aurait qu'à demander au vieux maître. D'après ce qu'il avait compris, il s'installait dans un appartement assez proche du sien. Ce n'était pas étonnant. Les appartements étaient attribués l'un après l'autre et depuis son arrivée, il n'y avait que deux nouveaux maîtres à avoir atteint ce rang. Que Seimei ait le troisième appartement après le sien était naturel. Personne ne pouvait s'en étonner.

Zhong Xing était plus dérangé par les rumeurs créées que Abe no Seimei ne pouvait l'être.

"- Boya, tu es ailleurs."

"- Ha! Oui. Pardon."

Le jeune homme repris son arme. Même s'il boitait encore et que sa jambe le lançait encore parfois, son emploi du temps quotidien lui semblait déborder par les côtés. Pourtant, en bon masochiste, il continuait à se rajouter encore et encore du travail.

Non seulement il continuait à travailler avec He Shouyue quand bien même sa haine pour lui était consommée depuis la fête de l'hiver tout autant que son intérêt croissant ce qui était des plus étranges. Mais Boya travaillait toujours avec son shixiong sur le bouclier qui était la seule chose qui lui restait à produire. Il finirait bien par y arriver ! Il ne lui restait plus qu'à réussir à l'expanser. Ce n'était rien, juste un détail, mais il lui manquait toujours cette étincelle dans le cœur qui permettait au bouclier de s'allumer pour de bon. Personne ne s'en inquiétait. A mesure qu'il trouverait sa place pour de bon dans la secte, qu'il y développerait de vraies amitiés et de véritables affections, son bouclier finirait par s'ouvrir. La meilleure preuve était qu'il arrivait à l'expanser d'une cinquantaine de centimètres avant qu'il ne s'éteigne, maintenant. Abe no Seimei et son shixiong avaient été très fier de lui. Son bouclier s'en était ouvert un peu plus, rien qu'avec ça.

Il connaissait la théorie du portail sur le bout des doigts bien entendu mais sans voir, il lui était impossible de l'utiliser. Il pourrait l'enseigner à son shishen quand il en aurait un.

Il maitrisait aussi les techniques pour lier et appeler un esprit et en faire son shishen mais personne n'était encore venu à lui. Il avait pourtant des touches à chaque fois qu'il s'y essayait à la demande de Zhong Xing. Boya était même certain qu'un des esprits qui venait le titiller était toujours le même. C'était lui qui ne l'invitait pas davantage. Boya… Non, il n'arrivait pas à accepter qu'il avait le droit à un ami à l'affection inconditionnelle.

Boya avait ajouté à tout ça un cours sur les talismans, son entrainement aux armes qu'il avait repris avec une réelle délectation depuis qu'il avait accepté qu'il avait le droit de se battre encore même si sa jambe trainait encore un peu derrière lui, du temps pour développer sa cultivation musicale dès qu'il le pouvait avec les livres envoyés par le Domaine et encore avait-il régulièrement les plus jeunes shidi à baby-sitter pour offrir un peu de repos à leurs responsables ordinaires.

Là-dessus, Boya entassait ses recherches sur le troisième œil, le plus souvent la nuit quand il ne pouvait dormir. Sans sa cultivation, il se serait déjà effondré. Jamais de sa vie il n'avait été davantage occupé.
L'agression qu'il avait subi l'avait propulsé dans une frénésie d'apprentissage et de découverte un peu inquiétante aussi était-il surveillé en permanence. Boya n'en avait parlé à personne, mais il s'était passé "quelque chose" quand il était tombé. Peut-être son coup sur la tête, ou un mécanisme atavique d'autoprotection, un instinct, peu importait la cause finalement. Le résultat était que pendant quelques heures, il avait VU des choses avant que ça ne disparaisse. Il refusait de croire qu'il avait halluciné.

"- Ton éventail et plus court qu'une épée. Et de loin. En terme d'allonge, tu es plus proche d'une dague qu'autre chose."

Boya hocha la tête.

Pour ce premier cours sur le maniement de l'éventail, le maitre d'arme lui avait proposé de le faire juste tous les deux, après le diner. Boya l'avait remercié pour sa discrétion. Sous son brutal apprentissage, Boya avait presque retrouvé son niveau à l'épée d'avant son "accident" maintenant qu'il n'avait plus peur de lui-même. Si tant est qu'on puisse appeler "accident", l'abattoir dans lequel il avait été envoyé avec ses frères.

"- Mais si ton allonge est plus faible, ton champ d'action est plus grand mais aussi plus mobile. Tu peux élargir ou réduire le champ de ton éventail quand tu le souhaites."

Boya devait se concentrer pour "voir" autant que possible les gestes du maitre d'arme. Même s'il y avait toujours moyen de lui expliquer verbalement ce qu'il devait faire, c'était toujours plus intéressant et facile de montrer.

"- Tout est une question de fluidité. Cette arme n'a pas de tranchant en elle-même. Certain éventails de combat ont des fines lames qui peuvent sortir de la structure de l'arme. Il est aussi possible d'utiliser du qi pour faire du bord de l'arme une lame aussi tranchante qu'un rasoir." Evidemment, c'était quelque chose que le maitre d'arme était incapable de faire. Il n'était qu'un médiocre après tout. "Pour ça, il faudra que vous demandiez à Zhong Xing Zongzhu."

Boya hocha encore sèchement la tête.

"- Le principal problème que vous allez rencontrer vient de la résistance de l'air. Contrairement à une épée qui tranche l'air, un éventail le pousse et son profil d'entrée dans l'air change avec les mouvements."

Boya essaya les mouvements que lui conseillait le maitre d'arme. Il ressentait cette résistance surtout dans les poignets. Il fallait une sacré force pour ne pas se blesser.

"- Je vois."

"- Le but de votre entrainement va être de renforcer vos poignets. Vous avez l'habitude de porter une épée, ce n'est pas si différent heureusement. Pour ça, il n'y a pas des centaines de solution. Le plus efficace est encore de vous entrainer dans l'eau. Vos copines des bains vont être ravies de vous revoir." Boya grogna plus pour le principe qu'autre chose. Surtout depuis qu'il s'était bien amusé avec certaines d'entre elles pendant les Jeux et continuait depuis qu'il était sorti de l'infirmerie. Les rares soirs où il ne s'écroulait pas de fatigue et signalait sa disponibilité, il n'était jamais seul dans son lit. "Pour les formes, commençons voulez-vous ?"

Boya obéit en silence. Il y avait moins de formes avec un éventail qu'avec une épée, mais il y en avait quand même un élevage.

Boya allait mettre des mois à toutes les maitriser. Il adorait ça.

Au bout de deux heures, son professeur décida de cesser pour la soirée.

"- On en reste là. Tu as appris ce que je t'ai montré et tu es assez compétent pour te débrouiller seul jusqu'à les connaitre parfaitement. Nous recommencerons dans une semaine après avoir évalué tes progrès. En attendant, va te coucher. Il est tard."

Boya s'inclina en remerciant son professeur.

Il se traina à son lit mais ne dormit que quelques courtes heures avant de se réveiller en sursaut. On était le milieu de la nuit mais il savait qu'il ne pourrait dormir plus. Pas avec un début de crise de panique dans la gorge. Il se rhabilla, prit son arc et tâtonna jusqu'au champ de tir permanent. Il était assez récent, avec juste deux lignes de tirs. Boya n'en disait rien mais il était presque sûr qu'on l'avait installé pour lui après les jeux. Surtout avec la quantité de talismans et de sigil de protection qui empêchait de tuer qui que ce soit par accident. Avant, ceux qui voulaient s'entrainer au tir à l'arc se contentaient d'aller chercher une cible en réserve et de l'installer dans un coin des arènes de sables. Pratique mais pas foncièrement accueillant pour ceux qui voulaient se concentrer sur ce médium de cultivation. Boya ne pouvait pas être le seul à cultiver avec un arc.

"- Bonsoir, Boya Daren. Ou Bonjour ? Nous sommes dans le nord et le printemps approche. Cette notion n'a jamais vraiment grand sens ici finalement."

Boya n'avait pas sursauté. Il s'était habitué à ce que Abe no Seimei sorte comme un diable de sa boite aux moments les plus farfelus. Et surtout lorsque Boya était seul.

"- Bonsoir." Boya ne savait toujours pas trop comment s'adresser au vieux maitre. "Je vais finir par croire que vous me surveillez, à toujours savoir quand venir me trouver "par hasard"." S'amusa le chasseur.

"- Qui sait."

Boya se sentit rosir.

"-Vous êtes une sale bête."

"- On me le dis souvent. MAIS ! J'ai un arc maintenant !" Seimei le sortit d'un portail pour l'agiter avec satisfaction sous le nez de Boya qui voyait juste bouger la masse de qi brulant qui était l'homme.

"- Un arc ?"

"- Vous m'aviez promis de m'apprendre n'est-ce pas ?" Boya hocha la tête. Il avait oublié oui. Surtout après tout ce qui c'était passé ces derniers mois. Il n'avait finalement rien vu du début de l'hiver. "Mais si vous ne voulez pas.."

"- Non, non ! J'avais juste oublié" avoua le chasseur. Il l'entraina jusqu'au bord des deux lignes de tir. "Donnez-moi votre arc, que je vois ce que vous avez."

Boya sentit l'amusement manifeste de son ainé qui posa l'arme dans ses mains. Le chasseur caressa le corps de l'arc entre ses doigts sans réaliser à quel point ses gestes étaient tendancieux et suggestifs à glisser le long de la hampe puis à remonter en une gentille caresse pour réchauffer le bois vernis.

"- C'est un bon arc."

"- Merci. J'ai eu du mal à le trouver." Ou plus exactement, à le faire fabriquer. Il était neuf. Le bois n'était même pas encore éraflé par le travail de la cordes sur les poupées.

Boya tendit encore la main pour prendre une flèche, puis le carquois. Satisfait, il les rendit à leur propriétaire.

"- Très bien. C'est de l'excellent matériel. Nous allons commencer de la base."

Un immense sourire apparu sur les lèvres de Seimei. Il resta silencieux à écouter son professeur de la nuit. Boya était concentré et déterminé dans son rôle de professeur. Il n'avait pas réalisé que la demande du vieux maitre n'était pas que martiale. Il voulait passer du temps avec lui.

"- Quand vous tirez, pour commencer, vous devez vous placer de profil face à votre cible. Dégager votre bras et ne regardez pas la pointe de votre flèche. C'est votre regard qui la dirige".

Boya décocha sa flèche qui toucha le centre de la cible.

"-... Vous êtes incroyable, Boya Daren."

Le jeune homme se sentit rosir doucement.

"- A vous. Essayez." Seimei prit son arc et tenta d'émuler la position de son professeur mais se retrouva très vite confronté à un premier problème majeur : ses manches.

"- Vous n'y arriverez pas comme ça. Il faut que vous retiriez votre robe extérieure si vous n'avez rien pour attacher vos manches."

"- Boya Daren ! Enfin ! On ne demande pas quelque chose comme ça aussi vite."

"- Vous allez déchirer la soie et vous abimer le bras." Expliqua Boya, pragmatique.

Encore une fois, le potentiel de la plaisanterie lui passa complétement à côté.

Seimei pinça les lèvres, un peu déçut, mais finit par obéir. Il retira sa robe extérieure pour la plier et la poser sur une barrière. Dessous, il portait des robes blanches extrêmement simples retenues à la taille par une ceinture large en soie grise avec des petits fleurs brodées dessus. La ceinture était définitivement féminine sans qu'il ne s'en soucie une seconde. Pas plus qu'il ne s'interdisait de porter des épingles à cheveux de femmes. Il portait ce qu'il trouvait joli et qui lui allait bien. Il se fichait totalement du qu'en-dira-t-on. Il avait passé l'âge de se soucier de ces bêtises depuis bien longtemps .

Boya l'aida à prendre une position correcte. Il devait un peu tâtonner pour forcer les membres peu coopératif du vieux maître mais Seimei s'abandonnait de son mieux à ses gestes.

La première flèche rata totalement la cible. La seconde aussi mais fut plus proche. La troisième la toucha sur le bord haut.

"- J'ai touché la cible !"

La voix de Abe no Seimei était triomphante comme celle d'un petit shidi qui arrive pour la première fois à produire une série de formes sans faute. Boya ne put retenir un petit sourire indulgent.

"- Bravo. Maintenant, il faut aller les chercher et recommencer."

Seimei trotta pour aller chercher ses flèches puis recommença, volée après volée. Il faisait quelques progrès mais Boya isola très vite son plus gros problème.

"- Hum… Je vois… Est-ce que vous me permettez de tirer avec vous pour rectifier votre position ?"

Seimei avait les yeux brillants.

"- Je vous en prie."

Boya colla son torse au dos de Seimei qui frémit lourdement. Boya avait retrouvé une bonne partie de sa musculature. Elle roulait contre son dos à chaque mouvement au point de couper une seconde le souffle du vieux maître qui dut faire un effort pour conserver son calme.

Boya prit ses mains dans les siennes et guida totalement ses mouvements. Il utilisait Seimei comme un intermédiaire entre l'arc et lui. Comme le chasseur était un tout petit peu plus grand que Seimei, il lui fut aisé de poser son menton sur son épaule et de se pencher à son oreille pour lui murmurer doucement pourquoi il modifiait ses appuis et comment il devait trouver son assise au sol.

Le souffle de Boya dans son oreille rendait Seimei mou comme un vieux bout de beurre laissé sur une poêle.

La première flèche se ficha à quelques centimètres du centre. La seconde dans le centre.
Boya garda Seimei dans ses bras jusqu'à ce que le carquois soit vide avant de le lâcher.

"- Voila. Allez chercher vos flèches et recommencez. Seul cette fois."

Boya ne voyait pas le visage écarlate d'Abe no Seimei. C'était tant mieux sinon, il aurait forcement posé des questions.

Si ses volées suivantes ne furent pas aussi parfaites, elles touchèrent toutes au moins le cercle intérieur de la cible.

Boya était satisfait.
Seimei était tout émoustillé.

La vie dans le Temple continuait à son rythme pour le jeune chasseur.

L'arrivée du Printemps fut comme une gifle pour Boya.

Le soir, il s'était couché alors que le vent glacial qui descendait des montagnes paralysait le monde. Il s'était réveillé le lendemain en ayant CHAUD !

Le vent avait changé de direction et venait du sud. S'il faisait toujours en dessous de zéro, pour une population habituée à vivre sous moins vingt, frôler les positives était suffisant pour faire sauter les couches de vêtements des petits shidi qui se jetaient dans la neige avec juste une ou deux couches de robes et sans fourrure.

Leurs shixiong les laissèrent jouer quelque peu avant de les faire rentrer en riant avant qu'ils n'attrapent tous froids. Ça aurait été ballot quand même.

Les jeunes disciples râlèrent un peu mais obéirent sans attendre.

Boya inspira lourdement l'air "chaud" qui venait du sud. Il était chargé d'une odeur de fleurs et d'herbe comme il n'en avait plus sentit depuis bien longtemps.

"- Boya ! Le printemps est là, tu as vu ?"

Le jeune homme jeta un coup de bandeau à son Shixiong.

"- Non ? Et si tu me dis que c'est le moment idéal pour une fête, je vais te mordre."

"- Et pourtant, vous avez raison." Riait un des autre maîtres de la secte "Non seulement on va fêter ça dignement ce soir, mais ça veut dire aussi que c'est notre tour d'aller rendre visite à nos voisins."

Shao Zhiqiang s'enfuit en glapissant dans son fauteuil devant un Boya déterminé à le mordre.

Les petits shidi ne mirent guère longtemps à l'encourager avant de le suivre pour eux aussi tenter de mordre leurs Shixiong respectif.

Shao Zhiqiang finit par appeler son shishen pour qu'il le mette à l'abri en hauteur dans ses bras.

"- C'est de la triche !" Bouda Boya.

C'était bien la première fois de sa vie qu'il se comportait ainsi comme un sale môme mal élevé.
Et bon sang, qu'est-ce que ça avait été drôle !

"- Boya ! Zongzhu veut te voir dans son bureau."

Le chasseur lâcha la jambe de Shao Zhiqiang qu'il avait quand même attrapé et menaçait de mordre malgré tout. Son shixiong se débattait en riant sous le regard de blâme amusé de son shishen.

"- Qu'est-ce que tu as encore fait, Boya ?"

"- Mais rien !"

Il n'était pas du genre à faire grand-chose de négatif en général. Peut-être le renvoyer sur le terrain avec une poignée de juniors ? S'il fallait être honnête, il avait réellement adoré partir avec eux et leur enseigner ce qu'il pouvait, même s'il ne pouvait être d'une réelle utilité dans le cadre d'une vraie chasse. Il avait de la chance que le yin yang ne soit pas un Temple axé sur la destruction des démons.

"- Sans doute le mettre enfin à sa place." Persifla He Shouyue avec un large sourire.

Plusieurs de ses 'amis' gloussèrent de ses paroles pour approuver. Ils ne comprenaient pas trop pourquoi Boya était encore là. Il n'était qu'un esclave. Au mieux, il aurait dû être un serviteur. Mais certainement pas porter le blanc de la secte.

Boya fronça les sourcils.

"- Vous voulez qu'on discute tous ensemble une arme à la main de qui à sa place ici ?"

Sans surprise, le petit groupe s'égailla comme une volée de moineaux. Boya reconnaissait au moins ça à He Shouyue. Ses amis s'étaient écartés mais lui restait droit dans ses bottes et son mépris de sa personne. Ça n'en faisait pas quelqu'un de plus agréable à supporter mais au moins avait-il le courage de ses paroles. C'était plus que beaucoup d'autres. Le gamin mal élevé était toujours aussi mal élevé mais il commençait à prendre un peu d'épaules. Il était juste dommage que ce soit pour de mauvaises raisons et pour défendre de mauvaises idées.

Bah. Boya faisait ce qu'il pouvait.

Le chasseur suivit le maître qui l'avait invité auprès de Zhong Xing pour trouver le chef de secte comme souvent noyé sous les papiers. Comment pouvait-il encore trouver le temps de Cultiver ? A part avec son épouse, il n'en avait probablement pas matériellement le temps.

"- Zongzhu, vous m'avez fait appeler." Boya s'inclina devant Zhong Xing.

"- Assis-toi. Il y a bien longtemps que nous n'avons pas discuté tous les deux. Et avec ton accident, c'est encore plus compliqué."

Boya obéit et attendit calmement que le vieux maître de secte prenne la parole.

"- Comment te sens-tu ici, Boya ? Es-tu heureux ?"

La question n'était pas celle que le jeune chasseur attendait.

"- Je… Je me sens… bien. Heureux ? Oui… Oui, sans doute."

"- Tu n'as pas l'air très sûr."

"- Je suis désolé, Zongzhu. Mais je crois que je ne sais pas réellement ce que veut dire être heureux. Je suis à l'abri, mes yeux ne représentent plus un danger pour moi, j'ai des amis prêt à prendre des risques pour moi, à vous dire non pour me protéger. Je sais que je peux demander de l'aide si j'en ai besoin et même si c'est juste pour avoir un peu de compagnie, quasiment toute la secte trouverait quelques minutes pour moi. Je ne sais pas si je suis heureux, Zongzhu. Mais je suis…Bien. Je ne me vois pas être ailleurs. Ni avec d'autres gens. Je ris davantage en une semaine ici qu'en toute ma vie à JingYun. J'aime prendre du temps avec mes amis, j'aime avoir des shidi autour de moi… Alors… Si c'est ça être heureux, sans doute le suis-je, oui."

Zhong Xing était un peu triste que Boya ne sache pas reconnaitre ce qu'était le bonheur, mais la description qu'en fit le jeune homme le soulagea grandement. Même si Boya ne reconnaissait pas vraiment comme tel, il était heureux.

"- Je suis content de l'apprendre, Boya. La vie ici peut être rigoureuse, mais tant que les gens qui la partagent sont heureux, ça vaut le coût."

Boya s'inclina profondément. Il était… content de savoir qu'il était heureux après tout.

"- Merci Zongzhu."

"- Ce qui nous amène à ta situation actuelle. Tu es Maître-Chercheur à présent. Je te ferais grâce des blagues faciles sur les chercheurs qui sont encouragés à trouver de temps en temps pour te demander immédiatement quels sont très progrès ? J'essaie de te laisser aussi libre que possible mais j'ai besoin de savoir comment tu avances.

"- Ha ! Et bien… Je suis désolé, je n'ai pas fait de rapport et…"

"- Et tu es là pour le faire. Tes travaux sont, somme toute, assez sensibles. Je préfère qu'il n'y ait pour l'instant pas trop de littérature de ta main sur le sujet." Boya avait commencé à doucement se détacher de la carotte et du bâton. Zhong Xing n'avait plus vraiment besoin de le menacer de punition pour qu'il progresse. Pas avec l'emploi du temps que Boya s'était fait qui était une punition en soi.

Boya comprit immédiatement. Une rumeur avait dû trouver son chemin là où il ne le fallait pas. Quand rien n'était écrit, rien ne pouvait disparaitre pour atterrir dans des mains qu'il aurait fallu éviter.

"- Les derniers documents qui me sont parvenus étaient intéressant. Pas vraiment descriptif sur ce que je veux faire, mais intéressant dans l'absolu. Ils décrivent comment renforcer un sens avec sa cultivation."

"- C'est assez commun comme usage." Zhong Xing ne voyait pas trop le progrès.

"- Ici, il s'agit de "prêter" ses sens à quelqu'un. Ou, à contrario, de les lui emprunter. J'ai mais trouvé une référence pour projeter ses sens au loin."

"- …Boya ?"

"- S'il est possible de projeter sa vision à quelque kilomètres pour voir comme avec un Fu'yan mais sans…" La voix de Boya s'était lentement ralentit.

"- Boya ?" Qu'est ce qui arrivait au jeune homme ?

"- Zhong Xing Daren, avec vous un Fu'yan sur vous ?"

Le chef de secte en sortit un de ses robes pour le lui tendre. Boya le lui arracha littéralement des mains.

"- Je ne peux pas être aussi IDIOT ! Ce n'est pas possible d'être à ce point DEBILE !" S'auto insultait le jeune homme en chargeant le fu'yan de qi jusqu'à l'activer puis se le coller sur le front.

"- Boya ?"

"- … Ça fonctionne. Ça FONCTIONNE !" Il voyait !

Le talisman se mit rapidement à siffler. Zhong Xing n'eut que le temps de l'arracher du front de Boya pour le jeter au loin avant qu'il n'explose pour faire un trou visible dans le sol.

Si le chef de secte ne l'avait pas arraché, Boya se serait fait tuer.

Les deux hommes restèrent silencieux un long moment sous la stupeur avant que Boya ne murmure.

"- Vous faites plus jeune que je n'imaginais."

Le talisman lui avait permis de voir pendant quelque secondes. Et personne n'y avait pensé avant. Quoi que devant la dangerosité du talisman, certains avaient dû essayer et ne pas y survivre.

"- Boya.."

"- Je ne vais pas faire n'importe quoi, Zhong Zhu. Mais si j'arrive à appliquer le principe du Fu'yan sur un support organique, à savoir moi, je pourrais arriver à mes fins !"

C'était le second plus gros progrès qu'il faisait depuis son arrivée.

Il avait vu.

Pour la première fois depuis un an, il avait vu pendant quelques secondes. Ce qui ouvrait autant de possibilités que de questions. A quel niveau le Fu'yan fonctionnait-il ? Sur les yeux ? les nerfs optiques ? le cerveau ? la cultivation ? Autre chose ?

Boya en frémissait d'excitation.

"- Je ne veux pas que tu fasses de tests sans avoir quelqu'un avec toi."

"- Mm."

"- Je ne plaisante pas, Boya. Quelqu'un qui puisse t'aider en cas de pépin." Ce qui excluait Shao Zhiqiang ? Il avait beau être un ancien de JingYun, avec ses problèmes pour se déplacer, il ne serait jamais assez rapidement en cas de problème.

"- Je demanderai à Seimei Daren."

"- Ça me fait mal de le dire, mais il est probablement le plus à même de t'empêcher de t'auto faire exploser." Soupira Zhong Xing.

Boya avait l'un des sourires les plus larges que le vieux chef de secte lui avait jamais vu.

C'était une étape de plus.

"- Boya… Je t'ai demandé de venir me voir pour autre chose.

"- Zongzhu ?

"- Tu as du entendre que quelque uns du Temple vont aller présenter leurs respects à notre voisin." L'ancien chasseur hocha la tête. Bien sûr qu'il avait entendu. "Veux-tu venir ? Tu es mon disciple personnel, tu peux. Et je suis sûr que tes amis voudraient avoir des nouvelles directes."

Boya hésita un peu. Aller dans un domaine démoniaque ? De lui-même ?

"- Je leur dois bien ça, n'est-ce pas ?"

"- Et quelques cadeaux oui."

"- ….Très bien…"

Zhong Xing souriait avec satisfaction. Boya n'avait pas besoin de le voir pour le savoir. Il sentait son approbation sur lui. Le vieux maître était fier de lui. Malgré son passé, il choisissait de lui-même de l'accompagner dans ce qui aurait été l'un des pires pièges potentiels de son existence.

"- Ça ne va pas durer une semaine cette fois, n'est-ce pas ?"

Zhong Xing le rassura.

"- Non, juste une soirée. Nous arriverons en fin de journée pour saluer le Seigneur Anbei, présenter nos cadeaux, diner dans un grand banquet, profiter des festivités qui vont suivre et rentrer dans la foulée. Il ne faudra pas espérer dormir de la nuit, c'est tout."

Boya était soulagé. Ce n'était guère plus qu'un saut de puce. Il pouvait le faire. Avec tout ce qu'il devait à la secte nord et à Zhong Xing personnellement, il pouvait régner sur sa peur et sa haine pour quelques heures.

S'il était honnête avec lui-même, sa peur et sa haine des démons était en chute libre depuis son arrivée dans le nord. Ces monstres qu'il avait été dressé à tuer avaient été plus cordiaux et aidant que JingYun.

Ho bien sûr, ses frères et lui avaient été massacrés par des démons. Mais Boya n'était pas idiot. Ils n'avaient fait qu'obéir à leur donneur d'ordre comme des mercenaires totalement humains l'auraient fait dans une situation similaire. Ici, la monstruosité ne venait pas de l'espèce mais de l'ordre.

Il pouvait bien se tenir pour quelques heures

"- Dans combien de temps partons-nous ?"

Zhong Xing eut un sourire satisfait.

"- Trois jours."

Boya hocha sèchement la tête.

"- Puis-je disposer ?" L'aile des artisans l'attendait. Il avait deux bricoles à fabriquer pour des démons qui s'étaient épuisés à lui sauver la vie. Et trouver quelqu'un pour le conduire dans l'aile des artisans s'il ne voulait pas tourner dix ans dans les couloirs. C'était encore une zone qu'il connaissait mal.