Pourtant tout le monde s'amusait.
On le prit soudain par les mains.
"- Allez, venez Boya ! Venez danser !"
"- Mais… je ne sais pas…"
"- Vous savez marcher, vous savez danser !" Assura Sha ShengShi qui posa une main sur sa taille pour le pousser pour le guider au milieu des autres danseurs qui s'agitaient autour du feu.
Boya resta rigide et choqué quelques minutes avant de réaliser que tout le monde se fichait de la prestation du voisin. Il s'agissait de se laisser prendre par la musique et de danser sur elle, avec elle. Il reconnut très vite avoir déjà entendu ce musicien lors des jeux qui s'étaient tenu au temple. Sa musique s'insinuait sous la peau et vous emportait avec elle sans vous laisser le choix que de chanter avec elle, le corps et le cœur vibrant au sein d'une harmonie qu'ils partageaient tous. C'était la seconde fois qu'il était la victime d'un Harmoniste et commençait à apprécier la chose.
Plusieurs musiciens se succédèrent, plus ou moins doués mais aucun aussi prenant que le premier, sans que Boya ne trouve la force de s'arracher à la danse. On lui donna à boire et à manger à plusieurs reprises. Il changea plusieurs fois de partenaire au sein du conglomérat de danseurs qui n'en finissaient pas de s'amuser. Il réalisa avec surprise à un moment qu'il dansait avec Zhong Xing, puis Fangyue et même He Shouyue. Même le ronchon fils de son Shifu ne pouvait résister à ce besoin organique de partage et de plaisir que la musique leur mettait dans les veines. Il se retrouva même soudain avait un bras du Seigneur Anbei autour de la taille mais fut poussé à nouveau dans ceux de Sha ShengShi puis d'un tengu avant de pouvoir réagir au choc du qi glacialement brulant du renard démon.
Boya subissait et partageait cette Harmonie avec une délectation maniaque qu'il n'aurait jamais imaginé. Il la sentait résonner jusque dans son Node doré, jusque dans son Nom, comme si la musique vibrait dans son nom. Il comprenait mieux le terme d'Harmonie pour cette musique si prenante et vivante qu'il découvrait pour la première fois vraiment, comme si elle était une partie de lui et réveillait quelque chose tout au fond de son ventre. Et il en profita de toute son âme jusqu'à ce que les musiciens fassent une pause après plusieurs heures.
Alors seulement l'épuisement lui tomba dessus.
On l'aida à s'asseoir sur un coussin puis à boire encore et à manger.
Près de lui, He Shouyue s'était laissé tomber sur le dos sur les coussins et haletait comme un marathonien. Boya lui tendit une tasse de thé que le jeune homme prit avec reconnaissance.
Décidément, Boya ne comprenait pas cette inimitié entre eux. Ils pouvaient la surmonter quand ils le voulaient, non ? Sinon, pourquoi He Shouyue aurait-il posé sa joue sur sa cuisse et pourquoi le chasseur caresserait-il ses cheveux du bout des doigts pendant qu'ils se reposaient tous les deux ?
Ils restèrent au calme un moment.
Après l'excitation du début de soirée, ce calme relatif leur faisait du bien à tous.
Boya entendait les voix encore excitées des enfants du Domaine et celles, un peu grondeuses, de leurs parents. Il entendait les bruissements des étoffes, les rires étouffés des groupes qui s'étaient naturellement constitués entre humains et démons sans que personne n'y trouve à redire. Cette unité naturelle lui paraissait toujours aussi étrange mais si apaisante… Lui qui avait passé si longtemps à tuer des démons parce que c'était ce qu'il avait été dressé à faire prenait plaisir à cette paix bizarre qui lui semblait un peu artificielle.
Pendant quelques minutes, les oreilles bourdonnantes, Boya eut l'impression que sa peau était trop étroite pour ses chairs, comme si la musique avait emplit ses os et cherchait à le quitter. Ce n'était pas douloureux mais étrange. Comme si quelqu'un d'autre était encore en lui et cherchait à récupérer ce qu'il avait laissé derrière lui après l'avoir abandonné.
Boya se força à "voir" de son mieux autour de lui. Tout le monde était si épuisé que même le qi du Seigneur Anbei était assez atténué pour qu'il puisse "voir" quelque peu. Chacun vibrait encore de cette musique intérieure, mais il était le seul, avec ceux qu'il pensait être les musiciens eux-mêmes à résister à son départ. Comme si la musique elle-même rechignait à l'abandonner alors qu'elle trouvait en lui un hôte parfait.
Il but encore un peu de thé.
He Shouyue somnolait sur ses genoux avec un abandon de petit garçon que l'ancien chasseur ne pouvait que trouver à la fois bizarre et charmant.
Puis les dernières notes de musiques abandonnèrent le jeune maître qui sursauta sur ses genoux. Il se frotta les yeux une seconde puis s'écarta de Boya avec stupeur et un peu de révulsion.
Boya secoua la tête avec résignation. Il ne le comprendrait jamais.
Quelqu'un avait repris un erhu pour jouer à nouveau une délicate musique en sourdine qui lui fit refermer les yeux et pousser un gros soupir de contentement.
Après la frénésie de la danse, celle-ci était comme un baume sur ses muscles fatigués.
Il se laissa baigner dedans un long moment avant de s'étirer lourdement. Sa fatigue le quittait à chaque caresse d'une note supplémentaire.
Boya connaissait les bases de la cultivation musicale. Il la connaissait assez pour pouvoir être un Appât. Depuis qu'il avait perdu la vue, il avait appris sur son temps libre à diriger un peu son qi pour soigner ses propres plaies. Mais ce qu'il entendait-là était d'un autre niveau.
Un pipa se joint rapidement à l'erhu, puis un xiao, un second ehru, deux guqin et un second xiao. Les notes plus basses d'un sheng apportèrent un contre-point vibrant à l'Harmonie qui enflait doucement à la grande fascination de Boya.
Il ne comprenait pas ce qu'il "voyait".
Il ne comprenait pas comment ce à quoi il assistait était possible mais c'était là. Devant lui. Et il était fasciné.
La musique changea soudain. Ce qui n'était qu'une musique sans vraie rythme ni raison jouée machinalement par les musiciens pour se synchroniser devint autre chose. C'était une musique enlevée et pleine de vie qui lui donnait envie de jouer lui-même.
Ses mains le démangeaient.
La musique l'appelait.
Il y manquait quelque chose à son oreille qu'il savait qu'il pouvait remplir. La musique n'était pas complète. L'Harmonie vibrait d'être utilisée et appelait à grand cris quelqu'un qui pourrait en faire quelque chose.
"- Seigneur Anbei ! Vous allez Danser n'est-ce pas ?" La voix était féminine n'était pas inconnue de Boya sans qu'il sache le nom de la jeune femme.
Le rire du Seigneur démon était chargé d'affection.
"- Allons, allons. Mi Chong, J'ai passé l'âge tu ne crois pas ?"
Mais les voix se multiplièrent jusqu'à ce que plusieurs shidi prennent leur courage à deux mains pour venir prendre celles du seigneur démon et le trainent au milieu des danseurs qui recommençaient à se rassembler autour du grand feu qui se balançait en rythme avec la musique. Si avant, les musiciens jouaient pour les danseurs, cette fois, c'était les danseurs qui dansaient pour la musique. L'Harmonie se nourrissait d'eux autant qu'ils dansaient sur et pour elle.
Zhong Xing avait bu juste assez pour être joyeux mais pas encore ivre, comme la grande majorité des membres de la secte aussi bien que des esprits et des démons présent.
Boya sentait glisser sur lui les qi de bien trop de monde mais atténués par l'alcool et la bonne humeur générale. Il n'en souffrait pas. Il n'en souffrait plus.
L'Harmonie elle-même le protégeait des qi autours de lui à mesure qu'il la laissait le prendre.
"- Très bien, très bien. Je me rends" Le seigneur renard était visiblement très amusé par l'enthousiasme des plus jeunes, aussi bien les shidi que les plus jeunes démons de sa propre cour qui sautillaient sur leurs pattes ou leurs pieds autour de lui.
Boya leur enviait leur liberté et leur facilité à être affectueux et cordiaux les uns avec les autres. Il n'y avait pas de peur ou de rancœur entre eux. Ils n'avaient pas été élevés dans un environnement où la haine et la peur de l'autre devait s'épanouir. Pas ici.
Pour la première fois depuis son arrivée, Boya réalisa ce que les contacts étroits entre le Domaine et le Temple représentaient.
C'était une douce utopie portée quasi exclusivement sur les épaules du Seigneur du Domaine.
S'il disparaissait, tout s'effondrerait comme un château de poussière. Mais en attendant…
En attendant il était comme un rempart contre la réalité plus dure et cruelle qu'avait été la jeunesse de Boya.
Le souffle de Boya s'étrangla dans sa gorge lorsque la musique changea soudain.
Un erhu, un pipa, un xiao s'étaient rajoutés à ceux qui jouaient déjà… d'autres instruments qu'il ne reconnaissait pas à l'oreille mais qui le charmaient néanmoins. Sans doute des instruments purement démoniaques qu'il crevait d'envie de voir.
Il ouvrit un peu plus ses perceptions pour "voir"' de son mieux la forme vague du Seigneur démon se mettre à danser avec ses éventails. Il avait retiré sa robe supérieure pour être plus à l'aise. Au milieu des enfants et des jeunes adolescents des deux espèces qui dansaient avec lui, abandonnés à la musique comme dans une transe heureuse qui les nourrissaient tous de plus que de qi, le Seigneur Démon avait un doux sourire qui le rajeunissait. Il y avait un partage plus profond, presque atavique, ancestral, animal même que Boya n'arrivait qu'à subir sans le comprendre. L'Harmonie s'emparait de plus en plus de lui, toujours inutilisée, à peine effleurée par le Seigneur Démon qui se contentait de jouer avec elle. Boya ferma les yeux et se laissa bercer par les vagues de musique, de qi et de danse qui l'effleuraient comme autant de caresses enlevées et énergiques.
Il voyait mieux les yeux fermés mais cherchait à voir encore.
Il aurait tellement voulu pouvoir réellement "voir" les enfants et le démon qui noyaient la secte dans le plaisir simple de danser avec la musique chargée de qi des quelques démons qui jouaient pour leur Seigneur et le plaisir de tous les spectateurs.
L'Harmonie lui coula dans les doigts sans qu'il ne puisse davantage refuser de répondre à ses cris. Elle voulait que quelqu'un la prenne et l'utilise. Elle ne pouvait rester juste immobile et stagnante alors qu'elle était créée pour vibrer pour eux tous. Le dizi de Boya monta à ses lèvres sans qu'il ne s'en rende compte. Le son plus aigu et enlevé de sa flute se joignit à la musique des démons. Là où la leur était plus basse, vibrante comme un tremblement de terre que rien ne peut arrêter, ou s'il pouvait utiliser une image, comme des renardeaux qui jouaient entre eux quitte à tout ravager sur leur route, sa musique improvisée se mêlait à la leur comme le vol d'un petit oiseau qui prends plaisir à sa liberté mais participe de sa seule présence au jeu des renardeaux.
La cultivation musicale des démons hésita une seconde sous la surprise mais l'Harmonie ne faiblit pas un instant. Au contraire, elle l'accueillit à bras ouvert, si bien que les musiciens eux-mêmes accueillirent Boya à mêler son qi aux leurs comme personne ne l'avait jamais accueilli.
Pour la première fois de sa vie, Boya découvrait la joie de tenir entre ses doigts une Harmonie de cultivation.
Le rire du Seigneur démon lui gonfla la poitrine de plaisir alors que les mouvements du très vieux renard se faisaient plus enlevés et plus acrobatiques.
Boya avait l'impression que le vieux prédateur avait posé le pied sur sa musique et dansait sur elle pour s'élever. L'ancien chasseur avait l'impression qu'il tissait de sa musique celle des autres musiciens pour offrir au vieux renard une meilleure piste de danse.
Il n'entendit pas les hoquets de surprise autour de lui lorsque le Seigneur Anbei posa le pied sur un fil de qi puis un autre et s'éleva lentement tout en continuant à danser jusqu'à plusieurs mètres au-dessus du feu et de sa cour rassemblés, perdu dans sa danse comme Boya dans sa musique, le premier tissant le qi qu'il tirait de sa Danse pour l'offrir à tous ceux qui étaient là et le second tissant la musique des autres musiciens pour offrir un chemin de grâce au danseur.
Boya ouvrit soudain les yeux.
Un sourire lui monta aux lèvres sans que son jeu ne s'interrompe. Il voyait le renard à neuf queues bondir sur sa musique comme un renardeau. Il le voyait au milieu de l'infinité de fils de qi qu'il tissait et projetait autour de lui pour que le renard les utilisent.
Il voyait le renard et pas la forme humanoïde.
Boya battit des… non… Ce n'était pas ses yeux qui voyaient.
Ses yeux étaient toujours fermées. Pourtant, il voyait.
Il voyait les couleurs et les formes. Il voyait l'énorme corbeau blanc où il savait qu'était Xue TianGou jouer avec le bout de ses ailes sur un guqin. Il voyait comme une poupée de porcelaine à taille humaine assise près de lui qui jouait du xiao, un énorme papillon blanc et rouge posé sur le coussin près d'eux qui se nourrissait de la musique comme du plus gouteux des nectars. Il voyait l'un des musiciens qui n'était qu'une forme humanoïde et minérale penchée sur un pipa.
Partout autour de lui, Boya voyait les formes spirituelles, les formes véritables de leurs hôtes.
Il aurait pu paniquer. Il aurait pu simplement réagir. Mais ses doigts sur son dizi, ses lèvres soudées à l'instrument, il ne pouvait que jouer et jouer encore l'Harmonie que la musique exigeait qu'il tisse pour le seigneur renard jusqu'à ce qu'il relâche les fils de qi sur lequel il dansait.
Le Seigneur Anbei cessa lentement de danser. Hors d'haleine, aussi surprit que tous les autres de ce qui venait de se passer, il laissa le plaisir de la musique et de la danse le quitter avec regret.
Lorsque ses pieds touchèrent enfin le sol, les instruments se turent les uns après les autres.
Un long flottement parcouru les disciples et les esprits rassemblés. Personne ne voulait briser ce moment magique.
Jusqu'à ce que le voisin immédiat de Boya ne lâche un petit cri.
"- BOYA ! TU SAIGNES !"
Boya sursauta. Il saignait ? ho….. ha oui… ses doigts et ses lèvres lui faisaient mal, comme s'ils étaient brulés. Mais c'était surtout son front qui inquiétait son frère de secte. Boya le voyait… le voyait…
LE VOYAIT !
Il hurla soudain sous une décharge de douleur affreuse avant de s'effondrer dans l'inconscience.
Zhong Xing se mâchonnait machinalement le coté du pouce.
Boya avait été conduit à l'infirmerie du Domaine.
Les guérisseurs avaient été rassurant. Il allait très bien. Ses réserves étaient à sec mais il allait très bien.
Si ce n'était la coupure verticale sur son front et le sigil bizarre entre ses sourcils.
A l'inverse, le Seigneur Anbei en vibrait de contentement. Il savait exactement ce qui c'était passé et était trop frétillant pour répondre.
Le grand renard blanc riait sans fin depuis plus d'une heure et si le bruit qu'il émettait donnait envie de rire aussi, le chef de secte devait se faire violence pour conserver son calme.
"- Seigneur Anbei !" Finit-il par aboyer sèchement après le renard qui n'en finissait pas de rire en se roulant dans ses queues comme le plus indiscipliné des renardeaux.
C'était bien la première fois de mémoire de Zhong Xing qu'il voyait le Seigneur du Domaine aussi folâtre.
QingMing finit par lui jeter un regard irrité avant de reprendre forme semi-humaine.
"- Et bien quoi ? Vous devriez être déjà à moitié ivre pour fêter ça !"
"- Mais fêter quoi à la fin ! Que Boya soit ENCORE dans une infirmerie ? Je vais finir par l'attacher dans un lit et l'empêcher d'en bouger."
"- Vos pervertirons n'intéressent que vous, Zhong Xing."
"- Que ? MAIS NON ! PAS COMME ÇA !" cette fois, l'humain était scandalisé autant qu'horrifié. "QINGMING !"
Le renard démon repartit dans un fou-rire irritant pour les nerfs du chef de secte qui dut se forcer au calme. Fangyue avait posé sa main sur son poignet pour l'enjoindre au calme.
"- Restez tranquille mon aimé. Il finira bien par nous expliquer."
Le Seigneur du Domaine finit par se calmer pour de bon mais conserva sa forme vulpine.
"- Mais expliquer quoi à la fin ? Vous avez des yeux non ? Vous avez vu ! Non seulement le jeune Boya à Chorégraphié une Harmonie, mais en plus il a ouvert son troisième œil !"
Zhong Xing en resta silencieux, choqué. Fangyue porta la main à ses lèvres, elle aussi choquée. La réponse était si inattendue qu'ils ne virent pas le regard de pure haine de He Shouyue. Comment un misérable esclave ? Un handicapé, un aveugle sans intérêt qui ne vivait aux crochets de la secte que par la simple bonté de ses parents pouvait-il les humilier tous aussi brutalement ?
Le renard géant s'était allongé sur sa pile de coussins, à moitié vautré sur le flanc et les pattes avant croisées. Ses longues queues n'allaient pas tarder à commencer à muer. Le tonneau poilu qu'il était l'hiver avait commencé à reprendre une silhouette plus svelte mais le renard avait encore prêt de la moitié de son poids à perdre en graisse d'hiver pour ne plus faire bouboule. Il était remarquable que même ainsi il soit aussi impressionnant.
"- Comment a-t-il pu faire ça ? Ses compétences en cultivation musicales sont remarquables mais il ne s'y entraine même pas tant que ça ! Et ses découvertes pour l'usage de son troisième œil sont encore à peine plus que des balbutiements. Il a même faillit se faire exploser la tête en se collant un fu'yan sur le front !"
La longue langue rose du renard sortit encore de sa gueule pendant qu'il riait avec délectation.
"- Quoi qu'il ait fait ou compris, même de façon inconsciente, à suffit. Et puis les accidents arrivent. Il faut qu'il parviennent à renouveler ce qu'il a fait, maintenant"
La satisfaction du démon était presque inquiétante.
Zhong Xing se secoua. Il était le propriétaire et surtout le Shifu de Boya. Si quelqu'un pouvait et devait le protéger, c'était lui.
"- N'allez pas essayer de nous le voler, Seigneur Anbei."
Le démon se rassit correctement sur ses coussins une fois ses poils en grand partie repoussés.
"- Vous le voler ? Ce n'est pas mon genre, Zhong Xing. Et vous le savez. Je suis juste charmé par ce jeune homme et son potentiel. Je n'avais pas rencontré d'humain comme lui depuis très, très longtemps. Plusieurs siècles pour être honnête." Il se souvenait d'un jeune homme au sourire facile qui avait tout sacrifié pour sauver ceux qu'il estimait être digne de sa protection et qui était mort rejeté par tous parce qu'ils n'avaient pas accepté son génie. "Un homme comme lui se protège comme le plus fragile des joyaux, Zhong Xing. Je vous le laisse tant que vous saurez faire au mieux pour lui. Il ne serait pas heureux parmi les miens malheureusement. Il est trop humain pour ça." Pas encore. Pas sans raison impérieuse. Dans quelques décennies peut-être… QingMing avait le temps de lui faire sa cour et de le séduire. Il avait commencé depuis longtemps. Qu'elle parvienne à ses fins maintenant ou dans un siècle n'avait guère d'importance pour lui. Ou pour Boya. "Prenez soin de lui. Aidez le de votre mieux à se développer, protégez le comme il le mérite et je n'aurais aucun raison de le récupérer."
Zhong Xing serra les dents mais il ne pouvait en aucun cas s'opposer au Seigneur Démon. Il n'avait absolument aucun moyen de pression. QingMing décidait et il ne pouvait que faire son gracieux pour accepter. C'était le cas plus généralement mais il était rare que le Seigneur Anbei éprouve le besoin de rappeler au chef du yin yang que même sa secte était dans le creux de sa main sans qu'il ne puisse rien y faire.
"- Je ferais de mon mieux pour protéger mon temple et tous ses membres. Vous le savez, Seigneur Anbei." Le démon eut un sourire calme et froid. Il était rare que le prédateur soit à ce point proche de la surface. "Est-il possible de le voir ?"
"- Bien sûr, venez. Je l'ai confié à MiChong."
Le chef de secte, son épouse et leur fils suivirent le Seigneur Démon dans une partie du domaine qu'ils n'avaient jamais arpenté jusque-là. La petite vallée avec sa grande maison au milieu d'un là où ils se retrouvaient toujours était ceinte de hautes parois de pierre qu'ils auraient mis des jours à escalader s'ils voulaient les dépasser. Mais ses dizaines de grottes s'ouvraient sur la petite vallée pour s'enfoncer dans la montagne. Les couloirs qu'ils parcoururent auraient pu être oppressant s'ils n'avaient pas été à ce point éclairés par ce qui semblait être de la mousse phosphorescente qui poussait directement sur la roche. De loin en loin, ils rencontrèrent des serviteurs qui s'inclinèrent sur leur passage.
"- Que font-ils ?"
He Shouyue était curieux. Pourquoi arrosaient-ils les murs ?
"- Il faut entretenir les mousses et les champignons qui éclairent les galeries. Une à deux fois par semaine, il faut les arroser avec de l'eau de source sucrée. Ces serviteurs ont pour seule fonction de parcourir en permanence les couloirs pour ce travail. Il y a des centaines de kilomètres de galeries après tout." Sourit largement QingMing.
Celui qui voudrait s'enfoncer dans cette tanière géante pour tenter de s'en prendre à ses habitants avait intérêt à savoir très précisément où il allait.
"- Nous y sommes."
Le Seigneur des lieux ouvrit une porte de bois sombre qui tourna sur ses gond pour révéler une grande pièce lumineuse où une centaine de lits alignés au moins remplissaient l'espace mais sans parvenir à en réduire la taille. Le plafond était trop haut pour ça.
"- Les plus grand démons doivent pouvoir s'installer ici confortablement" Expliqua une petite démone qui devait arriver maximum à la hanche du seigneur Anbei.
"- Lia Li. Salutations."
"- Seigneur Anbei." Elle avait la brusquerie ordinaire des guérisseurs. Elle n'avait pas que ça à faire. La politesse faisait perdre du temps.
"- Comment va notre patient ?"
"- Il va bien, QingMing."
Le demi-démon soupira de soulagement.
Assise près d'un lit occupé par un ancien chasseur qui avait repris des couleurs, MiChong changeait régulièrement le morceau de tissu posé sur son front pour faire baisser la fièvre.
"- Il ne s'est pas encore réveillé ?"
"- A sec comme il est ? il en a pour deux ou trois jours encore. Mais vous pourrez le ramener chez vous sans risque, Zhong Xing Zongzhu." Rassura encore la guérisseuse. "Il a juste besoin de dormir et de manger. Ses méridiens se sont brutalement élargis d'un coup à cause de ce qu'il a fait. Normalement, il aurait dû se tuer. Ou faire une déviation. C'est bizarre d'ailleurs. Ses méridiens sont comme… Elastiques. Comme s'ils avaient l'habitude de s'élargir brutalement d'un coup au lieu de croitre lentement. Enfin, quel qu'en soit la raison, c'est ce qui l'a sauvé. Sa cultivation s'est mise en sécurité toute seule, par réflexe. Il s'est effondré pour protéger son cerveau pendant que le reste s'adapte."
Zhong Xing avait fait la grimace. Si on avait pu imaginer que les limiteurs de JingYun et leurs effets pourraient être un jour bénéfique… Mais ce n'était pas la question.
"- Peut-on s'attendre à des séquelles ?"
"- Migraines et acouphènes pendant quelques jours sans doute. Ses doigts et ses lèvres ont été brulés au premier degré aussi. On les a soigné mais ça sera sensible une petite semaine. Donc pas d'écriture ni de musique jusque-là. Ho ! Et… Seigneur Anbei. Il a perdu un orteil il y a quelques semaines. C'est tout frais. Mais ça date de sa présence au temple." Le petit bout de démone jeta un regard noir au chef de secte qui se tassa sur lui-même.
"- Je suis au courant." QingMing avait les lèvres pincées. "le jeune Boya est très doué pour faire un peu n'importe quoi quand il veut."
Bon, si c'était la faute du gamin… tant que ce n'était pas celle de sa secte, ça allait.
"- Et bien qu'il soit mieux suivit. Il est maigre comme un pinson à la fin de l'hiver. A cette période de l'année, il devrait faire entre vingt et trente kilos de plus."
"- Les humains ne se mettent pas de graisse pour l'hiver, Lia Li." Souriait largement MiChong.
"- et bien il devrait. Il est de toute façon en dessous de son poids de forme. On lui voit les cotes. Cotes qui ont été bien trop cassées pendant sa jeunesse. Je lui en ai recassé plusieurs avant de les ressouder correctement. Il devrait mieux respirer."
"- Peut-on le ramener dès maintenant ?"
"- Si vous faites attention en le déplaçant, oui. Et confier le à quelqu'un qui peut prendre le temps d'en passer avec lui. Je vous déconseille un guérisseur."
Zhong Xing en fut surpris. Un guérisseur serait plus à même de monitorer son état et de l'aider en cas de besoin.
"- Pourquoi donc ?"
"- Un guérisseur comme les vôtres ne pourra pas s'empêcher d'aller tenter de le tripatouiller pour l'aider à se remettre plus vite. Il a besoin de lenteur et de calme. Il a besoin que son corps s'adapte à son rythme à ce nouveau changement. Il est urgent de ne rien faire pour lui à part lui prodiguer des soins sans la moins interférence de cultivation." Insista la guérisseuse. "Surtout que je ne comprends pas comment ses méridiens peuvent être aussi souples et élastiques. Je n'avais jamais vu ça en trois mille ans." Il en avait vu passer des cultivateurs. Presque autant que des esprits ou des démons. Mais ça ? Jamais.
Zhong Xing comprenait mieux.
"- Je vois. Je trouverais quelqu'un à qui le confier."
Il n'avait pas trente-six solutions.
"- Je suis sûr que Abe no Seimei sera ravi de passer du temps avec lui." Soupira encore Zhong Xing.
Le Seigneur Anbei rit doucement.
"- Seimei ? Vous voulez le confier à Seimei ? Ce vieux grigou va prendre plaisir à exiger les pires récompense pour l'enfermer ainsi dans le temple quelques jours."
"- Seimei Daren apprécie grandement Boya. Trop à mon gout. Et je ne comprends pas pourquoi Boya l'apprécie tout autant alors que c'est une vieille carne avec un mauvais caractère à tuer un âne."
"- Vous n'avez jamais aimé Seimei."
"- Je suis sûr qu'il est votre contemporain, Seigneur Anbei. Mais c'est justement pour ça que je me méfie de lui comme de la peste."
Le rire du renard fut si fort qu'il dérangea Boya dans son sommeil. Le jeune homme gémit dans son sommeil jusqu'à ce que la main glacée du seigneur démon se pose sur son front. Le froid cuisant apaisa sa fièvre assez vite.
"- Seimei est un salopard cynique qui sait être plus cruel que moi et un danger public à l'humour tordu qui me terrifie." Reconnu le vieux renard. "Mais il a le cœur au bon endroit. S'il s'est attaché à Boya, vous pouvez être sûr qu'il pourrait tuer pour le protéger. Et n'importe qui. Vous y comprit. Ou moi. Enfin… il essayerait en tout cas."
"- Avec une bonne chance de réussite ?" La question de Fangyue était tout sauf une plaisanterie. La jeune femme ne souriait pas.
"- J'espère que nous n'aurons jamais besoin de tenter la chance pour le savoir, Fangyue. Parce que je suis incapable de le savoir. Et lui non plus j'en suis certain. Ce que je sais, c'est que les dommages collatéraux ne valent pas le coup de nous faire nous affronter. Il ne resterait sans doute plus grand monde dans le coin pour féliciter le survivant de toute façon."
Pendant une seconde, le chef de secte, son épouse et leur fils virent une véritable tristesse et une douce mélancolie sur le visage du Seigneur Démon. Ils ne savaient pas ce qui avait fait remonter de désagréable souvenirs à l'esprit du vieux renard, mais ce qui n'était pour lui qu'un réel regret avait de grande chance de faire hurler de terreur à peu près n'importe qui d'autre.
"- Encouragez le plus fort à appeler son premier shishen à lui, Zhong Xing. Il en a besoin. Et son shishen a besoin de lui. Il faut qu'il accepte qu'être lié à quelqu'un dont il sera responsable fait partie de sa vie à présent."
Zhong Xing hocha silencieusement la tête. Il aurait pu se hérisser que le vieux Seigneur Démon lui donne ainsi des ordres mais QingMing ne faisait qu'insister sur quelque chose qu'ils savaient tous déjà parfaitement. Boya avait besoin d'aide, de protection, de surveillance et d'un ami. Tant qu'il resterait seul avec lui-même, il serait en danger.
"- Je vais faire au mieux."
Mais que pouvait-il promettre de plus ? Pas grand-chose malheureusement.
Anbei QingMing finit par reprendre son masque de calme tranquillité qu'il avait toujours. Une fois de plus, la petite fête du printemps avait apporté quelque chose qu'ils n'attendaient pas.
"- Quand il sera en état pour reprendre l'entrainement, prévenez moi. Je suis certain que Kuang HuaShi acceptera de venir l'aider à travailler sa cultivation musicale." Pour un Harmoniste né, il serait même probablement prêt à tout ou presque.
"- Je le lui dirait mais je ne veux pas qu'il se sente contraint et forcé d'accepter la présence d'esprits ou de démons près de lui s'il n'est pas prêt."
Le vieux renard contint son irritation. Il ne pouvait pas faire grand-chose pour soulager les résistances de l'humain à part lui prouver encore et encore que les démons et les esprits n'étaient pas que des monstres.
"- … Pensez-vous qu'il serait plus ouvert à mon intervention si je lui offre la tête de la renarde qui a tué sa mère ?"
"- Pensez-vous que le traumatiser au-delà de la terreur soit une bonne idée ?"
QingMing grimaça. S'eut été maladroit. Certes. Maiiiis… plus tard peut-être, encore une fois.
Il la ferait chercher quand même et emprisonner. Il avait les hommes pour, l'argent à gaspiller et le temps devant lui pour la trouver pour l'offrir plus tard au jeune homme. En descente de lit peut-être ? ou en chaussons ? Il lui offrirait de toute façon sa tête, son cœur et son foie. QingMing se réserverait ses queues.
