Le démon se jetait contre les murs toujours changeant de sa prison.
Les juniors faisaient un travail remarquable avec leur proie. Boya serait fier d'eux lorsqu'il aurait le temps de l'être.
Pour l'instant, il s'approcha de la créature qui se débattait en pleurnichant. Le démon avait mal, c'était évident. Il ne pourrait répondre dans ces conditions. Ils allaient devoir d'abord le libérer avant toute chose.
Boya s'accroupit près du démon. Sous sa "vision" encore brouillée par les boucliers des enfants, il voyait le démon de pestilence pour ce qu'il était réellement, enfermé sous les couches et les couches de sigils et de sortilèges qu'il connaissait et aurait reconnu s'il n'avait pas appris leur existence à JingYun. Son ancienne secte était très rigide pour beaucoup de chose. La structure de base de quasi tout son travail de sort et de sigil avait la même forme. Il y avait des nuances bien sûr, mais quand on savait où regarder, c'était aisé de voir la signature de JingYun dans ce qu'il avait sous les yeux.
Le sort qu'il avait déjà vu deux ou trois fois dans son adolescence avait été partiellement altéré et modifié pour ralentir la progression de l'épidémie. Les victimes devaient souffrir au lieu de s'éteindre rapidement. Le maléfice avait été calibré pour détruire une lignée en prenant en compte le manque de personne capable de le reconnaitre et de savoir quoi faire. JingYun avait été spécifiquement et délibérément désigné pour lancer ce maléfice. La question qui se posait maintenant était pourquoi et pour le bénéfice de qui ? Le Nord était farouchement indépendant et n'acceptait la domination de l'Empire que parce que s'en débattre serait trop usant et n'apporterait rien. Tant que le Trône n'exigeait rien du Nord, ses habitants toléraient que le Grand Couillon en chef qui réchauffait le trône avec son cul se gargarise de dire qu'il était leur chef. La réalité était que le seul Seigneur du Nord était la Neige. Nombreux auraient voulu voir l'Empereur venir dans le Nord et tenter de lui expliquer qu'elle n'était pas maitresse en toute chose ici. Voir l'Empereur congeler tout seul alors qu'il luttait contre une force bien au-delà de ses forces et de sa compréhension aurait ravi pas mal de monde. Mais ce n'était pas la question pour l'instant.
"- Approchez." Ordonna Boya aux Séniors qui utilisaient leur qi pour apaiser de leur mieux le démon et surtout retenir son qi de contaminer tout ce qui se trouvait autour de lui. "Regardez attentivement notre petit ami. Si vous cherchez attentivement, vous pourrez voir les chaines du sortilège qui le retiennent."
Il fallut un long moment aux séniors pour qu'il les sentent à défaut de les voir. Dans ce cas spécifique, Boya était bien mieux armé qu'eux pour voir ce qu'était réellement leur ennemi.
"- Il faut le tuer ou il est possible de le libérer ?" Les nordistes étaient mal à l'aise à l'idée de tuer une victime.
Boya aussi, un peu.
"- Si vous suivez précisément le sort, vous parviendrez à trouver son nœud primaire. Cherchez le."
Ses poussins étaient là aussi pour apprendre après tout.
Les trois jeunes adultes peinaient à comprendre et à voir ce que Boya leur disait.
Pendant qu'ils tâtonnaient dans leurs perceptions, Boya surveillait aussi les juniors. Ils fatiguaient mais leurs boucliers tournant leur donnait encore un peu de temps. Il n'irait pas jusqu'à les épuiser. Lorsque le premier des petits montrerait un signe de défaillance, il reprendrait les rênes de la situation, que les séniors aient finit ou non.
"- Alors ?"
"- Heu… Je crois… Il y a quelque chose de plus… plus… Comment dire… De plus…épais ?"
C'était difficile de décrire précisément ce qu'il ne parvenaient pas à voir, juste à percevoir. C'était comme devoir décrire le visage de quelqu'un en ne le voyant qu'en vision périphérique.
"- C'est ça. Comment pensez-vous qu'il soit possible de libérer notre petit ami ?"
Boya ne réalisait pas qu'il se mettait à utiliser les même terme que Zhong Xing. Ils n'avaient jamais chassés ensemble pourtant. Leurs relations étaient même étrangement limitées alors qu'ils étaient censés être Shifu et élève. Sans doute l'âge et la situation de Boya n'aidait-elle pas Zhong Xing à réellement le prendre sous son aile. Enfin, si tant est que Abe no Seimei l'eut laissé faire. Tout le monde au yin yang partait du principe que Boya était davantage l'élève du vieux maître excentrique que de Zhong Xing.
"- …En coupant le nœud primaire ?" C'était ce qui semblait le plus facile.
"- C'est une méthode, oui. Les créateurs de ce maléfice ne se sont pas embêtés à faire des protections pour empêcher qui que ce soit de désamorcer leur œuvre. Ici, il est donc aisé de régler le problème. Il y a des cas où ce ne sera pas aussi simple. Dans la majorité des cas en fait. Ici, la fénéantise de nos camarades du sud nous facilite grandement la tâche. En général, il y a des sigils dans les sigils qui peuvent causer de gros problème. Nous n'avons pas le temps que je vous explique ni que je vous montre mais une fois rentré, je pourrais vous apprendre comment désamorcer les sigils dangereux les plus courant. Les autres découlent tous d'une variation ou d'une adaptation. Le jeu est d'arriver à comprendre comment ils sont créés pour savoir comment les désamorcer." Lui avait apprit dans la douleur. Il était un mauvais avec tout ce qui était sorts et sigils. Comme souvent à JingYun, quand on peinait à apprendre un truc, le fouet était là pour vous motiver. Boya avait été TRES motivé dans son adolescence. Il suffisait de voir combien il peinait avec les trois arcanes du Yin Yang pour réaliser qu'il était un incapable pour tout ce qui n'utilisait pas une arme. Tout ce qu'il avait réalisé depuis qu'il avait perdu la vue l'avait été par instinct de survie. Apprendre la théorie, même un canard à l'orange pouvait. Mais le reste… Bah.
Les juniors se crispaient de plus en plus. Ils allaient parvenir à leur limite.
"- Nous n'avons plus le temps. Utilisez une lame de qi pour trancher doucement le nœud primaire du maléfice. Il devrait se déliter tout seul."
Le plus dégourdit des trois séniors avala sa salive. Il fit briller de qi son éventail de combat en soie noire puis l'abattit d'un coup sec sur le nœud du maléfice qui brilla un instant avant d'exploser en silence.
Boya avait fermé les yeux et détourné la tête mais la rupture du sort l'aveugla néanmoins pendant quelques seconde, le temps que la résille de qi se désagrège. Les séniors étaient assez doués pour pouvoir suivre tous les fils de maléfice des yeux et les voir se consumer, même ceux qui quittaient le démon pour aller s'accrocher aux malades encore en vie.
Les derniers fils de qi s'enflammèrent avant de disparaitre.
"- Les malades encore en vie vont se remettre en combien de temps ?" Souffla un des séniors.
Les juniors s'étaient laissés tomber par terre. Ils s'approchèrent à quatre pattes pour se pelotonner dans les jupes de Boya qui les serra contre lui. Le plus dur était fait. Le démon était encore là, mais il était trop mal en point pour être dangereux même si c'était un démon de pestilence.
"- Ils seront sur pieds en quelques heures, quelques jours au pire pour les plus faibles."
Est-ce que Boya était le seul à voir un petit lapin tremblant à l'endroit où le démon s'était écroulé ?
"- Qu'est-ce qu'on fait du démon, Boya Daren ?"
"- On va tenter de communiquer avec lui puis lui laisser le choix. S'il décide de partir et qu'il accepte de ne faire de mal à personne, ça ira." Dans le cas contraire, il lui enfoncerait son épée dans la gorge sans la moindre vergogne.
Le démon geignit douloureusement. Il était perdu, blessé, épuisé et ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il se rappelait avoir trouvé un repas gratuit puis plus rien avant la douleur.
Maintenant, il était à nouveau libre de ses mouvements mais des prêtres le fixaient froidement. Il recula de son mieux sur le sol jusqu'à toucher un mur contre lequel il se pressa en tremblant. Qu'on ne lui fasse pas de mal. Juste pas de mal. Il était peut-être un démon de pestilence, mais il s'en nourrissait. Il ne la rependait pas. Les comme lui qui la rependait le faisait pour des raisons qui leur était propre. Lui, il ne l'utilisait que pour se nourrir. Un troupeau de moutons qui meurent, c'était autant de viande fraiche pour lui. Tant pis pour les humains. Et puis, il fallait bien qu'il la trouve quelque part la pestilence. Quand il n'avait pas faim, il la prenait en lui pour l'utiliser plus tard. Nombre d'épidémies avaient été causées par des démons de pestilences. Mais tout autant avaient été évitées par ce qu'ils étaient là !
"- Personne ne te fera de mal, démon. Pas si tu réponds à nos questions." Promis Boya.
Les juniors étaient rincés mais observaient tout ce qui se passait avec avidité.
Le démon gémit encore pathétiquement. Il écoutait. Il ferait tout pour qu'on ne le tue pas.
"- Est-ce que tu peux nous dire ce qui t'es arrivé ?"
"- Je n'ai voulu faire de mal à personne." Mais c'était des cultivateurs. Ils ne le croiraient jamais et…
"- Je sais. Ce n'est pas ce que je te demande. Est-ce que tu sais qui t'as enchainé ?"
Le démon secoua la tête négativement.
"- Ce qu'il te voulait ?"
"- Il m'a forcé à boire du sang avant de m'ordonner de le détruire."
Classique encore une fois. Boya n'était absolument pas surpris.
"- Est-ce que tu peux le décrire ?"
"- Un homme en bleu. Mais il portait un masque."
"- Taille ? Poids ? Quelque chose ?"
Le démon tremblait de plus en plus. Il avait froid. L'un des junior fourragea dans sa poche qiankun pour en tirer une couverture qu'il alla poser sur les épaules du petit démon humanoïde couvert en partie de fourrure grise. Le démon parut affreusement perturbé par la générosité du geste.
"- Un…. Un homme un peu plus petit que vous. Mais plus massif. Plus musclés. Et… Avec une épée." Et c'était tout ce qu'il pouvait en dire. C'était peu.
Boya hocha la tête. Il ne s'attendait pas à davantage.
"- Je vois." Les séniors reniflèrent. "Qu'est-ce que nous allons faire de toi ?"
Le démon se mit immédiatement à chercher une porte de sortie. Il était trop fragile et trop faible de toute façon pour parvenir à s'en sortir face à une dizaine de prêtres, même si la majorité était toute petite.
"- Je serais d'avis de te tuer mais les petits vont protester. Si tu quittes la ville bien gentiment."
"- Il peut devenir mon shishen !" Proposa l'enfant qui avait posé la couverture sur les épaules du démon "Je sais qu'on s'entendrait bien tous les deux."
Boya resta bête une seconde. Quoi ? Mais pourquoi était-il surpris ?
"- Tu penses que vous êtes fait l'un pour l'autre ?" Boya était quand même dubitatif.
"- Peut-être pas toujours, mais maintenant, j'en suis sûr !"
Le pauvre démon n'en croyait pas sa chance. La servitude contre sa vie ? Certes, il serait dépendant d'un maître miniature. Mais il n'aurait plus faim, plus froid, il ne passerait pas sa vie à tenter de survivre. Pour un démon de pestilence, il était outrageusement faible et fragile. C'était pour ça qu'il avait été si facile à capturer.
"- Vous ne me ferez pas de mal ?" Osa-t-il demander autour de lui, surtout aux adultes.
"- Pas si tu es raisonnable. Mais je n'offre pas de seconde chance." Prévint Boya de sa plus belle voix de Chasseur.
Le démon glapit et se cacha la tête dans les bras.
"- Boya Daren ! Vous lui faites peur !" Gronda le petit junior qui ne put se retenir n'aller prendre dans ses bras le démon de deux fois sa taille.
"- C'est le but."
Boya ne voyait que le qi du démon qui tremblait de terreur.
"- C'est méchant !"
"- C'est rationnel."
L'enfant jeta encore un regard noir à son ainé qui aurait eu un large sourire un peu railleur s'il avait pu le voir. Le petit garçon s'était mis à murmurer à l'oreille du démon ce que c'était qu'un lien de shishen.
"- Alors ? Tu veux être mon shishen ?"
Le démon hésita encore. C'était tentant. Mais la liberté…
"- Si je ne veux plus ?"
"- Ben tu pourras partir." Mais il était évident que l'enfant aurait le cœur brisé s'il partait.
Le démon avala sa salive. Il était sale, ses vêtements étaient déchirés, il saignait mais il avait repris un tout petit peu de force. Il restait pathétique, mais un pathétique digne.
"- D'accord."
L'enfant se laissa tomber en grenouille devant le démon.
"- C'est quoi ton nom ?"
"- Ru… Ruǎn dùpí." Murmura doucement le démon.
L'enfant prononça laborieusement le sort. Il eut besoin de s'y reprendre à trois fois pour concentrer assez son qi pour lancer le sort mais parvint à le faire prendre.
Le petit garçon eut un large sourire lorsqu'il sentit la présence du démon dans son esprit, comme le démon avait les larmes aux yeux de l'acceptance de son nouveau maître comme il n'en avait jamais eu.
Les autres enfants les félicitèrent chaleureusement, puis les séniors.
Seul Boya resta en arrière, partagé entre irritation, colère, jalousie, dégout, curiosité et langueur.
Il avait vu les qi de l'enfant et du démon se toucher timidement, s'effleurer avant de s'accepter. Il en aurait presque eut les larmes aux yeux.
Il voulait quelque chose comme ça. Confusément, tout au fond de lui, il se languissait d'une acceptance sans contrainte et sans réflexion comme celle-là. Mais il savait qu'il ne pourrait jamais s'y abandonner. Ce n'était pas dans sa nature.
Tan ZheYe prit finalement le lapin-démon sous sa forme animale dans ses bras. Il était si épuisé qu'il n'avait pu retenir sa forme humanoïde plus longtemps.
Le junior frotta son nez dans la fourrure grise un peu mitée et toute sale.
"- On va commencer par te laver. Quand tu seras tout propre, je te donnerais à manger."
Le regard que lança le lapin démon à son maître tout neuf aurait sans doute pu faire pleurer une pierre tellement il était plein de reconnaissance éperdue.
Boya cornaqua ses poussins pour qu'ils retournent au leurs appartements.
Ils avaient fait ce pour quoi ils avaient été convoqué.
Leur client ne s'attendrait pas à ce qu'ils aient fait le travail aussi vite et voudrait qu'ils restent quelques jours de plus au cas où. Ça laisserait à tout le monde le temps de se reposer et au nouveau shishen le temps de reprendre des forces avant que Boya ne l'interroge un peu plus efficacement. Le tout nouveau maître du nouveau shishen n'avait même pas de surmonde pour y parquer le shishen s'il le fallait. Pour l'instant, il allait devoir rester avec lui.
Mais pour l'instant…
"- Le soleil va se lever. Vous avez bien travaillé. Tous. Bravo."
Les enfants avaient un sourire lumineux malgré leur fatigue. Ils avaient menés à bien leur Chasse Nocturne et avaient fait presque tout le travail ! Ils pouvaient être aussi fiers d'eux même que leur shixiong l'était d'eux.
Une fois au palais, Boya appela les serviteurs pour qu'on leur fournisse de quoi se laver, à manger en quantité, puis envoya ses poussins au lit pendant que lui méditait pour se reposer.
Il ne doutait pas qu'on allait débarquer lui demander des comptes assez rapidement. D'abord parce que tout le monde serait encore au lit au lieu chasser, et ensuite parce qu'ils n'avaient pas prévenu immédiatement que la menace était éliminée.
Boya n'avait jamais été aimable sans raison, il n'allait pas commencer maintenant.
Lorsqu'il put enfin border ses poussins dans le grand lit qu'ils avaient utilisés la veille, l'un d'eux avait un petit démon-lapin tout propre avec un ruban attaché autour d'une oreille étroitement serré dans ses bras. Le petit démon de pestilence était si parfaitement content qu'il avait même commencé à aspirer les maladies autour de lui. Plus d'un rhume allait disparaitre sous quelques heures dans le palais.
Les séniors attendaient Boya dans la salle de réception avec du thé bien chaud.
"- Vous devriez aller vous coucher."
"- Nous sommes jeunes mais pas assez jeunes pour être traités comme des enfants, Boya Daren."
Boya grimaça. Il oubliait que les séniors des autres sectes le devenaient plus tardivement qu'a JingYun. Ses cadets n'avait pas dix ans de moins que lui. Ils étaient tous adultes ou presque malgré tout.
"- Mes excuses." Il répercutait sur eux ses habitudes avec ses shidi quand il était encore à JingYun.
A ne pas pouvoir les voir, il en oubliait qu'ils n'étaient pas des petits. C'était quelque chose qu'on lui avait reproché plus d'une fois quand il était encore dans l'Est. Il ne pouvait s'empêcher d'être protecteur avec les plus jeunes. Dans un temple à la cruauté ordinaire assez déprimante, il avait toujours répercuté sur ses shidi sans vraiment s'en rendre compte l'affection qu'il ne pouvait donner à personne. S'il pouvait être froid et distant avec les autres, c'était parce qu'il avait cette infime porte de sortie. Ça avait été suffisant.
Les séniors finirent leur thé puis se retirèrent eux aussi pour quelques heures de repos.
Boya resta éveillé au milieu du salon de réception, plongé dans une profonde méditation dans l'espoir de pouvoir reprendre lui aussi quelques forces tout en étant prêt quoi qu'il puisse se passer. Il était raisonnablement certain que le responsable de la malédiction avait déjà quitté la ville mais il ne laisserait pas les jeunes dont il était le gardien dans une situation de danger potentiel. D'ici à ce qu'ils regagnent le bureau, il le dormirait pas.
Lorsqu'on vint toquer à la porte des appartements qu'on leur avait allouer, il introduisit le serviteur qui venait de la part du seigneur local.
"- Le Seigneur Feng Guowei demande à vous voir."
"- Je répondrai à sa convocation dès que possible."
Le serviteur hésita.
"- Il veut vous voir maintenant."
"- Et bien il patientera un peu."
"- Daren…"
Boya l'éconduit rapidement.
"- Je viendrais sans doute en fin de journée. Lorsque tout sera fini."
Le serviteur jeta un coup d'œil un peu inquiet autour de lui. Où étaient les autres disciples ? Pourquoi n'y avait-il que l'aveugle qui était là ?
Il avala sa salive, s'inclina puis fila porter la réponse de Boya. Le Seigneur du Nord n'allait pas du tout apprécier la plaisanterie, il le savait déjà. Le but du jeu serait de l'informer sans se faire frapper.
Boya reprit sa garde silencieuse, perdu dans sa méditation. Il était pour la première fois depuis longtemps dans un environnement pauvre en qi. Peut-être qu'il parviendrait à quelque chose de plus que ces dernières tentatives ?
Sous sa vision, tout n'était que gris, sombres et fumées. Tout n'était que néant, pénombre et nuit noire.
Mais au sein même de cette vue dans l'infini vide, il y avait, par ci par là, quelques touches d'or qu'il parvenait à identifier. Ses élèves non loin, quelques disciples d'autres temples dans le Palais, quelques démons, quelques esprits, quelques fantômes… Mais rien ne changeait, rien ne progressait.
Il ne voyait pas mieux.
Il ne voyait toujours pas en fait.
Il percevait, mais il ne voyait pas.
Son troisième œil ne s'ouvrait toujours pas à son ordre.
Il fallait qu'il continue à apprendre….
Boya fixait de son regard mort le Seigneur du Nord pendant qu'il tempêtait colère et rage au milieu de son bureau.
Derrière lui, les poussins de Boya gardaient d'apparence la même sérénité que leur ainé. Tant que Boya ne montrerait aucun signe de crainte ou d'inquiétude, ils n'en montreraient aucun eux même.
"- Je peine à comprendre votre irritation, Seigneur Feng. La malédiction a été levée, les malades se sont remis ou sont en train de guérir. Que voulez-vous de plus ?"
"- Vous avez été bien trop vite !"
"- Dois-je comprendre que certains ne sont pas morts et que vous le regrettez ?"
Le regard dur du Seigneur transperça Boya qui ne broncha pas. C'était difficile pour un homme qui avait l'habitude de faire régner la disciple parmi ses inférieurs d'un regard noir d'obtenir quoi que ce soit d'un homme qui ne pouvait même pas voir qu'il le foudroyait du regard.
"- Ne vous faites pas plus idiot que vous n'êtes, Boya Daren."
"- Ho, je conçois parfaitement que vous ayez attendu le bon moment pour faire demander notre présence. Mais si vous vouliez profiter de ce maléfice pour vous débarrasser de quelque adversaire politique, vous auriez dû nous appeler après qu'il soit mort."
"- Vous ne savez pas de quoi vous parlez !" Aboya le noble.
"- Mais j'imagine que si vous aviez attendu, vous-même ou un membre de votre famille proche aurait été à risque, ou mort, voir était déjà malade."
Le manque de réponse du Seigneur Feng répondit pour lui.
"- Vous me mettez grandement dans l'embarras, Boya Daren."
"- Je ne pense pas que vous soyez celui qui est la cause de la situation. Vous avez juste voulu profiter de ce qui se passait."
"- Merci de ce vote de confiance." Railla l'homme avec hauteur.
Le regard mort de Boya qui n'avait pas mis de bandeau sur ses yeux pour cette petite réunion impromptus après le réveil des jeunes disciples mettait particulièrement mal à l'aise le seigneur du nord.
"- Il ne s'agit aucunement de confiance mais de logique. La malédiction a été levée. Le Yin Yang a répondu à votre demande. Nous partirons demain matin à moins que vous ayez encore besoin de nous." Boya n'avait aucunement envie de s'éterniser. "La facture vous sera adressée directement par le Bureau."
Le Seigneur Feng fit la gueule. Il avait oublié cette histoire de facture. Ne pouvait-il faire une offrande comme ils l'avaient toujours fait ?
"- J'aimerai que vous restiez jusqu'à demain soir pour le banquet qui aura lieu pour fêter votre réussite."
Boya réfléchit à la chose. Un Maître, trois Séniors et six Juniors mobilisés pour autre chose que leur fonction, c'était le coût horaire multiplié par trois pour le temps qu'il leur faisait perdre. Ajouter à ça la prime de risque pour être au contact de nobles par forcément très amicaux, plus une prime de nuit pour les plus jeunes (on ne faisait pas travailler les moins de douze ans après la troisième heure de la nuit), la prime de nocturne pour les séniors s'ils restaient debout après la mi-nuit. Les quatre adultes de leur petit groupe seraient surement plus ou moins forcé à boire de l'alcool. Ça valait bien une prime d'empoisonnement. Si leurs vêtements étaient souillés d'une façon ou d'une autre, c'était une prime de nettoyage. Si on insultait l'un d'eux, une prime de diplomatie.
La liste était sans fin et très fraiche dans l'esprit de Boya. il avait appris tout ça depuis sa toute petite enfance à JingYun. C'était peut-être la seule chose qu'il trouvait pratique.
"- D'accord, mais cela vous coutera une rallonge. Pendant que nous sommes ici, nous ne sommes pas en Chasse ailleurs."
Le noble grinça des dents.
"- Les rumeurs veulent que vous soyez un ancien de JingYun, Boya Daren. J'en ai maintenant la certitude. Il n'y a que l'argent qui compte pour eux."
"- L'argent est ce qui permet de manger et de se vêtir. Et comme je vous l'ai déjà dit, il est préférable que ceux qui demandent notre aide, sachent avant même de nous appeler combien ils devront payer."
Le noble soupira encore. Il savait qu'il ne gagnerait rien à tenter de forcer le Maître devant lui. Il était inflexible comme le granit. Vraiment, il comprenait pourquoi Zhong Xing n'était pas venu lui-même. La dernière fois, il l'avait peut-être un peu trop fait tourner en bourrique en agitant le spectre de la fin de relations cordiales entre le temple et le domaine. Mais Boya n'était pas un diplomate. Il était un tueur et un chasseur. Il faisait ce pour quoi il avait été dressé bien qu'il couve ses jeunes élèves comme un faucon protège ses œufs. S'en prendre aux enfants serait peut-être la seule méthode pour le faire craquer. Mais s'en prendre aux enfants avait toutes les chances de le jeter dans une frénésie meurtrière. La froideur distante de l'aveugle avait quelque chose de malsain et d'un peu effrayant pour un simple médiocre, quand bien même était-il l'un des vingt nobles les plus puissants de l'Empire.
"- Je vais vous laisser retourner à votre repos, Boya Daren. Des serviteurs viendront vous chercher demain soir avec vos élèves, une heure après le coucher du soleil.
Boya se releva de son coussin d'un mouvement aussi économe en énergie que gracieux. Il s'inclina sommairement mais avec respect.
"- Cet humble Maître remercie le Seigneur Feng."
Pourquoi un remerciement avait-il le poids d'une sombre menace dans la bouche du Chasseur ? Le nordiste frémit mais leur fit signe de se retirer.
Un des enfants glissa son épaule sous la main de Boya pour le guider facilement.
Le petit groupe retourna à l'appartement qu'on leur avait fourni pour leur séjour.
La nuit n'était pas encore tombée mais elle n'allait pas tarder. Les enfants vibraient d'énergie et d'excitation. Ils avaient dormit toute la journée. Les séniors étaient réveillés depuis plus longtemps, assez pour avoir eu le temps de faire leur routine de méditation et d'entrainement.
"- Puisque vous avez l'air beaucoup trop réveillés pour retourner vous coucher, que diriez-vous de vous battre contre moi ?"
Les enfants hurlèrent de joie à l'idée de s'entrainer avec Boya. Le Chasseur sourit de leur enthousiasme. Avant les Jeux, il n'aurait jamais osé proposé ça. Maintenant, avec les mois d'entrainement, avec sa confiance retrouvée, même s'il ne voyait toujours rien il avait retrouvé suffisamment de sensations pour pouvoir s'entrainer avec ses petits élèves.
Lorsqu'ils lui tombèrent dessus, il se fit une joie de les coller par terre encore et encore jusqu'à ce qu'ils demandent grâce en riant, épuisés, couverts de bleus, mais heureux comme tout de cet entrainement impromptu comme ils n'en avaient jamais eu.
Pendant que les six gamins tentaient de passer leur Maître à tabac, les trois séniors s'étaient regroupés sur la terrasse avec le petit lapin démon anxieux pour son maître sur leurs genoux. Ils le caressaient pour le rassurer. Tout se passait pour le mieux. Personne ne ferait de mal à son jeune maître.
"- Boya Daren a réalisé que les enfants étaient ses shidi ?"
"- Boya Daren est incroyablement réaliste pour certaines choses et totalement aveugle pour d'autres."
Dans les faits, ce n'étaient pas les enfants qui étaient réellement ses shidi. C'était les trois séniors qui l'étaient. Mais comme ils étaient les shixiong des enfants, les petits tombaient en même temps dans l'escarcelle de Boya. Il était responsable des neuf jeunes gens et s'en sortait très bien.
"- Il faudra le prévenir à un moment. Zhong Xing Zongzhu nous avait dit de le faire la dernière fois." Et personne ne l'avait dit à Boya quand ils avaient été faire les zazous dans leur mine.
"- Bof. Ça changerait quoi à part qu'il serait encore plus insupportable ?"
Les séniors devaient le reconnaitre. Boya était déjà pénible alors qu'il les voyait juste comme sa responsabilité ponctuelle, s'il savait qu'ils étaient réellement ses shidi et ses petits-shidi, ils ne pourraient plus respirer. Boya se mettrait encore davantage la pression et ça finirait forcement mal à un moment ou un autre. Alors si on pouvait éviter de faire n'importe quoi…
"- Si Zongzhu demande quelque chose, on ne lui mentira pas. On lui dira juste que Boya et le meilleur shixiong qu'on pouvait espérer." Ça ne voudrait pas dire qu'il était au courant. Juste qu'il s'occupait bien d'eux. Mais c'était ce qui était fantastique avec l'être humain. Souvent, il ne voulait comprendre que ce qu'il voulait bien comprendre.
Boya cornaqua les petits jusqu'aux bains avant de les mettre au lit avec une histoire et de la musique. Comme l'avant-veille, il noya le palais entier sous sa musique. Les rêves des uns et des autres fut d'une douceur de nuage.
Seul au milieu de ce sommeil délicieux, Boya ne dormait pas. Les yeux morts brulés par l'insomnie, il se perdait à jouer encore et encore la même mélodie sans jamais savoir comment la poursuivre. C'était à croire qu'elle était là, quelque part, qu'elle existait déjà et refusait simplement de se révéler à lui plus avant.
Il y avait quelque chose dans ces notes qui s'arrachaient à sa flute. Il y avait quelque chose dans ces mesures qui voulaient être jouées. Boya sentait la force de sa musique dans ces quelques mesures qu'il connaissait déjà. Mais elle ne sortait pas. Pas encore. Elle enflait, elle gonflait, elle s'étoffait comme un oiseau qui veut ouvrir ses ailes puis bloquait. Comme son bouclier, il lui était impossible de révéler toute la force de sa musique. Il lui était impossible de l'expanser correctement.
Si un Harmoniste avait été là pour lui enseigner et le guider, il l'aurait rassuré. Boya était juste à la recherche de la Musique de son Nom. Comme son Nom était la base de son être et de sa cultivation, la Musique de son Nom était la base de sa cultivation musicale. Lorsqu'elle se serait révélée à lui, s'il était assez fort, il aurait peut-être la force la confier à un Chorégraphe qui accepterait de la Danser. Si un Chorégraphe acceptait de Danser son nom, il pourrait en réparer ce qui en avait été abimé. Comme une ravaudeuse de talent pouvait récupérer les mailles d'un tissage abimé et refermer un trou, un Chorégraphe pouvait Danser le Nom de quelqu'un et réparer les plaies subit par le Nom. Si quelqu'un Dansait le Nom de Boya, il pourrait peut-être lui rendre ses yeux.
Peut-être.
Si Boya avait assez confiance pour jouer son Nom pour quelqu'un et le lui confier.
