Chapitre 37

Zhong Xing n'aimait pas être "invité" comme il l'avait été par le Seigneur Anbei. Il avait moins été invité que convoqué d'ailleurs.

A peine avaient-ils ramené Boya au Temple qu'un des servants du Démon passait un portail directement dans son bureau avec une "invitation". Elle n'était pas de celles qu'on pouvait refuser. Pas quand celui qui l'amenait était l'un des quatre généraux du Seigneur Démon.

Pas quand le général qui était venu lui apporter l'invitation était Shi HuJian. Des quatre généraux, il était le seul humain. Un 'simple' humain. Un cultivateur comme des milliers d'autres. A part qu'il était comme tous ceux qui l'avaient précédé à ce poste : un assassin sans pitié et sans remords.

Il n'y avait qu'un total vide d'émotions dans les yeux noirs de Shi HuJian. Sa seule et unique loyauté allait exclusivement au Seigneur Anbei. Il égorgerait n'importe qui sans réfléchir une seconde juste parce que son maître le lui avait ordonné.
La fidélité du Quatrième Général était du pur fanatisme.

Zhong Xing, comme ses prédécesseurs, était terrorisé par le Quatrième Général. Celui-là était encore jeune mais il n'était pas moins dangereux que tous ceux qui l'avaient précédés. Comme son père et ses pères avant lui, comme sa mère et ses mères avant lui, il était la Main de Mort du Seigneur Anbei comme l'étaient tous ceux qui l'avaient précédés. Le poste se transmettait de parent en enfant, quel que soit le sexe du rejeton. Comme pour le précédent, Zhong Xing était incapable de savoir si le général était un homme ou une femme. Il n'avait jamais vu de lui que ses yeux. Des yeux à la fois morts et avides qui ne s'éclairaient que devant son seul et unique maître.

Zhong Xing avait peur du Seigneur Anbei

Shi HuJian le terrorisait.

Dès que Boya avait été à l'abri, il avait suivi le général qui l'attendait avec impatiente. On ne faisait pas patienter son maître.

Le yin yang aurait beau se parer de la plus belle des soies et lever le nez très haut, il y avait longtemps que Zhong Xing avait accepté la vérité sur le Temple. Le Seigneur Anbei les tolérait à ses frontières à la condition qu'ils soient des voisins bien élevés, qu'ils ne posent pas de problèmes et contribuent à la grandeur de son Domaine. Ils étaient davantage une colonie qu'un Domaine allié. En général, ça ne posait pas de problème. Le Renard-Démon était généreux, intelligent et pragmatique. Il tolérait des petits problèmes, il tolérait même l'ingérence d'autres humains dans les affaires de la secte et par voie de conséquence dans son Domaine.

Mais ce qu'il ne tolérait pas, c'était le manque de respect, la stupidité, la bêtise et la cruauté gratuite.

Zhong Xing avala sa salive avec difficulté.

Son fils avait réellement battu tous les records cette fois. Le chef de secte aurait sans doute pu trouver des excuses à sa crétinerie absolue si son fils n'avait pas ajouté la méchanceté à la bassesse.

"- Zhong Xing. Je sais que vous tenez à votre fils. Mais pardonnez-moi cette honnêteté. S'il ne se calme pas très vite, il ne vivra pas assez longtemps pour espérer prendre un jour votre suite."

Zhong Xing baissa les yeux sur ses mains. Il aurait voulu prendre le défense de son fils. Vraiment. Mais devant les preuves, il ne pouvait que rester silencieux.

"- Je ne comptais pas le recommander pour prendre ma suite de toute façon." Finit-il par soupirer. "Je ne sais pas ce que j'ai raté avec lui, Seigneur Anbei. Je sais que je l'ai trop gâté, mais là…"

Le renard démon était rigide et ne souriait pas. C'était peut-être la première fois que le chef de secte voyait son interlocuteur non seulement sans son perpétuel sourire, mais également les sourcils froncés.

"- Que comptez-vous faire ?"

"- Je pensais que vous l'envoyer quelques semaines pourrait lui faire du bien mais à la vue de ses dernières actions, il se fera tuer avant de passer les portes de votre domaine. Et probablement à raison. Je pense… Je pense que je vais l'envoyer à JingYun. S'il était venu me parler. Ou s'il avait parlé de ses problèmes à Boya… il avait progressé ! Il commençait enfin à murir. Et maintenant… Maintenant… "

Le Seigneur Renard perdit son immobilisme de statue.

"- A JingYun ?" Il n'avait pas pensé à ça.

"- Il manque avant tout d'humilité. Il n'arrive pas à comprendre qu'être mon fils n'est ni une finalité en soi, ni un passe-droit. Après ce qu'il a fait au jeune Boya, je trouve que l'envoyer à l'ancien Shifu de notre jeune recrue pour qu'il fasse avec lui ce qu'il a fait avec Boya n'est pas une mauvaise idée." Et surtout, ça sauverait peut-être la vie de son fils. "Mais si je l'envois comme un honoré fashi à un collègue, ça ne servira à rien."

"- … Vous allez le lui vendre comme esclave."

Zhong Xing était visiblement dévasté.

"- Je crois que la seule chance qu'il lui reste de ne pas TRES mal tourner est de prendre une véritable gifle. Boya a commencé à le faire changer. Avec un peu de chance, son ancien professeur parviendra à le secouer pour de bon et il nous reviendra plus sage. Et avec une nouvelle appréciation de ses privilèges autant qu'une bonne vue de ce qu'il a failli perdre pour de bon."

"- Il risque de vous haïr."

"- J'en ai conscience. Mais je ne vois pas d'autre solution. Je vais le vendre à mon vieil ami et il devra travailler pour obtenir de quoi racheter sa liberté. Ça lui apprendra peut-être à respecter les autres. Et leurs souffrances."

Anbei QingMing se laissa aller en arrière sur son coussin. Il voulait que Zhong Xing prenne toute la mesure de son échec avec son fils mais il semblait que le renard avait mal jugé le chef de secte. Il avait parfaitement conscience des erreurs et des errances de son fils. Ce qu'il proposait pour lui apprendre la vie était cruel, bien plus dur que ce qu'il aurait proposé lui-même mais était, fondamentalement, une bonne idée.

"- En avez-vous discuté avec votre dame ?"

Zhong Xing donna l'impression de se recroqueviller encore un peu plus sur lui-même. Pour la première fois, il faisait vraiment proche de son âge et non la petite quarantaine.

"- Elle n'aime pas l'idée mais elle est d'accord que si rien n'est fait, notre fils va se faire tuer par nos propres alliés. Ou par un membre de la secte qui en aura assez de ses manières. Je préfère le savoir avec le dos zébré de quelques coups de fouet que mort." Seimei avait exprimé très clairement ce qu'il ferait de He Shouyue s'ils se trouvaient tous les deux seuls dans une pièce.

Le renard démon hocha la tête. S'il avait enfin eut des petits, il aurait pensé la même chose.

"- Comment va le jeune Boya ?"

"- Il s'en remet très bien. Physiquement. Il n'avait pas grand-chose. Il est plus agressif qu'un blaireau malade alors il a cassé plus de membres qu'il n'a eu d'ecchymoses. Mais il a été… profondément choqué. Et blessé. Trahis aussi. Il avait commencé à faire confiance et voilà…" La colère qui passa sur le visage du chef de secte n'était pas feinte. "Je n'aurais jamais imaginé que mon fils tenterait… et pour une histoire de dettes !"

Le mettre à la place de celui qu'il avait vendu à son ancien chef de secte pour qu'il utilise encore celui qui ne lui appartenait plus était une punition digne de son acte. He Shouyue avait voulu montrer à Boya qu'il n'était qu'un esclave ? Où simplement l'utiliser pour éponger ses dettes ? Zhong Xing s'en fichait finalement. He Shouyue avait commis un acte impardonnable. Il était temps qu'il apprenne exactement à quoi il avait failli condamner Boya et pour quoi il le moquait régulièrement.

Il allait prendre sa place.

"- Vous avez fait de votre mieux avec lui, Zhong Xing. Vous n'êtes pas le gardien de sa conscience et votre fils n'a plus dix ans. C'est un adulte. Vous ne pouvez le protéger de sa stupidité."

"- N'est-ce pas le rôle de tout parent que de protéger ses petits ?"

Anbei QingMing eut un pauvre sourire qui répondit à celui du chef de secte. L'humain était vaincu par la cruauté et la bêtise de son fils et ne savait pas comment rebondir. Ne plus l'avoir sur le nez leur ferait du bien à tous. Forcer He Shouyue à une place et une fonction qu'il ne voulait ni ne comprenait lui ferait du bien.

"- Quand allez-vous l'envoyer ?"

"- Le temps de contacter mon vieil ami et de lui expliquer la situation…. Deux jours je pense."

"- Et pour le jeune Boya ?"

"- Seigneur Anbei… Accepteriez-vous de le recevoir le temps qu'il se remette ?"

"- Ça ne l'aidera pas à faire confiance à nouveau à sa secte."

"- Je sais. Mais je veux lui éviter les cauchemars le temps qu'il se remette. Avoir de nouveaux défis lui fera du bien. Il réagit bien à la pression pour aller vers l'avant. Sans compter que je crains les actes de JingYun. J'ai rendu sa liberté et son statut à un esclave. Ils seraient bien capable de s'en plaindre devant les autorités et d'exiger de le récupérer. S'il n'est pas au Temple, personne ne pourra rien lui faire."

Le démon renard hocha lentement la tête.

"- Je vois… Vous avez raison. Mais je n'accepterai sa présence que s'il l'accepte avant sans contrainte."

"- Je ne voyais pas les choses autrement. Je lui en ai déjà parlé. Je suis sûr qu'il va accepter. Et peut-être parviendrez-vous à le convaincre d'accepter un shishen. Il a besoin d'un ami en qui il peut avoir une totale confiance."

Le Seigneur Démon finit sa tasse de thé.

"- Je prendrais soin de lui, Zhong Xing. Je vous assure qu'il sera parfaitement en sécurité ici."

"- … Seigneur Anbei…. Pardonnez-moi de poser la question mais… Que voulez-vous de lui exactement ? Vous avez dépensé une fortune pour m'aider à l'acheter. Vous n'avez pas encore demandé le moindre remboursement de sa dette. Que ce soit auprès de moi ou auprès de lui."

"- Je ne lui veux aucun mal, je peux vous l'assurer. Mais en effet, j'ai besoin de lui."

"- QingMing…"

"- Ha vous parvenez à m'appeler par mon nom tout soudain."

"- Seigneur Anbei."

Le renard eut un petit geste irrité de la main.

"- Pardonnez-moi. Ma mauvaise humeur n'est pas votre faute. Je suis juste… Je n'aime pas ce que je veux lui demander. Ni pourquoi. Mais je ne sais pas à qui d'autre. Et après avoir vu ce qu'il nous a montré lors de la fête des moissons… J'en avais eu l'intuition lors des jeux mais là… Zhong Xing, il a le talent pour devenir un Harmoniste et sans doute même un Chorégraphe. Kuang HuaShi est de la même opinion. Il est exceptionnel. Vous aussi le savez. Et je suis l'un des deux seuls à pouvoir lui apprendre. J'ai ENVIE de lui apprendre. Mais en même temps…" Le renard soupira. Il se passa une main sur le visage, honteux de lui-même.

Zhong Xing poussa un peu sa chance.

"- Qu'est-ce que vous lui voulez ?"

"- Une portée."

Une portée ? Musicale ?

"- Je ne comprends pas."

"- Je le surveille depuis très longtemps. Avant même qu'il ne perde la vue. Il a loué ses services comme étalon à la capitale plus d'une fois. Il a des petits qui grandissent dans pas mal de maisons nobles et même dans votre Secte. Il est fertile, fort et avec un talent en friche incroyable. Je suis le Maître de mon Domaine depuis très, très longtemps, Zhong Xing. Et la seule chose qui me manque, ce sont des petits."

Il n'eut pas besoin d'en dire plus. Le chef de secte avait compris.

"- C'est pour ça que vous vouliez l'acheter ? Pour l'attacher au pied de votre lit ?"

"- ZHONG XING ! ENFIN ! Bien sûr que non ! Je lui aurais proposé le remboursement de sa dette contre une portée."

"- Comment voulez-vous qu'il fasse ça ?"

"- Ho, comme tout le monde j'imagine. Je suis un renard démon, je peux adapter ma morphologie à ce qui est nécessaire. Mais le problème n'est pas mon anatomie. C'est ma fertilité."

Zhong Xing rougit affreusement. Il était vraiment en train de discuter de ça avec le Seigneur Anbei ? C'était une blague ?

"- Je ne sais pas si je voulais connaitre ce genre de détails.

"- Pardonnez-moi, je me suis oublié un instant. Mais le résultat est le même. Je suis prêt à lui payer toutes ses dettes plus de quoi lui offrir une vie de luxe, de privilèges et d'oisiveté pour qu'il joue encore une fois les étalons avec succès." Le vieux renard voulait un petit. Juste un. Il ne serait pas avide. Un seul petit en bonne santé lui suffirait.

Même si son espèce était connue pour faire jusqu'à une quinzaine de jeunes par portée, il en voulait juste un seul, quel que soit son sexe.

"- J'imagine que vous lui en parlerez pendant le temps qu'il passera sur votre Domaine."

"- Il est possible que je commence à mettre la chose en avant, mais je ne veux pas qu'il se braque." C'était compréhensible. "Je vais le former dans tout ce que je connais de la cultivation musicale. Je vais le confier à un des Harmonistes qui vit sur mon Domaine. Je vais le laisser entre les mains de mes meilleurs artistes pour l'aider à faire éclore tout ce talent qui reste encore caché tout au fond de lui. Et si je trouve le bon moment, je lui expliquerai ce que je souhaiterai de lui. Mais avant tout, je veux parvenir à devenir son ami.

"- Tant que vous ne le manipulez pas pour parvenir à vos fins… Je doute qu'il puisse supporter une fois de plus un cœur brisé. Il a déjà perdu sa mère, sa secte, le yin yang a fauté envers lui dans notre incompétence à le protéger… Je ne veux pas qu'il souffre une fois de plus ou qu'il pense que quelqu'un veut le manipuler."

Le renard démon hocha calmement la tête.

"- Je ne peux qu'être d'accord avec vous."

Boya était fragile. Mais Boya valait toutes les difficultés du monde. Tout au moins pour le renard-démon. Il s'était attaché à lui plus profondément qu'il ne l'aurait voulu pendant le temps qu'il avait passé à ses côtés à s'occuper de lui.

Boya caressa doucement la poignée de la porte de sa chambre. Zhong Xing lui avait dit et répété que son départ n'était que momentané, mais Boya avait appris à ne pas faire une confiance aveugle quand on lui promettait quelque chose.

Il en voulait à He Shouyue de ce qu'il avait fait.

Il avait été le voir pour lui parler. Il voulait comprendre. He Shouyue s'était effondré. Il lui avait même demandé pardon.

Boya était sûr que le jeune homme était vraiment désolé mais il n'avait pas réussi à le pardonner. Pas cette fois. Pas avec tout ce qu'il avait subit depuis qu'il était gamin.

Boya avait accepté qu'ils étaient les deux seuls responsables. He Shouyue pour l'avoir vendu à son ancienne secte et lui pour être tombé dans le panneau. Même si le jeune homme avait commencé à s'ouvrir enfin entre le moment où il avait contacté l'Est et celui où il l'avait livré à son ancien Zongzhu. C'en était même plus douloureux. Si He Shouyue l'avait trahis sans remords, Boya l'aurait accepté. Là ? He Shouyue l'avait trahis alors même qu'il considérait Boya, d'après ses dires, comme un ami.
Un ami.
On ne traitait pas ses amis comme ça.

Lorsqu'il avait laissé He Shouyue dans ses appartements, le jeune cultivateur pleurait à pierre fendre. Boya avait été incapable d'avoir pitié.

Que ce soit les sycophantes de He Shouyue qui aient permis au reste de la secte de le retrouver… Ils n'avaient pas voulu se mêler de la folie de leur ami. Alors qu'ils ne s'entendaient pas du tout avec Boya, ils avaient donnés l'alerte et avaient permis de le retrouver avant que le pire n'arrive. Ils avaient même acceptés leur punition sans une plainte. Eux aussi avaient eu très, très peur.

Jouer les caïds allait un temps. Cette fois, ils avaient vu un des leurs frôler la mort par leur faute.

Boya ne pouvait pardonner.

Pas maintenant.

Une fois encore, sa confiance avait été trahie. Et si cette fois, ce n'était pas la faute de l'institution, il était quand même particulièrement blessé que quelqu'un ait voulu lui faire du mal à ce point.

Zhong Xing avait hurlé et frappé son fils pour la première fois de mémoire de disciple du yin yang lui avait-on dit. Mais Boya avait aussi perdu la confiance qu'il avait donné à Zhong Xing. Une confiance que Boya n'était même pas conscience d'avoir donné. Il avait implicitement accepté de croire le maître des lieux quand il lui avait promis que tout irait bien. Et c'était un membre du yin yang, son fils, qui l'avait trahis.

Lorsqu'il avait été ramené par Zhong Xing et quasi tous les maîtres du temple, Boya était presque catatonique. Il lui avait fallu plusieurs jours pour se sortir de la passivité, presque la dissociation dans laquelle il s'était réfugié.

Il n'avait pas entendu les hurlements de Zhong Xing contre son fils. Il n'avait pas assisté au scandale que le chef de secte avait été faire au Seigneur Feng qui était venu réclamer des comptes d'avoir à nettoyer la mort du fils Chang. Il n'avait pas assisté à la dégradation des fils de nobles survivants qui s'étaient joint à sa capture. Plusieurs, ceux qui l'avaient agressés physiquement, avaient même été décapités sèchement. Par le Yin Yang.

De mémoire humaine, ça ne s'était jamais produit. Le Temple avait été blessé, le Temple avait punis les responsable.

Boya n'était pas au courant de tout ça.

Comme il ne savait pas quelle punition serait donnée à He Shouyue pour ses actes.

Une tape sur la main de plus sans doute.

Lorsque Zhong Xing avait remis sur le tapis son départ du Temple pour quelques temps, il avait finalement accepté de partir. Il avait besoin de distance. Pour l'instant, maintenant qu'il réalisait lentement ce qui lui était arrivé, le Domaine Démoniaque n'était plus "si" effrayant.

Boya s'assura une dernière fois qu'il avait avec lui tout ce qu'il voulait prendre.

Ses vêtements, ses outils de calligraphie, sa canne, son éventail, son épée, sa dague et son arc. Il n'avait besoin de rien d'autre finalement. Un soupir lui échappa. Zhong Xing l'envoyait auprès du Seigneur Anbei. Boya s'en fichait finalement un peu. Il était encore quelque peu déconnecté.

Lorsqu'il entra dans le grand hall, toute la secte avait été rassemblée. Même les anciens qui ne sortaient quasiment jamais de leurs chambres pour cultiver en paix étaient venu. Ses poussins se jetèrent dans ses jambes pour le cajoler. Leur présence lui fit du bien.

"- Boya !"

"- …. Shifu ?" Ça n'avait été qu'un souffle avant que le jeune homme se retrouve étroitement serré contre le large torse de l'homme qui l'avait élevé.

Il se pressa contre lui avec le même soulagement et le même plaisir. Son maître avait tellement fait pour lui ! C'était grâce à lui qu'il était dans le nord et non mort ou pire, à faire la vie dans un bordel ou enchainé au pied du lit d'un noble quelconque.

Mais que faisait-il là ? Il n'était pas venu le reprendre n'est-ce pas ?

"- Shifu ?"

"- Zhong Xing m'a prévenu de ce qui c'était passé. J'ai demandé à pouvoir venir te voir. M'assurer que tu vas bien."

Boya eut un pauvre sourire. Il ne voyait pas l'inquiétude sur le visage de son maître mais la sentait dans sa voix.

"- Je vais bien.."

"- Non, tu ne vas pas bien. Mais tu iras mieux dans quelques temps." Assura Zhong Xing. "La secte t'as grandement blessé. Nous… non, j'ai manqué de discernement et j'aurais dû prendre des mesures avant. Et c'est toi qui en a payé les pots cassés. Encore. Mais c'est fini."

"- Où allez-vous l'envoyer, Zhong Xing ? Je crains que notre chef de secte soit très en colère de la situation. Il ne m'étonnerait pas qu'il réclame le retour de Boya pour lui faire payer." S'inquiéta le vieux professeur du chasseur aveugle.

"- Boya a un talent rare. Il peut devenir un excellent Harmoniste. Peut-être même un Chorégraphe." Le Shifu de Boya ne savait pas de quoi il était question. Il demanderait plus tard. "Et plus important encore, il a réussi à ouvrir son troisième œil. Deux fois."

Toujours serré dans les bras de son maître et père adoptif, Boya le sentit se raidir affreusement contre lui.

"- Vraiment ?" Il y avait tellement de surprise et de respect mêlés dans la voix de son Shifu que Boya se sentit rougir. "Boya ? Vraiment ? C'est incroyable !"

Et JingYun ne profiterait pas de ses talents. Tant mieux ! Depuis le départ de Boya, la guerre était ouverte à JingYun. Puisqu'on avait tout fait pour l'empêcher de prendre un poste dont il ne voulait pas en allant jusqu'à tuer ses élèves, le Shifu de Boya leur ferait honneur en arrachant le trône de la secte à tous les autres et à leur faire rendre gorge.

"- C'était un accident." Murmura le jeune homme.

"- Un accident, certes." Souriait Zhong Xing malgré son épuisement. "Mais tu as fait le plus dur : y arriver une fois. Il te reste juste à apprendre à le faire à volonté. Mais ici, nous n'avons ni l'aide qu'il te faut, ni le temps à te consacrer. C'est pour ça que je te confie à un professeur qui saura t'apporter ce qui te manque. Et peut-être te convaincre enfin d'accepter un shishen." Si Boya en avait eu un, tout ce carnage ne serait pas arrivé.

Boya baissa les yeux. Pour la première fois, il reconnaissait qu'avoir un shishen aurait été un soulagement.

"- Zhong Xing Shifu…."

"- Ce qui est fait est fait. Avant que ton nouveau professeur pour les six mois à venir ne vienne te chercher, il reste une formalité."

"- Une formalité ?"

"- Ton Shifu a accepté de me rendre un service."

Boya sentit toute la secte se raidir d'un mélange de colère, d'outrage et de résignation. Le mélange était bizarre. Il n'arrivait pas à comprendre qui était la cause ou la conséquence.

"- PERE ! Vous ne pouvez pas faire ça !"

"- Je peux et c'est déjà fait." La voix de Zhong Xing était glaciale.

"- Vous en voulez combien, Zhong Xing ?" Celle du Shifu de Boya était tout aussi glaciale.

"- PERE ! Vous ne pouvez…" Le bruit d'une gifle fit taire He Shouyue.

"- Vous avez enchainé son Node ?"

"- Ça a été fait." Malgré tout, Zhong Xing était incapable de faire ça à son fils.

"- Je m'en suis chargé." Boya reconnu la voix tranquille de Abe no Seimei.

"- Seimei Daren est notre Ancien le plus puissant." Expliqua Zhong Xing.

"- Personne ne pourra rompre la cage autour du Node de He Shouyue sans prendre le risque de le détruire en même temps." Abe no Seimei souriait comme un fauve. "S'il se repent correctement, je retirerais le sceau. Mais en attendant…"

Boya comprit soudain ce qui se passait. Comme JingYun l'avait vendu pour se débarrasser de lui parce qu'il ne correspondait plus à leurs critères, le yin yang avait décidé de vendre He Shouyue à JingYun pour lui faire connaitre la vie d'esclave qu'il moquait si fort depuis l'arrivée de Boya. Et sceller son Node ? C'était faire de lui un véritable handicapé parmi des disciples dont même les enfants de dix ans étaient capables d'utiliser leur qi. Si quelqu'un apprenait en plus qu'il avait été cruel avec Boya, il allait être harcelé et maltraité par une bonne partie des plus jeunes, comme lui avait maltraité et harcelé Boya. C'était une punition parfaite.
Mais une punition d'une cruauté remarquable, aussi bien pour He Shouyue que pour ses parents qui avaient dû prendre la décision.

"- Pour combien l'achetez-vous ?"

L'ancien Shifu de Boya y réfléchit longuement. Il n'était pas vraiment question d'argent ici. Simplement de combien de temps le jeune homme mettrait à rembourser sa '"dette" pour espérer reprendre sa liberté.

"- Cinq taels d'or."

"- Très bien."

L'argent changea de main.

"- MERE ! Pitié !"

Fangyue était en larmes mais elle resta stricte dans son rôle d'épouse du chef de secte. Elle s'effondrerait en privé, quand il n'y aurait plus personne pour la voir.

Son fils l'avait déçu au-delà des mots. Elle avait parfaitement conscience que cette punition était aussi dure que cruelle mais c'était la dernière chance qu'il lui restait pour espérer retrouver son fils un jour.

"- He Shouyue. Tu reviendras ici quand tu auras appris la valeur de la vie. La tienne et celle des autres. Comment peux-tu te comporter ainsi ? Je ne te comprends vraiment pas. Cette punition est la tienne. Uniquement la tienne. "

"- MERE ! Je suis désolée… Je ne voulais pas… je ne voulais pas…"

Elle se détourna dignement. Le Shifu de Boya lâcha enfin son élève pour payer Zhong Xing puis passer un collier autour du cou de He Shouyue qui se laissa faire avec stupeur. Pendant quelques instants, il avait cru que c'était juste pour lui faire peur. Mais maintenant ? Avec une chaine autour du cou ? Sa cultivation bloquée ?

Son père donna un document au maître de JingYun.

"- Le titre de propriété."

L'ancien Shifu de Boya le déroula pour le lire. Il y était noté toutes les conditions pour la libération de He Shouyue. Zhong Xing ne comptait pas le laisser dans les chaines plus que nécessaire. Ça restait son fils et c'était une punition. Même s'il devait croire que ce pouvait être définitif s'il ne changeait pas, il y avait une clause limite de cinq ans. En espérant que ça suffise.

"- Parfait."

Le vieux chasseur tira rudement sur la chaine, si fort que He Shouyue faillit en tomber par terre.

"- Père…"

Zhong Xing eut un geste de la main avant d'ouvrir un portail. Son visage était figé de colère et de déception. He Shouyue se mis soudain à se débattre de toutes ses forces. Non pour fuir mais pour se jeter sur Boya. Où à ses pieds ?

"- PITIE ! JE N'AI JAMAIS VOULU ÇA ! Pas après… après… Pitié… Shixiong !" Le terme fit lourdement tressaillir Boya.

Abe no Seimei s'était mis entre le jeune homme et le chasseur au cas où mais le maître de JingYun tira à nouveau sèchement sur la chaine. Cette fois, He Shouyue tomba lourdement par terre. Son propriétaire l'attrapa par les cheveux, coupa le chignon avec sa dague sans se soucier de ses hurlements d'horreur puis le saisit par le col de ses robes pour le jeter sans ménagement de l'autre côté du portail.

"- Je vais en faire un adulte fonctionnel, Zhong Xing. Je vous dois bien ça."

Le chef de secte eut un mouvement de tête contraint. Il avait pris sa décision.

Fangyue ramassa la longue queue de cheval jetée sur le sol. La désolation sur son visage était évidente. Elle culpabilisait tout autant que son mari. Elle avait échoué à faire de son fils quelqu'un de bien.

Le silence s'étira un long moment sans que quiconque n'ose le briser. Jusqu'à ce qu'un autre portail ne s'ouvre pour en laisser sortir un démon que Boya reconnu même s'il ne l'avait jamais vu. Par contre, il avait senti son qi de très près.

Xue Mao, l'un des quatre généraux du Seigneur Anbei s'inclina devant Zhong Xing.

Qu'est-ce qu'il faisait là ? Une affreuse angoisse commençait à emplir le ventre de Boya.