(NDA : comme souvent, je le redis, vous avez des upgrade dans les versions Ao3 et wattpadd avec des images d'illustration. n'hésitez pas a aller voir ce qui s'y passe. et peut-etre me dire si quelqu'un continue a lire ici ou si c'est pas la peine que je continue a mettre a jour FFnet ?)
Le Puissant Seigneur Anbei QingMing se cachait sous sa couverture comme un môme pour échapper au regard glacial de sa petite servante.
"- Vous êtes ridicule !"
"- Maiiis il est tôt ! Et il fait froid et.."
"- QingMing…"
Le vieux démon renard sortit finalement sa truffe de sous ses couvertures.
"- Mi Chong…"
"- Je sais que vous n'avez aucune envie d'aller à la Capitale Impériale mais je vous promet que ça vaut le coup."
QingMing passa les jambes dans la ruelle du lit pour finalement se lever. Il portait des robes de nuit beaucoup trop grandes mais qui serait à la bonne taille pour le milieu de l'hiver. L'hiver n'était pas si proche mais il commençait à faire comme tous les membres de son espèce et à prendre tout le lard qui le protègerait du froid. Ses servants n'en finissaient plus de brosser sa fourrure pour le débarrasser de la mue d'été dont il laissait un peu partout dans les couloirs des touffes assez grosses pour perdre une poule dedans. Comme tous les ans, sa mue était lavée, cardée, filée, mise en bobine et serait utilisée pour faire une partie de ses vêtements et de ceux de ses servants. Il lui serait aisé de placer sa magie sur ce qui était une partie de lui pour protéger les siens et lui-même. Mais cette année, ses poils seraient surtout utilisés pour faire une garde-robe et un trousseau complet à Boya.
"- Comment va notre invité ?"
"- Parce qu'il est encore un invité ?" Boya était parmi eux depuis presque six mois à présent.
"- Il est invité tant qu'il décide de le rester."
MiChong renifla lourdement. Boya ne parvenait pas encore à conserver son troisième œil ouvert plusieurs heures d'affilées, mais au moins pouvait-il l'ouvrir autant et quand il voulait.
Pendant que son maître protestait encore, elle le malmena jusqu'à ce qu'il se déshabille et se plonge dans sa baignoire assez grande pour accueillir sa forme vulpine. Quand il était sous forme bipède, il faisait presque perdu dans le bassin.
Elle resta près de lui à attendre qu'il finisse de se laver pour le maltraiter pour qu'il s'habille comme elle l'avait décidé. Elle était toujours agressive dans sa manière de s'occuper de son maître pour qu'il accepte d'obéir à ses décisions. D'autres maîtres s'en seraient sans doute agacé. QingMing le tolérait avec un amusement de grand frère.
Les vêtements que la démone avait choisi étaient luxueux. Beaucoup trop. Mais surtout, un masque et un voile ? QingMing n'en portait que rarement.
"- MiChong ?"
"- Faites-moi confiance, voulez-vous ? Je vous garantis que vous allez adorer honorer ce rendez-vous."
Le démon renard voulait bien faire confiance à sa servante. Il se laissa encore maltraiter pour se nourrir puis chasser gentiment vers le petit domaine que le Domaine possédait à la Capitale de l'Empire. Ce n'était pas énorme, juste une maison cossue et propre avec un jardin entouré de murs, mais suffisant pour qu'il ne soit pas mal installé ou mal considéré par ses visiteurs.
Les serviteurs qui l'attendaient dans le petit domaine étaient tous humains. Ils savaient tous qui et ce qu'il était. Tous avaient une dette d'honneur envers lui. QingMing les avait tous sauvés d'une façon ou d'une autre. Tous ses domaines de par l'Empire et les nations voisines avaient le même genre de serviteurs. Il arrivait qu'il ne les visite pas pendant des années et se présente dans un domaine délabré et vide de tous serviteurs, morts de leur belle mort. Comme les impôts locaux étaient toujours payés largement en avance, personne ne s'embêtait à venir voir pourquoi le domaine s'abimait. C'était rare, mais ça arrivait. C'était le drame de vivre "vieux".
Heureusement, ce genre de petit drame n'était jamais arrivé à la capitale. Il y avait assez de monde à sortir du caniveau dans les rues de Tiandu.
"- Seigneur Anbei…"
La douzaine de servantes et les trois serviteurs se prosternèrent profondément. QingMing préférait un encadrement féminin. Les femmes étaient plus rationnelles, plus efficaces, plus retorses et personne ne faisait attention à elles parce qu'elles étaient "faibles". Il suffisait de voir combien Mi Chong était capable de le torturer pour qu'il se soumette à ce qu'elle voulait pour éclater de rire à cette notion idiote de faiblesse.
"- Relevez-vous. Alors, qui suis-je censé rencontrer ?" D'après les vêtements que Mi Chong lui avait mis sur le dos, il était là pour jouer un de ses rôles préféré, celui d'un intermédiaire entre des talents à vendre et des clients qui avaient besoin d'acheter les capacités de professionnels rarement humains. Et des capacités pas forcément très bien vues évidemment. Cela pouvait être aussi bien pour des meurtres que pour des vols, des enlèvements ou plus exotiques encore. Habituellement, il envoyait un de ces hommes pour jouer ce rôle. Cette fois, il fallait que le client soit exceptionnel.
QingMing prit la lettre qu'une de ses servantes lui mis entre les mains. A mesure qu'il la lisait, son sourire se faisait de plus en plus cruel et retors.
"- Tient donc… Voilà qui est remarquable… Tout est prêt ?"
"- Oui, Maître."
"- Parfait. J'aimerai des gâteaux de lune au lait et du thé."
"- Bien, Maître."
QingMing alla s'installer dans le petit bureau séparé en deux par de lourds rideaux de gaze. Le seul mobilier était une table et deux coussins confortables. Les rideaux étaient placés pour que jamais son visage ne soit visible. Avec les fenêtres dans son dos, entre le contrejour et les rideaux, il était impossible à son interlocuteur de savoir qui il était alors que lui aurait une vue parfaite sur celui qui voulait le payer.
Une des servantes apporta le thé et les douceurs.
"- Maître ? Devons-nous faire brûler de l'encens ?"
QingMing y réfléchis une seconde.
"- Oui, excellente idée. De l'encens des Ruines."
"- Bien maître."
Cet encens était une invention d'un esprit ancien qui avait été son shishen, bien des siècles avant. Son odeur n'était pas forte mais elle déliait la langue de ses interlocuteurs et diminuait leurs inhibitions.
"- Maître ? Votre rendez-vous est là."
"- Faites le entrer."
La jeune femme s'inclina. Elle referma la porte coulissante. Dans le jardin, le bruit d'une petite fontaine troublait délicatement le silence oppressant du petit bureau.
QingMing portait sa tasse de thé à ses lèvres lorsque la porte se rouvrait.
Un homme emmitouflé dans une épaisse cape avec un masque sur le visage entra. Il était visiblement mal à l'aise mais déterminé.
"- Bonjour."
"- Bonjour, Asseyez-vous." La voix douce et charmeuse de QingMing fit tressaillir le client.
Derrière lui, un tout jeune homme le suivait à la trace. Un esclave. Le renard eut un petit sourire. Il ne s'était pas attendu à le voir mais appréciait sa déchéance avec un rien de mesquinerie.
L'homme s'assit, les sourcils froncés. Son esclave était déjà à genoux, recroquevillé sur le sol pour qu'on l'oublie.
"- Je suis…"
"- Je me fiche de qui vous êtes. Que voulez-vous." Coupa tranquillement QingMing.
Pas de nom, jamais de nom dans les affaires les plus sordides de ce bas-monde.
L'homme hocha sèchement la tête.
"- Je veux voir plusieurs anciens de JingYun morts." L'esclave ne tressaillit même pas.
"- Je vois." QingMing ne demanderait pas pourquoi. Il partageait son intérêt entre l'homme et le gamin.
"- Ils ont tués mes élèves, je veux leur rendre la pareille." QingMing restait silencieux malgré son large sourire que le vieux maître ne pouvait voir. "Je veux qu'ils souffrent et qu'ils voient leur mort arriver. Je veux qu'ils réalisent qu'ils sont en train de mourir et que rien ne pourra les sauver. Mais je veux aussi que ça paraisse naturel. Ou tout au moins, que personne ne puisse relier leurs morts entre elles. Comme si c'était une punition divine." L'ancien Shifu de Boya avait éliminé lui-même plusieurs de ses confrères, mais pour ceux qui restaient, il ne pouvait prendre le risque de s'en charger lui-même.
"- C'est faisable. Mais ce sera cher."
"- Peu importe." Il payerait ce qu'il fallait. Il trouverait un moyen. Saisir les biens des défunts était une solution. Ce serait même une certaine touche de raffinement que ceux qui avaient massacrés ses élèves voient leur argent si difficilement gagné sur le dos des cadavres qu'ils avaient semés dans la secte être utilisé pour payer leurs assassins.
"- Avez-vous une date limite ?"
"- Non. Pas des années non plus, mais je veux qu'ils se voient mourir. Qu'ils sachent que la mort vient pour eux."
QingMing aimait cette vindicte et ce besoin de sang.
Boya aussi en serait heureux, il en était certain.
Le renard-démon poussa un rouleau vers son client pour qu'il y applique sa marque. Le rouleau était vide de mots mais il ne l'était pas d'intention. Ce contrat était plus difficile à briser que la volonté d'un dieu-gardien lorsque QingMing le roula pour le mettre en sécurité.
"- Le payement devra être versé dès que le contrat sera achevé." Prévint le renard démon.
Le nom des victimes était apparu sur le contrat. Les trouver et les éliminer ne serait pas compliqué. Ils feraient des entrainements parfait pour les plus jeunes de la famille Shi. Peut-être même Sha ShengShi voudrait-il participer.
Yuan Tànli hocha sèchement la tête. Il n'attendit pas d'avantage avant de quitter la petite maison, He Shouyue sur les talons. Il secoua un peu la tête une fois à l'air libre. L'encens lui avait fait quelque peu tourner la tête. Le vieux cultivateur détestait ce genre de magouille mais il avait besoin que quelqu'un l'aide à faire le ménage. Le vieux chasseur retourna à son logement momentané sans bruit en passant par la fenêtre à la chambre qu'il avait loué dans un bordel. He Shouyue l'avait suivi tout aussi silencieusement pour s'agenouiller dans un coin dans la chambre et attendait depuis là où Tànli lui avait indiqué sa place, au pied du lit vide.
Le jeune homme ne leva même pas les yeux sur son maitre. L'inquiétude exsudait du gamin par vague. Il avait peur. Comment ne pourrait-il pas avoir peur après avoir assisté à l'achat d'assassins à louer, puis de se retrouver ici, avec le type qui l'avait acheté et le tenait au pied du lit ? Yuan Tànli avait plus d'une fois renvoyé dans la figure du jeune homme les insultes qu'il avait utilisé contre Boya. He Shouyue avait insinué plus d'une fois que Boya avait gagné l'indulgence de son père dans son lit alors… Le vieux chasseur lui jouait le chaud et le froid en permanence. Malgré ses progrès, He Shouyue avait peur en permanence.
Yuan Tànli se laissa tomber sur le matelas en grognant. Il avait un petit peu plus confiance dans le gamin au temple mais ici ? Il ne pouvait que l'attacher au pied du meuble avec une longe. Pour leur protection à tous les deux.
"- Il reste du thé ?"
He Shouyue sursauta lourdement.
"- Je… Oui, maître."
"- Sers moi une tasse, tu veux ?" La chaine avait assez de mou pour qu'il puisse bouger.
He Shouyue obéit avec crainte. Il était fatigué d'avoir peur. Il était fatigué d'avoir mal. Il était fatigué. Juste fatigué. Et il avait fait subir la même chose à Boya ? Comment avait-il pu être aussi cruel ? Ça lui avait paru si FACILE ! Si NORMAL de lui faire du mal. Il avait mis du temps à comprendre que ce n'était pas le cas. Et encore. Il devait lutter contre lui-même pour l'accepter. Quelque chose qui n'avait rien à voir avec son éducation lui répétait qu'il avait le droit de faire ce qu'il voulait, qu'il était libre de faire du mal à qui il voulait.
Que c'était sa nature.
Mais sa nature finissait par se heurter à la main lourde de Yuan Tànli qui n'avait aucun problème à la lui claquer dans la figure.
C'était un processus d'apprentissage long et difficile. Pourtant, le vieux maître de JingYun refusait de baisser les bras comme l'avaient fait ses propres parents. He Shouyue haïssait Yuan Tànli autant qu'il lui en était reconnaissant. Comme il haïssait Boya pour ce qu'il était tout en lui étant reconnaissant d'avoir essayé et presque réussit à l'atteindre.
"- Tanli Daren ?"
"- Hmm ?"
"- Qu'est ce qui ne va pas chez moi ?"
Yuan Tànli était épuisé. Pourtant, pour la première fois depuis qu'il avait abandonné Boya à son destin, il y eu une pointe de triomphe au fond de son estomac.
"- Je ne sais pas, He Shouyue." C'était la première fois qu'il appelait le gamin par son nom et non "Chong", ce nom ridicule qu'il lui avait donné à son arrivée. "Mais je sais que quoi qu'il y ait, tu n'es pas forcé d'y obéir. Tu deviendras un type bien. Je te le promet. Ça prendra le temps qu'il faudra, mais tu es encore jeune."
He Shouyue servit la tasse de son maître, les larmes aux yeux. La petite voix tout au fond de lui c'était tut, sans doute trop choquée par la certitude du vieux chasseur pour encore empoisonner l'esprit du jeune homme pour quelque instants.
He Shouyue sentit le lien avec son shishen lui manquer plus que jamais. De tous ceux qui l'entouraient, il était celui qui lui manquait le plus. Et, étrangement, aussi Boya. Il avait besoin de lui parler.
De… lui demander pardon ? Peut-être pas encore. Mais un jour, oui. Il le faudrait.
Boya s'était habillé aussi discrètement que possible.
La nuit était tombée sur le Domaine Intérieur depuis plusieurs heures mais le jeune homme ne parvenait pas à dormir.
La perspective de rester dans le Domaine encore quelques mois commençaient à faire son chemin. Ce n'était… pas SI grave. Il était bien là où il était. Il pouvait accepter de rester parmi des démons encore quelques temps.
Il était bien mais… il voulait retrouver encore un peu plus d'indépendance.
Alors il était là, au milieu de la nuit, à raser les murs en toute discrétion pour sortir du Domaine intérieur pour aller s'encanailler seul dans la ville.
Les soldats qui gardaient les doubles portes du Domaine Intérieur se redressèrent lorsqu'il les salua d'un signe de tête mais ne dirent rien. Que pouvaient-ils dire à Anbei Furen ? S'il sortait c'était bien qu'il avait le droit n'est-ce pas ? Et si Sha ShengShi n'était pas avec lui, son shishen était sur son épaule. Et c'était sans compter Shi Weilan qui le suivait à quelques mètres, son sourire perpétuel de parfait psychopathe au visage. Simplement le voir sourire était une promesse de mort pour celui qui serait assez idiot pour tenter d'agresser Boya.
Un énorme soupir de satisfaction passa les lèvres du jeune chasseur lorsqu'il laissa le Domaine Intérieur derrière lui. A mesure qu'il s'en éloignait seul, ou tout au moins aussi seul qu'il se pensait avec Zhuque pour unique compagnon, il se redressait. Sa main droite se posa naturellement sur la garde de son épée, la gauche tenait sa canne devant lui pour trouver son chemin et il ouvrait son troisième œil fugitivement de temps en temps pour s'assurer qu'il ne se perdait pas. Zhuque l'aidait à se guider en l'assommant de conseils
"- Attention à droite, il y a des gamins. Lève le pied, il y a un caillou. Et à gauche…"
"- Zhuque ! C'est adorable mon bel oiseau, mais je sais."
Le dieu-gardien pesta du bec. D'accord, il était peut-être un peu trop protecteur. Mais c'était son boulot ! Boya était à lui, comme il appartenait à Boya. C'était son rôle de veiller à son bien-être physique comme Boya veillait sur son bien-être psychologique. Le dieu-gardien était si seul depuis si longtemps qu'il refusait catégoriquement de retourner sur le plan spirituel, même pour se reposer.
Boya s'arrêta devant une petite échoppe de nuit pour acheter un bao à la viande. La présence discrète de Weilan à quelques mètres convainquit immédiatement le vendeur de ne pas tenter d'arnaquer Anbei Furen. Boya remercia le vendeur puis s'éloigna en croquant dans le bao. Autour d'eux, les gens semblaient attendre sa réaction, surtout les plus riches. Si Anbei Furen trouvait le bao à son gout, le vendeur deviendrait la coqueluche du moment, adoubé comme il l'aurait été par l'épouse de leur Seigneur.
Boya dévora le bao qu'il partagea avec Zhuque qui s'en régala tout autant.
Le pauvre vendeur remercia sa bonne étoile. Il allait être riche en peu de temps s'il savait utiliser la faveur fugitive et bien innocente que Boya venait de lui donner pour quelques heures, quelques jours au pire.
Loin de penser à ça, Boya continuait à se promener dans la Capitale avec ses deux gardes du corps. Il remerciait d'un signe de tête les démons qui s'écartaient sur son passage pour lui permettre une marche plus aisée avec sa canne, charmé que des démons soient aussi attentifs. L'idée que bien traiter l'invité du Seigneur Anbei pouvait être vu comme un avantage ne lui traversa même pas l'esprit. Pas maintenant.
Maintenant, Boya était trop heureux d'être libre pour la première fois depuis une éternité.
Prendre la décision de sortir seul, sans protection, sans personne pour lui tenir là main, avait été pénible et douloureux. Trop de souvenirs, trop de peurs, trop d'angoisses… trop d'inconnu aussi, tout simplement. Mais Zhuque l'avait rassuré. Il était là, lui. Il était là et il était son ami, son gardien. Son Dieu-Gardien en plus de son shishen. Il mourrait pour lui. Il tuerait pour lui.
Boya n'avait rien à craindre.
Plus jamais il n'aurait quoi que ce soit à craindre.
Alors Boya était sorti. Sans prévenir, sans réfléchir.
Boya retrouvait ce qui avait fait de lui l'une des pires tête-brulée de JingYun.
Boya se retrouvait un peu plus lui-même et c'était… affreusement bon.
Il arrêta une demoiselle au lourd maquillage et qui sentait les parfums capiteux qu'on trouve dans les hostelleries et les bordels pour qu'elle lui indique une maison de thé.
Il avait envie de faire comme si tout allait bien. Comme si rien n'avait changé.
Weilan se jucha à l'extérieur sur l'appui de la fenêtre pour continuer à surveiller et protéger son maître. Anbei Furen prenait de l'indépendance. Ce n'était pas pour lui déplaire.
Lorsque Boya eut finit son thé, il retourna vers le Domaine Intérieur pour enfin prendre quelque repos. Sa petite escapade, la première depuis une éternité, lui donnait l'impression d'être un ado qui fait le mur.
Ce n'était pas si loin après tout.
Mais Boya était heureux.
Assez heureux pour pester après le Seigneur Anbei lorsqu'il vint comme presque tous les jours pour le titiller sur ses progrès peu après le lever du soleil. Boya n'avait que peu dormit. Son caractère s'en ressentait malgré l'évidente jubilation qui lui remontait dans le ventre. Il fallait bien qu'elle s'exprima d'une façon ou d'une autre.
Le renard démon aimait bien embêter Boya. Jusque-là, le jeune chasseur n'avait jamais été autre chose que parfaitement poli même s'il crispait de plus en plus. Il l'avait chambré quelques fois, l'avait un peu houspillé deux ou trois fois aussi, mais rien de violent.
Pour la première fois, Boya se fit une joie de tailler une croupière au renard qui resta figé, paralysé par la surprise et pourtant heureux. Si heureux de voir l'homme qu'il avait toujours imaginé dans toute sa prestance virile et hautaine, émerger un peu des cendres qui l'avaient englouties. Lorsque le renard démon finit par abandonner la lutte et Boya à ses lectures sur la terrasse de ses appartements, QingMing avait un petit sourire rêveur comme ses shishen lui en voyait rarement.
"- Je dois le laisser continuer à sortir ?" Weilan avait immédiatement emboité le pas de son seigneur lorsqu'il avait quitté Boya
Il avait bien sûr rapporté la sortie de Boya à son Seigneur à peine le chasseur avait-il fermé les yeux la veille, une fois certain qu'il ne ressortirait pas.
QingMing y réfléchit un moment, les yeux perdu dans le jardin. Des insectes butinaient les fleurs ou s'y faisaient dévorer, des lézards de la taille de chats prenaient le soleil et des chats de la taille de poney paressaient sur le haut des murs.
"- Bien sûr. Mais ne le quitte pas. Jamais. Je compte sur toi. Il t'appartient maintenant."
Le jeune Shi était extatique. Il était le Premier Général d'Anbei Furen. Il ne serait jamais celui de leur Seigneur, mais cette place était presque aussi glorieuse que celle de son frère. Sa vie appartenait à Boya maintenant. Même s'il retournait dans le monde des humains, il le suivrait.
Boya se plaqua contre le mur lorsqu'une douzaines de soldats en armes gueulèrent qu'on leur fasse place. Les démons s'excusèrent en bafouillant de l'avoir dérangé mais ne s'arrêtèrent pas pour autant.
Le jeune aveugle fronça les sourcils.
Tout le Domaine Intérieur frémissait depuis quelques jours, mais ce matin, ce n'était plus un frémissement, c'était un raz de marée d'angoisse, de peur et de frénésie.
Qu'est ce qui se passait ?
"- …Weilan ?" Ça n'avait été guère plus qu'un murmure, mais Boya commençait à s'habituer à la présence de sa nounou. Puisqu'il ne pouvait faire entendre raison au Seigneur Anbei sur sa présence, autant faire contre mauvaise fortune bon cœur.
"- Boya Daren ?"
"- Qu'est ce qui se passe ?"
"- Vous avez remarqué ?"
Boya le foudroya du bandeau. Il le prenait pour un idiot ? Même une pierre aurait réalisé qu'il se passait un truc.
"- Ça fait des jours que le Domaine et QingMing sont sur la brèche mais ce matin, c'est pire." Il n'avait pas voulu ennuyer le Démon Renard quand il venait le voir. Il paraissait si troublé que Boya préférait tenter de lui changer les idées. Même si c'était parfois en lui pestant dessus. "Qu'est ce qui se passe ?"
"- Une escarmouche à l'Ouest a dégénéré. La Générale Hai XiuTuzi a été grièvement blessée en protégeant ses troupes lorsqu'elle a dû ordonner la retraite. Le Seigneur Anbei va partir la rejoindre avec des troupes fraiches ainsi que le Général Xue Mao et ses propres troupes. Il faut écraser l'offensive adverse avant qu'ils ne parviennent à faire une vraie percée et établir des camps de base."
Boya avala sa salive, immédiatement inquiet.
"- Qui va partir ?"
"- Le Seigneur Anbei et ses shishen, ses hommes, toutes les troupes qui entourent la capitale à part les troupes régulières de protection, ainsi que plusieurs bataillons spécialisés."
"- Des assassins et des saboteurs, quoi."
Weilan ne répondit pas mais il avait un grand sourire. Il aimait le pragmatisme de son maître. Il ne s'étonnait de rien et ne s'offusquait pas de grand-chose non plus. Il aurait été usant de devoir lui expliquer que quelques sabotages bien réfléchit et quelques assassinats intelligents pouvaient sauver plus de vies qu'un honnête combat entre armées.
"- Quand partent-ils ?" Boya pensait surtout à ses amis, à Sha ShengShi, à Xie Weizhe et ses hommes qu'il connaissait maintenant par leur nom à tous.
"- Dans quelques heures au maximum."
Boya pinça les lèvres. Il se sentait laissé de côté, ulcéré de ne pas avoir été prévenu et… plus irrité encore de savoir qu'il était raisonnable de le laisser là où il était.
"- Vous voudriez y aller, hein ?"
"- Oui. Mais je serais au mieux inutile, plus certainement dans les pattes de toute le monde et au pire un danger pour mes alliés."
"- Au moins vous êtes raisonnable."
"- Xue TianGou."
Boya n'avait que peu interagit avec le tengu. Il avait plus de contact avec son compagnon même s'il l'avait pour l'instant chassé de ses cours de musique. Boya avait hâte de connaitre son Nom. Ça durait depuis des mois. Sha ShengShi progressait pendant que lui restait comme un idiot sur les mêmes notes.
"- Le Seigneur Anbei m'a demandé de vous expliquer la situation mais je vois que c'est inutile."
"- A-t-il peur que son invité se sente lésé par son absence ?"
"- Quelque chose comme ça, effectivement."
"- Je comprends la guerre, Xue TianGou. Je suis juste plus inquiet pour les combattants qu'ulcéré d'être oublié par mon hôte."
"- Le Seigneur Anbei en sera soulagé."
Boya hésita une seconde.
"- Pourrais-je juste être présent lors du départ ?" Pour se rassurer. "Qui va rester ici ?"
"- Bien sûr, Boya Daren. C'était la seconde raison de ma présence. Ils vont partir incessamment et le Seigneur Anbei veut vous parler avant de partir. Kuang HuaShi et moi restons ici ainsi que la majorité de la Multitude et Mi Chong. Même son maître au loin, le Domaine doit continuer à tourner. Les absences du Seigneur Anbei pour le combat ne sont pas rare. Tout est bien organisé mais ce n'est jamais agréable quand même. Une équipe squelette de conseillers s'occupe de gérer son absence mais…" remplacer une tête par plusieurs étaient souvent problématique, rarement une bonne idée. Avec des démons, c'était encore pire qu'avec des humains.
Boya suivait les longues enjambées de Xue TianGou en trottinant derrière lui. Le tengu avait parfois quelque chose de l'échassier.
Boya se retrouva soudain à l'air libre au milieu de la cour principale du Domaine. Les cris des soldats et des gradés se répercutaient d'un coté à l'autre mais il n'y avait aucune angoisse, juste l'anticipation des combats et l'organisation rapide de troupes qui connaissaient leur boulot.
"- Ha, Boya."
"- Seigneur Anbei."
"- QingMing, s'il vous plait, je vous l'ai déjà dit, appelez-moi QingMing."
"- Pardonnez-moi. Nous sommes devant vos hommes."
"- C'est sans importance." QingMing attrapa une main de Boya pour effleurer ses doigts des siens.
Autour d'eux, les dos s'arrondissaient et les oreilles s'ouvraient. Anbei Furen était venue dire au revoir à son époux bien sûr. C'était mignon. Et rassurant. Leur Seigneur était parfois un peu fantasque voire carrément oublieux de lui-même lorsqu'il était au combat. Là, il serait obligé de faire attention et de revenir en un seul morceau.
"- Je suis navré de devoir vous abandonner ici."
"- Revenez juste entier et sans blessure. Vous pourrez vous considérer comme pardonné." Assura Boya en tapant gentiment le torse du renard du dos de sa main libre, un sourcil relevé.
QingMing s'empourpra doucement, au grand amusement de ses hommes. Ha, Anbei Furen tenait la dragée haute à son époux. C'était cocasse à voir. QingMing attrapa la main libre de Boya pour la presser contre son torse. Elle était chaude, même à travers les vêtements du renard.
"- Je ferais attention." Promis le renard démon, un peu penaud.
"- Et ramenez moi les autres entier aussi." Si Boya pensait à Sha ShengShi, Xie Weizhe et ses hommes, les soldats le prirent pour eux tous en général.
Leur Furen pensait aussi à eux. C'était… Agréable de le savoir.
"- Je vous laisse en sécurité, Boya. Vous ne risquez rien ici. " Pas avec Weilan en tout cas. Entre autre. Même si on tentait de profiter de son absence, le Domaine et la Capitale n'étaient pas sans protection. "Le Domaine Intérieur sait prendre soin de ses membres. Je vous en laisse la jouissance. Prenez en soin comme il prendra soin de vous." Insista encore QingMing. La Maison était forte.
Autour de lui, on hochait la tête. Il était normal que son épouse prenne sa place et dirige en son absence. Et si QingMing voulait juste que Boya fasse attention à lui quand il sortait la nuit, les autres ne le savaient pas.
"- Tout est prêt, Seigneur Anbei !" Aboya soudain Xue Mao.
Son armure en métal émettait une odeur et un son assez irritant pour les sens exacerbés de Boya.
"- Parfait."
QingMing salua les hommes qu'il laissait sur le Domaine, salua Boya plus personnellement en effleurant ses doigts de ses lèvres puis sauta sur le dos de sa monture. Boya en resta figé, les joues écarlates. Que faisait cet animal ?
QingMing ouvrit un portail assez grand pour faire passer tout le monde, il n'avait pas besoin en plus de devoir marcher pendant qu'il le maintenait.
Boya serra les dents sous l'afflux soudain de qi qui l'aveugla totalement. Le portail resta ouvert de longues, très longues minutes afin que les centaines de soldats en franchissent tous le seuil. QingMing fut le dernier à passer avant que le portail ne se referme.
Le silence de l'absence fut soudain assourdissant.
Boya se posa les mains sur les oreilles en grimaçant. Tout ce silence lui faisait mal.
Weilan fut immédiatement à ses côtés.
"- Boya Daren ?"
"- Ce n'est rien."
Les autres invités du Domaine allaient être étroitement surveillés pendant l'absence du maître des lieux.
"- Venez, retournons à vos appartements." Murmura doucement Kuang HuaShi. "Vous allez me montrer vos progrès en musique. Et en musique seule." Tant que Boya ne connaissait pas son Nom d'Harmonie, il ne pouvait continuer pour le reste.
Boya se laissa faire, visiblement un peu perdu. Le Domaine sans la présence flamboyante de QingMing lui paraissait comme éteint, triste… vide… Il n'aimait pas ça.
Il lui manquait déjà.
Le ventre serré, il suivit les vieux amis de QingMing dans les couloirs soudain bien froids. Boya aurait du être avec le Seigneur Démon. Il aurait dû être à ses cotés pour le protéger. Ne plus l'avoir sous les yeux était une angoisse comme Boya n'en avait plus ressentit depuis longtemps. Quelque chose lui disait que ça allait mal se passer.
L'énorme renard démon était seul. Il avait laissé sa garde derrière lui pour s'échapper de la nasse que leurs ennemis avaient montés contre eux.
QingMing était irrité. Et blessé.
S'il s'était pris plusieurs flèches, nombre de ses hommes étaient morts, alors il avait décidé de faire reculer ses troupes pour les regrouper.
Leur adversaire avait bien estimé ses forces pour se préparer en conséquences.
Il y avait longtemps que QingMing n'avait pas été opposé à un adversaire aussi… Valeureux ? efficace ? irritant ? le seigneur démon qui tentait de lui tailler une croupière était déterminé à le tuer. Malheureusement pour lui, QingMing était plus vieux que lui. Le renard démon se refusait à faire l'erreur que ses premières victimes avaient fait et qui lui avait permis de survivre assez longtemps pour prendre l'ascendant.
Ce n'était pas parce que le jeune seigneur démon était plus faible qu'il n'était pas dangereux. Il le prouvait chaque jour depuis plusieurs semaines.
Il l'avait assez prouvé pour que QingMing soit seul en train de galoper à fond de train pour mettre de la distance entre les démons qui avaient attaqués ses hommes et lui pour donner une chance à ses gardes du corps de survivre.
Une flèche s'enfonça dans la terre à quelques centimètres de sa patte avant. Il l'évita d'un petit bond sans ralentir. Le Seigneur Anbei sentait la présence de nombreux démons qui se rapprochaient. Il était difficile de conserver un train assez rapide pour ne pas être suspicieux mais assez lent pour qu'ils puissent quand même le suivre et se regrouper derrière lui.
Une énième flèche s'enfonça dans sa croupe. La douleur le fit gronder sans qu'il ne marque de pause. Le poison était plus douloureux que la blessure mais sa masse autant que les potions dont il s'était gavé tiendrait le poison à carreau le temps qu'ils en finissent pour ce jour.
Cette escarmouche devait se conclure maintenant. Il lui fallait gagner cette bataille ou son Domaine autant que sa réputation seraient en fâcheuse posture.
Depuis des jours, ils reculaient.
Depuis des jours, ils s'enfonçaient un peu plus dans les terres du Domaines avec les troupes du jeune seigneur qui voulait prendre sa place pour leur souffler sur la nuque.
QingMing s'arrêta soudain.
Devant lui, une immense barre rocheuse à la verticale.
Il était coincé.
"- Comptez-vous courir encore ?" La voix railleuse n'était pas inattendue.
QingMing n'était pas le seul à avoir une véritable armée. Le général en face de lui était tout aussi jeune que son seigneur sans doute. Et bien plus arrogant. C'était le genre de détail que le temps se chargerait de gommer de sa personnalité. S'il survivait.
QingMing recula lentement à mesure que l'armée qui le suivait bloquait totalement l'entrée du canyon puis s'y rependait comme de la confiture trop chaude.
"- Vraiment ? Combien êtes-vous ? mille ? Deux milles ? Juste pour moi ? N'est-ce pas exagéré ?"
"- Je trouve aussi." Souriait le général ennemi avant de faire signe à ses hommes qui levèrent leurs arcs.
La nuée de flèches était impressionnante. Il fallait le reconnaitre. Mais elle s'écrasa mollement sur le bouclier du renard démon qui ne put se retenir de rire avec délectation de l'irritation en face de lui. Puis la vraie boucherie commença.
Contre la masse armée en face de lui bien déterminée à le finir façon bouillon-cube, QingMing n'avait qu'une solution.
Il leva le museau vers le ciel pour hurler.
Une nouvelle volée de flèches fendit l'air, mais en provenance des hauteurs du canyon cette fois.
Le Seigneur Démon sauta dans un portail pour rejoindre ses hommes qui se faisaient plaisir sur du tir au pigeon.
"- Seigneur Anbei ?! Vous êtes blessé ?"
"- Rien de bien méchant, Sha ShengShi."
Le shishen aussi était amoché mais rien de bien grave. QingMing le savait. Ils n'avaient pas cessés une seconde de s'échanger des information pendant toute la "fuite" de QingMing.
"- On les achève ?"
Une large troupe à cheval venait de se refermer dans le dos de l'armée adverse. Ce qu'ils avaient cru être une souricière pour le renard démon serait la leur.
Leur chef n'avait pas cru que le Seigneur Anbei accepterait de servir d'appât au risque de sa vie.
Et ses hommes allaient être massacrés pour ça.
Le Seigneur Démon hocha la tête.
"- Pas de quartier." Pas même ceux qui se rendaient. Pas même les blessés.
Il était temps que le Seigneur Anbei rappelle a tout le monde qui était le chef sur son Domaine.
C'est avec les hurlements d'agonie d'une troupe de deux milliers de démons qu'il reprit enfin forme humaine pour se laisser soigner par l'un de ses shishen.
"- Nos pertes ?"
"- Quelques centaines de blessés, un peu moins de morts."
"- La riposte ?"
"- Prête à votre ordre."
QingMing eut un signe de tête pour ses quatre généraux.
Maintenant que l'armée ennemie était perdue sur les terres du Domaine, ils pouvaient les exterminer sans remettre en question leur statut pacifiste. Ils n'allaient pas tuer pour conquérir mais pour protéger leurs frontières.
C'était stupide et sans doute totalement faux-cul, mais c'était le genre de détail qui faisait la différence entre un Domaine comme celui du Seigneur Anbei et ceux, généralement plus petits, qui s'entre-déchiraient depuis une éternité. Le sien n'avait plus besoin de s'étendre.
QingMing glapit lorsque son guérisseur personnel lui enfonça une énorme aiguille à vache dans la fesse.
"- Mais ça va pas bien ?" La brulure du liquide dans la seringue le fit jurer dans une dizaine de langues. "Personne n'a-t-il donc un peu de respect pour moi ?"
On lui enfonça une seconde seringue dans le bras cette fois.
"- Et bien évitez de vous faire empoisonner alors !"
Ha… C'était peut-être à cause de ça les vertiges ? Oups….
