Gordon s'installa derrière le bureau, dans le fauteuil du chef, Humphfrey s'adossa au mur derrière son coéquipier et le chef Davis s'appuya contre la porte de son bureau, relançant l'enregistrement.
"Messieurs, voulez-vous bien réexposer les charges qui pèsent sur mon client ? demanda Maître Vargas d'un ton froid.
- Tentative de meurtre par coups et blessures sur son compagnon, la victime est à présent dans le coma dans un état grave."
L'estomac de Carlos était serré, il avait besoin de comprendre pourquoi ces deux crétins pensaient qu'il était l'agresseur de TK et surtout, il voulait savoir qui avait fait ça à son homme.
"Quels sont les éléments à charge ?
- Pour commencer, son téléphone a borné chez lui à l'heure estimée du crime, répondit Gordon.
- Il doit même toujours y être, s'agaça Carlos, je l'ai oublié en partant ce matin !
- Bien essayé, mais votre téléphone est introuvable chez vous. Ne vous en faites pas, les spécialistes de la géolocalisation sont en train de faire le nécessaire pour prouver qu'il est parti avec vous suite à votre forfait."
Carlos voulut protester, mais son avocat l'en empêcha.
"Qu'avez-vous d'autre ?"
L'inspecteur sortit de son dossier une photo de Carlos en jogging gris avec un marcel blanc, le jeune policier se demanda à quoi il jouait.
"Est-ce bien tes vêtements sur cette photo ?
- Oui."
Gordon sortit alors, avec un grand sourire, deux autres photos. Sur l'une des deux, il y avait le même t-shirt couvert de tâches de sang. Sur l'autre, un jogging, aussi recouvert de sang. Carlos ne put cacher l'horreur qu'il ressentit, la quantité de sang était impressionnante et en disait long sur ce qu'avait dû subir TK. Il se demanda comment ses vêtements avaient pu se retrouver dans cet état. Il les avait mis la veille pour une séance de sport au loft, mais il n'y avait aucune tâche dessus. Il chercha à se souvenir de la suite. TK était rentré et l'avait embrassé avec passion. Il l'avait déshabillé dans le salon, ils avaient fait l'amour sur le canapé et n'avaient pas ramassé tous leurs vêtements en allant se coucher, seulement leurs sous-vêtements.
"La forme des traces de sang montre que tu portais ces vêtements lorsque tu l'as battu à mort.
- Je ne l'ai pas…
- Ce sont tes vêtements Carlos ! l'interrompit Humphfrey visiblement persuadé d'avoir le bon coupable.
- Avez-vous demandé une analyse du vêtement ? demanda Gabriel qui serrait les épaules de son fils.
- Oui, mais je ne doute pas de ce qu'on trouvera."
Le sourire mauvais de Humphfrey fit frissonner Carlos. Il se demanda comment un homme à peine plus vieux que lui pouvait le détester juste à cause de sa sexualité. Il ne lui avait rien fait, ils ne s'adressaient jamais la parole, pourquoi ne lui laissait-il même pas le bénéfice du doute ?
"Les voisins ont entendu une dispute, ils disent avoir reconnu vos voix à tous les deux, ajouta Gordon. Et en plus, votre porte d'entrée était fermée à clé quand Strickland est arrivé. Il a dit qu'il avait appelé monsieur Strand sur son téléphone et s'était inquiété en l'entendant sonner dans l'appartement. Comme il avait une clé, il est entré et à trouvé la victime inconsciente au milieu du loft.
- Je vais te dire ce qu'il s'est passé ce matin Carlos. Tu t'es disputé avec… TK. Il t'a mis tellement en colère que tu l'as frappé, encore et encore, jusqu'à ce qu'il ne bouge plus. A ce moment-là, tu as repris tes esprits, tu t'es changé et tu es venu travailler en prenant soin de fermer la porte derrière toi. Tu pensais pouvoir rentrer chez toi ce soir et appeler la police pour dire que quelqu'un avait agressé… TK."
Carlos avait envie de vomir, aussi bien à cause de l'horrible scénario décrit par Action-man, que par sa manière de dire TK comme s'il parlait d'une chose écœurante, sa manière de faire une pause avant de prononcer son nom, comme s'il se retenait de le dénommer par une insulte… Une pression sur ses épaules le sortit de ses pensées.
"Vous vous trompez sur toute la ligne, dit-il d'une voix cassée par les émotions.
- Alors je t'écoute, que s'est-il passé selon toi ?"
Carlos raconta à nouveau sa matinée et même sa soirée de la veille, ne manquant pas la grimace de dégoût sur les visages des inspecteurs. Quand il se tut, il lut sur leurs visages qu'ils ne le croyaient pas, contrairement à son père. Il tourna la tête vers le chef Davis et réalisa que celui-ci semblait plus embêté qu'autre chose.
"Messieurs, je pense que vous pouvez à présent libérer mon client. Vous n'avez que des preuves indirectes pas encore analysées. Votre arrestation ne se base sur rien et vous savez aussi bien que moi que si je vais voir le procureur il me donnera raison."
Un long silence répondit à l'avocat, avant que Davis ne fasse signe aux deux inspecteurs de le suivre dehors. Malgré le fait qu'il ne comprenne pas les mots, la voix du chef chargée de colère qui leur parvint donna espoir à Carlos. Pas l'espoir d'être blanchi si rapidement, il savait bien qu'il serait mis à pied le temps de l'enquête, mais celui de pouvoir quitter le poste de police et se rendre aux côtés de son homme.
Il entendit son père chuchoter quelques mots à Maître Vargas, mais n'en saisit pas la teneur. L'avocat acquiesça, mais ne put rien dire, les trois officiers de police revenaient dans la pièce. Cette fois, ce fut Davis qui s'assit dans le fauteuil face à Carlos.
"Carlos, je suis navré de ce qui t'arrive et de la manière dont nous avons appréhendé les choses. Tu n'es pas en état d'arrestation…"
Le cœur de Carlos s'emballa.
"... mais tu es toujours le suspect principal dans cette enquête. A ce titre, tu as l'obligation de rester chez ton père s'il accepte, tu dois rester à la disposition des enquêteurs et tu as interdiction de retourner dans ton appartement ou à l'Austin State Hospital où monsieur Strand est soigné.
- Quoi ?"
A nouveau, Carlos eut l'impression de se prendre un coup de massue. Lui interdire de voir TK lui semblait cruel, il avait besoin d'être aux côtés de son homme, de s'assurer que son cœur battait toujours, de lui transmettre son soutien et son amour.
"Tu pensais qu'on allait te laisser aller finir le travail ?"
Carlos renvoya un regard noir à Action-man. Il n'avait qu'une envie : laisser la colère qui s'agitait en lui sortir et refaire le portrait de cet imbécile, mais les mains de son père sur ses épaules et son envie de quitter le commissariat lui permirent de ne pas bouger.
"Gordon, libérez-le, ordonna Davis. Reyes, vous êtes bien évidemment en repos le temps que cette enquête soit tirée au clair, votre arme et votre badge restent donc sur mon bureau."
L'homme sortit ensuite un papier sur lequel il stipula les conditions de libération de Carlos. Alors que le jeune homme allait signer, les poignets enfin dégagés de leurs emprises, l'avocat l'interrompit.
"Je voudrais la copie de la vidéo de l'interrogatoire."
Gordon et Humphfrey échangèrent un regard surpris alors que Davis tenta de cacher un rictus satisfait. Carlos trouva ces réactions étranges, mais n'avait pas du tout envie de s'attarder dessus. Il réfléchissait à ce qu'il allait faire une fois sorti du poste de police.
Davis passa un coup de fil interne, demanda à quelqu'un de mettre la vidéo sur deux clés USB et ajouta quelques lignes sur la déclaration. Une policière que Carlos appréciait entra dans le bureau quelques minutes plus tard. Le chef scella une des clés USB, donna l'autre à Maître Vargas puis fit signer les papiers à Carlos.
Le jeune homme alla prendre ses affaires au vestiaire et rejoignit son père et son avocat à l'extérieur.
