TW : harcèlement sexuel et langage vulgaire, mention de suicide.
C'était étonnant comme cinq minutes pouvaient transformer une journée.
Si on ôtait cinq minutes à cette journée, alors elle avait été formidable : Drago avait dégusté un délicieux sirop pour son petit déjeuner, avait rabattu son caquet à Harry Potter, avait été efficace dans son travail, était parvenu à voler de quoi lui assurer l'approbation de son père, avait transmis le tout à un homme de confiance qui rapporterait les faits de façon honnête, et pour couronner le tout, avait été capable d'avaler presque une demi baguette de pain sans vomir.
Si on ne les ôtait pas, alors son corps souffrait le martyr, il était désormais incapable de tourner la tête ou de lever le bras à plus de 45 degrés. Sa mâchoire était si enflée qu'il ne cessait de se mordre l'intérieur des joues, et une saveur de sang lui occupait la bouche en permanence. Il réalisait avoir failli mettre fin à ses jours. Encore.
La mort, sa possibilité, son imminence, exerçait sur lui des sentiments contradictoires. Souvent, elle était une douce perspective, une porte de sortie lointaine mais rassurante. Parfois, elle était dangereusement tentante, ou pire, s'imposait à lui comme une main crochue. Et fatalement, il finissait par s'en effrayer, par craindre cette fascination qu'elle exerçait sur lui… Il se sentait manipulé par une puissance extérieure à lui, comme sous l'emprise d'un filtre d'amour, et finissait par douter de la moindre pensée qui avait pu lui traverser la tête…
Au final, avait-ce été une bonne journée ? Pas vraiment. Mais aurait-il pu changer quoi que ce soit à ses actions ou à son comportement pour la rendre meilleure ? Non. Il n'y avait donc aucun regret à avoir.
Les chariots de service ensorcelés avaient quitté les cuisines il y avait déjà quelques temps. Celui du directeur grinçait encore, et Drago n'avait pu s'empêcher d'éprouver un élan d'empathie absurde pour l'objet.
En déchirant son pain en miettes minuscules, Drago était parvenu à avaler l'équivalent d'une épaisse tartine. S'il n'y avait pas eu le goût du sang, ça aurait été un bon repas. Il s'était régalé de marmelade à l'orange en dessert, et somnolait désormais dans son lit en attendant l'extinction des feux… Il espérait que sa mâchoire serait à peu près remise d'ici le lendemain. En règle générale, son visage guérissait exceptionnellement vite.
Un bruit le fit se redresser. Un bruit qu'il n'avait entendu qu'une seule fois jusqu'ici. Le bruit d'une porte en particulier. Celui qu'il avait entendu quand Waren lui avait rendu son ultime visite.
Des pas succédèrent au claquement de porte.
Drago fit disparaitre le reste de pain et le bocal de confiture sous le matelas. Il était trop tard pour cacher le dentifrice, mais il était dans un angle sombre de sa cellule, et il y avait peu de chances qu'il attire l'attention.
Il se rendit compte que si des Surveillants venaient pour lui, ses larcins seraient la dernière de leurs préoccupations. Ils voudraient sa souffrance ou sa mort, et il n'y aurait pas besoin de circonstances aggravantes.
Ce fut Potter qui se présenta devant sa cellule.
Drago en resta interdit. Il ignorait si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle.
« Malfoy, je t'ai manqué ? » Il semblait anormalement joyeux. Il sortit sa baguette magique qu'il promena sur l'encadrement de sa porte. La lumière blanche crachota légèrement, et cela le fit rire. « Merde, je suis doué quand je suis sobre », gloussa-t-il.
Drago se rendit compte qu'il avait la bouche bée car sa mâchoire le rappela à l'ordre. Il referma les lèvres, et observa Potter insister, puis finalement parvenir à obtenir une lumière blanche, puissante et régulière, et un « cling » de déverrouillage.
Quand Potter entra, Drago recula d'un pas. Il ignorait si Potter ivre serait particulièrement dangereux ou vicieux.
« N'aie pas peur, par Merlin, ricana-t-il. Je suis juste venu t'apporter ça. »
Il lui tendit alors une énorme chope d'étain, étonnamment pleine compte tenu de la main vacillante qui la soutenait.
« Qu'est-ce que c'est ? demanda Drago sans faire un geste.
– C'est un cadeau, Malfoy. C'est Noël après tout.
– C'est Noël ?
– Tu savais pas ?! Oui c'est Noël ! »
Drago repensa au petit sapin qu'il avait vu dans l'un des cartons de déménagement. Il repensa à la neige sur la mer. Il repensa à la journée qui venait de s'écouler. Ça ne ressemblait pas à Noël.
« Et… Qu'est-ce que c'est ? insista-t-il en désignant vaguement la chope.
– Charlie appelle ça un Romanian whiskey. C'est un peu plus fort qu'un Irish. »
Et bien cela expliquait l'état dans lequel se trouvait Potter. Drago ignorait qui était ce « Charlie », mais il imagina aussitôt un vieil ivrogne puant et barbu du genre Hagrid. Il s'empara docilement du récipient. Les vapeurs d'alcool seules suffirent à lui faire tourner la tête. Mais le métal était agréablement chaud sous ses doigts.
Il attendit.
« Eh bien, goûte ! » ordonna Potter.
Drago hésita. Il n'avait pas envie d'être forcé à boire et à rendre la nourriture qu'il était parvenu à ingurgiter… Mais Potter ne semblait pas décidé à s'en aller. Drago porta la chope à ses lèvres, et prit une gorgée.
C'était effectivement fort. Pimenté, sucré, gras, et exagérément alcoolisé. Mais c'était bon. Il y sentait un léger gout de chocolat.
« Alors ? demanda Potter.
– Un vrai délice, rétorqua Drago en posant la boisson sur sa souche. Mais si ça ne te dérange pas, je vais garder le reste pour plus tard. J'ai du mal à avaler » ajouta-t-il, pris d'une subite inspiration et en désignant sa mâchoire.
Potter s'approcha.
« Fais voir ! marmonna-t-il. Mille Gorgones, ça ne s'arrange pas… Je vais te soigner ça ! » Et il sortit de nouveau sa baguette.
« Non merci, Potter, vraiment », répliqua Drago en reculant et en protégeant sa joue de sa main. Il était hors de question de laisser un homme ivre jouer avec sa santé.
« Fais voir, je te dis ! insista Potter en lui saisissant le bras. On devient pas Auror sans connaître un minimum de sorts de soins !
– Tu es complètement bourré, tu es dangereux !
– Mais je suis aussi Harry Potter. Je suis le plus jeune Sorcier à avoir obtenu l'Ordre de Merlin, première classe. Je suis un prodige de la Défense contre les Forces du Mal, réputé dans toute la Grande Bretagne pour ma maîtrise innée des Sortilèges Informulés et de la Magie sans Baguette. Je suis l'Elu, et Celui qui a Survécu et Vaincu… » Il récitait son texte comme s'il s'était s'agit d'une vaste blague qu'il connaissait par cœur, dont il maitrisait les intonations comiques, mais dont l'humour avait cessé de le faire rire il y a bien longtemps. « Et maintenant, reprit-il en pointant sa baguette sur la joue de Drago, reste immobile si tu ne veux pas que je me loupe. »
Drago se figea.
« Episkey », murmura Potter en effectuant un geste délicat de sa baguette. Une chaleur agréable parcourut la joue, le cou, l'épaule de Drago, qui sentit ses muscles et ses tendons se détendre. Les os furent parcourus de petites vibrations similaires à celles provoquées par les bulles d'un bain à remous. Enfin, un froid intense se fit sentir, puis disparut en emportant l'inflation.
Drago se massa la mâchoire.
« Est-ce que tu as encore tous tes os ? s'enquit Potter. Ne fais pas cette tête ! Une fois, on m'a enlevé tous les os du bras pour me soigner ! Sur le moment, ça soulage, mais c'est une torture quand ça repousse ! »
Tout en racontant ses inepties, il déambulait dans la cellule, jetant des coups d'œil curieux au mur rafistolé au papier mâché, ou au lit sur lequel on pouvait encore distinguer l'auréole jaunie d'une trace de sang. Sur la souche de Drago trainaient, à la vue de tous, l'encre, la plume, et le papier volés le matin même. Drago se maudit de ne pas avoir eu la présence d'esprit de les dissimuler.
Potter ne sembla toutefois pas s'en apercevoir. Il s'assit sur le lit et en éprouva le confort en rebondissant légèrement dessus. Il s'intéressa alors de nouveau à Drago. Puisque celui-ci gardait le silence, Potter en vint enfin à ce qui l'avait réellement amené :
« On a pas eu le temps de faire quoi que ce soit, aujourd'hui… »
Drago croisa les bras, attendant la suite.
« Vu comme t'étais inquiet de me voir partir ce matin, je t'avais imaginé plus heureux de me revoir ce soir… » Il tendit la jambe, caressa de nouveau le mollet de Drago qui recula pour se mettre hors de portée.
« Désolé Potter, mais tu vas devoir te la mettre derrière l'oreille. J'ai accepté de te servir le matin, sur des horaires de travail bien particuliers, mais je ne suis pas à ton service permanent.
– Je pourrais décider que cette piaule n'est pas à ton usage permanent non plus », menaça Potter en plissant les yeux.
Drago se rapprocha et planta ses mains de chaque côté des cuisses de Potter.
« Oh non, tu ne pourrais pas, parce que je me souviens parfaitement t'avoir entendu dire Une cellule rien qu'à toi, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et que parmi tes nombreux défauts ne figure pas l'habitude du parjure. J'apprécierais donc que tu cesses de menacer de me reprendre ce que j'ai gagné parfaitement légitimement. »
Potter resta d'abord interloqué, puis lui adressa une espèce de petit sourire contrit.
« D'accord, d'accord, concéda-t-il. T'as raison, c'est nul de te menacer avec ça. Promis j'arrête. »
Drago se redressa, profondément agacé par la capacité qu'avait Potter à toujours ressembler à un stupide collégien, plutôt que d'assumer la stature d'un Directeur. Il poussa un profond soupir et croisa de nouveau les bras en espérant que la conversation se termine là.
Comme toujours, Potter le détrompa :
« On a jamais rien sans rien, avec toi. Dis-moi ce que tu veux.
– Je voudrais que tu quittes ma cellule, Potter.
– Je voulais dire, précisa Potter en riant, dis-moi en échange de quoi tu accepteras de t'envoyer en l'air avec moi ce soir. »
Drago laissa son regard errer sur la cellule. Sur les preuves évidentes de vol que Potter n'avait pas soulevées, sur la chope d'étain qu'il avait trimballé depuis Merlin seul savait combien de temps, et qu'il avait manifestement supposé être un cadeau suffisant pour s'offrir un peu de bon temps le soir de Noël.
« Parle à mon père… » suggéra finalement Drago. Il était de toute évidence inutile de lutter : Soit Potter finirait par obtenir ce qu'il voulait de lui par la force, soit il le lui ferait payer le lendemain. Il était plus sage et logique de négocier une récompense immédiate, tant qu'il était ivre, manipulable, et de bonne humeur. « Demande-lui ce qu'il veut, lui. Ça me conviendra.
– Même pour tes beaux yeux, Malfoy, il est hors de question que je devienne le larbin de ton père.
– Il ne te demandera rien d'excessif ou de déraisonnable », argumenta Drago, épuisé. Pour prouver sa bonne volonté, il se rapprocha de Potter, se tint debout entre les cuisses écartées et décroisa les bras. « Il voudra simplement des informations sur le remplaçant de Waren. Peut-être te suggérer des noms, il n'exigera rien. »
Potter caressa pensivement les jambes de Drago, fit remonter la robe jusqu'aux genoux dont il effleura l'arrière, provocant un chatouillement inhabituel.
« Très bien, accepta-t-il enfin. Je parlerai à ton père demain. » Il frotta son visage contre le tissu rêche, poursuivit ses caresses. « Est-ce que tu veux le voir ?
– Non.
– Bien… » Il saisit fermement les hanches de Drago et inspira profondément son odeur. « Putain, tu me rends dingue, Malfoy. Enlève ça. » Déjà il soulevait la robe, déjà ses mains se promenaient sur les fesses nues, déjà il embrassait les cuisses et gémissait d'anticipation.
Drago ôta sa robe, qu'il jeta sur le lit aux côtés de Potter. Il ne regrettait pas sa décision. Il espérait que l'alcool rendrait l'homme précoce, et pour le moment, cela semblait fonctionner. Il regrettait de souiller son lit adoré d'une relation sexuelle, mais décida que si Potter ne s'aventurait pas sous la couette, le cocon douillet serait préservé. De toute façon, le tissu extérieur était déjà sali.
Potter lui embrassait le pubis. Il espérait manifestement une réaction. Drago ferma les yeux, se concentra, invoqua un homme différent, plus doux et aimant, et réussit à faire se gonfler son sexe.
« J'ai envie de te voir jouir, Malfoy »
Ça n'était pas une surprise. De toute évidence, le Survivant éprouvait un besoin constant d'être rassuré sur ses prouesses sexuelles.
Puis, sans doute que la situation était trop romantique, Potter jugea utile de préciser :
« J'ai envie de te voir jouir pendant que je te baise. »
