Momoi se fige devant le casier, et ferme les yeux, prenant une grande inspiration pour se donner contenance. La cloche est sur le point de retentir, marquant la fin des cours, mais elle a prétexté une grosse commission pour filer du cours de biologie une bonne demi-heure avant que la journée ne se termine pour tout le monde.

Mais ça va faire la moitié qu'elle est là, à faire les cent pas autour du rang de casiers, dont celui de son ami, montant et redescendant les escaliers adjacents, sans aucune cible précise. Il y a des caméras à tous les coins, à coup sûr les surveillants vont penser qu'elle est aliénée à force de l'observer tourner en boucle.

Ah, si Daiki était là, lui aussi se foutrait pas mal de sa gueule...mais Momoi est tant stressée, et pour une raison qui lui échappe complètement. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'elle se charge de fouiller allègrement dans les affaires du bleuté, le plus souvent pour lui voler tous ses magazines de Mai-chan afin de donner plus de foin au moulin de chantage de Wakamatsu et du reste de l'équipe pour le forcer à s'entraîner. Au point que l'autre a arrêté de les cacher dans son casier, puisqu'elle retrouvait les combinaisons de codes à chaque fois qu'il en changeait.

Et donc, Momoi sait très bien quoi insérer pour que le casier s'ouvre sans aucune encombre.

Alors pourquoi...?!

"Besoin d'aide ?"

La jeune fille sursaute, et se retourne sur trois garçons, en tenue d'académie, un léger sourire flottant sur le visage de celui qui s'avance vers le casier problématique, faisant distinctement reculer Momoi de trois pas en arrière, sonnée.

"Dis, c'est vrai c'que les gens racontent ? Il s'en va pour de vrai, et pour de bon ?" L'un des deux autres restés en retrait pose une main douce mais ferme sur l'épaule de la rose, et elle se tourne vers lui, visiblement surprise par son toupet. "Tu peux nous le dire, ça va faire deux semaines qu'on ne sait rien."

"Vous êtes qui vous, en fait ?"

"Ben, assistante-coach, c'est pas sympa ça", la concernée déglutit, sentant une goutte glacée dévaler son dos, dans un couloir vide avec trois gars plutôt baraqués autour d'elle et son garde du corps officieux à l'académie, en PLS à l'autre bout de la ville. "On est de l'équipe B nous, pas autant talentueux que la A, mais on assure, au moins à notre niveau de réservistes."

"On veut juste savoir comment se porte Ao, sa blessure était flippante", le troisième, un peu plus petit et élancé que les deux autres mastodontes, s'exprime enfin, en croisant les bras. "Mais si tu veux pas en parler ou que c'est confidentiel, te sens pas obligée, surtout."

"Et qu'est-ce que vous fichez dehors pendant les heures de cours, au juste ?!" Momoi reprend pour un instant sa voix et son charisme d'assistante, un poing sur la hanche. "C'est pas réglo à ce que je sache ! Vous respectez à la lettre le code du club de basket, sinon vous aurez des ennuis !"

Les trois joueurs échangent un regard, et après une lourde minute de tension, s'esclaffent en même temps que la rose, qui baisse ensuite la tête, les yeux piquants et le nez qui commence à se renflouer sous le coup de l'émotion.

"Et toi alors, on t'en pose des questions ?!"

"Euh, techniquement, c'est ce qu'on a fait."

"Ouais, mais ça avait rien à voir avec le code du club de basket ou le règlement intérieur !"

Celui près du casier se désintéresse ensuite de ses deux compères, et est surpris de voir que le cadenas du casier de Aomine a sauté depuis un bout de temps, ce qui signifie qu'il est ouvert—mais son aura plane toujours dans les couloirs de l'académie Touou, et seul un fou, membres du personnel et de l'administration tous inclus, pourrait avoir le cran de venir et toucher à ses affaires en son absence.

"Hey, c'était pas fermé, tu sais..." Le dénommé Kazuo ferme ensuite brièvement les yeux, ceux de ses deux coéquipiers Matsuko pour le plus grand, et Eiji pour le plus petit, se posant sur lui. "Ça veut dire...qu'il sera bientôt disponible pour un autre élève. Elles disaient vrai, les rumeurs."

"Non, fais chier", Eiji fronce les sourcils, jetant un regard en coin à l'assistante-coach. Aomine n'est clairement pas un mec charmant, mais c'était un coéquipier, un membre émérite du club, l'as adulé du cinq majeur de l'académie. Ça fait mal quand même. "Et merde...!"

"L'important pour le moment, c'est sa santé", Matsuko, en bon philosophe, se contente de rappeler, se sentant aussi dépassé que les autres. "Ao ne risque plus du tout de se pointer pour la suite des compétitions avec sa jambe en charpie. J'ose pas imaginer comment il l'a pris, et le vit en ce moment même."

"Satsuki", Kazuo s'éloigne du casier, et passe un bras sur les épaules tremblantes de la rose. "Si tu veux notre aide pour déplacer ses babioles, t'as qu'à nous le dire, on est là." Il lui sourit gentiment, et à travers les larmes qui lui flouent la vue, Momoi peut voir qu'il est sincère et que ça n'a rien à voir avec elle. "T'es sa meilleure amie, peut-être la seule de tout le bahut, son roc depuis l'an passé. C'est un conseil, essaie un peu de déléguer."

"M-merci", elle renifle, et Eiji s'empresse de lui tendre un mouchoir brodé. "M-merci p-pour t-tout, les gars. J'avais même pas remarqué qu'il était plus cadenassé, son fichu casier."

Matsuko et Eiji attendent avec les cartons en arrière, pendant que la rose trie la merde de ce qui peut être réutilisé, puisque le casier de Daiki ne contient rien qui s'apparente à des livres ou des cahiers ou des notes de cours, de toutes les façons. Un sourire mélancolique étire ses lèvres tout du long, et Kazuo ne la quitte plus de son regard inquiet jusqu'à ce qu'ils aient tout pris.


L'arrêt suivant de la rose se fait au gymnase, où elle arrive franchement en retard, après s'être débarbouillée aux toilettes, de prime abord. Son père est venue la récupérer en voiture, sachant qu'elle serait chargée des affaires de Daiki, et que le métro ou le bus, c'était hors de question dans son état. Mr. Momoi n'a pas apprécié le virement de personnalité néfaste de Aomine à un point de leur parcours collégial, mais c'est mission impossible de décoller sa fille et le fils de son ancien frère d'armes, à tous égards. Ces deux-là ont grandi ensemble, ont fait les pires bêtises ensemble. Mais heureusement, ça fait un bail que leurs parents respectifs ont jeté aux loups l'idée de les voir se marier un jour dans un futur lointain, et laissent les deux adolescents tranquille. Et ensemble, la plupart du temps.

"Satsuuuuuu ! T'es en retard !" Wakamatsu crie depuis le bout du terrain, manquant d'éclater le tympan à son coéquipier entrain de le contrer. Ou plutôt, entrain de tenter de le faire.

"Ah, désolée !" La susnommée affiche son plus beau sourire, et salue tout le monde d'un signe de main enjoué. "Mais je, je vais pas rester pour l'entraînement cette fois."

Les épaules du capitaine s'affaissent une fois qu'il a rejoint l'assistante-coach en dehors du parquet, abandonnant la balle aux bleus restés derrière, et qu'il a la charge de rôder un peu au jeu professionnel, pour la soirée.

"Quel chieur, ce Aho ! Il me manquerait presque, j'ai plus personne sur qui passer mes nerfs."

Momoi rit doucement, le regard rivé sur ses doigts entrelacés. "C'est parce que c'est moi devant toi, et pas lui."

"Quoi ?! Pas du tout ! Non mais, sérieux !", le blond lui prend brusquement les épaules, la forçant tacitement à se redresser. "Je dis pas qu'il nous manque hein, mais le gymnase et tout le monde est mortellement silencieux quand il est pas là. Je vais pas te mentir, c'est plutôt stressant." Momoi veut encore en rire, mais le regard marron de l'autre se fait soudain apeuré. "Regarde ce qu'il m'a fait, cette enflure ! Je vais mourir avant le temps, je suis déjà hypertendu à mon si jeune âge à cause de ce sale type !"

C'est à cette bourde précise que Momoi n'en peut plus, et éclate franchement de rire, si fort qu'elle s'en tord les tripes, obligée de se saisir les côtes quand elles deviennent douloureuses. Tous les joueurs et le staff présents envoient un regard satisfait et admiratif au capitaine, qui ne se prive pas d'apprécier le spectacle face à lui.

Ça va faire deux semaines, depuis l'incident, que Momoi a le moral dans les chaussettes, et malgré la compréhension du coach qui voulait lui donner un peu de temps, n'a pour autant pas abandonné l'équipe et ses analyses expertes sur leurs futurs adversaires. Car oui, l'Interhigh n'est pas terminé, même s'il est taché à cause du cas Aomine. Rien de grave, heureusement. Et sans leur as, ils se sont hissés en demi-finales, mais sans lui également pour contenir l'autre membre de la Kiseki no Sedai de leur prochain match, Wakamatsu ne se fait pas d'illusions.


"Wakamatsu ?"

"Ouais ?" Le susnommé est un peu mal à l'aise, parce que Satsuki est face à lui avec la tête très basse, au point que ses longs cheveux cachent tout son magnifique visage. On dirait qu'elle va se confesser d'un moment à l'autre, et son père le regarde de haut en bas depuis sa voiture. "Il y a autre chose dont tu voudrais parler ?"

"Oui. Il y a des rumeurs..." Elle ne termine pas sa phrase, et se mord doucement la lèvre pour revenir dans le moment. "C'est vrai, au cas où le coach ne l'a pas encore confirmé. Daiki ne veut pas, ne peut plus revenir. Tu sais qu'il n'est pas bon élève, et que les officiels l'ont gardé juste à cause du sport et du prestige qu'il apportait au club de basket. Rien...rien de plus."

"Ouais", Wakamatsu étend une main lasse dans ses courts cheveux blonds, l'autre crispée dans sa poche. "D'après mes sources, certains ont quand même voulu lui donner une autre chance, mais sans la protection du club. Je comprends qu'il ne veuille pas revenir, cet abruti n'a pas le niveau d'un élève de Première en temps réel."

Momoi soupire, et finit par redresser l'échine après deux minutes durant lesquelles son père dans la voiture a bien failli tuer du regard l'autre jeune garçon en compagnie de sa fille.

"Et il va où, du coup ?" Wakamatsu s'enquiert, prêt à partir après que tous deux se soient dits au revoir. "T'as pas une idée, Satsu ?"

"Tu le connais, il n'aime pas quand on parle de ses affaires, et encore moins quand ça vient de moi. Je vous dirai tout, mais avec son aval."

"Ben voyons", le capitaine roule des yeux avec une évidente ironie, faisant encore pouffer de rire Momoi et froncer des sourcils à son père. "De toutes les façons, Aho ne répond à aucun d'entre nous, même si ce n'est pas l'un de ses bras qui est dans le plâtre." Le blond hausse les épaules, et avant de s'éloigner pour de bon, il se retourne vers l'assistante-coach, hésite un petit moment, puis semble reprendre de l'assurance pour lui refaire face.

"Tu lui diras, à ce rat prétentieux, que je suis fier de lui", le souffle de Momoi est coupé net à ces mots, et sa lèvre inférieure se met à trembler alors qu'elle plaque ses mains jointes sur sa bouche, ses yeux brillant de larmes dans la pénombre de la nuit. "Depuis l'an dernier, il ne nous a jamais déçus, il n'a peut-être pas utilisé tout son potentiel, mais on veut pas le tuer non plus. Tu lui diras qu'il est super balèze, et je suis sûr qu'il sera bien content d'entendre ça tiens", Wakamatsu pouffe de rire, mais le poids de tous les événements récents lui retombent dessus, sans crier gare. "Il doit être le plus fort de tout le Japon, ou je sais pas quoi, mais moi, tout le staff, coach Harasawa, la team, on lui souhaite tout ce qu'il y a de meilleur, pour la suite de sa carrière. Et le plus important..."

Momoi s'engouffre dans la voiture, une fois que le blond a rattrapé son bus en urgence et s'y est aussi installé sans encombres. Elle n'arrête pas de geindre, mais malgré ses efforts pour ne pas inquiéter son père, il finit par poser la question fatidique, guettant sa fille du coin de l'œil.

"Ma chérie, ce garçon t'a collée un râteau, c'est ça ? Dis le moi tout de suite, si tu veux que je lui refasse le portrait, à ce goujat !"

"Mais non papa, arrête ! Rentrons à la maison, j'ai faim et je dois encore organiser les affaires de Dai-chan. Maman doit déjà être rentrée."

Et le plus important...il est irremplaçable pour Touou ! Il reste notre as, envers et contre tout, c'est clair ?! Tu lui diras ça, Satsu !"