Chapitre Premier
Le Gardien
J'ignore à quel moment les Nornes ont perdu le fil de mon histoire… Voyez-vous, être le dieu du chaos entraîne une existence d'agitation et d'anarchie difficile à conter dans une simple balade ou un pauvre poème.
Le récit d'une vie commence en général par une naissance. Si vous me connaissez déjà un peu, vous savez certainement que je suis né sur Jotunheim, le royaume des géants. Le destin fit cependant de moi une arme chargée d'un but glorieux. C'est en tout cas ce que pensaient mes aînés lorsqu'ils m'offrirent en sacrifice...
Bien que d'ascendance royale, l'enfant innocent que j'étais alors ne fut point épargné par la guerre et ses ravages. Le peuple des géants avait tenté de s'emparer de la Terre, son propre monde alors à l'agonie. C'était, bien entendu, sans compter sur Odin et sa fâcheuse tendance à vouloir contrôler l'expansion des peuples à travers la galaxie.
Le père de tous, comme on l'appelait parmi ses sujets, régnait sur les neuf mondes d'une main de fer. Bien qu'il sache la situation désespérée des géants, il n'avait cependant pas autorisé leur migration vers une planète plus hospitalière.
Les Jotuns n'avaient pas suffisamment pris soin de leur monde. Il était donc hors de question qu'ils migrent vers une autre terre d'accueil et qu'ils y répètent les mêmes erreurs.
Réalisant qu'Odin ne donnerait jamais son assentiment, Laufey, roi des géants, était alors passé à l'offensive. Choisissant Midgard pour y accueillir son peuple, il ne restait plus qu'à rendre la planète habitable en y provoquant une nouvelle ère glacière. Pour cela, il devait utiliser une relique sacrée pour les Jotuns : l'Écrin des hivers d'antan. Plus qu'une arme, il s'agissait du cœur même de Jotunheim. À travers lui pulsait la vie même de la planète gelée. Arracher ce cœur mécanique des entrailles glacées de Jotunheim pour le greffer à la jeune Midgard nécessitait cependant un sacrifice. Laufey était prêt à offrir la vie de son propre fils pour que son peuple survive, et c'est ce qu'il fit.
Le roi des Ases avait ce jour-là conduit ses troupes à travers les vallées froides et profondes d'un monde de glaces pour affronter l'armée des géants. Pics, arêtes acérées et profonds cirques glaciaires ne l'avaient pas découragé. Au contraire, après une bataille sanguinaire qui lui avait coûté son œil gauche, Odin avait finalement triomphé de son ennemi aux abords du temple de Tyr.
C'est en ces lieux qu'il découvrit alors le pauvre avorton que j'étais, allongé sur un hôtel sacrificiel avec pour seule compagnie le cœur d'une planète mourante. Le roi des dieux eut à peine le temps de m'effleurer que le transfert d'énergie s'inversa alors. Si quelques instants plus tôt, l'écrin aspirait ma vie au compte-goutte pour renforcer sa puissance, tout son pouvoir séculaire se déversa soudain en un éclair dans mes veines de nouveau-né. J'ignore si j'étais métamorphe de naissance, mais mon corps prit instinctivement les mêmes caractéristiques physiques que mon sauveur.
Si j'avais été secouru par un aigle, il est fort probable que j'aurais ressemblé à un oisillon tombé du nid. Mais c'était le roi des dieux qui me tenait entre ses grandes mains pâles. Le bleu rampa loin de mon épiderme et le rouge s'en fut de mon regard. Mon front cornu se lissa et les marques tribales de mon clan disparurent. Je n'étais ainsi plus qu'un simple nourrisson à la peau blanche et aux yeux verts alors que le vieux borgne s'était mis à me bercer pour apaiser mes pleurs.
À quel moment Odin décida de me prendre avec lui, je ne saurais le dire. Tout ce que je peux supposer, c'est que la mort de son dernier-né, le tristement oublié Baldr, influença certainement sa décision de me confier aux bras de son épouse.
Odin avait ses propres raisons d'empêcher les Jotuns d'atteindre Midgard. Ou peut-être qu'il incombait au Père de tous d'accomplir le destin tragique choisi par les Nornes pour la race des géants. La seule pitié qu'il se permit de ressentir me fut étrangement destinée. De Loptr, enfant de personne, je devins Loki, Prince d'Asgard.
Je me souviens du jour où j'ai voyagé pour la première fois à travers les branches de Yggdrasil. J'étais parvenu à fuir le palais grâce à un sortilège d'invisibilité. Un exploit pour un enfant à peine âgé de sept ans.
Fuyant mes leçons de combat à l'épée, je courais à en perdre haleine dans l'onde verte parsemée d'or des champs d'Asgard. Poussées par une brise délicate, les herbes dansaient autour de moi tels des vagues tandis que ma respiration saccadée se perdait dans l'enivrant parfum du printemps. Je chérissais ces moments de liberté, loin du palais et de ses odieux courtisans. Asgard n'était rien d'autre qu'une île artificielle et les coins de verdure y étaient rares.
J'avais cueilli des boutons dorés, milliers de petits soleils radieux pour en faire offrande à ma mère, la douce Frigga. Mes doigts caressaient délicatement les pétales délicats, empreints d'amour et de respect pour celle qui était mon refuge. Mais ce moment de tendresse fut interrompu lorsque Thor, accompagné de ses amis, me débusqua. Les fleurs que j'avais tressées dans mes cheveux ne me rendirent pas service...
Après m'avoir affublé de noms d'oiseaux peu originaux, ils s'étaient mis à me pourchasser, prétextant s'entraîner à la chasse. Leurs rires moqueurs résonnaient dans l'air, tandis que mes jambes d'enfant faible ne me permettaient pas de les distancer.
Soudain, guidé par mon instinct de survie, je me transformai en cerf, offrant à Thor et ses amis un spectacle divertissant. Leur amusement se nourrissait de ma vulnérabilité. Jouer leur jeu était loin de me plaire, mais ma nature me criait de fuir les cruautés qui m'attendaient.
Trop souvent déjà, j'avais été brutalisé par mon frère et sa bande. Thor, l'enfant chéri des Ases, le prince héritier et le favori d'Odin, bénéficiait de l'impunité pour ses actes cruels. En comparaison, je n'étais qu'un faible avorton, incapable de rivaliser avec sa force et son pouvoir.
Le Père de tous m'avait vite considéré comme indigne de son attention, me reléguant dans l'ombre de mon frère. C'est pourquoi je courais pour ma vie, bondissant à travers les champs dans la peau d'un animal effrayé.
Alors que les flèches sifflaient près de moi, je me sentais comme si je marchais sur une fine toile, prêt à trébucher dans l'abîme.
Les murmures des troubadours me revinrent en mémoire, comparant le cosmos à un immense arbre. Dans cet instant précis, je me sentais nager à travers les ramures d'un grand chêne, tandis que les cris de mes poursuivants s'évanouissaient dans l'écume, s'écrasant sur un rocher lointain.
J'avais déjà lu plusieurs ouvrages sur la structure d'Yggdrasil, l'Arbre-Monde. Cependant, me retrouver au milieu de son architecture complexe était une expérience incomparable. Ce qui m'intriguait le plus, c'était l'énergie palpable qui pulsait à travers les veines de l'Arbre-Monde. C'était comme si mon propre cœur était lié à ce gigantesque corps céleste. Je sentais ma magie répondre naturellement à celle de l'arbre, comme si nous étions de vieux amis se retrouvant enfin après plusieurs millénaires de séparation.
Suivant au hasard les fils de lumière le long de la voûte étoilée, mes pas me conduisirent jusqu'au pays des mortels. Midgard n'était pas une destination très prisée par les Ases. Contrairement aux autres royaumes, nous ne pouvions pas prendre forme matérielle en ce bas monde. Du moins, pas celle des humains. Ma mère m'avait souvent raconté la tragique histoire des Olympiens. Bien qu'aujourd'hui éteints, les dieux grecs avaient connu un extraordinaire âge d'or. Du moins, jusqu'à l'arrivée du Dieu unique. Midgard était un royaume hors du commun où les immortels pouvaient obtenir d'incommensurables pouvoirs. Plus les humains croyaient en nous, plus nous avions une chance de contrôler les océans, les tempêtes, voire même la course du soleil. Cependant, malheur à ceux qui tombaient dans l'oubli. Combien de dieux et déesses avaient tout simplement disparu, réduits en poussière faute de fidèles ? Je ne saurais le dire. La dernière extinction de masse à la montée du christianisme avait conduit de nombreux dieux à fuir Midgard. Depuis lors, l'entrée du royaume du milieu avait été fortement réglementée par Odin lui-même.
À ma connaissance, seul le Bifrost pouvait permettre un tel voyage à travers l'Arbre-Monde. Comment avais-je pu passer les barrières si facilement ? Cela reste un mystère.
C'est à cette époque que remontent mes premières escapades sur Midgard. Voyageant à travers l'enchevêtrement complexe des racines d'Yggdrasil, j'avais trouvé un passage menant à des terres reculées peuplées d'éleveurs. En somme, un terrain de jeu parfait pour m'exercer à l'art subtil de la métamorphose. J'adorais cette Norvège primitive où les vastes forêts, les lacs scintillants et les aurores boréales tissaient leur toile de fond. Je trouvais un véritable réconfort en me fondant dans cette nature verdoyante, me perdant dans les chants des oiseaux, le murmure des ruisseaux et le souffle du vent.
La forme que j'adoptais le plus souvent était celle d'un loup gris, agile et furtif. Courir aux côtés des meutes de la région me procurait un merveilleux sentiment d'appartenance. Au fil du temps, je devins de plus en plus habile pour changer de forme.
Je pouvais prendre l'apparence d'animaux de toutes sortes : des oiseaux pour m'envoler dans les cieux, des poissons pour explorer les profondeurs des rivières, voire même des insectes pour me faufiler dans les recoins les plus étroits. Cette capacité était un véritable trésor, me conférant une liberté inouïe dans un monde aux richesses infinies.
Sur Asgard en revanche, mon esprit était assailli de sombres pensées. La nuit, mes rêves étaient hantés par des monstres aux yeux écarlates. Le jour, Odin, Thor ou les courtisans me rappelaient à quel point j'étais indésirable. J'avais pourtant essayé de m'intégrer, en participant aux réunions politiques et en rejoignant Thor dans ses aventures... Rien ne semblait suffisant pour leur faire oublier mon étrangeté.
Je quittais alors les terres des immortels pour parcourir, sous la forme d'un corbeau, les vastes prairies au nord de Midgard. D'un battement d'ailes, je m'élevais vers les hauts plateaux où la neige demeurait inviolée. Dans ce paysage muet et austère, j'admirais les monstrueux rochers, premiers-nés de la terre, qui semblaient vouloir rejoindre l'azur.
Trop souvent, je m'attardais devant les troupeaux de brebis gardés par de jeunes bergers. J'ignore pourquoi, mais seuls les enfants humains étaient capables de me voir sous ma véritable forme. Ils ne semblaient pas me craindre. Leurs yeux brillaient au contraire d'une lumière chaleureuse lorsqu'ils me voyaient venir à leur rencontre. Je leur racontais toutes sortes d'histoires en jouant de ma harpe. Pendant ce temps, je les laissais tresser mes cheveux de mille perles et de fleurs.
J'aimais leur compagnie plus que celle de mes pairs. Eux, au moins, m'acceptaient sans jugement, tel que j'étais. Je ne leur donnais jamais mon nom. Être un dieu à leurs yeux ne m'intéressait guère. Au fil des siècles pourtant, le pseudonyme de "Gardien" m'accompagna comme une ombre.
Sur Asgard, l'honneur appartenait au guerrier, l'arme au poing, et non aux intellectuels le nez plongé dans leurs livres. La sorcellerie était un domaine réservé habituellement aux femmes. Ma passion débordante pour la poésie et la musique ne m'aidait pas non plus à m'intégrer parmi les Ases.
Je ne pouvais toutefois m'empêcher de composer des ballades à la gloire de Midgard. Loki, la langue d'argent, m'appelait-on dans les autres royaumes. Elfes, Nains ou Vanes, ils semblaient tous prendre plaisir à entendre ma voix mélancolique pleurer le monde perdu des mortels. Mon succès en tant que barde fut tel que même Thor et les Warriors'Three s'intéressèrent de près à Midgard. C'est à cette époque que d'atroces et honteuses histoires furent colportées à mon sujet. Mon frère semblait prendre un malin plaisir à me faire passer pour un dieu malveillant. Heureusement, Odin finit par découvrir les escapades de mon frère et lui interdire l'accès à Midgard. Il craignait certainement que son fils chéri ne subisse le même sort que les Olympiens.
Je ne prêtais aucune attention à toute cette agitation, trop préoccupé par mes devoirs envers cette Terre-Mère qui m'avait si généreusement accueilli en son sein. Les humains avaient en effet dangereusement évolué en à peine quelques siècles, créant des armes de plus en plus meurtrières. Témoin de la Première Guerre mondiale, j'espérais ardemment que l'humanité ait appris de ses erreurs. Mon inquiétude pour l'avenir de Midgard me guida ainsi jusqu'en Amérique, où je fis une rencontre qui changea ma vie.
Mon chemin croisa celui du jeune Steven Rogers au début des années 30. Séparé du centre-ville de Washington, de l'autre côté du fleuve Potomac, se trouvait le cimetière d'Arlington, dernière demeure de milliers de soldats américains tués au combat. Chaque sépulture portait l'empreinte du courage et de l'abnégation de ces hommes qui avaient donné leur vie pour protéger leur pays.
J'avais connu certains de ces hommes lorsqu'ils étaient enfants, et il me semblait naturel venir leur rendre un dernier hommage.
Alors que je dispersais des œillets sur une tombe, j'aperçus soudain une bande de garçons d'une dizaine d'années en train de brutaliser un plus jeune. La scène me frappa de colère et de tristesse. N'avaient-ils aucun respect pour tous ces hommes morts au combat, qu'ils venaient répandre leur haine en ce lieu de repos ?
Cela me rappela les jours où Thor et ses amis me prenaient pour leur mannequin d'entraînement. Les souvenirs d'être traité avec mépris et violence affluèrent dans mon esprit, alimentant mon empathie pour le jeune garçon à terre. Il était petit et maladif, sans défense face aux trois autres, qui étaient plus grands et plus costauds que lui.
"Ça t'apprendra à jouer les héros, Rogers. Ton père était un lâche et tu ne vaux pas mieux que lui ! ", déclara un des garçons en jetant un coup de pied au visage de l'enfant à terre.
D'une seule incantation, voilà que mon corps s'allongeait, ma peau se couvrant d'écailles obsidiennes. Je tombais souplement au sol, les jambes réunies se recourbant en longs anneaux. Silencieusement, je rampais entre les pieds de ces petites brutes. La terreur se lisait sur leurs visages alors qu'ils oubliaient subitement leur victime et prenaient leurs jambes à leur cou, lâchant au passage des cris peu dignes.
Les yeux de l'enfant resté à terre brillaient d'étonnement. Puis il tendit la main vers moi.
Je glissai doucement entre ses petits doigts, appréciant le geste délicat avec lequel il me tenait.
"Ils ont cru que tu étais venimeux, mais en réalité tu n'es qu'une inoffensive petite couleuvre", déclara l'enfant en riant, révélant sa lèvre fendue.
"Essst-ce là tout ce que tu penssses de ton sssauveur ?", répliquai-je d'un ton amusé.
Le garçon sursauta alors, me libérant précipitamment avec un mouvement de recul.
"Qu… Qu'es-tu ?", demanda-t-il d'une voix blanche.
"Ne l'as-tu pas déjà dit ? Juste une inoffensive petite couleuvre...", répondis-je en souriant face au courage de cet enfant. Les humains avaient souvent peur de tout ce qui était différent ou hors du commun. Cependant, ce garçon ne s'était pas sauvé en entendant un serpent parler. Au contraire, malgré sa peur, il semblait curieux de moi.
"Es-tu... es-tu le diable ?" demanda-t-il en serrant les poings, son regard empreint de méfiance.
"Qu'est-ce qui te fait penser cela ?" répliquai-je en riant doucement.
"On dit que Satan s'est métamorphosé en serpent pour tenter Ève", répondit-il comme s'il récitait une leçon apprise par cœur.
"Sans Satan, les hommes n'auraient pas eu leur libre arbitre...", commentai-je en réfléchissant à ses paroles.
"Et sans libre arbitre, les humains ne se feraient pas la guerre !" s'exclama-t-il avec véhémence. "Les pères ne quitteraient pas leur famille pour partir au combat !"
Cet éclat provoqua soudain une crise d'asthme au jeune garçon. Je me précipitai vers lui pour le soutenir, reprenant forme humaine. Son visage était pâle, ses yeux remplis de peur alors qu'il luttait pour reprendre son souffle. Je pris sa main tremblante dans la mienne et l'encourageai à se concentrer sur sa respiration.
" Respire doucement, profondément ", murmurai-je d'une voix calme. " Compte lentement jusqu'à quatre en inspirant, puis expire lentement en comptant jusqu'à quatre encore. "
Le garçon essaya de suivre mes instructions, ses épaules se soulevant et s'abaissant au rythme de sa respiration. Je restai à ses côtés, lui prodiguant un soutien rassurant tandis qu'il luttait contre la constriction de ses voies respiratoires.
Les minutes passèrent lentement, mais peu à peu, sa respiration se fit plus régulière. Les sifflements dans sa poitrine commencèrent à diminuer, signe que sa crise d'asthme se dissipait.
Enfin, il réussit à reprendre son souffle, sa respiration redevenant normale. Il me regarda alors avec gratitude, ses traits enfin apaisés.
" Merci ", murmura-t-il faiblement.
Je lui souris chaleureusement et lui assurai qu'il n'avait pas à remercier. L'important était qu'il se sente mieux.
" Donc…Tu n'es pas le diable ? " Demanda-t-il en rougissant.
Je secouai la tête "Non, je ne suis pas le diable. Je suis… Autre chose …
Le garçon laissa échapper un soupir de soulagement et ses épaules se détendirent. À travers ses yeux bleu-gris, je pouvais voir mon propre reflet. Je ressemblais un jeune homme svelte aux longs cheveux noirs, tressés à la manière des Vikings.
Mon style vestimentaire était loin d'être conventionnel dans le monde occidental, mais je ne pouvais me résoudre à me séparer des perles qui liaient mes cheveux en une centaine de tresses.
Je remarquai son regard curieux qui se posait sur mes parures et je lui fis un clin d'œil complice. « Ces perles sont un souvenir précieux pour moi. Chaque perle représente un enfant que j'ai protégé.
Il hocha la tête avec un sourire et toucha doucement les perles du bout des doigts. « C'est magnifique », murmura-t-il. « Et tu me protègeras aussi ? » demanda-t-il d'une voix timide.
Je hochai la tête avec douceur. « Oui, je te protégerai autant que je le peux. Le rassurais-je ".
Une étincelle d'espoir brilla dans les yeux du garçon, témoignant de sa confiance grandissante en moi.
" Mon père est enterré quelque part ici », avoua le garçon en jetant un regard circulaire sur les tombes des soldats anonymes. Cette bande de brutes était en train de dégrader les tombes, et j'ai voulu les arrêter…"
" Ton père devait être un homme honorable ", lui dis-je d'une voix empreinte de respect. " S'il repose ici, parmi d'autres héros qui ont combattu avec bravoure, je suis certain qu'il serait fier de voir son fils agir si courageusement. Il est de notre devoir de préserver la mémoire de ces vaillants combattants. "
Sur ces mots, je m'assis près d'une tombe, invitant l'enfant à me rejoindre. Nous nous recueillîmes en silence, observant les noms gravés sur les stèles de pierre. Les fleurs fanées et les traces de vandalisme étaient une insulte à la mémoire de ces hommes et femmes qui avaient sacrifié leur vie pour la paix. Je sortis distraitement ma harpe pour entamer un air mélodieux en leur honneur.
There will come a soldier
Who carries a mighty sword
He will tear your city down
Oh lei, oh lai, oh, Lord
Oh lei, oh lai, oh lei, oh, Lord
He will tear your city down
Oh lei, oh lai, oh lei, oh, Lord
La mélodie résonnait dans l'air, vibrant avec une douce tristesse mêlée d'une lueur d'espoir. Les notes musicales se tissaient autour des tombes, portant les souvenirs des combattants tombés au combat. L'enfant écoutait avec une attention captivée, ses yeux reflétant l'émotion qui se dégageait de ma chanson.
Whose weapon is His word
He will slay you with His tongue
Oh lei, oh lai, oh, Lord
Oh lei, oh lai, oh lei, oh, Lord
He will slay you with His tongue
Oh lei, oh lai, oh, Lord
Au fur et à mesure que je jouais, les fleurs fanées semblaient retrouver leur éclat et les marques de vandalisme s'estompaient, comme si la musique apportait une guérison invisible à ces lieux de repos éternel. Les notes remplissaient l'atmosphère de réconfort et d'amour, offrant un dernier hommage à ceux qui avaient tant donné.
There will come a ruler
Whose brow is laid in thorn
Smeared with oil like David's boy
Oh lei, oh lai, oh, Lord
Oh lei, oh lai, oh lei, oh, Lord
Smeared with oil like David's boy
Oh lei, oh lai, oh, Lord
Oh lei, oh lai, oh lei, oh, Lord
He will tear your city down, oh lei, oh lai
Ohh
Lorsque la dernière note résonna, les tombes semblaient vibrer d'une nouvelle énergie, comme si les esprits des soldats se tenaient parmi nous, reconnaissants de cet hommage.
L'enfant pleurait en silence et je laissais tomber ma harpe pour le prendre dans mes bras.
Une dizaine d'années plus tard, j'appris que ce jeune garçon était devenu le symbole même du courage. Le célèbre Capitaine America.
Steve était penché sur le corps alité de sa mère. Les cernes noirs sous ses yeux prouvaient qu'il avait peu dormi ces derniers jours pour la veiller.
" Tu devrais dormir un peu " lui conseillais-je en posant une couverture sur ses épaules.
Le garçon de 10 ans se contenta de faire non de la tête.
" Je veux être là si elle se réveille. " déclara Steve en se frottant les yeux pour faire fuir la fatigue .Tu ne peux vraiment rien faire pour elle ? " me demanda-t-il pour la énième fois, la voix tremblante de désespoir.
Je sentais son désarroi et sa douleur, souhaitant de tout cœur pouvoir aider, mais mes pouvoirs en ce bas monde étaient limités…
" Je suis désolé ", répondis-je, la voix teintée d'amertume. " Je ne peux hélas pas guérir les corps des mortels... »
Steve baissa la tête, ses épaules s'affaissant davantage sous le poids de son chagrin. Il était trop jeune pour devoir affronter une telle réalité. Je me sentais impuissant face à sa détresse.
M'approchant de lui, je posai une main réconfortante sur son épaule. « Mais je peux te promettre une chose, Steve. Je resterai à tes côtés, ici, tout au long de cette épreuve. Je serai là pour te soutenir et t'écouter, peu importe ce qui se passe. »
Il leva les yeux vers moi, cherchant un semblant d'espoir dans mes paroles. Je lui offris un sourire encourageant.
" Et qui sait, peut-être que l'amour et la présence réconfortante que tu offres à ta mère dans cette épreuve lui apporte aussi un certain réconfort, même si cela ne peut pas la guérir physiquement ", ajoutai-je.
Le garçon releva les yeux vers moi, une étincelle de détermination brillant dans son regard. « Je ne vais pas abandonner. Je vais rester ici et lui donner tout mon amour jusqu'à ce qu'elle se rétablisse. »
Admirant sa force et sa détermination, je lui souris. " C'est une belle promesse. Ta mère est chanceuse de t'avoir comme fils. "
Le garçon me lança alors un regard étrange, comme s'il luttait avec une idée. Finalement, il fouilla dans l'une de ses poches et en sortit un petit objet. Hésitant, il me le tendit, ses doigts tremblant légèrement.
Mes yeux se posèrent sur une perle en bois taillé à la main, et un sourire ému se dessina sur mes lèvres. C'était un cadeau précieux, fait avec amour et soin par Steve.
Je pris délicatement la perle entre mes mains, sentant la texture rugueuse et l'énergie qui s'en dégageait. Cette petite perle représentait bien plus qu'un simple objet artisanal. Elle symbolisait le lien spécial et la confiance qui s'étaient tissés entre nous.
" Merci, Steve. C'est vraiment très beau…", murmurai-je, profondément touché par ce geste. C'était la première fois qu'un enfant m'offrait de lui-même une perle. Jusqu'à présent, c'était moi qui en créais une pour chaque enfant que je secourais.
" Je voulais te montrer que notre amitié compte pour moi, peu importe ce qui se passe », dit l'enfant d'une voix douce en me nouant la perle dans les cheveux.
Je hochai la tête avec émotion. " Et ta perle me rappellera toujours notre amitié. Même si nous ne pouvons pas nous voir, je serai toujours là pour toi "
Nous restâmes là un moment, nous regardant avec une compréhension silencieuse.
Sa mère mourut quelques jours plus tard, plongeant Steve dans une profonde tristesse et le transformant en un jeune orphelin bien trop tôt. J'ai rapidement remarqué un changement dans son caractère. La perte de sa mère l'a contraint à grandir plus vite que ne le permettait son âge innocent.
Un jour, alors que j'étais près de lui, Steve me traversa sans me remarquer. J'avais l'habitude que les enfants perdent la capacité de me voir en grandissant, mais perdre le lien avec cet enfant en particulier fut une expérience très douloureuse.
Même si Steve ne pouvait désormais plus me voir ni m'entendre, j'allais régulièrement sur Midgard dans le seul but de m'assurer qu'il se portait bien.
Lorsqu'il tenta de s'engager dans l'armée pour servir son pays, je restai à ses côtés, espérant que ses nobles aspirations seraient reconnues. Puis vint le jour où il fut choisi pour devenir un super-soldat, l'emblème de la liberté et de la justice. J'étais là, invisible mais fier, alors qu'il traversait la transformation qui ferait de lui le légendaire Captain America.
Mais la vie d'un guerrier n'était pas exempte de défis et de sacrifices. Lorsque son avion s'écrasa dans les glaces de l'Antarctique, je sentis mon cœur se serrer douloureusement.
Assister à son agonie était tout simplement insupportable. Les secours tardaient à arriver, et si je n'intervenais pas rapidement, Steve serait emporté par l'hypothermie. Je réussis alors à enfermer son corps dans un cercueil de glace, le maintenant dans un état de stase. Grâce à mon intervention, Steve fut miraculeusement préservé des ravages du froid et du temps.
Les années s'écoulèrent et personne ne réussit à retrouver son avion, perdu dans les profondeurs glacées de l'Antarctique. Quant à moi, j'ignorais comment le libérer de sa prison gelée. Du moins, pas avant que je ne découvre mes origines Jotun…
