Chapitre 4 : Secrets enfouis

Luffy utilisa son fluide pour localiser Law et sa fille. Les trouvant à l'autre bout de l'île, au sommet d'une falaise surplombant l'océan, il se mit en route avec bonne humeur. Ce n'était pas une petite tentative de meurtre innocente qui allait entamer son entrain et sa joie de revoir Law. Cependant, son sourire faiblit légèrement en remarquant, le long du chemin qu'il empruntait, des monticules de terre, ornés de pierres blanches et lisses. Si son instinct était exact, c'était sans doute du plomb blanc, le minéral qui avait causé la perte de cette île dupée par sa blancheur angélique. Ce n'était pas de simples éléments de décoration, mais des plaques funéraires. Tout ce qu'il voyait autour de lui et qui accompagnait son chemin n'était autre que les tombes des habitants de Flevance.

Il finit par arriver à destination et trouva les deux personnes qu'ils cherchaient devant trois tombes, dressées face à l'étendue azur du ciel et de la mer. Des plantes grimpantes et de la mousse recouvraient les sépultures, mais, loin de leur donner un air d'abandon et de désolation, c'était plus une impression de renouveau qui se dégageait d'elles. C'était sans doute pour cela que Law ne semblait pas vouloir les arranger. Malgré cette couverture végétale, les noms y étaient encore clairement lisibles : Trafalgar D. Léonard - Water Elena - Trafalgar D. Water Lamy.

Luffy leva les yeux vers Law, dont l'expression était totalement impassible.

- C'est ta famille ? murmura-t-il dans un souffle. Chopper m'avait dit que tout le monde avait été massacré par le gouvernement...

- Je suis le seul survivant, répondit le capitaine d'une voix tranchante.

- Comment... ?

- Laisse-le tranquille, gronda Lyra. Il ne veut pas en parler !

Luffy baissa les yeux vers elle, surpris, mais l'enfant était concentrée sur Law. Ses yeux brillaient d'inquiétude et sa petite main serrait frénétiquement la sienne.

- Lyra, la réprimanda son père.

- Mais...

- Tais-toi, la coupa-t-il sévèrement.

La petite hocha la tête, mais la tristesse était clairement visible sur son visage. Luffy fronça les sourcils. Il avait beau ne pas avoir compris cette interaction, il savait ce qui en était à l'origine.

- Désolé si je t'ai rappelé de mauvais souvenirs, dit-il avec sérieux.

- C'est du passé.

- Je sais comme toi que c'est un mensonge, répliqua Luffy à voix basse en contemplant une fois de plus le gouffre abyssal que le décès de son frère Ace avait laissé dans son cœur.

Le temps lui avait permis de retrouver un peu de bonheur en repensant à leurs souvenirs communs, mais rien ne pouvait combler son absence. On ne se remettait jamais vraiment de la perte d'un proche.

- Que voulais-tu ? demanda Law, coupant court au sujet.

- Ce n'est pas important, répondit Luffy. Je vais vous laisser. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas, d'accord ?

Son homologue hocha vaguement la tête et Luffy lui offrit un petit sourire avant de battre en retraite. Il se souvenait parfaitement du flot de douleur qu'il avait ressenti lorsqu'il s'était enfin décidé à visiter la tombe de son grand frère et ne voulait pas s'imposer auprès des deux parents dans ce moment si particulier, à la fois douloureux et apaisant. S'il y avait un endroit où l'on voulait être seul, c'était en présence de la tombe d'un proche.

Il ne rejoignit pas ses camarades pour autant et se remit à errer dans la ville. Maintenant qu'il savait que Law y avait passé ses premières années, il voyait tout sous un nouvel angle et ne ressentait plus cette curiosité qui l'avait poussée à débarquer sur l'île. Il se sentait presque mal à l'idée d'avoir poser pied à terre. Ses pas le guidèrent jusqu'à la demeure où il avait retrouvé Law et il parcourut avec lenteur ce qu'il en restait. Law n'avait certainement pas choisi cette maison au hasard, ce qui voulait dire qu'il s'agissait sans doute de la sienne.

- Je suis sûr que tu étais heureux avant... tout ça, dit-il à voix basse, ses yeux caressant les pierres gisant à terre.

La vie était vraiment injuste avec les enfants. Il lui suffisait de regarder son propre équipage pour s'en rendre compte : aucun de ses compagnons n'avait eu une enfance joyeuse. Bien sûr, on ne pouvait comparer leurs expériences et leurs ressentits mais, ce qui était certain, c'était qu'aucun n'avait été épargné par le destin et par la mort. Être un enfant, être vulnérable, être dépendant de quelqu'un, cela n'amenait rien de bon. Trop de dangers guettaient chacun de leurs pas.

- Va pas commencer à déprimer. C'est du passé, décréta-t-il en prenant une bonne inspiration pour se forcer à sourire.

Maintenant, il avait sa famille, son équipage, et il vivait la vie qu'il désirait, au gré de ses envies. Pour rien au monde il n'échangerait sa situation actuelle. Et il était certain que c'était aussi le cas de Law, malgré toutes les épreuves qu'il avait traversées. Ils étaient deux fiers pirates, que rien n'effrayait.

Tout en déambulant, il se remémora les aventures qu'ils avaient vécues ensemble. Leur rencontre dans la salle des enchères sur l'archipel de Sabaody et leur premier combat ensemble contre les soldats de la Marine, l'apparition de Law à Marine Ford pour les sauver, lui et Jimbei, et leur apporter les soins nécessaires à leur survie, leurs retrouvailles sur Punk Hazard, leur lutte commune contre Doflamingo et la libération des habitants de Dressrosa, puis leur combat épique contre les empereurs Kaidô et Big Mum. Ils avaient vécu beaucoup ensemble. Cela représentait relativement peu de temps dans leur vie, mais un lien durable s'était établi entre eux. Un lien qui allait plus loin qu'une simple amitié selon lui, même s'il avait eu du mal à le définir clairement jusqu'à ce qu'il ne lui demande une nuit en sa compagnie. Il ne savait pas si c'était de l'amour, mais il était durablement attaché à son allié, d'une façon différente de ce qu'il avait connu jusqu'ici.

Il finit par retrouver son équipage qui discutait avec animation. Sanji était occupé à servir des cocktails aux filles et Zoro faisait une fois de plus des pompes.

- Ah te revoilà, souffla Franky. On commençait à être super inquiets.

- Il n'y avait pas de raison.

- Tu as disparu après deux psychopathes, alors il y a de quoi se poser des questions, rit Brook.

Luffy se mit à rire aussi.

- N'importe quoi. Alors, vous parliez de quoi ?

- On essayait de savoir qui pouvait bien être la mère de Lyra, expliqua Usopp.

- Ikkaku étant la seule femme de l'équipage, on pensait à elle, mais ça ne colle pas, ajouta Nami.

- Lyra a l'air de l'apprécier, mais n'agit pas comme si c'était sa mère, compléta Chopper.

- Et elle et Law ne semblent pas partager de lien privilégié, appuya Robin.

- Tu as une idée peut-être ? demanda Franky.

- Vous faites fausse route, fit Luffy en riant à moitié.

- Comment ça ?

- Comme j'étais curieux, j'ai demandé à Lyra qui était sa mère. Elle n'en a pas. C'est Law qui l'a portée, grâce à son fruit du bistouri.

Il reçut plusieurs regards surpris.

- C'est possible ça ?

- Sans doute. Chaque fruit du démon a ses secrets, répondit Robin avec sagesse.

- Mais il a déjà le pouvoir de donner la vie éternelle, fit Usopp en frottant le bout de son nez. Et maintenant il peut donner la vie tout court ? Son fruit du démon est monstrueux...

- Certains sont bien au-dessus des autres, mais les contreparties doivent être à la hauteur, murmura Nami, pensive.

- C'est-à-dire ?

- Pour offrir la vie éternelle, Law doit mourir. Quel est le prix à payer pour donner simplement la vie ?

Un silence s'installa sur le petit groupe.

- En tout cas, il est toujours vivant, et ça ne change rien au problème qui nous occupe, dédramatisa Sanji en allumant une cigarette.

Il tira une bouffée, l'air sage.

- Puisqu'il est la mère... on cherche un homme.

Il reçut plusieurs regards perdus.

- Fruit du bistouri ou pas, il faut être deux pour faire un enfant. Sinon, Lyra serait un clone de Law. Cette enfant a donc un autre père.

Luffy sentit un frisson remonter le long de son échine.

- Luffy ? Il y a un problème ? s'inquiéta Chopper.

- Il faut... il faut que j'y aille, décréta le capitaine ne bondissant sur ses pieds.

Sans leur laisser le temps de l'interroger plus avant sur sa réaction, il fila en direction du Polar Tang.

Arrivé devant le submersible, il chercha Law dans tous les coins sous le regard amusé et blasé des Pirates du Heart qui avaient appris depuis longtemps qu'il ne servait à rien d'essayer de savoir ce qu'il se passait dans la tête du Chapeau de Paille. Le capitaine et sa fille n'étaient visibles nulle part.

- Ils ne sont pas encore rentrés, l'informa Bepo lorsqu'il se résigna à lui poser la question.

Luffy le remercia et reprit immédiatement le chemin des tombes de la famille Trafalgar. Il répugnait à déranger le duo en plein recueillement, mais il devait savoir. Son esprit et son cœur bouillaient, menaçant d'exploser. Il avait besoin d'une réponse et tout de suite.

Lorsqu'il arriva à destination, il eut la désagréable surprise de ne pas les y trouver. Ils s'en étaient allés, laissant derrière eux trois bouquets de fleurs sauvages.

- Torao ?! appela-t-il.

Sa voix résonna dans le silence, mais personne ne lui répondit. Il repartit en courant, à la recherche des deux disparus.

Il parcourut l'île pendant un long moment, en vain. Il se décida alors à retourner auprès des siens, mais se perdit en chemin et mit une heure de plus à les rejoindre. Il se sentit bête lorsqu'il retrouva ceux qu'ils cherchaient au milieu des leurs.

- Torao ! l'interpella-t-il aussitôt.

Le capitaine leva un regard ennuyé vers lui, exaspéré d'être interrompu dans ce que semblait être une réunion d'équipage.

- Il faut que je te parle.

- Pas maintenant.

- Si, maintenant ! décréta Luffy en agrippant son poignet.

D'un mouvement du bras, Law le projeta à terre, le faisant lamentablement s'écraser sur le dos.

- Ne me touche pas, Chapeau de Paille, grimaça-t-il.

- C'est très important ! protesta Luffy en se relevant. C'est à propos de Lyra.

Son annonce eut un effet immédiat sur l'ensemble de l'équipage. Tous les pirates pâlirent et jetèrent un regard effrayé à leur supérieur. Le visage de celui-ci s'était totalement fermé et ses yeux, devenus glacés, s'étaient braqués son homologue avec tant d'intensité que Luffy se demanda s'il n'aurait pas mieux fait de réfléchir avant de l'interrompre ainsi pour parler d'un sujet aussi délicat. Mais maintenant, il était trop tard et il devait aller jusqu'au bout.

- Qu'est-ce qu'il y a propos de moi ? demanda Lyra, délitant un peu la tension qui s'était brutalement abattue sur le groupe.

- Bepo, remplace-moi, ordonna Law avant que Luffy n'ait pu lui répondre.

- Papa ? l'appela sa fille, assise sur les genoux de Penguin.

- Reste ici, Lyra.

L'enfant hocha la tête sans protester, sans doute à cause du ton ferme qu'il avait employé et qui ne souffrait aucune discussion. Tandis que l'ours reprenait la suite de son capitaine, celui-ci attrapa Luffy par la peau du cou et s'éloigna avec lui à grands pas.

- Tu me fais mal, gronda Luffy en tentant de se défaire de sa poigne.

Pour toute réponse, Law le relâcha assez brutalement quand ils se furent suffisamment éloignés des Pirates du Heart qui les observaient avec curiosité malgré tous les efforts de Bepo pour les faire se reconcentrer. Un peu plus loin, les Chapeaux de Paille les surveillaient également avec méfiance. Ils faillirent intervenir en voyant leur malheureux capitaine projeté à terre, mais se retinrent. Luffy était suffisamment puissant pour pouvoir gérer un Law en colère et c'était lui qui était allé le trouver en premier.

- Qu'as-tu à me dire ? demanda Law en le gardant d'un regard polaire.

- Tu as disparu il y a six ans... commença Luffy, observant attentivement les expressions de son homologue pour tenter de lire dans ses pensées. Lyra a cinq ans.

- C'est bien cela, confirma Law.

- Ce qui veut dire que...

Il ne termina pas sa phrase, il était trop surpris par sa propre conclusion. Law le fixa un moment en silence avant de jeter un coup d'œil à Lyra qui le fixait avec une inquiétude non dissimulée. Il soupira et se reconcentra sur Luffy.

- Ça veut dire que quoi ?

- Est-ce... enfin c'est que... les dates...

Il prit une grande inspiration afin de rassembler ses idées, sachant que Law n'était pas le plus patient des hommes.

- Je pourrais être le père de Lyra ? demanda-t-il de but en blanc.

- Oui. Tu es son père.