Chapitre 10 : Disparition inquiétante
Luffy passa le reste de la nuit à se creuser la tête, cherchant dans sa mémoire quel objet ou quelle situation pouvait produire ce bruit sourd. Cela ressemblait bien à Law de lui donner un indice qui le perdait encore plus qu'à l'origine. C'est donc complètement azimuté et dormant à moitié qu'il se leva et alla prendre son petit-déjeuner.
- Ça va, Luffy ? demanda Zoro alors qu'il mangeait en silence, ce qui ne lui ressemblait pas du tout.
- Mm... répondit-il en enfournant une nouvelle fourchette.
Il adressa un bonjour à Lyra lorsqu'elle vint s'installer à table avec Nami et Robin, mais ne s'intéressa pas plus à elle, continuant de plancher sur son énigme. La petite ne lui accorda pas plus d'attention.
Vers la fin de son repas, Luffy prit une spatule en bois dans l'un des plats et la cogna fermement contre le bord d'une marmite. Le son que cela produisit était mat, mais ne ressemblait guère à celui de Law. Il fit la moue, et recommença sur la table. Toujours pas le même. Il tapa ensuite sur l'assiette, mais le son n'était vraiment pas le même.
- Je peux savoir ce que tu fais ? demanda Sanji en fronçant les sourcils. Tu comptes casser la vaisselle ?
- Je cherche.
- Tu cherches quoi ?
Pour toute réponse, Luffy essaya un nouveau coup.
- Je crois que notre capitaine débloque, déclara Brook en se réservant une tasse de thé.
- Ça ne change pas beaucoup de d'habitude, fit remarquer Zoro d'un air peu concerné.
Chacun approuva tandis que Luffy continuait son cirque. Il finit par quitter la pièce sans un mot, sa spatule toujours en main.
Il poursuivit durant le reste de la matinée, tapotant n'importe où avec n'importe quoi dans l'espoir de reproduire le son qu'il avait entendu pendant la nuit. Cependant, plus le temps passait, plus il mélangeait ses souvenirs et ses malheureuses tentatives infructueuses, ce qui l'irritait au plus haut point. Il n'arrivait à rien et semblait même s'éloigner de son but. Pourquoi Law n'avait-il tout simplement pas dit de quoi il s'agissait ? Comment pouvait-il deviner ? Ça pouvait être tout et n'importe quoi !
Plongé dans ses recherches et sa frustration grandissante à cause de ses multiples échecs, Luffy ne remarqua pas Lyra qui l'observait en silence. Les autres Chapeaux de Paille, eux, s'en inquiétaient. Pourquoi l'enfant n'allait-elle pas vers lui alors qu'elle le suivait un peu partout comme une ombre ?
- Il est bizarre, je veux savoir ce qu'il cherche, répondit l'enfant lorsque Franky l'interrogea.
Le cyborg ne put qu'approuver en se grattant la tête.
- C'est vrai que c'est bizarre, mais il y a plus amusant à faire, non ?
- Pas si je peux m'en servir contre lui, rétorqua l'enfant avant de s'en aller, suivant Luffy qui sortait sur le pont.
Ce fut Chopper qui réussit à la distraire, l'interpellant à propos de son tatouage sur le cœur dont l'archéologue, préposée au bain, lui avait parlé.
- Ce n'est pas un tatouage, clarifia Lyra en levant les yeux au ciel. Je l'ai déjà dit à Robin.
- Est-ce que tu veux bien que je l'examine de plus près ? Je voudrais le voir.
- Pourquoi ? demanda-t-elle, suspicieuse.
- C'est quelque chose que tu veux cacher ?
- Non, mais tu es un garçon.
- Je suis médecin. Si c'est pour te protéger comme tu le dis, j'aimerais bien savoir comment ça marche.
- Bon d'accord.
Malheureusement, le médecin n'obtint pas beaucoup plus d'informations que sa compagne à propos du mystérieux symbole. Lyra ne savait rien de plus que ce que Law lui en avait dit, ce qui était réduit à un simple but de protection sans plus de détails. Chopper lui avait posé beaucoup de questions concernant la vie de tous les jours avec : procédait-elle à un entretien particulier pour garder la fraîcheur des couleurs, son père faisait-il en sorte de le "renouveller" d'une façon ou d'une autre ? Chaque fois, il se heurtait à un non. Le tatouage semblait être une part immuable et définitive de la petite fille. Il n'avait pas la moindre idée de ce que c'était. Une chose l'interpella néanmoins lorsqu'il tâta la peau : la couleur semblait vaciller légèrement au rythme de ses pressions, comme s'il s'agissait d'un liquide.
C'est donc la tête pleine de questions et d'hypothèses qu'il libéra Lyra et alla rejoindre ses compagnons.
- Je vous confirme que ce n'est pas de l'encre qu'elle a sous la peau, murmura-t-il en se grattant la joue.
- Qu'est-ce que c'est alors ? demanda Nami.
- Je ne peux pas en être sûre sans en prélever un échantillon, mais on dirait que c'est du sang.
Il reçut plusieurs regards étonnés.
- Mais du sang n'est pas censé rester comme ça sous la peau, si ? demanda Franky. Il coagule.
- Je n'ai pas d'explication à vous donner, se désola le petit médecin. Il faudrait demander à Law.
Pendant ce temps, Lyra était allée fureter sur le pont et s'était approchée d'Usopp, qui profitait du soleil avec sa canne à pêche.
- Tu sais pêcher ? demanda-t-il en remarquant son intérêt.
- Non. C'est trop long et pas marrant.
- Alors qu'est-ce qui t'intéresse autant ?
- Le poisson.
Usopp regarda sa proie qui frétillait au bout de sa ligne, tout juste sortie de l'eau.
- Tu le veux ?
- Je peux ? demanda Lyra les yeux brillants.
- Bien sûr, répondit le tireur d'élite, son cœur fondant comme neige au soleil.
Il le décrocha de l'hameçon et le lui tendit. L'enfant le prit et, d'un coup sec, l'assomma contre le bastingage. Le craquement que produisit l'animal fit grimacer Usopp.
- Il ne faut pas qu'il souffre, expliqua l'enfant en haussant les épaules, indifférente. Merci Usopp.
Elle se détourna et se dirigea en courant vers la cuisine. Elle y trouva le cuisinier de bord, occupé à préparer des pâtisseries pour le goûter.
- Sanji ?
- Oui, princesse ? fit-il aussitôt en se tournant vers elle.
- Je peux avoir un couteau ?
- Un couteau ? Pour quoi faire ? demanda-t-il, surpris par cette demande.
- Pour ouvrir mon poisson, répondit-elle en brandissant l'animal.
- Pourquoi tu veux l'ouvrir ? Si tu as faim, je peux te préparer quelque chose...
- Pour voir ce qu'il y a dedans, déclara-t-elle comme si c'était une évidence.
Sanji fronça les sourcils.
- Je ne suis pas sûr qu'il soit très raisonnable de te laisser découper un animal juste pour le plaisir.
- Pas pour le plaisir, pour apprendre.
- Ton père sait que tu fais ça ?
- Oui.
Le blond se demanda un court instant s'il s'agissait d'un mensonge éhonté cachant des tendances psychopathiques avant de se souvenir qu'il s'adressait à la fille du Chirurgien de la Mort. Ce genre de choses étaient tout à fait possibles, voire même fort probables.
- Je peux te donner un couteau à une seule condition : je veux que tu restes ici pour que je puisse te surveiller et intervenir si besoin, décida-t-il avec un sérieux palpable.
L'enfant approuva d'un signe de tête avec la même même grave. Puis, elle courut s'installer à table. Sanji lui donna une planche à découper et un petit couteau, léger et maniable.
- Fais très attention, ça coupe beaucoup.
- Je sais.
Sans faire plus attention, l'enfant le prit et commença à l'examiner avant de replonger dans la contemplation de sa future victime piscicole. D'un geste sûr et léger, elle l'entailla et se mit à séparer la peau des écailles. Sanji l'observa un long moment, à la fois effrayé et satisfait de contester qu'elle semblait rodée à ce genre d'exercices. Il retourna à sa cuisine tout en la surveillant attentivement du coin de l'œil.
Durant l'heure qui suivit, elle vida consciencieusement le poisson et manipula tous les organes avec une fascination évidente. Elle reportait ses trouvailles, quelles qu'elles puissent être, dans son journal de bord, prenant des notes avec assiduité.
- Je te laisse une minute, le temps de porter un thé à Nami et Robin, l'informa Sanji au bout d'un moment. Fais bien attention.
La petite hocha la tête, sans se donner la peine de répondre. À peine le cuisinier eut-il ouvert la porte qu'il laissa tomber son plateau et bondit à l'extérieur.
- Luffy ! Non ! Ce poisson est toxique ! cria-t-il en tirant violemment son capitaine en arrière.
Mais il était trop tard, Luffy avait déjà avalé une pleine bouchée de chair crue de la dernière pêche de son artificier.
- Je suis immunisé contre presque tous les poisons, protesta le concerné avant de pâlir subitement.
Son estomac se mit à gronder terriblement alors que la douleur se répandait en lui.
- Heureusement parce que sinon tu seras mort instantanément, bécasse ! le houspilla le blond. Chopper ! Urgence !
Le petit médecin arriva en courant, sa trousse de premiers soins en main.
- Il faut lui donner un vomitif, murmura le renne plus pour lui-même que pour les autres.
Presque instantanément, une fiole verdâtre apparut dans son champ de vision, tendue par Lyra. Il y jeta un coup d'œil et s'aperçut que c'était exactement ce qu'il voulait.
- Tu peux aller me chercher une bassine ?
La petite décampa immédiatement.
- Avale ça, ordonna-t-il ensuite à son capitaine.
De façon très glorieuse, Luffy se mit à rendre le contenu de son estomac dans le bac que lui rapporta sa fille. Pendant ce temps, Chopper préparait un mélange pour neutraliser le poison et aider son corps à l'éliminer rapidement.
- Je me sens mal, marmonna Luffy, couché sur le bois du pont.
- Ça va aller, bois ca. Ça devrait t'aider.
Il lui donna une nouvelle préparation et palpa son front.
- Tu as déjà de la fièvre... s'inquiéta-t-il.
- Tiens, intervint de nouveau Lyra en lui tendant une compresse glacée trouvée il ne savait où.
Il l'apposa immédiatement sur le front de Luffy.
- Ne bouge pas pendant un moment.
- Non, mais franchement, quel idiot celui-là, pesta Nami en levant les yeux au ciel, quoi que très inquiète pour son ami.
- Dis-moi, Lyra, sourit Robin alors que Zoro entraînait Luffy à l'intérieur du Sunny, tu as l'air de t'y connaître en médecine.
- Je regarde souvent papa soigner les autres, répondit l'enfant avec une fierté qui les fit sourire.
- Toi aussi tu veux devenir médecin ? demanda Brook.
- Je sais pas, fit-elle en haussant les épaules. J'ai pas encore décidé.
- Qu'est ce qui t'intéresse d'autre ? l'interrogea Franky.
Lyra se mit à réfléchir très sérieusement à la question.
- Je veux juste protéger les gens que j'aime, déclara-t-elle finalement. S'ils sont blessés, s'ils sont tristes, s'ils sont en danger, même s'ils sont morts, je veux être là pour eux.
- Mais pas quand ils sont joyeux et bien en vie ? demanda Robin avec un sourire mystérieux.
L'enfant la considéra un instant en silence avec une légère surprise. Les Chapeaux de Paille ne purent s'empêcher de se dire qu'elle ne semblait pas avoir envisagé un cas où tout irait bien.
- Oui, aussi, finit-elle par dire, même si son ton était moins tranché qu'auparavant.
- Tu dois vivre ta vie, pas seulement y survivre, ajouta l'archéologue.
L'expression de Lyra devint indéchiffrable un court instant.
- Il faut que j'y aille, décréta-t-elle finalement avant de tourner les talons et de disparaître.
- Vous croyez qu'on doit s'inquiéter ? se demanda Usopp en la suivant des yeux.
Il ne reçut qu'un silence en guise de réponse.
Plusieurs heures s'écoulèrent tranquillement avant que Luffy n'émerge.
- Tu te sens mieux ? demanda aussitôt Chopper.
- Oui, je suis en pleine forme, déclara le capitaine, son enthousiasme et sa fougue retrouvés. Par contre, est-ce que c'est vous qui avez mon chapeau de paille ?
Ses compagnons se consultèrent du regard. Effectivement leur supérieur était nu-tête, ce qui n'arrivait quasiment jamais.
- Non, tu l'avais avec toi quand tu es rentré, l'informa Sanji.
Luffy pâlit et son front se plissa avec inquiétude.
- Tu es sûr ? Je ne l'ai trouvé nulle part.
- Oui, tu l'avais, appuya Zoro.
- Il ne doit pas être loin, tenta de le rassurer Nami alors que le jeune homme commençait à montrer des signes de panique. Tu n'as pas dû regarder partout.
- J'ai tout fouillé ! s'alarma Luffy en sortant en trombe de la cuisine. Il faut absolument que je le retrouve ! C'est mon trésor ! Le trésor de Shanks !
Les autres le suivirent au-dehors, un peu inquiets de l'agitation qui l'avait soudainement gagné. Rapidement, ils se mirent tous à chercher le fameux couvre-chef de leur capitaine, qui lui n'hésitait plus à retourner tous les tiroirs et tous les meubles pour tenter de le retrouver, laissant toutes les pièces dans un bazar sans nom au grand damne de ses compagnons.
Plus les minutes filaient, plus la panique s'emparait de Luffy. Jamais, au grand jamais, il ne se séparait de son chapeau plus d'une heure et, dans ces très rares cas, il le confiait généralement à Nami, seule privilégiée à pouvoir le porter et le surveiller à sa place.
D'abord participante à la chasse, Lyra finit par abandonner les adultes et rejoignit la bibliothèque où elle s'attela à la rédaction de son journal en tentant de faire abstraction du vacarme ambiant et des éclats de voix. Une petite heure plus tard, elle fut néanmoins interrompue par l'entrée de Robin.
- Lyra ?
La petite leva les yeux vers elle.
- C'est toi qui a pris le chapeau de Luffy, n'est-ce pas ?
Elle ne reçut pas de réponse, mais cela ne fit que confirmer sa théorie. Elle s'approcha de l'enfant et vint s'asseoir à côté d'elle, durement consciente que tous ses gestes étaient étudiés. Ses prochaines paroles conditionneraient le comportement de la fillette à son égard, elle le pressentait.
- Est-ce que tu veux bien me dire où tu l'as caché ? reprit-elle, toujours avec calme et douceur.
- Non.
- Pourquoi ?
- Tu vas lui rendre.
Son ton était clairement accusateur.
- Ce chapeau est très important pour Luffy. Il l'a depuis qu'il est tout petit, c'est son trésor.
- Et alors ? repondit Lyra avec une moue dédaigneuse.
- Est-ce que tu aimerais qu'on te prenne un objet qui est important pour toi et qu'on ne te le rende jamais ?
L'enfant grimaça.
- Si tu me promets que tu ne recommenceras pas, je ne dirai pas à Luffy que c'est toi qui lui a pris, proposa Robin.
- Tu peux lui dire, je m'en fiche.
L'adulte ne répondit pas et un silence s'installa. Sa patience paya.
- Pourquoi tu as l'air triste ? l'interrogea l'enfant.
- Luffy est très important pour moi. C'est mon premier véritable ami. Savoir qu'il est triste me rend triste.
De nouveau, Lyra resta muette, semblant réfléchir. Puis, elle se leva avec un petit sifflement agacé.
- Ferme les yeux.
L'archéologue obéit avec un doux sourire et, bientôt, un bruissement de bois se fit entendre.
- Tiens.
Elle ouvrit les paupières et prit délicatement le chapeau de paille qu'elle lui tendait.
- Merci Lyra.
- Ce n'est pas pour lui que je te le donne, dit Lyra d'un ton sans appel. C'est pour que tu arrêtes d'être triste.
- Merci. C'est gentil de ta part, répondit l'archéologue, touchée. Mais est-ce que tu veux bien me dire pourquoi l'as-tu pris alors que tu sais parfaitement au courant de ce qu'il représente à ses yeux ?
- C'est simple.
Les yeux de Lyra se mirent à luire et se firent malveillants.
- Pour lui faire du mal. C'est la seule et unique raison de ma présence ici.
