19 juillet
Soirée au casino
Les jeux d'argent avaient été réintroduits à Babel-la-Neuve.
Le monde en était à une renaissance innocente et éthérée. Les transactions se faisaient de façon honnête et les gens aimaient simplement jouer ensemble et gagner des jetons à échanger contre diverses marchandises dans les boutiques partenaires alentour. Mais les Hommes étant des Hommes, des établissements un peu plus conséquents avaient rapidement émergé.
Octavio avait été invité à venir dans l'un de ces casinos pour s'assurer que les nouvelles règles de Babel-la-Neuve étaient bien respectées et que c'était un lieu sain, amical et convivial. Le jeune homme s'était montré sceptique, comme à chaque fois que l'on parlait d'alcool, de romans policiers ou de violence, ou encore de transgression en général, dans le monde d'avant. Mais Ophélie sentait qu'il était en train de se laisser glisser loin de ses principes, qu'il était fatigué du travail constant qu'il devait faire et des soins qu'il dont avait constamment besoin sa sœur, Seconde. Il était tenté de renier son sérieux, son professionnalisme et sa fierté pour un instant.
Alors, la jeune Animiste était venue avec lui.
Les portes du casino s'ouvrirent automatiquement devant eux. Elles étaient incroyables, toute en verre transparent et décorées chacune d'une silhouette de Pollux ou d'Hélène. Ophélie et Octavio échangèrent un regard et se retournèrent d'un même mouvement lorsqu'un homme franchit les deux battants ouverts.
« Bonjour, Sir, déclama-t-il. Miss… Nous vous attendions.
-Bonjour, répondit Octavio en le fixant de ses yeux de Visionnaire, incandescents comme des braises. C'est la première fois que vous recevez une visite officielle. Mais vous paraissez particulièrement détendu.
-C'est que j'ai foi en la qualité de mon établissement ! s'esclaffa le gérant en les invitant à le suivre d'une main placée dans le dos. Et c'est bien parce j'ai énormément de choses à faire pour le maintenir dans un bon fonctionnement que je n'aurai pas beaucoup de temps à vous consacrer, unfortunately. Mais ma jeune assistante, Messaline, se fera un plaisir de vois escorter et de répondre à vos moindres questions, Sir. »
Il leur désigna une jeune adolescente aux boucles foncées qui les regardait en souriant tranquillement. Elle se montra discrète durant la première partie de la visite, tandis que son patron leur montrait les installations du casino, leur en expliquait le fonctionnement et les faisait rencontrer certains membres du personnel, chacun dans des postes différents. Il s'éloigna au bout d'une demi-heure et les laissa devant des machines à sou avec Messaline.
« Qu'est-ce que tu en penses ? demanda Ophélie après un moment à regarder Octavio écrire sur son carnet, la main trainant distraitement sur le levier doré de l'un des appareils.
-Le staff a l'air très enthousiaste, répondit le Visionnaire sans relever la tête. Mais pour savoir ce qu'il en est des clients, je vais devoir participer un peu plus à un de ces… jeux.
-Une partie de poker va justement commencer à cette table, intervint Messaline en pointant un groupe de gens de son stylographe. Vous serez sûrement performant dans ce jeu, milord. Votre pouvoir familial sera capable de discerner les tentatives de bluff de vos adversaires.
-Je ne suis pas là pour me mettre dans la peau de l'un de vos visiteurs, lui rappela Octavio en lui emboîtant le pas avec Ophélie. Seulement pour m'assurer que ces divertissements ne sont pas dangereux pour les participants. »
Le jeune homme se révéla effectivement très doué au poker, pas seulement grâce à son pouvoir mais surtout parce qu'il savait parfaitement l'exploiter. Ophélie, debout derrière sa chaise, le regardait de temps en temps. Son ami n'était pas quelqu'un d'arrogant ni d'orgueilleux, mais il avait confiance en ses capacités et il aimait bien qu'elles brillent au grand jour.
Un sourire monta au coin de ses lèvres quand ses adversaires le félicitèrent, au terme de la première partie, pour son habileté et sa facilité d'apprentissage. Il accepta de bonne grâce de refaire une partie et en abandonna son carnet sur le rebord de la table de jeu. Ophélie finit par aller se chercher un siège.
Les parties s'enchainèrent pendant au moins trois heures. L'Animiste laissa faire son ami, parce qu'elle se disait que ça l'aiderait à se faire un bon avis de ce que les casinos pouvaient à la fois causer et offrir. Elle aimait bien, aussi, elle devait l'admettre. Les boiseries de la grande salle de jeu étaient assez belles, les fauteuils étaient confortables et le niveau de bruit plutôt ténu.
Quand elle vit qu'Octavio commençait à redescendre de ce quart d'heure de légèreté, elle le prit par le bras et l'emmena un peu plus loin, dans un endroit plus calme. Un bar presque vide, avec des abat-jours à néons bleus et des guirlandes lumineuses roses le long du comptoir. Ophélie chercha la table la plus éloignée possible des autres gens et le fit assoir, avant de demander au serveur de leur apporter à boire, comme elle avait vu d'autres personnes le faire.
« Est-ce que tu t'es amusé, au moins ? demanda-t-elle en souriant à l'employé lorsque les breuvages violets furent posés devant eux.
-Je n'aurais pas dû, murmura Octavio, les yeux fermés comme à chaque fois qu'il était songeur. Je suis là pour travailler. C'est peut-être la preuve que ces établissements sont nocifs…
-Peut-être que tu devrais prendre plus souvent du repos, suggéra Ophélie en faisant tourner la boisson dans son verre. C'est vrai que ce n'est pas très professionnel mais m'a fait plaisir que tu te détendes un peu cet après-midi. »
Octavio rouvrit les yeux, fixant sur la jeune femme ses prunelles rouges et intriguées.
« Alors peut-être que ces endroits ne sont pas si terribles, répondit-il avec un demi-sourire, quand on est accompagné par une amie. »
