Chapitre 24 : L'arbre frappé par la foudre

Se retrouver prisonnier de Dumbledore, un être dénué de scrupules qui avait oublié son humanité, bien trop aveuglé par les jeux de stratégies et les rêves de grandeur ? Jusqu'où irait un tel sorcier ? De cette projection du futur naquit une grande terreur qui percuta Tom comme un électrochoc. Il retrouva le contrôle de son corps. Il réagit par instinct. Sa main se referma sur la lame d'obsidienne qu'il gardait si précieusement dans sa poche. Et il poignarda Dumbledore. Une fois. Deux fois. Trois fois. Et plus encore.

On le tira soudain en arrière. On lui arracha son arme. Puis Tom réalisa ce qu'il venait de faire. Le crime qu'il venait de commettre. Il vit le sang chaud et poisseux qui maculait ses mains. Le corps sans vie qui gisait à ses pieds. Dumbledore était mort. Sa main ensanglantée avait laissé un sillon écarlate sur la racine au travers de laquelle il avait tant espéré fuir.

Un haut-le-cœur secoua Tom. Il se retrouva bientôt à genoux, à vomir toutes ses tripes, à trembler de tout son corps. Il frottait frénétiquement ses mains contre l'herbe pour en chasser tout le sang. En vain. Impossible aussi de se défaire de la puanteur ferreuse qui noyait ses narines, et de la sensation persistante de la lame tranchante qui s'enfonçait dans la chair d'un vieil homme. Comme oublier que ce vieil homme en question n'était qu'à quelques mètres de lui, un cadavre ravagé aux yeux grands ouverts dans une expression de stupeur ? Tom vomit encore, même s'il n'avait plus que de la bile à rendre. A peine avait-il conscience qu'on l'entourait, qu'on essayait de le réconforter par des mots ou des petites tapes sur l'épaule.

Mais les mots finirent par arriver à son esprit.

— Tom, tu as fait exactement ce que tu devais faire, déclara Harry.

Accroupi à ses côtés, le Survivant le regardait avec beaucoup de gravité. De la tristesse aussi.

— Personne ici ne te le reprochera. Tu t'es défendu. C'est tout.

— Et moi, je suis très contente que cet affreux bonhomme ne t'ait pas embarqué avec lui dans une autre dimension, ajouta Susan en prenant délicatement Tom dans ses bras malgré tout le sang qui le souillait.

Vint alors le temps des larmes et de l'étreinte réconfortante.

— Tenez, mangez. Cela vous fera du bien.

Un sorcier à l'air fatigué et aux vêtements usés que Tom devina être Remus Lupin (il en avait vu quelques photographies) lui tendait un morceau de chocolat.

— Remus en a toujours sur lui, ajouta Tonks avec un sourire attendri.

En quelques sortilèges de récurage rapide, Lupin et Tonks débarbouillèrent Tom. Mais s'ils pouvaient ôter le sang de ses mains, ils ne pouvaient en effacer le souvenir. Tom recouvrait peu à peu ses esprits. Il prenait conscience de tous ses adultes qui s'étaient posés à côté de Dumbledore et qui discutaient avec des airs sombres de ce qu'ils convenaient de faire. Ils jetaient de temps à autre des regards inquiets à Voldemort qui s'était isolé avec Emily, Vector et Hart pour d'intenses explications, et à Grindelwald, isolé dans un autre coin, avec Eleusis.

— On leur a pris leur baguette par précaution, le rassura Harry qui venait de surprendre son regard. Grindelwald ne paraît pas belliqueux. Il a assuré vouloir collaborer. De toute façon, après ce qu'il vient de se passer, je doute qu'il veuille prendre le risque d'affronter Voldemort.

— Personne n'a jamais eu envie de l'affronter, précisa Hermione. On ne peut pas dire que ça change vraiment.

— Si, ça change quand même un peu, nuança Ron. Avant, il était juste effrayant. Maintenant, il est encore plus effrayant, mais bizarrement un peu rassurant aussi. Il faudra que tu nous apprennes à nous battre avec une épée et une baguette, Tom ! Parce que ça en jette.

— Je euh… suis très loin d'être à son niveau, avoua Tom.

L'enthousiasme de Ron, bien qu'un peu puéril, l'aidait à se changer les idées. Son regard tomba à nouveau sur Emily, toujours en pleine discussion face à une Helena Hart particulièrement remontée.

— Correction, reprit Ron. Il y a une personne ici qui veut affronter Voldemort.

— Helena a toujours voulu l'affronter, soupira Tonks.

La culpabilité serra l'estomac de Tom alors qu'il réalisait qu'il venait de tuer deux personnes.

— Par ma faute, Hart va prendre la place de Dumbledore…

— Non, corrigea Harry d'une voix ferme. Par la faute de Dumbledore. Il n'aurait jamais accepté de collaborer. Le pouvoir du Sort l'aveuglait bien trop. Emily appelle cela la malédiction. Elle… enfin… je ne sais pas si tu es au courant. Elle est la fille de Grindelwald et d'Ariana Dumbledore, la petite sœur d'Albus Dumbledore. Et… comment dire… Elle a insisté pour venir. Elle aussi est capable d'invoquer le pouvoir du Sort. Je crois qu'elle savait exactement ce qu'elle faisait. Elle est ici à Avalon pour détruire l'arbre-monde.

Tom crut qu'un gouffre s'ouvrait sous lui pour l'envoyer tout droit en enfer. En poignardant Dumbledore, il avait condamné Emily ! L'étreinte de Susan se resserra sur lui. Les larmes manquèrent de couler une nouvelle fois.

— Ce n'est pas de ta faute, insista Harry. Voldemort a tout essayé pour faire revenir Dumbledore sur sa décision pour éviter cela. Mais c'était impossible.

— Grindelwald et Eleusis ont bien changé d'avis, eux.

— Eux, c'est différent. Eleusis a été la première à trahir. Elle est parvenue à me prévenir par des moyens détournés de ce qu'elle avait compris du plan de Dumbledore. Elle prétend avoir changé avec le temps. Au début, je me méfiais bien sûr… mais il semblerait bien qu'elle soit sincère.

— Elle s'est montrée gentille envers nous, approuva Susan.

— Elle est beaucoup plus calme que dans mes souvenirs, ajouta Tom.

— Nous verrons bien dans les semaines, ce qu'il en est vraiment. Quant à Grindelwald… Il s'avère que jouer les héros pour épater la galerie lui plaît bien. Il enrageait même de ne pouvoir affronter Dumbledore lui-même.

— Grindelwald est un monstre, claqua Susan.

Et Tom ne put qu'approuver, ne se souvenant que trop bien de l'ignoble interrogatoire auquel le mage noir l'avait soumis.

— Le pouvoir de la Vie corrompt différemment du pouvoir du Sort. Grindelwald aime jouir dans l'instant présent, sans se préoccuper des conséquences. Il joue, se met en scène… mais derrière Grindelwald, c'était Dumbledore qui dirigeait vraiment. Ce n'est que des suppositions et l'on ne connaîtra jamais la vérité, mais il est possible que Dumbledore avait l'intention de détruire Avalon dès le début. Plus précisément, il aurait piégé Cryoncardia ici dans ce but. En détruisant Avalon, il aurait empêché la Mort, alors prisonnière de Susan, de revenir dans son plan d'existence. Bien sûr, cela aurait impliqué la disparition de Voldemort, de Cryoncardia et de Grindelwald. L'hypothèse de cette trahison, livrée par Eleusis, a aussi contribué à la bascule de Grindelwald. Et puis… j'ai bien l'impression qu'il se moque de mourir, tant qu'il meurt avec panache. J'ignore si c'est lié à une inclinaison naturelle pour les morts théâtrales ou à l'influence de la Vie, particulièrement forte ici. Aucun des trois mages n'est dans son état normal. Par chance, la Vie et la Mort font ressortir ce qu'il y a de meilleurs en eux. Ailleurs, Grindelwald n'aurait peut-être pas été aussi motivé pour un sacrifice héroïque, et Voldemort n'aurait pas versé ses larmes empathiques pour les milliards de victimes de la Créature.

Harry se tut et plus personne n'ajouta quelque chose, parce qu'il y avait déjà beaucoup à réfléchir. Une grande fatigue s'emparait de Tom. Une grande lassitude aussi. Pourtant, il avait le sentiment diffus au fond de lui, que tout ceci n'était qu'un début et que bien d'autres épreuves l'attendait.

A côté, la tension grandissait parmi les adultes. Certains s'impatientaient. D'autres redoutaient un nouveau revirement de Voldemort à tout instant – revirement d'autant plus craint que Hart serait à ses côtés. Et que dire de Vector, qui se révélait être sa fille ?

— Elle va perdre ses deux parents, murmura Tonks d'un air un peu attristé.

— A supposer qu'il tienne parole, répliqua froidement Rogue.

Il ne cachait rien de son hostilité envers Vector. Mais en vérité, Rogue était si hostile envers tellement de monde, que nul ne s'en formalisait

Le silence s'abattit soudain sur les adultes. Tous fixaient une même direction avec méfiance. Les mains se cramponnaient nerveusement aux baguettes. Voldemort avait terminé de converser avec sa famille. Il revenait. L'angoisse et l'hostilité imprégnait le Nisir sans que cela ne parût troubler le mage noir.

— Oh, pauvre Fumseck ! S'exclama Emily.

Elle s'accroupit pour ramasser dans les herbes piétinées, un petit oisillon noirci et desséché, comme s'il avait péri dans un incendie.

— Dumbledore a utilisé l'énergie vitale du phénix pour alimenter son dôme, expliqua Voldemort.

— En d'autres termes, il a sacrifié une créature aussi légendaire qu'un phénix pour s'offrir une chance de fuir, reformula Hart avec beaucoup de mépris.

Elle jeta un regard mauvais au cadavre de Dumbledore qui gisait toujours dans son sang. Sans doute l'aurait-elle tué à nouveau, si elle en avait eu la possibilité.

— Nous sommes à Avalon. Ce sacrifice peut n'être que transitoire.

Voldemort se tourna vers le groupement d'adultes.

— Il me faut ma baguette.

— Non, refusa Kingsley Schackelbolt. Nous ne pouvons courir un tel risque.

Des hochements de tête nerveux approuvèrent. Voldemort ne s'en troubla pas.

— Dans ce cas, cassez là et donnez-moi la plume de phénix qui se trouve à l'intérieur.

L'auror cilla, perturbé par une telle demande. Il échangea des regards avec ses compagnons tout autant interloqués.

— Je n'en ai plus besoin, expliqua Voldemort. Pour détruire l'arbre-monde, j'utiliserai la baguette de Dumbledore. Ma propre baguette elle… constituera une preuve intéressante ma disparition.

Nouveaux échanges de regards. Après de nombreuses hésitations, Schackelbolt sortit la baguette.

— Vous êtes sûr ?

— Oui.

Après un ultime regard en direction de Harry à la recherche d'une confirmation, l'auror s'exécuta. Un craquement de bois sec retentit. Un pincement serra le cœur de Tom alors qu'il voyait de bout d'if si familier brisé en deux. Voldemort, lui, ne cilla pas un instant. Schackelbot prit une profonde inspiration sans doute pour rassembler son courage, et marcha dans la direction du mage noir. Voldemort se saisit de la plume sans accorder plus d'attention à l'Auror. Il se tourna vers Grindelwald.

— Il faudra aussi invoquer le pouvoir de la Vie. Le phénix est un oiseau de vie et de mort.

Un large sourire réjoui s'invita sur son visage.

— Ah ! À mon tour de faire pousser des fleurs ! S'exclama-t-il.

Avec un enthousiasme un peu enfantin, il parcourut la dizaine de mètres qui le séparait de Voldemort. A son tour, Susan se détacha du groupe des adolescents.

— Est-ce que je peux aider aussi ?

Voldemort parut hésiter quelques secondes. Il risqua un regard dans la direction des adultes qui le surveillaient avec la plus grande attention.

— Oui. Prends-le dans tes mains.

Susan s'empressa alors de le rejoindre, suivie de près part Tom qui tenait à se trouver à proximité en cas de nécessité, lui-même entouré du Trio d'Or qui ne paraissait guère plus enthousiaste à l'idée de les laisser sans défense. Par fierté ou par devoir envers les plus jeunes, les adultes de l'Ordre du Phénix se rapprochèrent à leur tour.

Voldemort déposa la plume sur le défunt oisillon.

Voldemort se tourna vers Grindelwald.

— Je suppose qu'il suffit d'invoquer le pouvoir de la Vie et de la Mort et de le diriger vers l'oisillon.

— Tu supposes ? Releva Grindelwald.

— Il n'existe pas de mode d'emploi pour ressusciter un phénix.

Un sourire joyeux se dessina sur les lèvres du champion de la Vie.

— Eh bien dans ce cas, il n'y a qu'une seule manière de savoir si nous employons la bonne manière.

Sans rien ajouter d'autre, mais avec un enthousiasme curieusement communicatif, Grindelwald prit une profonde inspiration et invoqua le pouvoir de la Vie. La Claviculae vibra en réponse à l'énergie mystique qui se répandait dans les lieux, pétulante, exubérante, parfois même agressive, mais toujours joyeuse et n'aspirant qu'au plaisir et à l'amusement. Des tiges vivaces sortirent de terre, s'enroulèrent avec avidité autour des jambes puis du torse de Grindelwald qui ne s'en inquiéta nullement. Bien au contraire, il observait d'un air émerveillé les feuilles d'un vert très tendre et les fleurs d'un blanc très pures.

Fleurs d'ordinaire destinées à tapisser les sous-bois plutôt que plantes grimpantes, les myosotis ne s'enroulaient pas moins autour de Voldemort et de Susan. L'énergie mystique à leur contact, vibrait bien différemment. Plus discrète et plus modeste, elle résonnait comme des pleurs chargés de nostalgie, de tristesse et de la douleur du deuil. Il y avait aussi quelque chose d'infiniment plus doux, invoquant une caresse pleine de réconfort et d'espoir en des jours meilleurs.

Lys et myosotis poussèrent, s'entremêlèrent tant et si bien qu'elles formèrent un petit nid floral à la dépouille de l'oisillon. Mais rien ne se produisit.

— L'oiseau de feu appartient aux Trois Soeurs, murmura Emily.

Elle se rapprocha. Une troisième énergie mystique s'entrelaça aux deux premières. Celle-là était peut-être la plus implacable des trois. Les émotions et les sentiments n'avaient pas leurs places dans cette approche froide et intellectuelle, où chaque chose avait un rôle à tenir, où les chemins suivaient leurs trajectoires, où le devoir et l'ordre primaient sur tout le reste.

Des anémones escaladèrent Emily et apportèrent leur touche de couleur au nid fleuri.

L'air vibrait d'une intense énergie mystique qui prenait des allures d'électricité statique. Les cheveux se dressaient sur les têtes, des étincelles crépitaient dans l'atmosphère. Les fleurs brillaient. Elles se mouvaient, telle une guirlande lumineuse et parfumée autour de l'oisillon. La plume de phénix rougeoyait comme si elle brûlait d'envie de s'embraser d'un feu ardant. Mais cela ne suffisait pas.

Et Tom comprit. Ça le frappa comme un coup de poing à l'estomac. L'espace d'un instant, il crut même qu'il se remettrait à vomir. Mais il tint bon. Il se rapprocha sur des jambes tremblantes. Son poing gauche se refermait autour de la Claviculae. Son index droit se posa sur la tête du phénix. La magie des Trois Tisseuses opéra enfin, dans une explosion de senteurs florales, de lumières arc-en-ciel et de fumée qui projeta tout le monde à terre.

Il n'y eut plus que le calme et le silence. Même la Claviculae ne vibrait plus.

Les Aurors furent les premiers à se relever, baguettes sorties, pointées sur les mages noirs. Il n'y avait pourtant rien à redouter. Un peu sonné, Tom distingua au milieu d'un cercle de cendre et d'herbes noircies, Fumseck version poussin qui pépiait joyeusement. Il réclamait à manger, comme le comprit très vite Hermione qui lui apporta quelques baies. Sitôt les premières framboises avalées, un duvet aux couleurs flamboyantes recouvrit l'oisillon.

Les baguettes se baissèrent. Harry apporta à son tour des baies à l'oisillon, offrant alors la vision étrange du Survivant se tenant aux côtés de Voldemort sans qu'aucune hostilité n'anime les deux sorciers.

— Aïe ! S'exclama Susan.

Fumseck venait de lui donnait un vilain coup de bec. Il s'agitait de plus en plus à mesure qu'il regagnait en énergie. Il commença à se débattre dans les mains d'une Susan un peu dépassée par cette agressivité.

— Aïe, mais aïe ! Qu'est-ce qu'il a ?

— Passe-le-moi, intervint Emily.

Sitôt dans les mains fripées de la vieille femme, l'oisillon retrouva tout son calme. Il se frotta même contre ses doigts avec un roucoulement affectueux.

— Fumseck est fidèle au sang des Dumbledore, expliqua Emily en lui caressant la tête du bout des doigts.

Le phœnix ferma les yeux de contentement.

Après un léger baiser sur la tête fragile de l'oisillon, elle le tendit à Vector. Fumseck apprécia tout autant ces nouvelles mains.

— Je suis certaine qu'il s'entendra à merveille avec Evariste, affirma Emily.

Elle prit une profonde inspiration, comme pour se donner du courage, et leva les yeux vers Grindelwald qui l'observait d'un air tout bizarre. En retour, Emily esquissa un timide sourire.

— Amelia, murmura Grindelwald du bout des lèvres, comme s'il n'osait pas y croire.

Sans perdre son sourire un peu crispé, Emily opina, la nuque raide. Sans crier gare, il prit la vieille femme dans ses bras imposants en riant très fort. C'était peut-être un rire de joie, mais Tom sursauta, gagné par une nouvelle nervosité face à la soudaineté de la réaction de Grindelwald. Il ne fut pas le seul. Baguettes à moitié sorties, les adultes échangeaient des regards sans savoir s'il convenait d'intervenir ou pas. Mais ni Vector, ni Hart, ni Voldemort ne manifestaient la moindre inquiétude, même si ce dernier dévisageait Grindelwald d'un air peu comode.

— Je n'aurais jamais cru te revoir un jour ! S'exclama joyeusement Grindelwald.

Il s'écarta un peu d'elle, la tenant toujours par les épaules, pour mieux l'observer avec fierté.

— Dommage que nous ne nous retrouvons qu'au dernier jour, ajouta-t-il sans rien perdre son sourire qui révélait toute la blancheur éclatante de ses dents. Mais hé ! C'est la vie ! Et ta mère ? Qu'est devenue Ariana ?

— Elle s'est sacrifiée dans un rituel de protection afin que ni toi, ni Albus ne puissiez me retrouver.

Grindelwald eut la décence de paraître embarrassé. Il se recula même d'un pas, se gratta l'arrière de la tête, parut chercher ses mots et déclara enfin :

— Je suppose que c'était prévisible. Elle… Elle a toujours eu beaucoup de volonté.

Il hésita encore un peu et ajouta :

— Tu as eu une vie heureuse au moins ?

— Oui.

Peut-être malgré elle, le regard d'Emily s'égara sur Voldemort. Grindelwald suivit ce regard, cilla. Puis porta son attention sur Vector. Cilla encore. Le mage noir explosa soudain d'un rire tonitruant, grave et puissant, qui fit sursauter Tom et plus d'un adulte, alors que son écho se répercutait contre les racines et la roche.

— Alors ça, c'est la meilleure ! Je suis ton beau-père ! S'écria Grindelwald avec un immense enthousiasme.

Et comme si le regard outré que Voldemort lui jetait à cet instant ne lui suffisait pas, Grindelwald s'autorisa un geste familier que nul autre que lui n'aurait osé. Il infligea une tape virile sur l'épaule de Voldemort.

— Ca veut dire que tu es de la famille, petit cachottier !

Grindelwald aimait jouer. Il aimait prendre des risques fous pour le simple plaisir du frisson et du danger. Il recula pourtant, avec une légère lueur d'inquiétude dans ses yeux bleu ciel, alors qu'une terrible fureur s'emparait de Voldemort. Ce dernier pourtant, n'amorça aucun mouvement. Il ne jeta aucune une insulte. Mais son regard meurtrier aurait fait fuir un basilic.

— Encore un peu tôt, hein ? Commenta Grindelwald avec un sourire d'excuse.

Voldemort l'ignora. Un peu raide, il se tourna vers Regulus Black.

— Il est temps d'en finir, non ? Dit-il d'un ton guindé.

La mort lui paraissait une perspective moins effroyable que celle de participer à une réunion de famille en compagnie de Grindelwald.

Le héraut des Trois Tisseuses acquiesça.

— Oui, il est temps. Je vais renvoyer tous les autres à la surface.

Regulus Black s'approcha d'une racine particulièrement imposante, pour laquelle même Hagrid aurait éprouvé des difficultés à en toucher le dessus moussu. Sans mot supplémentaire ni explication, il tendit la main. La baguette de Dumbledore, alors à la garde de Kingsley, vint docilement s'y lover. Bien sûr, les adultes si nerveux sortirent à leur tour leurs baguettes, prêts à se battre face à une nouvelle menace. Mais Regulus Black ne s'intéressait pas à eux. Il se contenta de tapoter la racine en psalmodiant une formule en un langage inconnu mais qui paraissait très ancien et chargé en magie. La Claviculae vibra, comme si elle entendait un appel.

— J'ai besoin de la Clé pour ouvrir le passage, mon garçon, déclara Regulus Black en se retournant avec un sourire qu'il adressa à Tom.

Les mains moites, l'adolescent acquiesça. Mais à peine avait-il avancé de deux pas que Schackelbolt le retint.

— C'est peut-être un piège.

— Non. Je l'ai déjà rencontré dans une vision. Je sais qu'il est sincère.

— Une vision peut mentir.

— Une vision peut mentir, concéda Harry en venant à sa rescousse. Mais s'il devait y avoir tromperie, n'aurait-elle pas dû éclater bien plus tôt ?

L'Auror acquiesça à contre-coeur et relâcha Tom malgré le grognement désapprobateur de Rogue. Plus Tom s'approchait de Regulus Black, plus son coeur s'emballait. Cela en devenait même douloureux, à cogner si fort contre sa poitrine. Arrivait-il seulement à respirer ? Ou sa cage thoracique si oppressée et rigide le condamnait-elle à l'apnée ? Comme il l'avait fait avec Fumseck enfin, serrant la Claviculae dans sa main gauche, Tom appuya son index contre l'énorme racine.

L'air vibra. Le pendentif s'échauffa. Dans un crépitement électrique, des lueurs bleutées se dessinèrent sur la racine en deux points depuis le sol et s'élevèrent jusqu'à hauteur d'homme pour enfin se rejoindre. Elles laissèrent ainsi dans l'écorce, des motifs sineux de ronces et de fleurs qui dessinaient une arche.

— Encore une fois, souffla Regulus Black.

Tom s'exécuta. Il posa son index au centre de l'arche et bondit un arrière avec un cri de surprise. En l'espace d'un battement de paupières, l'écorce grise et rugueuse du la racine se transforma en une surface lisse et mouvante, comme les eaux paisibles d'un lac éclairé par la lumière rasante du matin.

— Ce passage vous amènera dans la maison de mon enfance, déclara Regulus Black.

Un sourire plus nostalgique étira ses lèvres.

— Un certain nombre d'entre vous la connaisse déjà. Ne vous inquiétez pas pour le fidelitas. Tout ceux qui se trouvent ici, à la mort de Dumbledore, en sont désormais également les gardiens du secret.

— Comment peut-on en être sûr de la destination ? Demanda Rogue qui ne cachait rien ni de sa méfiance, ni de son hostilité.

Mais à peine avait-il prononcé qu'un elfe de maison particulièrement vieux et crasseux franchit l'arc. Il cilla, troublé par ce nouvel environnement et tous les sorciers qui l'occupaient.

— Kreattur, souffla Regulus lui-même troublé par l'apparition.

L'elfe cilla une nouvelle fois. Son visage cireux, rongé par des années de ruminations et rancœurs se métamorphosa. De l'incrédulité d'abord, bien vite chassée par une joie lumineuse, presque extatique.

— Mon cher maître Regulus !

Sans plus attendre, sans non plus se préoccuper des sorciers présents (avait-il seulement remarqué que Voldemort se trouvait parmi eux?), Kreattur se précipita vers Regulus Black et sauta dans ses bras. Le hérault l'accueillit dans une joie tout autant partagée.

Avec un grognement écœuré pour cette débauche de larmes et d'émotion dont il se serait bien passé, Rogue se rapprocha de l'arche.

— Eh bien, puisqu'il semblerait qu'on puisse la traverser dans les deux sens, marmonna-t-il, je vais vérifier qu'elle nous mène bien en sécurité au Square Grimmaud et je reviens.

Sans attendre la moindre approbation des autres adultes (ces derniers échangèrent des regards résignés), Rogue traversa. Une bonne minute s'écoula dans un silence pesant. Susan se rapprocha de Tom, enserra son bras avec un sourire qui lui déchira le cœur. Le Trio d'Or venait tout juste de les rejoindre lorsque Rogue réapparut. S'il ne souriait pas (et c'était préférable, jamais Tom ne se serait remis d'un telle vision), il paraissait beaucoup plus détendu.

— Tout va bien, confirma-t-il d'une voix sobre.

Un courant de soulagement traversa instantanément les rangs des adultes. Hermione soupira. Ron relâcha un rire nerveux. Et Harry se contenta de sourire, comme s'il ne s'était jamais inquiété.

— Les enfants, à vous l'honneur, déclara Lupin à l'approbation de tous.

— Dans ce cas, à toi Tom, ajouta Harry. Tu es le plus jeune.

Un triste sourire fleurit sur les lèvres de Tom. Malgré l'émotion qui menaçait de le submerger, il s'efforça à articuler de sa voix la plus calme possible.

— Je regrette, c'est impossible. La Claviculae…

Il prit une profonde inspiration et acheva :

— Elle est nécessaire pour détruire l'arbre-monde.

Un lourd silence suivit son aveu. Tom porta son attention sur l'herbe fraîche qui recouvrait la terre fertile pour ne pas voir les regards horrifiés de ses amis ni sentir la douleur profonde qui venait de percuter Susan.

— Non ! S'exclama Susan. Quelqu'un peut prendre ta place ! Je peux prendre ta place ! Tu m'as dit que tu gagnerais le droit de vivre lorsque quelqu'un se sacrifierait pour toi ! Eh bien, je suis volontaire !

Elle s'avança même d'un pas décidé vers Regulus Black. Tom la retint par le bras. A travers le contact de leurs peaux, la détresse de son amie le brûla.

— Susan, tu ne peux pas. Quand… quand on a ramené Fumseck, j'ai fini par comprendre. Si j'existe depuis septembre, c'est précisément dans ce but, pour cette journée. La Claviculae est revenue dans la trame du temps pour détruire l'arbre-monde.

Tom fuit le regard de son amie. Il fuit également les protestations qui s'élevèrent bientôt, parmi les adolescents comme parmi les adultes. Certains tentèrent de négocier. D'autres se proposèrent même pour le remplacer – à la grande surprise de Tom, Rogue faisait partie de ceux-ci. Beaucoup rechignaient à laisser mourir un enfant. Le débat résonnait comme un lointain écho à ses oreilles. Les mots s'en retrouvaient brouillés, à la manière d'un signal faiblard qui tentait de se frayer un chemin à travers la tourmente d'une tempête en haute mer.

Lorsque Vector argua qu'elle pouvait tout aussi bien prendre sa place, elle qui était liée par le sang aux trois lignées de héros, Tom se laissa tomber sur un bout de racine à l'écart. Il se perdit dans la contemplation de ses mains, exactement comme il l'avait fait dans ce qui lui semblait une autre vie, à son arrivée à cette époque, tandis qu'il attendait devant le bureau de Dumbledore.

Avec délicatesse, Hermione s'assit à ses côtés.

— Nous trouverons une solution, articula-t-elle d'une voix serrée.

— Il n'y a pas d'autre solution.

Tom leva la tête vers Harry qui s'était également rapproché alors que plus loin, Susan et Ron bataillaient avec hargne contre Regulus Black dans une joute verbale vaine pour lui sauver la vie.

— Toi aussi, tu le sais, que c'est la seule chose à faire.

Harry opina avec raideur.

— J'aurais voulu qu'il en soit autrement.

Tous les trois se turent. Les mots, bien trop douloureux, restaient coincés dans la gorge. Et puis qu'auraient-ils pu dire ? C'était la fin. Au fond de lui, Tom avait toujours su qu'il n'avait pas d'avenir, même quand McGonagall lui affirmait le contraire. Bientôt, Hermione se leva et revint avec Susan. Sanglotant doucement, Susan s'assit à côté de Tom et le prit dans ses bras.

— Je vais les prévenir que nous partirons en dernier et que c'est non négociable, déclara un Harry au regard fuyant.

Tom opina mollement. Du coin de l'œil, il aperçut Voldemort, Emily et Grindelwald qui se tenaient à l'écart du débat. Eleusis elle-même y avait activement participé, pour prendre la place de Tom ou de Voldemort. En vain.

Tom ferma les yeux et se laissa aller contre Susan. Il profitait une dernière fois de l'étreinte de son amie, de sa chaleur, de son affection. Après tout, ces quelques mois d'existence n'avaient pas été si désagréables.

D'âpre lutte, Harry convainquit les adultes de partir en premier, même si ces derniers avaient bien l'intention de rester à proximité du passage et de revenir au moindre signe suspect. Aucun d'entre eux n'aspirait à affronter Voldemort en duel, mais cela n'empêcha pas plusieurs aurors d'adresser au mage noir des regards lourds de mise en garde.

Hestia Jones partit la première, suivie d'Eleusis qu'on poussa vers la sortie. Peu à peu, Avalon se vida de ses visiteurs. Il ne resta plus que Shackelbolt, Hart et Vector parmi les adultes. Les deux femmes échangeaient leurs derniers mots avec Voldemort et Emily. Tom perçut quelques recommandations formulées en direction de Hart sur les vertus de la prudence et de la modération.

— Eh bien, je crois que c'est à mon tour, soupira Ron. Tom… tu ne peux vraiment pas t'empêcher de me sauver la vie, n'est-ce pas ?

— La Créature ne menace pas cette dimension, bredouilla Tom.

— Non, mais elle menace tous mes doubles des autres dimensions. Pour eux… merci. Je sais que je n'étais pas très aimable avec toi à ton arrivée. Désolé de t'avoir mal jugé.

— Moi non plus, je ne t'appréciais pas au début. Heureusement qu'il existe l'infirmerie pour apprendre à se connaître !

— Oui, heureusement qu'il existe l'infirmerie, murmura Ron du bout des lèvres.

Les yeux brillants, Ron se détourna. À son tour, il traversa l'arche qui menait à la maison des Black.

Hermione se leva du bout de racine sur laquelle elle s'était assise et lissa sa robe de sorcière.

— Je vais y aller moi aussi, marmonna-t-elle en gardant le regard obstinément baissé.

Elle lissa une nouvelle fois sa robe d'un geste nerveux. Elle se gratta la gorge. Ne trouvant rien à ajouter, elle amorça son départ, avant de raviser brusquement pour se jeter au cou de Tom. Sous le choc, il manqua de tomber à la renverse. Seule sa maîtrise du Nisir lui permit de conserver son équilibre.

Hermione pleurait contre son épaule.

Impuissant face à la tristesse de son amie et ne se sentant lui-même guère mieux, Tom referma ses bras sur elle pour tapoter son omoplate. Les sanglots se turent bientôt. Ils restaient pourtant l'un contre l'autre, en silence, chacun repensant à leurs histoires, aux moments de bonheur comme à leurs erreurs.

— Je suis désolée, murmura Hermione. Pour tout ce que je t'ai dit et que je n'aurais pas dû dire.

— J'ai aussi mes torts, nuança Tom la gorge serrée.

— Peut-être… mais mon comportement n'était pas correct… Je retiendrai la leçon de mes erreurs, mais je regrette que tu aies eu à subir les pots cassés.

— Je crois que ça s'appelle grandir, répondit nerveusement Tom.

— Ce n'est pas juste. Toi aussi, tu devrais avoir le droit de grandir. Les Trois Tisseuses ont été cruelles de te laisser dans l'espoir d'un avenir pendant presque une année.

— Je crois au contraire, qu'elles m'ont fait une fleur en me permettant de goûter à la vie à vos côtés.

Ne souhaitant pas poursuivre cette conversation de plus en plus difficile à supporter, les entrailles nouées, Tom repoussa Hermione avec délicatesse.

— Il est temps pour toi d'y aller, souffla-t-il.

Hermione n'insista pas. Elle se contenta d'un hochement de tête, se hissa sur la pointe des talons pour déposer un léger baiser sur sa joue et partit enfin. Définitivement.

Harry soupira.

— Eh bien, il est temps pour moi aussi, n'est-ce pas ? Marmonna-t-il nerveusement. Kingsley pourra bientôt se détendre.

Un maigre sourire étira les lèvres de Tom.

— Oui, il respirera certainement beaucoup mieux lorsque tu seras loin de Voldemort.

Harry soupira une nouvelle fois.

— J'aurais tellement voulu que les choses se terminent différemment. Les deux plus grands enquiquineurs de mages noirs réunis pour remettre un peu d'ordre dans ce bas monde !

— Désolé, j'ai décidé de viser plus haut et d'enquiquiner un monstre cosmique capable de dévorer des dimensions entières.

Harry gloussa et Tom l'imita. Même si c'était un rire avec une saveur douce-amer, il apaisait un peu le cœur. Le rire se tut bien vite. Pour une dernière fois, Harry posa sa main sur l'épaule de Tom.

— Je comprends ton choix. J'aurais agi de la même manière à ta place, assura Harry.

Tom n'en doutait pas un seul instant.

— Merci, poursuivit Harry. Tu n'imagines pas tout ce que tu m'as apporté cette année. Grâce à toi, et à la nécessité de veiller sur toi, j'ai beaucoup gagné en maturité et en autonomie. Tu y es pour beaucoup dans ce que j'entreprends aujourd'hui.

— Tu veux dire, rassembler des fidèles dans l'objectif de renverser le pouvoir en place ? Oui, c'était assez prévisible.

De nouveau, Harry gloussa et de nouveau, une chaleur douce-amer réconforta Tom. Mais une ombre de tristesse chassa bien vite le rire. Avec résignation, Harry tourna des talons.

— Évite de devenir un vrai mage noir !

Harry lui adressa alors un dernier regard, pétillant derrière ses lunettes rondes de cette lueur typique du Gryffondor qui s'apprête à relever un défi. Il acquiesça et partit. Il dévisagea longuement et en silence Voldemort qui le dévisagea en retour. Aucun mot n'était prononcé, mais Tom ne doutait pas un seul instant qu'une importante conversation se tenait. Enfin Voldemort acquiesça. Harry acquiesça en retour et traversa l'arche. Schakelbolt le suivit, malgré son inquiétude pour Susan qui venait de se jeter au cou de Tom en sanglotant. Hart quitta Avalon peu après.

Il ne restait plus que Vector, en pleine étreinte avec sa mère, Kreattur toujours accroché à Regulus Black et Susan qui pleurait sans pouvoir se calmer.

Alors que son amie s'accrochait frénétiquement à lui, Tom perçut à travers le Nisir, toute sa douleur, toute sa tristesse qui lui labourait le cœur, mais aussi sa volonté frustrée de ne pas pouvoir prendre sa place.

— Viens, souffla Tom.

Il l'entraîna vers cette arche qu'elle n'aurait jamais franchie de son plein gré. C'était à craindre : elle s'immobilisa alors qu'ils arrivaient à proximité de Regulus Black.

— Non… Non ! Si je ne peux pas te sauver, je peux au moins mourir avec toi !

Que répondre à cela ? Jeter Susan de force à travers l'arche pour lui sauver la vie ou bien au contraire, savourer sa présence jusqu'à la fin, pour ne pas affronter la mort seul ? Ces deux élans contraires se déchirèrent dans l'esprit de Tom. C'était si tentant, de ne plus se battre, d'accepter sa chaleur jusqu'à son dernier souffle. C'était si égoïste aussi.

— Susan, s'il te plaît, murmura Tom avec douceur. Rien ne t'oblige à mourir avec moi. Tu peux vivre.

— Mais je ne veux pas sans toi ! J'ai… J'ai déjà trop perdu de gens. Mes parents… ma tante… je n'ai plus que toi. Si je rentre, je serai seule.

— Plus que moi ? Et Théodore ? Et Justin ?

Qu'il était difficile d'argumenter ! Chaque mot lui coûtait tant, alors qu'il aurait été si simple de céder, d'accepter l'étreinte et de se perdre en elle jusqu'à la fin. Tom dut se faire une grande violence pour prononcer cette dernière phrase :

— Susan, j'utiliserai la force si nécessaire, mais tu vivras.

Peut-être sentit-elle qu'il ne servait plus à rien de débattre avec Tom : Susan reporta soudain toute sa colère et sa détresse sur Regulus Black. Sans crier gare, elle se détacha de Tom et se dirigea d'un pas furieux vers le héraut des Trois Tisseuses. Sans doute l'aurait-elle frappé avec toute la puissance de son désespoir si Tom et Kreattur ne s'étaient pas interposés en catastrophe.

— Vous ! Accusa-t-elle. Pourquoi vous être monté si cruel ? Pourquoi avoir fait croire qu'une personne pourrait remplacer Tom ? Pourquoi ce mensonge ? Cette espérance ignoble que j'aurais pu me sacrifier pour qu'il puisse vivre ?

Troublé, Regulus Black détourna le regard. Il se montra même hésitant alors qu'il retenait Kreattur (l'elfe de maison n'avait guère apprécié qu'on menace son cher maître).

— Je suis désolé, je ne fais qu'obéir à la volonté des Trois Tisseuses. Pour elles, ce n'étaient qu'un test, une épreuve, certes cruelle mais nécessaire.

— Comment ça une épreuve ? Explosa Susan. Des illusions sadiques, voilà ce que c'était !

— Non. Ton ami a réussi l'épreuve avec brio. Je lis dans son cœur qu'il aurait préféré te jeter à travers l'arche plutôt que de te laisser prendre sa place. S'il en avait été autrement, s'il avait cherché à négocier pour sa vie au détriment de la tienne, alors son fil se serait achevé ici. Mais il vient de prouver aux Trois Tisseuses qu'il était capable d'amour et d'altruisme. Elles ont jugé son fil digne d'être noué dans une autre trame. Oui, Tom… Si tu meurs aujourd'hui, ce n'est pas la fin de ton existence, seulement de cette vie. Tu as gagné le droit de te réincarner dans une autre monde, dans une autre vie, une vraie vie cette fois-ci. Tu seras un humain à part entière, même si tu ne garderas aucun souvenir de cette vie. Et toi, Susan… ton attachement à ton ami a touché les Trois Tisseuses. Le jour – que je te souhaite lointain – où tu mourras, tu pourras si tu le souhaites toujours, te réincarner dans le même monde que Tom et si le Sort vous est favorable, vous vous y retrouverez. Même si vous aurez oublié cette vie, votre affection forte demeurera peut-être et d'une manière ou d'une autre, vous recommencerez à veiller l'un sur l'autre.

Un rire nerveux secoua Tom, si choqué par la nouvelle qu'il peinait à y croire. Peu importait au final que ce soit vrai ou faux : la résistance de Susan à partir s'amenuisait.

— Kreattur, je voudrais tu veilles désormais sur Susan, demanda Regulus d'une voix pleine de douceur. Elle aura bien besoin de ton aide.

— Mais Kreattur appartient désormais à Potter, geignit l'elfe de maison dépité.

— Il acceptera de te céder. Et il est déjà au courant de ma dernière volonté.

D'un léger mouvement de tête, Regulus désigna Voldemort qui observait la scène en silence. Ce dernier opina légèrement, comme pour transmettre la réponse de Harry.

— Allons-y, souffla Vector en passant son bras sur les épaules de Susan avec une douceur que Tom ne lui connaissait pas.

Tenant Fumseck dans une main, et entraînant une Susan sonnée de l'autre, Vector traversa l'arche. Kreattur disparut à son tour. Le passage se referma en un claquement sec, pour rendre à la racine tout son aspect d'écorce rugueuse. Une grande lassitude envahit Tom. Voilà, c'était fait. Il n'y avait plus de retour en arrière. Seulement un arbre à détruire, pour le bien d'innombrables vies.

Et maintenant, que faire ?

Après de longues minutes à contempler le vide, Tom se tourna plein d'incertitudes vers Voldemort qui se tenait également silencieux. Du coin de l'œil, le mage noir observait Emily qui s'était éloignée avec Grindelwald.

— Je euh… je suppose qu'ils ont beaucoup de choses à ce dire, hasarda Tom.

Malgré l'envie de se ratatiner sur place pour se glisser dans un trou de souris qui le saisit lorsque l'attention de Voldemort se porta sur lui, Tom poursuivit :

— Depuis combien de temps sais-tu qu'elle est la fille de Grindelwald ?

— Elle me l'a avoué lorsque je l'ai retrouvée peu après avoir fini mes études à Poudlard.

— Ah…

Et comme il ne savait pas quoi ajouter, Tom se tut. Il se tortilla nerveusement les mains, observant tantôt les fleurs, tantôt les arbustes et les baies de ce jardin gorgé d'abondance.

— Je suppose que tu as envie de connaître toute l'histoire, avança Voldemort sans quitter Emily des yeux.

— Oui. J'ai cru comprendre que Vector était votre fille.

— Nous avons eu deux filles, confirma Voldemort.

Il soupira et indiqua du bout de son doigt long et blafard, une racine couverte de mousse de taille modérée.

— Asseyons-nous. De toute façon, nous avons un peu de temps devant nous.

Tom s'exécuta, bien plus intimidé que sa fierté n'aimait l'admettre. Voldemort lui rapporta alors dans les grandes lignes, quelle avait été sa relation avec Emily. Leurs retrouvailles alors que la guerre contre Grindelwald battait son plein, les années de paix qui avaient suivi, la naissance de leurs deux filles, l'émergence d'un nouvel Alchimiste qui avait précédé une longue descente aux enfers pour Voldemort.

Quelques jours plus tôt, une jalousie intense consumait Tom à l'égard de Voldemort. Lui, il avait eu le privilège de partager son amour avec Emily et même de fonder une famille ! A présent, il n'éprouvait que du vide. A quoi bon envier une existence qui ne lui avait jamais été destinée, à lui qui n'était même pas un véritable humain ?

Les paroles de Regulus Black lui revinrent en mémoire. Avait-il dit vrai ? Tom connaîtrait-il le privilège de renaître dans un autre monde et de mener une véritable vie ? Rencontrerait-il un grand amour comme Voldemort ? Aurait-il à son tour des enfants ? Serait-il heureux ?

Remarquant que Voldemort gardait toujours un œil inquiet sur Emily, Tom commenta avec une pointe d'envie :

— Depuis le début jusqu'à la fin… Pour elle, il n'y aura eu que toi, et pour toi, il n'y aura eu qu'elle. On dirait presque un amour de conte de fées. Ça ne fait pas très mage noir.

Ce qui lui valut un regard surpris de la part de Voldemort. Éprouvant le besoin de changer de sujet, Tom désigna la racine contre laquelle Dumbledore avait rendu son dernier souffle.

— Et lui… est-ce qu'il aimait vraiment Grindelwald ou est-ce que c'était de la manipulation depuis le début ?

— Je crois qu'il a été sincère. Peut-être l'a-t-il été pendant des décennies et peut-être même était-il encore convaincu de l'aimer.

— Il était prêt à le sacrifier pour sa soif de pouvoir. Ce n'est pas de l'amour.

— Non, ça n'en est pas, confirma Voldemort. Tout comme la création d'horcruxes m'avait engourdi, Dumbledore a perdu sa capacité à aimer en puisant à l'excès dans le pouvoir du Sort et…

Le mage noir s'interrompit pour glousser nerveusement dans une attitude qui n'était pas sans rappeler Harry.

— Potter déteint bien trop sur moi. Voilà que je me mets à parler de la capacité à aimer de Dumbledore.

Tom ne put qu'acquiescer. Si peu de temps auparavant, il affrontait dans la Forêt Interdite un Voldemort qui avait alors tout d'un mage noir. Ou presque.

— Dans la Forêt Interdite, vous n'aviez pas l'intention de m'enlever pour m'utiliser dans un rituel de magie noire, n'est-ce pas ?

Un silence de mauvais augure plana. Soudain très mal à l'aise, Tom se tortilla sur son bout de racine.

— Non, brisa enfin Voldemort. Cela n'a jamais été mon intention. Mais ce jour-là, j'ai agi dans la précipitation. Je voulais comprendre ce qui se passait. T'éloigner de Dumbledore aussi, même si c'était davantage un projet égoïste. Je ne me doutais pas du danger réel qu'il représentait. Je n'avais pas vraiment réfléchi à ce que je ferai de toi si tu acceptais de me suivre ou si j'arrivais à te capturer.

Tom nota que Voldemort ne semblait lui tenir aucune rancune de l'avoir transpercé avec l'épée de Gryffondor. Il garda prudemment cette observation pour lui et décida de changer de sujet.

— Depuis quand avez-vous compris que Dumbledore était réellement dangereux ?

— Depuis quelques jours seulement. Avant, je le voyais seulement comme un douteux défenseur de la lumière, pour qui la fin justifiait un peu trop souvent les moyens. Seule Emily se méfiait vraiment de lui, mais je n'ai jamais accordé à ses mises en garde, tout le crédit qu'elles méritaient. Puis Dumbledore a commis deux erreurs. La première, a été d'oublier que Potter possédait la carte du Maraudeur – ou peut-être considérait-il seulement hautement improbable qu'il soit en train de la regarder, précisément dans ta direction, précisément au moment où il vous enlèverait toi et Susan Bones. Sa deuxième erreur a été de sous-estimer le lien entre Potter et moi – ou peut-être jugeait-il hautement improbable que nous l'utilisions pour communiquer.

— Vous vous influenciez déjà à travers le lien sans en avoir conscience, remarqua Tom.

— Mais Dumbledore se trompait à mon sujet. Ou plus exactement, il ne comprenait pas la nature profonde du pouvoir de la Mort, ni pourquoi il m'effrayait tant, pas plus qu'il n'a vraiment saisi l'essence du sacrifice auquel j'ai consenti pour vaincre l'Alchimiste.

— C'est assez ironique. Lui qui faisait de grand discours sur le pouvoir de l'Amour, il a fini par perdre, parce qu'il n'en comprenait pas la nature.

— Dumbledore avait une approche très intellectuelle. Très rationnelle. Mais on ne peut réfléchir qu'avec sa tête. Ou qu'avec son cœur… Et puis certaine personne n'utilise aucun des deux.

Disant cela, Voldemort fixait Grindelwald qui revenait dans leur direction en compagnie d'Emily. Le rythme cardiaque de Tom s'accéléra. Parce qu'il parlerait enfin à Emily ? Ou parce que la proximité de Grindelwald le rendait nerveux, malgré la présence rassurante de Voldemort ? Probablement un peu des deux.

Grindelwald ne lui accorda cependant aucune attention. Les yeux pétillants, avec cet enthousiasme qui n'appartenait qu'à lui, il lança à Voldemort d'un ton joyeux :

— Dire que tu étais mon gendre depuis tout ce temps ! Si seulement, je l'avais su, je me serais montré plus aimable !

Voldemort eut l'air d'avoir mordu dans un citron alors qu'Emily se contentait de lever les yeux au ciel.

— Essayez de ne pas vous entre-tuer pendant que je parle avec Tom, soupira-t-elle.

— Nous entre-tuer ? Alors que je viens enfin de trouver ma mort glorieuse ? Quelle horreur ! S'offusqua Grindelwald.

— Ca va bien se passer, marmonna Voldemort. Lui et moi allons seulement nous affronter au défi du Silence.

— Le défi du Silence ? Qu'est-ce donc ? Demanda Grindelwald soudain très intéressé.

Tom s'éloigna des deux mages noirs, incrédule d'entendre Voldemort expliquer à Grindelwald les règles du Jeu du Silence et ce dernier approuver avec un enthousiasme puéril. Était-ce là un effet d'un usage trop intense du pouvoir de la Vie, si influente à Avalon ? Se retrouver avec la maturité et l'intelligence d'un enfant de trois ans ?

— Je suis désolée de ne pas avoir pu te parler plus tôt, Tom, s'excusa Emily lorsqu'ils se furent suffisamment éloignés des mages noirs silencieux. Il m'était difficile de t'approcher sans alerter Dumbledore.

— Ce… ce n'est pas grave.

Comment ne pas se sentir intimidé en l'unique présence de son amie d'enfance, de son premier amour aujourd'hui devenue vieille femme ? Comment trouver les mots ? Comment même, concevoir des pensées claires au milieu de toute la confusion qui régnait dans son esprit ?

— Tu dois avoir beaucoup de question…

Tom opina avec raideur. Devant l'invitation tacite, il en chercha une en catastrophe.

— Vous saviez que j'allais venir… la baguette…

— Oui, je le savais. Quand ? Comment ? En quelle circonstance ? Tout cela je l'ignorais. Mais le Sort m'avait offert avec une très grande clarté la vision de ton incarnation, en même temps que le prix qu'elle me demandait de payer pour la concrétiser.

— Le dernier fragment d'Horcruxe, devina Tom du bout des lèvres sans oser l'interroger davantage à ce sujet.

— Oui, le dernier fragment. Parmi les sept morceaux qui te composent, si cinq sont issus du rituel perverti, deux sont aussi le fruit d'un sacrifice d'amour.

Une douleur discrète, pleine de retenue, serrait la voix de la vieille femme. Qui s'était volontairement sacrifié ? Quel ami avait-elle perdu ? Quelle foi aussi, en la justice du Sort pour se livrer à un acte aussi radical !

— Je crois que c'était important, reprit Emily. Cela a conservé ta capacité d'aimer, de compatir. Et grâce à la bonté qui t'habite, les Trois Tisseuses t'accorderont une deuxième vie.

— Vous pensez que c'est vrai ? Que je vais me réincarner ? Cela pourrait tout aussi bien être un mensonge que Regulus Black a raconté pour permettre à Susan de partir plus sereinement.

— C'est une possibilité, mais je crois qu'il a dit vrai. J'ignore même si en sa position, il lui est permis de mentir.

— Ah…

Que dire face à une telle confirmation ? Que ressentir ? Oui, il aurait droit à une nouvelle vie, mais puisqu'il ne se souvenait rien de celle qu'il menait actuellement, n'était-ce pas quand-même une véritable mort ? Et quelles joies, quelles douleurs connaîtrait-il alors ? Bénédiction ou malédiction ?

— Et… vous ? Vous aussi… enfin…

— Non. Mon chemin s'achève ici. Je suis en paix avec cela. J'ai bien vécu. Mais je m'inquiète pour ceux qui devront le poursuivre seuls…

Ses yeux gris perle se posèrent sur Voldemort avant de s'en détourner bien vite.

— Vous pensez qu'il va survivre ? S'étonna Tom.

— Je ne sais pas. Mais je crains que d'une manière ou d'une autre, la Mort décide de garder son champion pour de très nombreuses années encore. Tant qu'il n'aura pas son accord, il ne pourra mourir… Officiellement, il cherchait l'immortalité, mais en réalité, c'était à la Mort et à ce destin cruel qu'il tentait d'échapper. Et plus il se débattait, plus la Mort resserrait son étau sur lui.

Tom frissonna. Difficile d'imaginer un tel destin. Voldemort avait-il eu une seule chance de s'en affranchir ? Ou bien dès sa naissance (et peut-être même avant!) les Trois Tissseuses avaient-elles comploté pour que son âme appartienne à la Mort pour des années, des décennies, des siècles peut-être ?

De nouveau, Emily regardait Voldemort, assis sur sa racine et faisant face à un Grindelwald tout aussi silencieux. Quelques jours plutôt, une violente jalousie aurait saisi Tom face à ce regard plein de tendresse et d'inquiétude qui ne lui était pas destiné. Mais Tom n'était pas Voldemort et Voldemort ne lui avait pas volé sa vie. Ils étaient tous les deux les jouets des Trois Tisseuses.

— Vous l'aimez, n'est-ce pas ? Souffla Tom du bout des lèvres. Depuis l'orphelinat…

— Oui. Je n'ai jamais cessé de l'aimer.

— Ces derniers mois, je… J'ai beaucoup pensé à toi. Je voulais te revoir, Emily. Tout te dire. Tout t'avouer. Mais je suppose qu'il l'a fait depuis longtemps, n'est-ce pas ? C'est… c'est mieux ainsi. Lui au moins, c'est un vrai humain.

— Toi aussi, tu es un vrai humain.

— Non. Je ne suis qu'un être de Frankenstein issu de plusieurs âmes qui se sont agglomérés entre elles.

— Cela ne t'empêche pas d'être un humain à part entière, Tom. Tu respires le parfum des fleurs, tu subis la faim et la fatigue comme un humain, tu éprouves de la colère, de la tristesse et de l'affection, comme un humain. Tu es capable de compassion… Tu as fait preuve de noblesse d'âme face à tes amis, en essayant d'apaiser leur tristesse et en refusant que la jeune Bones meurt avec toi.

— C'était la seule chose à faire, non ? Marmonna Tom mal à l'aise.

— Non. C'était la meilleure chose. Tu aurais pu faire d'autres choix et adopter d'autres attitudes, certes toutes aussi humaines, mais bien moins nobles. Tu aurais pu chercher les larmes de tes amis, pour mesurer leur attachement. Tu aurais pu accepter que Susan reste pour te sentir moins seul. Et bien d'autres possibilités encore.

— Peut-être.

Tom se tut et Emily n'ajouta rien d'autres. Le silence s'éternisa. Après des mois à rêver de ses retrouvailles, c'était un peu frustrant de n'avoir finalement pas grand-chose à dire. Pourtant, c'était bien le cas. Un fossé de plusieurs décennies les séparait. Une profonde lassitude envahit Tom. Il n'y avait plus rien à ajouter. Emily avait vécu sans lui d'une certain point de vue, ou d'un autre point de vue, il avait été son unique amour jusqu'à la fin. Tom ne pouvait changer le passé. Impossible de revenir en 1942, de connaître les joies et les peines que Voldemort avait connues au côté d'Emily.

C'était la fin. Inutile de traîner en longueur. Cela ne servirait qu'à angoisser, à souffrir encore et à prolonger l'agonie. Sans avoir besoin de s'expliquer, Emily et Tom retournèrent auprès de Voldemort et Grindelwald, toujours silencieux.

Emily et Voldemort échangèrent un hochement de tête. Voldemort se leva avec raideur.

— Eh bien, il est temps.

— Ah, tu as perdu ! S'exclama Grindelwald avec une joie qui paraissait bien étrange en ce moment si solennel.

Voldemort ne lui accorda pas la moindre attention. Il se tourna vers Regulus Black, qui attendait en retrait.

— Comment procède-t-on ?

— Comme vous l'avez fait pour le phénix. Vous devez chacun invoquer le pouvoir de votre Tisseuse et Tom usera de la Claviculae avec l'idée de détruire l'arbre-monde. La volonté des Trois se chargera du reste.

Tom osait à peine respirer alors que Grindelwald, Emily et Voldemort prenaient place au pied de l'arbre titanesque. Si Grindelwald jubilait, Emily et Voldemort affichaient un air grave et déterminé. Tom, lui, avait les mains moites. Il transpirait à grosses gouttes. Son cœur battait si fort contre sa poitrine que cela en devenait douloureux. Que la tentation de se jeter au pied de Regulus Black et de le supplier de le renvoyer lui aussi au Square Grimmaurd était grande ! Quelle d'irréalité aussi ! Tout cela était-il bien en train de se produire ? Allait-il vraiment mourir dans les minutes à venir ? Était-ce bien là le choix qu'il avait fait, alors qu'il n'était encore qu'un adolescent avec tant de choses à vivre et à découvrir ?

Tout se passait trop vite et en même temps, bien trop lentement.

Mains sur l'écorce rugueuse du frêne cosmique, Grindelwald, Emily et Voldemort invoquèrent le pouvoir des Trois Tisseuses. L'air se mit à vibrer, le Nisir à chanter de ces trois voix si distinctes qui se mêlait pourtant avec une profonde harmonie. La joie pétillante et cruelle de la Vie, la sagacité avec une précision au scalpel du Sort, la compassion sans limite de la Mort qui s'exprimait avec une force extraordinaire. L'acte même de se sacrifier pour sauver un nombre incalculable d'existence n'était-il pas après tout, intimement lié à l'essence de la Mort ? Grindelwald agissait par appât de la gloire, Emily par devoir, Voldemort pour le pardon de ses crimes, mais tous unifiaient leurs forces dans une même action et dans un même but.

Les fleurs jaillirent de la terre. Ce n'était plus que de fragiles myosotis qui tapissaient humblement le sol, quelques anémones qui apportaient leur touche sanglante ou des lys à la blancheur fière et immaculée, mais un véritable raz-de-marée florale qui jaillit hors de la terre. Myosotis, pensée, guimauve, aster, marguerite, chardon, anémone, lys, rose, jasmin et bien d'autres encore. Les plantes gravirent le long des trois invocateurs, les colonisèrent avec une intensité qu'elles semblaient pousser depuis leur peau et plonger leur racine dans leur chair jusqu'à leurs os. Peut-être était-ce vraiment le cas. Peut-être que du sang humain se mêlait à leur sève, alors qu'elles s'enroulaient autour du tronc avec une vivacité une extraordinaire. A chaque seconde, des dizaines de mètres d'écorces se retrouvaient colonisés. En quelques minutes, l'arbre-monde se retrouva ainsi couvert, depuis la plus petite de ses racines, jusqu'à la pointe de la plus éloignée de ses branches, de ces multitudes de fleurs, manifestations visibles du pouvoir des Trois Tisseuses.

Puis plus rien ne bougea. Même les oiseaux s'étaient tus. Même les feuilles des buissons alentours demeuraient immobiles. Seule la Claviculae s'agitait avec une intensité que Tom ne lui connaissait pas. Elle s'échauffait, elle brûlait même au travers des vêtements. Alors l'esprit vide, se contentant de visualiser la destruction de l'arbre-monde, Tom s'avança.

Et à son tour, il toucha l'écorce.

Une explosion éclata au contact, comme un éclair aux nuances de l'arc-en-ciel qui se propageait à toute vitesse dans le tronc pour le fracturer, aspirer toute sa couleur et toute sa vie, ne laissant derrière lui, qu'un bois mort et gris comme de la pierre, fragile comme du verre.

Alors que la caverne s'effondrait et que le chaos s'abattait sur Avalon, Tom vit très distinctement, Voldemort et Emily qui revenaient au mouvement avec raideur malgré toute la masse végétale qui les recouvrait et se nourrissait d'eux. Ils se regardaient dans les yeux. Leurs mains se trouvèrent. Leurs doigts s'entremêlèrent dans une dernière étreinte.


Dimanche prochain, ça sera le dernier chapitre avant l'épilogue et il s'intitulera "la tombe Blanche". N'hésitez pas à laisser un petit commentaire et/ou à aller lire la fic de Tadum Doum, Plan B, qui vaut VRAIMENT VRAIMENT le détour (et puis lui laisser un commentaire parce que c'est scandaleux aussi peu de commentaire pour une fic de cette qualité)