Juste un petit mot en préambule pour vous remercier d'avoir fait si bon accueil à ce livre 4. Je retrouve avec plaisir bon nombre de lecteurs, certains que je connais déjà pour avoir échanger avec eux à l'occasion ou plus régulièrement, et d'autres que je ne connais pas mais qui sont fidèles à l'histoire, parfois depuis le début du livre 2. Merci à tous.
On retrouve tout de suite Harry: on est dimanche, il est sorti du pavillon chinois depuis le vendredi soir, il se réapproprie peu à peu sa vie et sa liberté, pendant que Lucius règle sa succession au Ministère... Et ils ont encore des choses à clarifier...
Bonne lecture à tous ! ;)
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– Tu es sûr de ne pas vouloir rester au lit ?
– J'ai faim, grogna Harry en enfouissant sa tête sous l'oreiller pour échapper à la lumière du jour.
Il avait faim mais il serait bien resté au lit quand même, et l'heure était bien trop matinale pour un dimanche.
Péniblement et en traînant les pieds, il rejoignit un Lucius amusé sous la douche. Il avait envie de douceur, de tendresse et d'étreinte. Il avait envie de sentir des mains sur son corps qui bouillonnait étrangement. Il avait besoin de se sentir touché, et pour la première fois depuis deux jours, depuis qu'il était revenu au Manoir, il y eut une ébauche de caresses, des mains de soie qui parcouraient son épiderme avide de sensations, qui étalaient une mousse suave sur son torse, sur son dos, qui glissaient dans les plis de son aine pour s'enrouler autour de ses cuisses.
Harry laissa échapper un gémissement quand il lui fallut mettre fin à ce plaisir envoûtant, mais il avait faim.
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Lucius était parti, et Harry finissait son plantureux petit-déjeuner. Il était de nouveau seul au Manoir, mais si on en croyait l'aristocrate, c'était un des derniers matins où il quitterait la maison pour se rendre au Ministère ou à une quelconque réunion politique.
Harry n'arrivait pas vraiment à y croire... Il attendait la preuve, là aussi. Revoir tous les jours Lucius au Manoir, dans son bureau, retrouver peut-être leur complicité d'antan, leurs affinités coquines, la luxure qui rythmait leur vie... les parties de jambes-en-l'air impromptues. Cela le tentait, bien sûr, mais il avait encore un peu de mal à envisager tout l'aspect sexuel de leur relation. La douche un peu plus tôt avait été un véritable espace de sensualité et de liberté, mais un rapport sexuel, avec ce qu'il supposait de lâcher-prise, d'animalité et de pénétration, ne lui faisait pas vraiment envie. Il lui fallait encore un peu plus de temps.
Et puis, Harry n'y croyait pas parce qu'il envisageait mal Lucius rompre d'un coup avec tout ce qui avait fait sa vie depuis tant d'années. La quête du pouvoir, l'influence, les luttes intestines et les coups d'éclat, le besoin d'être au cœur des décisions... comment Lucius pourrait-il se passer de tout ça ? Ce n'était pas qu'une démission, c'était un sevrage, violent, brutal, à sec. Il n'y croyait pas du tout. Que serait Lucius sans cet univers-là ? Jamais il n'arriverait à se contenter de la vie du Manoir, de ses œuvres et de ses collections, de cette vie oisive et futile d'homme richissime. Lucius avait besoin de responsabilités, d'enjeux, de challenges un peu plus pimentés qu'une partie de sexe dans l'après-midi.
Et puis que deviendrait Mark dans tout cela ?! Harry avait déjà le sentiment de s'ennuyer. Il ne travaillait plus, il ne voulait plus entendre parler de potions avant un bon moment, il n'avait pas de grandes passions dans sa vie comme l'était l'art pour Lucius... Si Mark ne venait pas faire pétiller ses journées de temps en temps, il allait dépérir. Il sentait déjà dans son corps cet agacement à ne rien faire, cette impatience, ce besoin de se défouler, de s'épuiser, de se vider. Et puis Mark lui manquait.
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Harry se fit servir son thé sur la terrasse, près de la piscine. La température était encore fraîche, et l'humidité bien présente, mais il avait envie d'air et de lumière. Le pâle soleil sur sa peau et le thé brûlant suffiraient à le réchauffer pour quelques heures.
Il avait pris avec lui le livret que lui avait laissé Mihai et qu'il feuilletait distraitement. Il ne savait pas bien s'il cherchait quelque chose ou s'il se laissait juste porter par les mots et les informations qu'il recevait. Le livre éveillait chez lui une curiosité un peu blasée. Il était déjà un calice; rien de ce qu'il pourrait lire ne pourrait changer la décision qu'il avait prise. Qu'il la regrette ou non.
« Pour des questions de confort et d'appréhension légitime, il est préférable que la morsure se fasse toujours au même endroit. Le même poignet, ou le même côté du cou, si l'intimité est privilégiée. À la longue, la peau, les tissus et même l'artère ponctionnée, vont s'adapter pour le confort des deux partenaires. Le sang sera plus accessible, à fleur de peau, et le vampire n'aura plus besoin de la percer de ses canines à chaque nourrissage... »
Harry grimaça. Ce terme de « nourrissage » pour qualifier le besoin de boire du vampire était vraiment bizarre.
« … Une simple succion prononcée et le sang affleurera sans aucun effort ni aucune douleur. Choisir la poitrine du calice ou ses organes génitaux comme zone de ponction pour augmenter le plaisir n'est cependant pas conseillé. »
Harry grimaça de plus belle. Imaginer Severus boire en lui faisant une sorte de fellation, imaginer son propre pénis suinter de grosses gouttes de sang aspirées par une bouche avide... Cela risquait de lui couper le peu de libido qu'il n'avait pas encore retrouvée. Sordide. Mais il imaginait bien aussi qu'au fil des siècles, des générations de calices et de vampires avaient dû se livrer à des tas d'expériences.
« Pour ceux qu'elle ne rebute pas, la morsure peut rester privilégiée malgré tout, gage de confiance et source de plaisir inépuisable à la fois pour le vampire, chez qui l'utilisation des canines et le geste de la morsure est important, mais surtout pour le calice, chez qui la pénétration des dents à travers la peau peut déclencher de véritables orgasmes spontanés. »
Il referma le livret d'un geste sec et attrapa sa tasse de thé.
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Au moins, il avait une explication à ce qui s'était passé. Il ne savait pas pourquoi cela s'était produit avec lui, ni pourquoi cette fois-là, mais il savait que c'était possible. Que ce n'était pas forcément malsain, ni un coup de son esprit tordu et masochiste. Il avait toujours honte, mais le souvenir était un peu moins sale.
Harry but une dernière gorgée de thé tiède puis rouvrit le livret au hasard.
« Le rituel d'union doit toujours être composé de trois phases : la morsure du vampire, le don de sang au calice et l'accouplement... »
Une vague de nostalgie chaude et sucrée le parcourut au souvenir de ce qu'avaient été leurs accouplements. Severus en avait eu plus souvent besoin que lui, mais Harry aimait tout autant que son amant cette plénitude qui les envahissait pendant plusieurs heures, plusieurs jours, cette torpeur sereine, le besoin assouvi de se tenir l'un près de l'autre, l'un dans l'autre...
« … Ces trois phases peuvent ou se succéder – dans n'importe quel ordre – ou être concomitantes. La réussite du rituel ne nécessite que le plein et entier consentement des deux partenaires, sans pression extérieure, ni altération de l'esprit d'aucune sorte. Le libre arbitre et l'acceptation de la relation qui va unir le vampire et son calice sont primordiaux pour un rituel abouti. »
Le vol d'un hibou vers le pigeonnier du Manoir interrompit sa lecture amère. Pas étonnant que le premier rituel ait échoué vu qu'il était inconscient ! Mais le deuxième avait fonctionné... Harry ne pouvait pourtant pas tout à fait parler de libre arbitre. Il avait accepté, certes, mais c'était un choix par défaut, pour essayer d'améliorer un peu leur situation et la douleur qu'il ressentait à chaque morsure. S'il avait eu complètement le choix une deuxième fois, s'ils n'avaient pas été déjà liés en partie... il ne savait pas ce qu'il aurait fait.
« L'idéal vers lequel tend chaque relation entre un vampire et son calice est principalement basé sur le respect. Respect de la décision première du calice qui a accepté d'unir sa vie et de prendre en charge le nourrissage de son vampire, respect de sa personnalité, de ses envies, de sa disponibilité... Même si en théorie, le calice ne peut refuser à son vampire ni un nourrissage, ni un rapport sexuel, le consentement à chaque don et à chaque rapport doit être systématiquement recherché... »
Blablabla... Respect, consentement et respect... C'est à Severus que Mihai aurait dû donner ce livret ! Pas à lui ! Harry ne demandait que ça, du respect, mais visiblement, c'était un mot que Severus ne connaissait plus !
Il jeta le livret sur la table et se leva pour faire quelques pas désœuvrés qui le menèrent près de la piscine. L'eau était claire, presque translucide, et une légère brume due à la différence de température flottait à la surface. Les scintillements de l'eau, la blancheur du carrelage alentour l'éblouissaient. Il aurait bien plongé dans ce bain mouvant, mais la fraîcheur de l'air l'en dissuada. À la place, il descendit les escaliers vers les jardins. Marcher lui ferait du bien.
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– Sais-tu si Lucius doit rentrer déjeuner ce midi ? demanda Harry.
Clay leva la tête des rosaces qu'il formait avec de fines tranches de pomme sur un fond de tarte et de crème pâtissière. La précision et la délicatesse des elfes de maison l'étonneraient toujours.
– Je ne pense pas, Monsieur. J'ai cru comprendre qu'il déjeunait à Bruxelles avec Monsieur Sørensen et d'autres membres de la Commission. Voulez-vous que nous servions le déjeuner sur la terrasse ?
Harry étouffa le sourire amusé qui courait sur ses lèvres. D'autres choses l'étonneraient toujours chez les elfes et en particulier, la perspicacité de celui-ci. Il allait partir, et puis finalement, sans bien savoir pourquoi, il se ravisa et s'assit sur le banc de l'autre côté de la grande table des cuisines.
– Il va vraiment tout quitter, Clay ? Je veux dire... le Ministère, la Commission, la politique. Il a vraiment démissionné ?
– Voulez-vous consulter les journaux d'hier et de vendredi, Monsieur ?
Le sourire de l'elfe restait narquois, mais sa voix était étonnamment douce, loin de ses ricanements habituels.
– Pourquoi il a fait ça ?
– Vous vous en doutez bien...
– Par culpabilité ?
– Sans doute y a-t-il de la culpabilité, mais je crois surtout qu'il a enfin ouvert les yeux sur bon nombre de choses, sur des leçons qu'il avait durement apprises après la guerre et qu'il avait oubliées au fil des années...
– De quoi parles-tu ? fit Harry en fronçant les sourcils.
– L'illusion de la quête du pouvoir... L'importance de profiter des gens que l'on aime tant qu'ils sont encore là... Comprendre que l'opinion de tout un chacun compte bien moins que celle de ses proches...
Clay se tut un instant pour plier la dernière lamelle de pomme et l'ajouter à son œuvre avant de passer à la rosace suivante. Harry grimaça en songeant qu'il ne pourrait jamais détruire un pareil travail de patience et de minutie pour satisfaire son appétit. Et pourtant il adorait la tarte aux pommes !
– Je crois qu'il a eu très très peur de vous perdre... tous les deux, ajouta Clay pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le fait qu'il parlait également de Severus. Et le temps que vous avez passé tous les deux enfermés dans le pavillon chinois lui a cruellement rappelé la période où Monsieur Severus était enfermé dans la salle de duel...
Le fameux sevrage de Severus que Lucius avait si mal vécu. Plus d'un mois de Stupefix, de migraines atroces et de potions de sommeil sans rêves. Un mois à malmener l'homme qu'il aimait, à le regarder souffrir sans pouvoir le soulager, à le voir osciller entre douleur abyssale et folie avec le mince espoir de parvenir à le sevrer de l'alcool et des potions anti-douleurs. Lucius lui en avait parlé, une fois, du bout des lèvres. Encore bouleversé par ce qu'il avait dû faire... Avait-il vécu leur enfermement de la même façon ? Avait-il conscience de tout ce qui s'y était passé ?!
Harry leva les yeux vers Clay qui ne le regardait pas, tout entier concentré sur son ouvrage minutieux.
– Est-ce qu'il le supportera ? De tout quitter ?
– Il ne quitte que le pouvoir et la vie politique, pas « tout ».
– Est-ce que ça lui suffira ? fit amèrement Harry.
Clay leva la tête pour lui offrir un sourire serein puis reprit ses rosaces avec une patience infinie. Et il lui en fallait sans doute tout autant pour supporter ses questions pleines de doutes et d'inquiétudes ! Mais Harry avait besoin d'être rassuré, de toute évidence.
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Et si Severus ne revenait pas ?! Lucius ne le supporterait jamais. Il avait déjà failli se laisser mourir le jour où il l'avait senti s'échapper, trop fasciné par un potionniste sorti de nulle part. Il avait passé toute une vie avec le même homme, envers et contre tout, à travers les années, deux guerres, deux postes de Ministre de la Magie, et toute une succession de jours et de nuits ensemble. Lucius ne pourrait pas vivre sans Severus. À lui seul, Harry ne lui suffirait jamais. Jamais il ne pourrait combler le manque astronomique de son alter ego... Malgré ses belles promesses, Lucius ne saurait pas être heureux sans Severus. Harry soupira en réalisant où le menaient ses pensées. Pour Lucius, il serait prêt à tolérer le retour de Severus sans rechigner.
Ou presque. Il pouvait l'envisager au Manoir, dans son bureau, dans la Bibliothèque, pendant les repas, même si Severus ne mangerait rien, dans le Petit Salon ou la Salle de Billard, partout... mais pas dans leur chambre. Ni pour partager une quelconque proximité, ni pour dormir tous les trois ensemble, et encore moins pour « faire l'amour ». Il ne voulait plus aucune intimité avec Severus. Et que Lucius soit témoin des morsures et de leurs rapports sexuels lui paraissait invraisemblable. Heureusement, il y avait assez de chambres au Manoir pour pouvoir faire certaines choses sans se croiser !
– Tout compte fait, je veux bien feuilleter les journaux pendant le déjeuner si tu les as gardés...
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« Breaking News: Démission du Ministre de la Magie Lucius Malfoy »
« Une démission inattendue et exceptionnelle : quand les vampires s'immiscent dans la vie politique anglaise »
« La démission courageuse d'un Ministre intègre »
« Révélations stupéfiantes au Ministère: Lucius Malfoy démissionne pour rejoindre son mari et son amant transformés en vampire »
« Suite à la morsure de son mari, le Ministre Lucius Malfoy se voit contraint à la démission et assume sa vie privée à la face du monde sorcier anglais »
« Édition spéciale », « Lisez notre édito en page 3 », « Portrait de Lucius Malfoy : son passé, ses ambitions, ses réalisations », « Enquête sur la vie pas si privée de Lucius Malfoy : nos photos exclusives en page centrale »...
Harry reposa le dernier journal sur la petite pile que Clay lui avait amenée en même temps que le déjeuner. Les gros titres étaient partout, aussi bien dans les journaux à scandale que dans les papiers plus sérieux, et tous mettaient en avant la démission surprise de Lucius. Il ne pouvait plus douter, mais il en gardait un sentiment mitigé.
Lucius semblait avoir pris tout le monde de court; sans doute n'avait-il même prévenu personne de sa décision. Les titres des articles étaient dominés par la surprise, surtout les éditions spéciales du jour même de sa démission, mais au fil des éditions, et malgré quelques inexactitudes, des articles plus construits et plus fouillés apparaissaient. Et ils étaient loin d'être aussi négatifs que Harry l'avait pensé.
À part la presse people qui s'était acharnée à dénicher de vieilles photos d'eux trois, ou même simplement de lui avec Lucius – à Paris, à l'opéra, au match de quidditch, et même au Japon ! –, le reste des articles étaient plutôt... approbateurs. Tous soulignaient la position intenable de Lucius à la tête du Ministère avec un mari contaminé par les vampires, l'impossibilité de rester juge et partie, et la décision courageuse de démissionner. La plupart dressaient aussi un bilan très positif des quelques mois qu'il venait d'y passer, en particulier dans la gestion des attentats, et même de son premier passage au Ministère. La presse étrangère était d'ailleurs bien plus élogieuse que la presse anglaise, sans doute parce qu'ils insistaient davantage sur ses réalisations à l'échelle de l'Europe : la mise en place de la Commission, les traités d'alliance et de coopération signés sous sa tutelle... Bref, Lucius s'en sortait avec les honneurs. Le seul reproche qu'on lui faisait était de laisser le Royaume-Uni sans gouvernance claire malgré la convocation du Magenmagot. Visiblement, le successeur qu'il avait suggéré ne remportait pas l'unanimité et certains regrettaient déjà l'aristocrate.
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Harry se concentra quelques instants sur son assiette; il avait avalé machinalement la moitié du plat sans même se rendre compte de ce qu'il mangeait. Les elfes ne se donnaient pas tant de mal pour qu'il avale ça sans plaisir et sans y faire attention. D'autant que ce curry était, comme toujours, fabuleux.
« Harry Potter à nouveau sur le devant de la scène : de Survivant à calice de Severus Rogue-Malfoy, retour sur une vie incroyable. Son passé, ses succès, ses zones d'ombre, notre article en page 8 et 9 »
Et puis il y avait tous ces articles qui parlaient d'eux. Ceux qui se glorifiaient d'avoir toujours soupçonné qu'il était l'amant de Lucius, ceux qui faisaient leur gorge chaude d'une supposée infidélité de Severus, ceux qui encensaient son sacrifice et son abnégation pour le « sauver »...
Certains avaient réussi à dénicher de vieilles photos de lui, avant qu'il ne disparaisse du monde sorcier pour plus de dix ans. On l'y voyait jeune, avec ou sans lunettes, avec un corps d'adolescent mal dégrossi, parfois en train de se déhancher dans des boîtes de nuit et de se frotter sur des corps à peine plus vieux que lui. Harry ignorait que ces photos existaient; il n'était même pas sûr que ce soit lui. Les photos étaient trop floues, trop lointaines, manquaient de lumière. Une tignasse noire, de trois quart dos, en train de danser dans une demie-obscurité pleine de néons bleus... ce pouvait être n'importe qui; même si le contexte et la silhouette s'y prêtaient. Pourtant, avec Draco, ils n'étaient quasiment sortis que dans le monde moldu... Mais ils n'étaient pas toujours sobres.
Les journalistes avaient même été chercher de vieux témoignages, des hommes qui disaient l'avoir vu se faire baiser dans les toilettes d'une boîte, rentrer au bras de garçons bien plus vieux que lui, qui disaient même l'avoir sauté le temps d'une nuit, square Grimmaurd ou dans le coffre d'une voiture... Tout cela aussi pouvait être vrai, mais il était peu probable que ce le soit. Quant à la voiture, il s'en serait quand même souvenu !
Lucius et Severus aussi connaissaient leur lot de misère dans la presse à scandale. Des photos d'eux autrefois pendant les rares sorties publiques qu'ils avaient faites ensemble, et puis beaucoup de photos de Lucius en compagnie d'autres hommes, pas vraiment suggestives, mais avec qui on lui prêtait des aventures. Même l'histoire des mignons qu'il avait fréquentés pendant son premier mandat remontait à la surface, avec une interview exclusive d'un personnel de l'Agence, qui certifiait sous couvert d'anonymat que Lucius était un client régulier, qu'il ne choisissait que des hommes et qu'il était plutôt apprécié parmi les escorts... Heureusement, le nom de Mark ne figurait nulle part.
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D'un geste agacé, Harry fit disparaître les tabloïds. Il ne pourrait jamais empêcher les ragots. Comme le reste, cela finirait par disparaître. Exemplaires et sans commentaires.
La plupart des journaux, pourtant, étaient plutôt de leur côté. On rappelait la qualité de la Librairie de Severus, sa renommée internationale, sa participation chaque année à des congrès importants, ses prestations remarquées en tant que traducteur ou en tant qu'expert d'ouvrages de magie ancienne. On soulignait à demi-mot la longévité de son couple avec Lucius, « un secret de polichinelle », qui avait traversé les années et les événements en toute discrétion, l'absence de reconnaissance officielle jusqu'à son mariage tardif un an plus tôt. On insistait sur leur unité à propos des photos les plus récentes, sur les lieux de recueillement après les attentats; sur leur complicité avec Harry sur celles où on les voyait tous les trois...
Et plus que tout, les événements récents étaient romancés à l'extrême. On disait l'acharnement des vampires sur la famille Malfoy après s'en être pris au petit-fils de Lucius, on racontait la fatalité qui tombait sur Severus, on louait le sacrifice de Harry pour être devenu son calice et le sauver ainsi de la mort ou d'une sauvagerie inéluctable. Ce qu'il avait fait était encensé, glorifié, on vantait à nouveau son courage « comme autrefois », qu'il n'avait pas hésité une seule seconde à se porter au secours de son amant, on saluait son sens de l'honneur, sa confiance, l'amour infini qui les liait tous les trois pour qu'il abandonne ainsi sa liberté et Lucius son poste, on félicitait sa droiture, on les appelait « Les Amants Éternels ».
S'ils savaient, tous ces journalistes miteux, que Severus l'avait laissé pour mort, qu'il l'avait saigné, violé, et qu'il s'était enfui parce qu'il avait trop honte pour le regarder en face !... Ils étaient beaux, les amants éternels !
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Harry repoussa son assiette et passa sur son visage une main lasse. Il n'aurait pas dû regarder ces journaux. Et il fallait qu'il se trouve une occupation vite fait s'il ne voulait pas devenir dingue à force de ressasser ses pensées morbides !
Heureusement, l'apparition de Clay pour débarrasser les restes du plat – une portion congrue que Harry avait laissée si jamais Lucius rentrait malgré tout déjeuner – et amener la fameuse tarte aux pommes lui changea les idées et le fit sourire.
– Tu sais que je ne vais pas pouvoir la manger tellement elle est belle, n'est-ce pas ?
– Ce serait du gâchis ! ricana Clay en prenant un large couteau plat pour officier lui-même. Est-elle seulement aussi bonne que belle ?
– Je vais pouvoir te donner mon avis maintenant que tu as commis le sacrilège de la couper !
Harry accueillit la large part de tarte avec un sourire ravi. Son regard devait pétiller de gourmandise comme celui d'un gosse, mais à Clay, il n'avait rien à cacher, et son envie faisait honneur au soin que l'elfe avait mis à la préparer.
Et elle était aussi divinement bonne que belle !...
– Clay, c'est une tuerie ! Qu'est-ce que tu as mis dedans ? De la vanille ? De la cannelle ?
– Les deux, gloussa l'elfe. Et d'autres petites choses bien cachées.
Harry ferma les yeux une seconde en savourant le dessert. De ça, il n'était pas sûr de laisser une part à Lucius !
– Du chocolat ! Je suis certain qu'il y a du chocolat ! Et des amandes !
Clay gloussa à nouveau et se contenta de lui servir une part supplémentaire.
– Ce qu'il y a de bien avec votre nouvel appétit, c'est que nous allons pouvoir nous amuser à cuisiner et à tenter des expériences... Votre gourmandise l'emportera toujours à la fin !
Harry gloussa à son tour. Servir de cobaye culinaire aux elfes du Manoir ne le dérangeait pas du tout, tant qu'il y avait beaucoup d'épices et pas trop de tourtes !
– Je vais vous donner beaucoup de travail, maintenant, s'excusa-t-il.
Il savait qu'il mangeait beaucoup depuis la première morsure, bien plus qu'il ne mangeait avant, et même bien plus qu'un homme normal, mais Severus avait sous-entendu que c'était normal pour un calice et il avait lu quelque chose de semblable dans le livret. Mais étant donné que Severus ne le mordait plus, il devait peut-être faire attention ou ralentir ? En tout état de cause, la question méritait d'être creusée.
– Clay... À part mon appétit, est-ce que tu sens des changements chez moi ? Est-ce que tu perçois des différences depuis...
Harry ne termina pas sa phrase mais l'elfe savait très bien de quoi il parlait. D'ailleurs, il ne prit pas longtemps pour réfléchir.
– Pas vraiment. Ou alors quelque chose de très subtil, comme... un bouillonnement, une sensation d'effervescence, d'ébullition, de remous... quelque chose qui foisonne.
– C'est drôle, fit Harry, surpris. C'est un peu la sensation que j'ai aussi. Comme un trop-plein d'énergie qui ne demande qu'à s'évacuer, une impression d'agitation, d'impatience... Comme si j'avais bu trop de café.
– C'est peut-être parce que vous êtes resté trop longtemps... dans le pavillon chinois. Vous avez besoin de vous dépenser davantage.
Harry esquissa un sourire triste, certain que Clay n'avait pas osé le mot « enfermé » qu'il avait pourtant sur le bout des lèvres.
– Ce n'est pas seulement ça, je pense. Ça a forcément un rapport avec ce que je suis devenu...
Il fronça les sourcils en voyant Clay baisser la tête pour fuir son regard. Si ce qu'il était chagrinait même les elfes !...
– Ce n'est pas bien grave, assura-t-il. Ça ne m'a pas tué !
Ça avait juste failli le faire, mais à présent tout ça était derrière lui.
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– Raconte-moi plutôt ce qui s'est passé en mon absence...
– Ici ? fit Clay, surpris de son changement de sujet. Après son hochement de tête, il se mit à réfléchir à voix haute : Eh bien, Monsieur Charlie est venu pendant quelques jours, à la demande de Maître Lucius, pour... garder un œil sur le pavillon chinois en son absence. Ils ont passé de longs moments à discuter tous les deux, surtout le soir dans la Salle de Billard. C'est lui d'ailleurs qui s'est aperçu que quelque chose n'allait pas, parce que vous ne mangiez rien de ce que l'on vous servait, les premiers jours...
Que ce soit Charlie qui ait eu la puce à l'oreille lui réchauffa le cœur au moins autant que de savoir qu'ils avaient passé du temps dans la Salle de Billard, même en son absence... surtout en son absence. Harry aimait bien l'idée que cette pièce soit appréciée par d'autres, et même sans lui.
– Comment a-t-il su que je ne mangeais pas ?
– Il était venu me demander s'il était possible de vous faire passer un message par le biais des plateaux-repas. Ils étaient inquiets de n'avoir aucune nouvelle... Et en discutant...
– C'est donc à toi que je dois mon salut ! gloussa Harry avant de se rendre compte de ce qu'il venait d'avouer. Il se mordit les lèvres avant de dire : Continue...
– Monsieur Charlie a été en parler au vampire Evanescu et celui-ci a exigé d'entrer dans le pavillon chinois... Il en est ressorti quelques jours plus tard en disant que les choses allaient s'arranger et que vous ne tarderiez plus à sortir. Il a eu raison, acheva Clay avec un sourire.
Mihai avait eu raison. Harry ne savait pas ce qu'il avait dit à Severus pendant ces quelques jours, il ne savait rien de ce qui s'était passé entre les deux vampires, mais cela avait tout changé. Severus avait arrêté de le mordre, il l'avait laissé se reposer, se nourrir, il l'avait considéré avec bien plus de respect, il avait même hésité à l'approcher et à le toucher, il lui avait montré qu'il pouvait résister à ses pulsions et ses besoins... Et Harry l'avait rejeté à chaque fois qu'il s'était aperçu de sa présence.
Il avait accepté de refaire le rituel d'union, mais il avait refusé de lui laisser une deuxième chance sur le plan personnel. C'était sans doute trop tôt. Lui aussi avait eu besoin de temps et de distance. Et maintenant ?
– Et Lucius, pendant tout ce temps ? Comment a-t-il réagi ?
– Il était très inquiet, bien sûr, grimaça Clay. Tant que Monsieur Severus ne répondait pas à ses messages et qu'il n'avait aucune nouvelle, il est resté très tendu. Aux abois... Après... il a eu quelques nouvelles mais ce n'était guère mieux. Il a passé tout le temps qu'il pouvait à travailler... Il n'a pas beaucoup mangé, lui non plus, et le stock de potions de sommeil sans rêve a quelque peu diminué...
Harry prit son verre et se renversa contre le dossier de sa chaise, avant de boire une longue gorgée de vin dont il regrettait que ce ne soit pas un alcool fort. La conversation avait même gâché le plaisir de la tarte, mais Clay n'y était pour rien. Il avait besoin de savoir certains détails, de faire le point sur toute la situation avant de pouvoir aller vraiment de l'avant. Une façon d'expurger les mauvaises nouvelles avant de se concentrer sur autre chose. Et une autre discussion avec Lucius s'avérait sans doute nécessaire.
– J'espère que Severus ne va pas rester absent trop longtemps, soupira-t-il.
– Il vous manque ?
– Non. Le Severus qui me manque est mort. Mais il manque à Lucius. Et je veux que Lucius soit heureux.
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– C'est ici que tu te caches ? sourit Lucius en s'accroupissant au bord de la piscine.
– Je ne me cache pas, je me prélasse, fit paresseusement Harry en plissant les yeux pour deviner la silhouette de son amant.
Il flottait tranquillement sur le dos, nu comme un ver, la peau rosée par le soleil et hérissée par la fraîcheur de l'eau dans laquelle il baignait depuis sans doute une heure ou deux. Il finit par se retourner et rejoindre le bord pour se hisser hors de la piscine.
– Arrête ! Tu es trempé ! gloussa Lucius comme il s'approchait pour se coller contre lui.
L'aristocrate fit un pas en arrière que Harry s'empressa de combler.
– Mais tu m'as manqué ! protesta-t-il en souriant.
– Mais je suis rentré tôt ! Et libre d'une bonne partie de mes obligations politiques... Plus que demain et je suis tout à toi !
– Et moi je suis sec ! gloussa Harry en déployant sa magie pour se sécher instantanément. Je peux profiter de toi, maintenant ?
Lucius minauda quelques secondes pour le faire mariner puis accepta de le laisser approcher, ce que Harry fit immédiatement en glissant ses bras autour de sa taille.
– Mais tu m'as vraiment manqué, souffla-t-il en attirant vers lui le corps longiligne de son amant.
En fermant les yeux pour mieux ressentir le parfum de l'aristocrate, Harry posa ses lèvres sur le sourire amusé qui lui faisait face et l'embrassa voluptueusement. Depuis son retour, il y avait eu quelques baisers chastes, des étreintes, un besoin de se tenir l'un contre l'autre, de ressentir sa présence, de s'assurer qu'il était bien là et qu'il n'allait pas disparaître... mais il n'y avait pas encore eu un baiser plein d'amour, de jeu, de désir, leurs langues n'avaient pas encore dansé ensemble et leurs lèvres n'avaient pas encore connu le mordillement des dents adverses. Et c'était bon.
Mais Lucius, aussi impudique et audacieux qu'il était parfois, malgré l'envie de le serrer contre lui et les mains possessives qu'il avait posées sur ses fesses, se recula légèrement et le regarda avec amusement.
– Harry !... On est dehors !
– Et qui veux-tu qu'il nous voit ? fit-il en éclatant de rire. Tu crains le jugement de Clay ?!
Lucius secoua la tête avec un sourire délicieux, mais Harry devait reconnaître que ce n'était sans doute pas le moment. Il en avait envie mais il n'était pas certain d'être tout à fait prêt à renouer avec le sexe, même avec Lucius. Ils avaient besoin de parler, encore; l'aristocrate était sans doute fatigué après sa journée à Bruxelles, et lui-même avait plus besoin de tendresse que de plaisir.
– J'ai fait servir le thé sur la terrasse, là-haut... Rejoins-moi quand tu seras décemment vêtu !
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La fin d'après-midi, le dîner, la soirée tranquille devant un film, lovés l'un contre l'autre dans le canapé... tout avait été parfait, serein, policé... Mais aucun n'avait eu le courage de lancer la conversation qu'ils devaient pourtant avoir et qu'ils sentaient imminente. Aucun n'avait souhaité briser la quiétude paisible d'un dimanche soir, ces moments d'une intimité douce, bien plus précieuse que du sexe. Et ni l'un ni l'autre n'avait pourtant envie d'attendre beaucoup plus longtemps et de remettre ça encore au lendemain...
Harry se résolut à briser le silence, alors qu'ils se préparaient tous les deux dans la salle de bains avant de passer au lit. Il était déjà nu, en train de se rincer la bouche après s'être brossé les dents, et Lucius, derrière lui, passait pensivement une brosse dans ses cheveux pour les démêler avec de se coucher. Son regard, que Harry apercevait dans le miroir, était vague, lointain, perdu dans des méandres mélancoliques. Il s'essuya la bouche, se redressa en prenant appui sur la vasque de pierre et demanda enfin :
– Il te manque ?
– Oui, répondit Lucius en croisant rapidement ses yeux avant de les fuir.
Tout, dans son attitude, dans son regard, dans ses lèvres minces étirées sur un sourire qui tenait de la grimace contrite, tout tenait de la résignation.
– Je ne vais pas le nier... Depuis des années, depuis qu'il a quitté Poudlard, on n'a pas été séparés plus de deux ou trois jours. Ça fait plus de trois semaines...
Lucius reposa sa brosse à cheveux, sans doute plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu, et baissa la tête pour déboutonner sa chemise.
– Je sais que tu lui en veux pour ce que tu es devenu, que c'est compliqué entre vous deux, mais pour moi...
Harry se retourna brusquement et interrompit les mains presque trop fébriles de son amant.
– Mais il est ton mari et tu l'aimes, c'est normal. Et je ne t'en veux pas pour ça.
Rapidement, Harry dénoua les boutons restants et fit passer la chemise par-dessus les épaules de l'aristocrate avant de glisser un baiser sur son torse, puis sur son cou. Lucius avait frémi, davantage sous ses mots que sous ses baisers, et il demanda d'une voix étranglée d'émotion :
– Tu m'en veux pour quoi, alors ?
– Je ne t'en veux pas. De rien. Tu n'y es pour rien.
Des nœuds au fond du ventre, Harry se retourna vers la vasque et ouvrit le robinet pour se passer de l'eau sur le visage. C'était frais et ça faisait du bien. Et c'était une bonne excuse pour garder les yeux fermés et ne pas croiser le regard gris et inquiet de son amant. Il prit malgré tout une serviette et s'essuya le visage avant de soupirer.
– Severus est ton mari et il reviendra pour toi. Et ça se passera très bien.
– Il reviendra aussi parce qu'il t'aime.
– Beaucoup de choses ont changé entre lui et moi, fit Harry avec un sourire amer. S'il revient pour moi, c'est parce que je peux le nourrir.
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Il sortit de la salle de bains et partit s'allonger dans un lit trop grand, entre des draps trop froids. Dans le silence du Manoir, il entendit Lucius se brosser les dents, puis quitter la salle de bains pour se déshabiller dans le dressing, et enfin venir le rejoindre, lentement et presque hésitant à reprendre cette conversation en suspens. Les choses devaient être dites, mais elles n'en étaient pas moins désagréables et douloureuses.
Peut-être même que Lucius se rendait enfin compte de ce qu'il avait fait ? Peut-être qu'il regrettait déjà d'avoir tout abandonné, d'avoir quitté son poste et sa position pour une situation qui partait à vau-l'eau, un mari disparu dont on ne savait quand – ni même si – il allait revenir, un amant devenu officiel mais revenu amer de ces quinze jours d'enfermement... Peut-être comprenait-il enfin que les deux hommes qu'il aimait, malgré – ou plutôt, à cause de – ce lien particulier qu'ils partageaient, s'étaient éloignés l'un de l'autre, qu'ils étaient devenus irréconciliables, animés de rancœur et de déception, qu'ils ne pourraient jamais plus s'aimer comme c'était le cas avant... Peut-être Lucius comprenait-il trop tard qu'il serait pris entre deux feux, qu'il serait l'arbitre d'un conflit insoluble, que ce qui se jouait entre eux s'était joué sans lui, et que leur vie ne serait plus jamais la même... qu'il avait tout quitté pour une illusion qui n'existait plus.
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Lucius s'allongea sur le côté, tourné vers lui, et il le regardait à la lueur d'une dernière chandelle, tandis que Harry ne regardait que le baldaquin du lit. Des drapés de couleur sombre, des reflets de tissu, des amas de noirceur dans les recoins pleins d'obscurité... à l'image de son humeur. Il devait évacuer cette conversation avec son amant et puis s'efforcer de retrouver sa joie de vivre habituelle, comme cette après-midi, près de la piscine. Il devait tirer un trait sur tout ça, feindre que tout allait bien s'il le fallait et passer à autre chose. Il avait besoin de redevenir lui-même, de voir du monde, de rire, de boire jusqu'à ce que le rire vienne spontanément, même pour des bêtises, il avait besoin de redevenir Harry, et pas seulement le calice de Severus Rogue.
– Qu'est-ce que tu sais de ce qui s'est passé là-bas ? dit-il au bout du silence.
Lucius se mordilla la lèvre, sans cesser de regarder son profil imperturbable, puis fit d'une voix hésitante :
– Je sais... que ça ne s'est pas passé comme cela aurait dû. Que ça a été plus compliqué que prévu. Que Severus t'a pris beaucoup de sang. Beaucoup trop... Qu'il n'a pas toujours été tendre avec toi. Qu'il a... Je sais surtout qu'il regrette son comportement. Qu'il se maudit de n'avoir pas su ouvrir les yeux, ou de l'avoir fait trop tard et qu'il...
Il s'interrompit quand Harry leva la main pour le faire taire, une douleur au creux du ventre devant ces mots vides de toute réalité. Elle n'était sans doute pas belle à voir, mais Lucius devait comprendre.
– Severus m'a saigné comme on saigne un porc. Il m'a utilisé comme un objet, il m'a mordu à tort et à travers, il m'a empêché de me reposer, de manger, il m'a pris tellement de sang que je suis resté inconscient pendant des heures et des heures. J'étais incapable de me lever pour aller pisser tout seul tellement j'étais faible ! Il s'est nourri de moi, il m'a mordu et il m'a baisé même quand je ne voulais pas, même quand je lui demandais d'arrêter, même quand j'étais inconscient ! Mais le pire c'est qu'il n'en avait rien à faire. Que je sois épuisé, affamé ou tordu de douleur, il s'en fichait. Rien d'autre ne comptait que mon sang et mon cul. À ses yeux, je n'étais plus rien. Il n'a pas juste manqué de tendresse, il a été inhumain. Tu me diras que c'est normal, ironisa-t-il, maintenant qu'il est un vampire et qu'il n'est plus humain !
Lucius n'ouvrit pas la bouche pour répondre, il n'y avait sans doute rien à dire face à cela... De toute façon, Harry songeait qu'il n'aurait pas supporté le moindre mot de réconfort maladroit. Lucius se contenta de glisser une main sur son ventre, à la recherche de la sienne, et d'entrelacer leurs doigts en le caressant doucement du pouce. C'était sans doute ridicule, mais ce simple geste, cette manière dérisoire de dire qu'il était là, que ça ne changeait rien à la tendresse qu'il lui portait, fit chavirer le cœur de Harry. Il ferma les yeux et respira profondément.
– Même si Severus a changé de comportement après la venue de Mihai, même s'il a essayé de se racheter, je ne pourrai jamais oublier ça. Je ne pourrai jamais lui pardonner. Je peux faire comme si de rien n'était, je peux le nourrir, je peux tolérer sa présence, mais ce sera tout...
Lucius pressa doucement sa main; son regard n'avait pas fui. Mais Harry regardait ailleurs, incapable de l'affronter.
– Je suis désolé, murmura-t-il.
Encore une fois, Lucius ne répondit pas. Il attira simplement sa main vers lui pour embrasser le creux de son poignet avant de reposer leurs doigts entrelacés sur son ventre.
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Le silence s'éternisa un moment, à la lueur aussi tremblante que leurs cœurs de l'unique chandelle qui éclairait péniblement la chambre. Le lit était devenu plus tiède, mais Harry se sentait glacé de l'intérieur. Usé et désabusé. Avec l'envie profonde de s'endormir pour des années et de ne se réveiller qu'une fois hors de ce marasme. Mais il n'était pas la Belle au Bois Dormant...
Le souvenir de ce surnom qu'il avait un jour utilisé à propos de Lucius, après un malaise, le fit sourire dans la pénombre. Harry était venu le coucher et le veiller là, dans cette chambre qui n'était pas encore la sienne, et leur conversation avait été aussi pleine de douleur et de souvenirs qu'aujourd'hui. Mais plus lubrique également... remplie de sous-entendus délicieux et pétillants. Toute cette époque où ils flirtaient ensemble sans être encore amants... Des souvenirs sucrés qui adoucirent un peu son amertume, même s'il regrettait ce temps béni de l'insouciance.
– Est-ce que tu communiques avec lui d'une manière ou d'une autre ? demanda-t-il.
– La distance est trop grande pour que le parchemin à double sens fonctionne, répondit Lucius à mi-voix. Mais je lui ai parlé brièvement vendredi soir, avant qu'il ne disparaisse avec Mihai, et j'ai reçu une courte lettre par portoloin diplomatique aujourd'hui...
Harry n'avait même pas envie de savoir ce que Severus avait bien pu lui dire, et il ne fit pas l'effort de poser la question.
– Si tu lui réponds, dis-lui de revenir. Je ferai en sorte que ça se passe bien.
Lucius hésita un instant avant de murmurer :
– C'est plus compliqué que ça... Severus n'arrivera pas à revenir avant d'avoir compris comment tout ça a pu se produire.
Harry haussa les épaules avec un ricanement ironique.
– Severus reviendra quand il aura trop faim. Dis-lui que je le nourrirai. Tant qu'il me laisse tranquille, je remplirai ma part du contrat.
Lucius serra les dents tant le mot lui écorchait le cœur. Résumer une union magique et un caliciat à un « contrat »... Harry était perdu dans un abyme de déception et de rancœur.
– Qu'est-ce que tu as dit aux autres ? À Draco, à Matthieu, à tout le monde ?... Il va falloir trouver une explication ou une façon de présenter les choses. Personne ne va comprendre que Severus et moi soyons si distants d'un seul coup. On ne pourra pas jouer la comédie ou fuir les questions indéfiniment.
– Je ne...
Harry tourna brusquement la tête vers lui : Lucius paraissait désarçonné. Pour une fois, il ne savait que répondre et une hésitation gênée traversa ses yeux gris avant qu'il ne se reprenne rapidement.
– Pour l'instant, on ne va rien dire. Simplement que Severus est parti en Roumanie pour essayer de comprendre sa nature de vampire, ce qui n'est pas si loin de la vérité, et quand il reviendra, on verra bien comment ça se passe avec lui. En l'état actuel des choses, il est inutile d'inquiéter tout le monde sans savoir comment il va réagir à son retour.
Après l'instant de surprise, la décision. Ferme. Tranchée. Le silence, et puis réévaluer la situation quand Severus serait de retour.
En attendant, même s'il aurait peut-être à jouer la comédie, Harry se sentait libre. Mentir n'était pas compliqué, édulcorer la vérité plus facile encore. Il était libre de ses gestes, de ses attitudes, presque de ses paroles... Plus qu'une liberté, une libération. Quand Severus serait revenu, feindre des attitudes ou une certaine douceur qu'il ne ressentait plus serait bien plus difficile. Mais pour quelques heures, quelques jours encore, il pouvait apprécier l'absence de contraintes, savourer une nuit tranquille sans réveil impromptu pour devoir le nourrir, profiter de bons repas pour se refaire une santé, et peut-être, peut-être qu'il pourrait enfin jouir du corps de Lucius définitivement libéré de toutes ses contraintes professionnelles.
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– C'est à quelle heure la réunion du Magenmagot, demain ?
– Neuf heures, pourquoi ? Tu comptes siéger ? sourit Lucius dans la pénombre.
Harry leva les yeux au ciel en souriant à son tour. Sur son ventre, la main de son amant pressa doucement la sienne.
– En tant que chef de famille des Black et des Potter, tu en aurais le droit, ajouta Lucius, amusé. Surtout pour procéder à la nomination de mon successeur.
– Je ne me suis jamais mêlé de politique, je ne vais pas commencer aujourd'hui. Je suppose qu'après, tu devras installer ton remplaçant...
– Oui, il y aura une passation de pouvoir officielle, en fin de matinée je pense. Et ensuite l'officieuse, le temps que je le mette au courant de tous les dossiers en cours... Si c'est Greengrass qui me remplace, ce sera rapide; si c'est quelqu'un d'autre, cela risque de traîner un peu en longueur. Mais ensuite, je serai tout à toi, acheva-t-il avec un sourire gourmand. Tu veux que nous allions dîner quelque part pour fêter ça ?
Harry se mordit la lèvre. Il avait toujours rêvé de cette liberté-là, mais ce n'était pas le moment. Et il avait d'autres choses à faire.
– Sans Severus ?! Je ne tiens pas à attirer l'attention sur son absence, fit-il durement, avant de se radoucir. Non, je comptais aller à Poudlard dans l'après-midi...
– Tu vas... chercher Aria ?
Conscient de sa tension soudaine, Lucius chercha son regard des yeux mais Harry éteignit la flamme du chandelier d'une volute de magie.
– Je verrai ce qu'en diront ses mères. Dormons, maintenant. Je suis fatigué et une longue journée t'attend aussi demain.
Si Lucius était surpris par son attitude, il n'en montra rien et se contenta de s'approcher légèrement pour le prendre dans ses bras. Harry aurait bien voulu résister, pour la forme, pour l'orgueil, mais il céda à son envie de tendresse et se tourna sur le côté pour se coller contre le torse de son amant.
Bien trop pesante et difficile, la conversation avait éteint toute velléité de sensualité ou de désir entre eux. C'était aussi bien. Harry n'aurait pas voulu gâcher ces retrouvailles-là alors qu'ils venaient de parler aussi sombrement de Severus et de leur situation. Le sexe pouvait bien attendre une journée de plus, maintenant qu'ils avaient évacué ces paroles dures mais nécessaires.
Mais la présence du corps de Lucius derrière lui était déjà beaucoup, son bras serré autour de sa taille, son nez qui vint se frotter sur son épaule, un baiser sur sa peau, la douceur des cheveux longs qui le frôlaient... un bonheur suffisant pour le faire partir dans des songes apaisés.
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Merci à tous de votre lecture et n'hésitez pas à laisser un petit commentaire ;)
La semaine prochaine, un peu plus de douceur: on retrouve Aria... et Mark ^^ Et une petite chose inattendue qui, je l'espère, vous fera sourire...
Au plaisir
La vieille aux chats
