Résumé: Harry est sorti du pavillon chinois depuis deux jours. Il a enfin réussi à exprimer certaines choses à Lucius qui, lui, doit quitter ses dernières fonctions politiques en ce début de semaine.

Bonne lecture à tous!

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Harry se réveilla le lendemain matin comme il s'était endormi : le torse de Lucius tout contre son dos et son bras abandonné autour de sa taille. Le sourire aux lèvres. Mais surtout il se réveilla avec le sentiment qu'une page était tournée. Les deux jours qu'il venait de passer seul au Manoir, et un peu avec Lucius, lui avaient permis de prendre du recul sur son enfermement, de mettre de la distance avec ses souvenirs, de profiter pleinement de l'absence de Severus et de digérer certaines choses. De les dire aussi, parce que les mettre en mots était aussi une façon de prendre de la distance, et à présent il voulait vraiment passer à autre chose.

Doucement, Harry se dégagea du bras pesant pour se tourner sur le côté et faire face à son amant. Lucius dormait encore profondément. Il venait de s'installer sur le ventre et ses longs cheveux, éparpillés sur ses épaules et son oreiller, brillaient dans la lumière qui filtrait à travers les lourds rideaux. En souriant, Harry se demanda comment il faisait pour les supporter. Cela devait le gêner dans son sommeil, se coincer lorsqu'il voulait bouger... Mais ils étaient si beaux...

Délicatement, il remonta une mèche égarée qui voilait le visage de son amant et la passa derrière son oreille, déclenchant un frisson involontaire. Il avait remarqué depuis longtemps combien Lucius était sensible lorsqu'on touchait ses cheveux, en particulier quand Severus s'en servait comme d'un instrument de pouvoir... toute leur longueur enroulée autour de son poignet, de sa main, pour impulser un mouvement lorsque son mari le suçait, ou au contraire éloigner sa bouche trop vorace. Ils n'avaient jamais eu que peu de prise sur l'ascendant de Lucius lorsqu'ils faisaient l'amour tous les trois, mais saisir ses cheveux avait toujours eu un résultat certain.

En souriant au souvenir de ces temps bénis, Harry se demanda comment cela se passerait après le retour de Severus. Est-ce que Lucius et son mari auraient encore des rapports tous les deux ? Il savait déjà qu'il ne voudrait plus participer; avoir affaire à Severus dans un lit était hors de question, mais Lucius... ? Il aimait toujours Severus comme au premier jour et son mari lui manquait infiniment... Cependant, Harry voyait mal Severus reprendre leurs pratiques habituelles. Se laisser pénétrer, maintenant qu'il était devenu un vampire ? Avec sa puissance et cette aura de domination qu'il dégageait en permanence ? Et s'il ne voulait plus de ce rôle pendant le sexe, le laisserait-il, lui, son propre calice, faire l'amour avec Lucius ? Pour l'instant, Severus n'était pas là pour s'y opposer, mais il avait assez dit qu'il le considérait comme sa propriété. S'il ne faisait pas d'efforts, s'il ne voulait pas le partager, Lucius allait se retrouver mis de côté et c'était absolument inconcevable. Il n'avait pas tout abandonné pour eux, pour en réalité tout perdre. Et encore une fois, tout tournait autour du comportement futur de Severus, de ce qu'il allait accepter ou non. Harry gloussa dans le silence. Ceci dit, il avait un excellent moyen de pression sur son vampire, et il n'allait pas se priver d'en jouer.

Il laissa dériver sa main sur la peau blanche et lumineuse de son amant, glissant le long de son dos jusqu'au creux de ses reins. Lucius frémit à nouveau, puis entrouvrit un œil en entendant son estomac gronder de famine. Un léger sourire vint ourler les lèvres fines de l'aristocrate tandis que Harry gloussait à nouveau. Il n'aurait pas été opposé à un peu de sensualité ce matin, mais il avait trop faim pour ça !

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Après le départ de Lucius pour la réunion du Magenmagot – dans une tenue d'une prestance somptueuse – Harry s'attela à répondre à tous les courriers qu'il avait reçus pour son anniversaire. Un petit mot de remerciement à chacun pour leurs pensées, pour leurs bons vœux, une façon de dire aussi, maintenant que tous savaient par la presse qu'il était le calice de Severus, qu'il était toujours vivant et qu'il allait bien.

Il le fit avec humour, comme un simple clin d'œil, sans mentionner quoi que ce soit des difficultés qui avaient pu avoir lieu, et en promettant à ceux qu'il n'avait pu inviter pour la fête rituelle, qu'il essaierait d'organiser quelque chose pour se réunir tous ensemble dès qu'il le pourrait.

Quand il en eut terminé avec sa propre correspondance, il s'installa dans le bureau de Lucius, sur la grande table de travail que Mark avait désertée, et il entreprit de mettre un peu d'ordre dans tous les courriers arrivés depuis l'absence du jeune homme. Cela faisait presque trois semaines que Mark ne travaillait plus qu'au Ministère et rien n'avait avancé depuis. Il n'y avait plus d'urgence à y répondre, puisque dès le lendemain, Lucius pourrait reprendre en main tous ses dossiers personnels, mais un tri préalable pour repérer les dossiers prioritaires n'était sans doute pas du luxe.

Cela lui prit bien le reste de la matinée, entrecoupée de pensées un peu moroses. Il évitait soigneusement de songer à sa visite à Poudlard l'après-midi même, mais il se demandait également ce que deviendrait Mark dans la nouvelle configuration de leur vie. En toute logique, Lucius n'aurait plus besoin de lui pour gérer sa fortune et ses entreprises, mais Harry n'avait vraiment pas envie de se passer de la présence de son ami. Pour tout un tas de raisons, Mark était presque devenu plus proche de lui que Draco ou Matthieu; il avait été son premier confident sur bien des sujets, ils avaient partagé nombre de choses essentielles... Draco et Matthieu n'en étaient pas moins importants, mais c'était différent. Et puis, du fait de leur proximité, l'un avec Lucius, l'autre avec Severus, Harry ne pouvait pas tout leur dire. Alors que, quelle que soit la situation, Mark serait de son côté.

L'horloge qui sonna treize heures sur le manteau de la cheminée le tira de ses pensées. Son estomac n'était pas encore descendu dans ses talons, mais le déjeuner devait être servi depuis un moment et il referma le dernier dossier pour se rendre dans la Salle à Manger.

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En se resservant une pleine assiette de riz et de curry de légumes, Harry feuilleta le sommaire du livret sur les calices. Lucius ne rentrerait certainement pas avant d'en avoir fini avec le Ministère une bonne fois pour toutes; du coup, il avait pris un peu de lecture pour passer le temps. Il lui semblait avoir aperçu la veille un chapitre sur la séparation entre le calice et son vampire et il voulait en savoir un peu plus.

Entre deux fourchettes jetées à l'aveugle dans sa bouche pour rassasier son estomac, il trouva rapidement ce qu'il cherchait : tout un thème dédié à l'éloignement, volontaire ou non, et à la façon d'y faire face. Le moyen pour le vampire de gérer sa faim n'était que peu détaillé, car ce n'était pas le sujet du livre, et de toute façon, cela ne l'intéressait pas. Severus se débrouillerait pour gérer sa faim et sa frustration aussi longtemps qu'il le pourrait, et pour l'instant, il semblait plutôt bien y réussir.

En effet, malgré la distance, Harry percevait de façon lointaine la soif chronique de son vampire. Une faim sourde et lancinante, comme un bruit de fond, une envie de mordre, une envie de sang et de sentir les pulsations d'une artère sur sa langue, mais le besoin n'était pas encore criant. Pourtant, Severus avait à peine bu la dernière fois qu'il l'avait mordu. Deux ou trois gorgées pour les besoins du deuxième rituel, pas assez pour combler le sang qu'il lui avait lui-même donné... Cela semblait encore suffire, mais pour combien de temps ?

« Lorsqu'il n'est pas possible de trouver une autre solution à l'éloignement entre le vampire et son calice, celui-ci se retrouve rapidement dans une situation délicate et complexe. Chaque cas est différent, en fonction des habitudes prises par les deux partenaires, que ce soit en terme de fréquence ou de quantité de sang ponctionné. Le calice d'un vampire qui boit modérément deux fois par semaine n'aura pas aussi vite besoin d'être mordu que celui dont le vampire trop gourmand boit tous les jours de grosses quantités de sang. Le risque d'engorgement, s'il est le même pour tous, survient donc en fonction de chacun.

Pour pallier à ce risque et à ses conséquences désastreuses, le calice doit en premier lieu penser à gérer son alimentation différemment. Pour des raisons évidentes, il lui faut réduire ses repas, en particulier ses apports hydriques et privilégier des aliments pauvres en eau et en fer. En conséquence, il doit éviter les fruits et les légumes, et se concentrer sur les céréales et les légumes secs... ».

Harry grimaça en contemplant les différents plats étalés sur la table. En dehors du pain et du poisson – et encore, le bouillon dont lequel il marinait était délicieux –, il avait tout faux ! Sauf qu'il ne se voyait pas réduire sa consommation de fruits et de légumes pour produire moins de sang. Il pouvait éventuellement faire l'impasse sur une ou deux tasses de thé par jour, mais réduire son alimentation aussi drastiquement?! Un peu plus bas, le livret conseillait même de revenir à des portions humaines normales; autant dire se mettre à la diète ! Et il avait beaucoup trop faim pour ça !

« Plus ou moins rapidement en fonction de chacun, le calice finira par atteindre son point d'engorgement : le moment où il a produit plus de sang que son corps ne peut en contenir pour fonctionner normalement. Le risque est de voir le système cardiovasculaire devenir défaillant par excès de pression, thrombose, ou rupture de vaisseaux. Les hémorragies peuvent survenir au niveau de tous les organes, le cerveau en premier lieu, mais aussi au niveau de l'artère ponctionnée le plus souvent dont la paroi est par définition plus fragile. Le seul moyen de faire diminuer ce risque de décès inopiné est de faire baisser la quantité de sang présente dans l'organisme par une saignée.

Les signes précoces de l'engorgement sont... »

Harry referma le livret en même temps qu'il repoussa son assiette. Manger moins ou mourir... quel programme sympathique ! Sans compter qu'il n'avait absolument aucune idée de la durée de l'absence de Severus. S'il revenait dans quelques jours, il devrait pouvoir le supporter mais s'il s'agissait de semaines... Alors qu'au début, Severus buvait tous les jours et même plusieurs fois par jour ! On était au-delà du vampire gourmand !

Son organisme avait été programmé pour fournir des quantités de sang impressionnantes, et il mangeait encore des repas qui auraient pu nourrir trois personnes ! S'il ne voulait finir par traire son sang comme le lait d'une vache, Harry allait devoir faire un minimum attention...

Toutes ces considérations, en tout cas, lui avaient coupé l'appétit et il monta ranger le livret et se préparer pour aller à Poudlard.

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ooOOoo

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Sous un soleil éblouissant, le lac de Poudlard brillait de mille feux, renvoyant des éclats de lumière irisée aussi loin que portait le regard. Une surface lisse, étincelante, immense... à peine entrecoupée par l'îlot lointain où poussaient quelques arbres. Attirante. L'eau devait être fraîche pourtant, et malgré la chaleur cuisante, aucun des quelques étudiants présents au bord de l'eau ne s'était risqué à y tremper les pieds. Ou peut-être était-ce à cause du calamar géant ?

Harry gloussa en arrachant un brin d'herbe qu'il mâchonna distraitement. Severus avait pourtant dit qu'il s'y baignait parfois, du temps où il était professeur ici... Ce ne devait tout de même pas être aussi fréquent qu'au Manoir. Il imaginait mal son ancien amant traverser le parc de Poudlard en plein hiver, se frayer un chemin dans la neige et les plaques de verglas pour aller nager ses trois kilomètres quotidiens ! Dire qu'en dernière année, quand il était éperdument amoureux de lui, il aurait pu le croiser de temps en temps en maillot de bains et se rincer l'œil, et qu'il avait manqué ça !

Levant le regard sur les collines herbeuses qui bordaient le lac, Harry aperçut, tout au fond, les nuages gris sombres qui s'amoncelaient gentiment, prélude à la pluie et la grisaille. Il jeta le brin d'herbe qu'il avait consciencieusement écrasé entre ses dents, se releva et prit la direction du château.

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Malgré tout, il n'était pas pressé et il traîna tranquillement dans les couloirs en remontant les escaliers. De toute façon, à cette heure-ci, Aria faisait encore sa sieste de l'après-midi et il ne tenait pas à rester trop longtemps. Les filles l'attendaient, du moins elles savaient qu'il passerait, mais il n'avait pas donné d'heure précise. Il n'avait presque rien dit en réalité, il avait juste envoyé un message demandant si elles étaient là cette après-midi et s'il pouvait passer voir sa fille, ce à quoi elles avaient répondu par l'affirmative dans les deux cas.

Il ne s'attendait à rien. Il ne voulait s'attendre à rien. Il savait qu'il aurait sans doute à répondre à quelques questions, mais pour le reste, il ne voulait surtout pas envisager quelle pourrait être leur réaction. C'était trop... angoissant.

Il finit, sans même savoir comment ses pas erratiques l'avaient conduit ici, par se retrouver devant la porte de leurs appartements, avec le ventre noué d'appréhension. Il avait l'impression de se revoir, quelques mois plus tôt, quand il était venu voir sa fille, peu après sa naissance, pour comprendre s'il voulait vraiment faire partie de sa vie ou non. Aujourd'hui, c'était une telle évidence... Restait à savoir si ses mères étaient toujours d'accord avec ça.

Perdu dans ses pensées, il avait frappé sans y penser et la porte s'ouvrait déjà sur le sourire généreux de Padma.

– Harry ! Quelle bonne surprise de te revoir ! Entre ! Comment tu vas ?

Il lui rendit son étreinte et bredouilla quelques mots dont il ne comprit lui-même pas le sens, puis s'avança dans l'appartement. Son regard erra rapidement vers la porte fermée de la chambre avant de revenir vers le salon, pour se rendre enfin compte de la présence de sa fille, sagement assise par terre avec un cube de toutes les couleurs dans les mains.

D'un seul coup, son ventre se dénoua et abandonna la crispation intolérable qui était la sienne depuis des heures. À la place, un festival de sensations dansaient des sarabandes effrénées et une violente bouffée de bonheur et d'amour parcourut son corps. Harry se mordit les lèvres pour se contenir, sans pouvoir empêcher l'immense sourire qui fendait son visage en deux.

Aria l'avait vu, elle aussi, et elle se mit aussitôt à babiller et à sourire en lui tendant les bras, agitant son jouet en tous sens et proférant tout un tas de sons tous plus rigolos les uns que les autres, comme si elle lui parlait réellement.

Oubliant la présence de Padma, et sans même s'apercevoir de celle de Luna assise à son bureau au fond de la pièce, Harry se retrouva un instant plus tard accroupi au bord du tapis, le regard rivé dans les grands yeux sombres de sa fille, et les larmes aux yeux.

– Coucou mon cœur... Comment ça va, ma chérie ? Oui, je suis revenu, tu as vu ? J'ai été un peu long mais je suis là, murmura-t-il en la prenant dans ses bras. Tu m'as manqué, tu sais. Tellement manqué...

Il la serra contre lui, éperdu, comme si c'était la première fois qu'il la voyait, et Aria se cramponnait de ses mains minuscules à sa chemise, les pieds bien à plat posés sur ses cuisses et poussant sur ses jambes comme si elle sautillait de joie. De sa bouche souriante s'échappait une flopée de syllabes, des ba, des pa, des ma, presque un discours enjoué qui lui faisait chaud au cœur.

– À elle aussi, tu as beaucoup manqué, sourit Padma en s'asseyant sur le canapé juste derrière lui. Regarde comme elle est contente de te voir...

– Et moi aussi, fit Harry en souriant éperdument. Tu es magnifique, ma chérie... Qu'est-ce qu'elle a changé ! Elle a grandi... Mais oui, il est très beau, ton jouet, mon cœur.

Entre une caresse dans ses cheveux si fins, deux baisers et trois mots doux, il n'en finissait plus de sourire, de s'extasier, de câliner sa fille en se demandant comment il avait pu passer tout le week-end depuis sa sortie du pavillon chinois sans se précipiter pour venir la voir. Aria était si importante pour lui, si essentielle... Ne pas la voir pendant presque trois semaines avait été une vraie torture, même s'il avait enfoui ses sentiments bien profondément pour se concentrer sur Severus... Il ne pouvait décemment pas regretter d'avoir essayé de sauver son amant, mais le sacrifice avait été grand.

Brusquement, son ventre se tordit à la pensée qu'il avait peut-être fait tout ça pour rien, qu'il risquait malgré tout de la perdre si...

– Tiens, fit Padma en posant un sac près de lui. Je t'ai préparé quelques affaires au cas où. Je ne sais pas combien de temps tu veux la garder...

Harry tourna brutalement la tête, le cœur scindé entre une angoisse effroyable et un espoir insensé.

– Vous êtes toujours d'accord ?! bredouilla-t-il. Pour... me la confier ?!

– Mais enfin, Harry ! Tu es son père !

– Mais... maintenant que je... C'est que... Severus est un vampire et... Vous n'avez pas peur de...

Il en bégayait presque, submergé par l'émotion, la peur soigneusement refoulée qui refaisait violemment surface, l'ébauche de soulagement auquel il ne voulait pas encore croire...

Padma leva brièvement le regard vers Luna qui s'avançait vers eux puis affirma :

– Tu es le calice de Severus, tu lui suffis... Aria ne court strictement aucun danger avec vous deux. Au contraire, c'est peut-être l'endroit où elle sera le plus en sécurité... Nous avons totalement confiance en vous et ça ne nous pose aucun problème que tu continues à t'en occuper. C'est ta fille, Harry, ajouta-t-elle avec un large sourire. Tu feras toujours tout ce que tu peux pour elle...

Incapable de répondre, il tourna la tête et posa sa joue sur les cheveux de soie de sa fille, cachant son visage qui débordait de sentiments violents et contradictoires. Le soulagement le plus complet mais aussi la culpabilité de ce qu'il lui faisait vivre; la délivrance et l'inquiétude qui subsistait malgré tout.

– Je vous promets qu'elle n'aura jamais à souffrir de ce que je suis, murmura-t-il en essuyant furtivement ses yeux trop rouges.

– On n'en doute pas une seconde, fit la voix posée de Luna qui s'était assise dans un fauteuil près d'eux.

– Du coup, tu veux la garder jusqu'à quand ? fit Padma, plus enjouée. Il faut juste qu'on la récupère au plus tard samedi matin, elle a rendez-vous chez le médicomage pour enfants... Une simple visite de routine ! ajouta-t-elle devant son regard alarmé.

– Vous voulez me la laisser toute la semaine ? bredouilla-t-il, ébahi.

– Tu ne l'as pas vue depuis trois semaines, tu peux bien la garder un peu plus longtemps que d'habitude ! Si tu n'es pas trop fatigué, bien sûr.

– Non, ça va. Je... Ça va très bien. Vous êtes sûres ?

Il n'allait pas épiloguer sur le fait que Severus ne se nourrissait pas en ce moment et qu'il était parfaitement reposé, ni sur le sourire presque moqueur de Padma qui tendit les bras vers Aria.

– Donne. Je vais lui changer sa couche avant que vous ne partiez. Je crois qu'elle en a bien besoin !

Harry réussit enfin à sourire. Immensément soulagé. Et il trouvait toujours totalement adorable le besoin pudique de Padma de dire au revoir à sa fille dans l'intimité de sa chambre et sans spectateurs.

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– Assieds-toi donc au lieu de rester par terre, fit Luna en souriant. Tu veux boire quelque chose ?

– Non. Je... Merci, ça ira, bafouilla-t-il en se souvenant du livret.

Harry finit par s'asseoir du bout des fesses sur le canapé, encore sous le coup de l'émotion, de la surprise, de ce sentiment de libération monumental... Il n'avait pas eu conscience d'être à ce point tendu et angoissé de leur réaction, mais à présent qu'elles avaient accepté qu'il continue à s'occuper d'Aria, il se sentait délivré d'un poids immense qui avait pesé sur ses épaules et sur son moral. Quoi qu'il soit, que Severus soit là ou pas, il pourrait voir sa fille, lui faire des câlins, la regarder grandir ou dormir sagement dans son petit lit, l'embrasser et respirer son parfum de bébé. Cet enfant-là, il n'allait pas le perdre.

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– Ne t'inquiète pas, sourit Luna. Même quand Severus sera de retour, je suis certaine que tout se passera bien.

Harry leva brusquement les yeux vers elle.

– Comment sais-tu...

– Parce je sais, affirma-t-elle avec un sourire énigmatique.

– Tes espèces de visions ?

– Votre situation était un des chemins du possible... Pas le plus simple et le plus confortable, je te l'accorde. Mais au-delà de ce moment un peu délicat, les chemins convergent tous vers quelque chose de plus paisible... dans quelques temps.

Harry se passa une main sur le visage et soupira de lassitude. Il ne savait quoi penser de tout cela et l'incertitude ne lui avait jamais réussi.

– Sais-tu quand Severus reviendra ?

– Pas avec certitude... Mais il sera là dans l'été.

Pour être vague, c'était vague. Mais on était déjà le cinq août... cela ne laissait à Harry que quelques jours, ou au mieux semaines, de tranquillité. Le bon côté, c'était qu'il allait pouvoir en profiter avec Aria, et bien sûr avec Lucius. Le reste, il verrait plus tard et il serait toujours temps de s'inquiéter quand Severus serait de retour.

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Rayonnante, Padma revint dans le salon, Aria tout aussi souriante dans ses bras. Elle la confia à Luna quelques instants pour un câlin d'au revoir, puis Harry reprit sa fille contre lui, attrapa le sac contenant ses affaires et se dirigea vers la porte.

– Tu veux me manger, mon cœur ? gloussa-t-il en sentant la bouche de sa fille grande ouverte contre sa joue.

– Mais non, elle te fait un bisou ! s'exclama Padma en riant. Ça fait deux-trois jours qu'elle fait ça !

Tous les trois émerveillés par ce témoignage de tendresse, ce fut le moment de quelques mots supplémentaires, de parler rapidement des progrès d'Aria, de savoir comment ils allaient, chacun d'entre eux, puisqu'ils n'avaient même pas eu l'idée de ces simples questions...

Harry allait partir, du moins il allait transplaner avec sa fille, quand Luna posa doucement sa main sur son bras.

– Ne te sens pas coupable pour Severus, dit-elle rapidement à mi-voix. Dans aucun possible, tu ne pouvais empêcher sa transformation...

Harry fronça les sourcils, surpris, puis lui adressa un sourire hésitant avant de transplaner.

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oooooo

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– Bonjour Nox, sourit Harry à l'elfe de maison déjà courbée en deux qui venait de lui ouvrir la porte.

– Bonjour Monsieur Harry. Mademoiselle Aria...

Se redressant à demi, l'elfe chatouilla d'un doigt délicat la cheville qui dépassait du pantalon de sa fille, ce qui les fit glousser aussi bien l'une que l'autre.

– Lucius est rentré ? demanda-t-il en retirant ses bottes d'un coup de talon.

– Oui, Monsieur, répondit la créature en lui présentant ses chaussures d'intérieur. Il est dans le Petit Salon. Dois-je aller ranger les affaires de Mademoiselle Aria ?

– Je m'en occuperai, ne t'inquiète pas, fit Harry avec un sourire. Tu peux aller vaquer à tes occupations...

L'elfe s'inclina puis disparut dans un craquement léger tandis qu'il traversait le Hall d'Entrée avec sa fille sur la hanche et le sac qui glissait de son épaule. Peut-être qu'il aurait dû laisser faire l'elfe, mais pour tout ce qui concernait sa fille, il aimait mieux faire les choses lui-même.

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Lucius était bien dans le Petit Salon, Harry sentit sa présence avant même d'apercevoir l'éclat de ses cheveux blonds et il se mit à sourire presque béatement. Enfin, son amant était de retour au Manoir ! Plus de Ministère, plus de réunion jusque tard le soir, plus de dossiers à consulter de toute urgence au lieu de regarder un film, plus de départ impromptu le dimanche ou au beau milieu de la nuit... Une vie tranquille dont Harry avait hâte de profiter.

Comme toujours, Lucius était assis dans son fauteuil, le dos tourné à la porte. Sur ses cuisses croisées reposait un volumineux livre d'art qu'il feuilletait tranquillement, tout en marquant certaines peintures d'un sortilège de repérage.

Harry laissa glisser le sac de son épaule et le posa près de la porte avant de s'approcher de son amant, fébrile comme à un premier rendez-vous.

Chéri...

Lucius leva la tête en souriant puis ses yeux gris se mirent à briller en apercevant Aria juchée sur sa hanche.

– Hey... Comment va mon joli cœur ?

Harry sentit son cœur se serrer devant les mots tendres de l'aristocrate. Il savait très bien qu'ils ne lui étaient pas adressés – Aria était son joli cœur, comme Minerva était sa chérie et Iris sa princesse – mais l'attachement de Lucius à sa fille était un bonheur en soi.

– Très bien, merci, gloussa Harry.

Lucius leva les yeux au ciel devant son air moqueur, mais il souriait largement, ravi de la revoir.

– Alors, comment va Mademoiselle Aria ? Elle a grandi, non ? Je la trouve changée...

– Je me suis fait la même réflexion en arrivant chez ses mères, avoua Harry en s'asseyant dans le fauteuil juste à côté de son amant. C'est fou, hein ? En trois semaines...

– Ça va vite quand ils sont petits, fit Lucius en prenant la petite main entre ses doigts, ce qui fit gazouiller Aria de plaisir. Mais elle est toujours aussi jolie. Elles n'ont pas fait de difficultés pour te la confier ?

Si ça avait été le cas, il avait déjà songé à faire intervenir toute une armada d'hommes de lois et d'avocatmages, et à porter la garde de la fille de Harry devant la justice pour qu'il puisse faire valoir ses droits... mais visiblement, cela ne serait pas nécessaire.

– Pas du tout ! assura Harry avec un sourire radieux. Au contraire, comme je n'ai pas profité d'elle depuis longtemps, elles me la laissent même jusqu'à la fin de la semaine !

Lucius sourit à son tour, soulagé et heureux de l'attitude de Luna et Padma. Il n'avait eu que peu de doutes, contrairement à Harry qui angoissait sans l'avouer depuis sa sortie du pavillon chinois, mais s'il l'avait fallu...

Sur les genoux de son père, Aria gazouillait et gigotait en s'agrippant à sa chemise, très motivée à l'idée de se mettre debout.

– Et toi alors ? Enfin débarrassé du Ministère ? Tout s'est bien passé ?

– Oui, répondit Lucius d'une voix tranquille. Ils n'ont pas nommé Greengrass, comme je l'espérais, mais mon remplaçant est un modéré qui a la tête sur les épaules. Harvey ne sera pas aussi progressiste que je l'aurais voulu, mais au moins il ne fera pas machine arrière sur les lois que j'ai pu faire passer... Et il sera efficace pour gérer la situation en cas de crise. C'est un choix qui me convient, en réalité... Antonius avait trop de bagages sulfureux derrière lui...

– Pas trop... de regrets ? hasarda Harry.

– Non, aucun. Si Antonius avait pris ma suite, j'aurais été tenté de garder un œil sur les dossiers sensibles, de mettre encore mon grain de sel... Mais là, je n'ai plus de lien avec le Ministère et je lui fais somme toute assez confiance. Bon, j'ai quand même dit à Harvey que je suis disponible s'il a besoin d'un avis éclairé, mais je sais qu'il n'en abusera pas, ajouta Lucius en souriant. Alors, je suis tout à toi ! À vous deux, en réalité...

Aria agita le doigt de l'aristocrate qu'elle tenait toujours dans sa main et approuva d'un ba très convaincu.

– Et on va en profiter, hein, ma puce ? gloussa Harry avec gourmandise.

– Commence donc par m'embrasser ! susurra Lucius en se penchant légèrement. Tu manques à tous tes devoirs !

Harry glissa un baiser rapide sur les lèvres de son amant puis se releva tandis qu'Aria se penchait en tendant les bras.

– Allez. Va voir PapiLuce pendant que je monte tes affaires...

– Ne m'appelle pas comme ça devant elle ! grimaça Lucius. Je ne suis certainement pas son grand-père si je couche avec son père ! Tu vas perturber cette pauvre enfant !

Devant l'air déconfit de son amant qui installait Aria sur ses genoux, Harry éclata de rire.

– Et comment veux-tu que je lui parle de toi ?! Dois-je t'appeler Lord Malfoy ? Ou bien Monsieur le Ministre ?

– Ou bien tu m'appelles par mon prénom, par exemple, fit Lucius, les lèvres pincées.

– C'est ça, mon chéri ! fit Harry en riant. Allez, je monte cinq minutes. Sois sage avec Blondie, ma puce !

Sous les imprécations outrées de son amant, Harry s'esquiva du Petit Salon en attrapant le sac de sa fille et grimpa l'escalier en colimaçon sans pouvoir s'empêcher de glousser comme un adolescent.

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Dans la chambre d'Aria, rien n'avait changé, mais il avait eu besoin de venir s'en assurer lui-même. Le lit était fait avec des draps propres, tout était rangé, les voilages filtraient le soleil extérieur et la température était douce... La chambre était prête pour la recevoir.

Depuis sa sortie du pavillon chinois, Harry n'avait pas pensé à venir vérifier. Ou il n'avait pas voulu le faire... Penser à sa fille avait été au-delà de ses forces. Penser surtout que ses mères ne seraient peut-être plus d'accord pour la lui confier, maintenant qu'il était le calice d'un vampire... Pendant tout le week-end, il avait soigneusement évité de regarder ne serait-ce que la porte de sa chambre.

À présent, ces inquiétudes étaient derrière lui et en regardant cette pièce aux couleurs si gaies et si souriantes, la sérénité retrouvait sa place dans son cœur et dans son ventre. Il restait le problème de Severus, mais s'il gardait la même attitude respectueuse qu'avant de disparaître, si Harry avait sa fille et Lucius de son côté, il se sentait prêt à accepter cette nouvelle vie plus facilement.

Il posa le sac sur la commode à langer et entreprit de ranger ses affaires.

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En redescendant l'escalier en colimaçon, Harry entendit sa fille rire aux éclats et il entra dans le Petit Salon le sourire aux lèvres. Aria était toujours sur les genoux de Lucius qui prenait, comme souvent, un malin plaisir à la chatouiller avec une mèche de ses longs cheveux. Et à voir la couleur des joues rondes et ses yeux brillants d'excitation, le manège durait depuis un petit moment !

– Rien que pour ça, je t'interdis de les couper ! murmura Harry à l'oreille de son amant.

Sa main glissée dans la chevelure blonde caressa quelques instants la nuque de l'aristocrate qui frissonna discrètement, puis Harry s'installa de nouveau dans le fauteuil à ses côtés.

Le regard de Lucius n'était pas moins brillant que celui d'Aria et ce n'était pas seulement en raison du geste que Harry venait de faire. La complicité entre son amant et sa fille sautait aux yeux malgré toute sa volonté, le masque d'impassibilité de l'aristocrate n'aurait pas réussi à cacher son sourire et ses yeux gris semblaient plus foncés et plus chauds que d'habitude.

Comme Padma avait besoin d'un peu de discrétion pour dire au revoir à sa fille, Lucius avait besoin de la même intimité pour se lâcher avec Aria... Harry trouvait cette pudeur adorable et il regarda son amant avec un sourire tendre.

Severus s'était toujours beaucoup plus occupé d'Aria. Avec le même naturel avec lequel il s'était occupé d'Iris, avec la même douceur et le même calme, sans se soucier du regard des autres. Il ne semblait pas démonstratif au premier abord, mais leur complicité passait par d'autres chemins, discrets et mesurés. La prendre dans ses bras, la consoler, la câliner, en revanche, ne lui avaient jamais posé problème... Même en public.

Lucius était plus réservé. Il ne s'occupait jamais spontanément d'Aria – seulement si Harry le lui demandait –, il ne s'approchait pas d'elle, ne lui parlait pas vraiment, il se tenait à distance et l'observait dans les bras des autres en souriant. Il l'aimait beaucoup mais il fallait vraiment qu'il soit seul avec elle pour retrouver les gestes qu'il avait pu avoir pendant l'enfance de Draco. Et son attitude alors faisait systématiquement fondre le cœur de Harry.

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– Elle a été sage ?

– Plus que toi quand tu es dans mes bras ! s'amusa Lucius avec un regard piquant.

Harry sourit devant la petite provocation de son amant. Il paraissait enjoué et détendu, et cela faisait du bien à voir. Le bonheur d'être ensemble tous les trois, et le fait d'en avoir fini avec le Ministère sans doute... Il ne manquait plus que le retour de Severus pour que le bonheur de Lucius soit complet.

Chassant cette idée de son esprit, Harry attrapa le paquet qu'il avait posé par terre contre son fauteuil, hors de la vue de son amant, et le lui tendit.

– C'était ton anniversaire samedi et... je ne savais pas quel jour on était, fit-il avec un sourire contrit. Je n'avais rien prévu... Alors voilà, j'espère me rattraper un peu !

– Ça n'avait pas d'importance, Harry, assura Lucius tandis qu'Aria s'empressait de ses petites mains sur le papier brillant. Il ne fallait pas te sentir obligé.

Harry leva les yeux au ciel et tendit les bras pour reprendre sa fille sur ses genoux avant qu'elle ne réduise en miettes l'emballage de son cadeau. Ça n'avait peut-être pas d'importance pour Lucius mais ça en avait pour lui. Il était hors de question que sa relation avec Severus et le fait qu'il soit devenu son calice ne se mette en travers de la vie de l'aristocrate.

– Ce n'est qu'une babiole de toute façon... un simple clin d'œil. Et c'est Aria qui l'a choisie, hein, ma puce ? On a été faire quelques emplettes avant de rentrer.

– C'est pour ça que tu as été si long ? sourit Lucius en commençant à déballer le paquet. Les elfes m'ont dit que tu étais parti en début d'après-midi... je commençais à me demander où tu étais passé.

– Tu t'inquiètes pour moi ? gloussa Harry. Et puis il n'est pas si tard... Même pas encore l'heure de son bain ! Allez, ouvre ! Ce n'est pas grand chose mais j'espère que ça te plaira.

Après un regard curieux, Lucius acheva de retirer les rubans puis écarta les pans de papier cadeau pour dévoiler une superbe veste d'équitation qu'il déplia devant ses yeux. Sa couleur bleue nuit chatoyait dans la lumière, rehaussée de broderies discrètes un ton plus foncé, et Harry se délectait déjà de voir Lucius porter une veste aussi cintrée.

– Maintenant que tu seras au Manoir tous les jours, tu auras davantage le temps de monter à cheval, expliqua-t-il avec un geste vague de la main. Je sais que tu en as déjà une noire, mais je la trouvais très belle.

Et puis il n'avait pas oublié cette petite phrase de son amant, regrettant que les chevaux n'aient même plus l'habitude de sa présence depuis qu'il était Ministre.

– Elle est magnifique, Harry, répondit Lucius avec un sourire sincère. Merci beaucoup... Et je l'étrenne dès demain si tu m'accompagnes avec Aria !

– Ça peut se faire, gloussa Harry. Mais à pied ! Ou éventuellement sur un balai, mais je ne monte pas tout seul sur un de tes foutus canassons !

– Langage ! murmura Lucius, ému malgré tout que Harry veuille bien se risquer sur un balai avec sa fille pour l'accompagner.

Les souvenirs de sa captivité semblaient aujourd'hui bien loin, même si les quelques jours qu'il avait passés enfermé avec Severus en avaient sans doute fait ressurgir certains. Mais Harry semblait plus serein ce soir, plus apaisé. Maintenant qu'ils avaient parlé de la réalité de cet enfermement, de ce qu'il avait vécu, maintenant qu'il avait retrouvé sa fille, Harry ressemblait davantage à celui qu'il était avant même sa captivité : léger, taquin, confiant... Heureux, en un mot.

Tout cela changerait peut-être quand Severus serait de retour, mais ce soir semblait l'occasion rêvée pour ce qu'il n'avait pas osé faire deux soirs plus tôt...

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Lucius replia la veste et la posa sur la table basse, ainsi que son emballage de papier, et hésita une seconde de plus. Harry le regardait avec attention, étonné de son trouble soudain, et ses yeux verts cherchaient au fond des siens la raison de ce silence plein d'incertitudes.

– Si tu le permets, commença l'aristocrate. J'avais un autre présent pour toi samedi soir, mais ce n'était peut-être pas le moment opportun...

Harry fronça les sourcils, surpris, et l'invita à poursuivre d'un mouvement de tête.

– Clay ? appela Lucius.

Immédiatement, l'elfe de maison apparut devant eux, pour la plus grande joie d'Aria qui se mit à gazouiller de plus belle, et tendit à son maître un tout petit objet bien dissimulé dans sa grande main. Harry leva les yeux au ciel devant le sourire malicieux de la créature. De toute évidence, celui-là était au courant de tout et savait très bien de quoi parlait Lucius sans qu'il n'ait même besoin de le lui demander.

– Je..., hésita Lucius, les yeux baissés sur l'objet dans sa main. Tu vas dire que ce n'est qu'un détail, mais il a pour moi beaucoup d'importance...

Sans un mot de plus, il tendit l'écrin minuscule que Harry s'empressa de prendre, le regard interrogateur et des frissons au fond du ventre. Sans comprendre bien pourquoi, il percevait dans le trouble de son amant la dimension certaine de l'instant, une solennité et une gravité étonnantes...

Lucius fuyait son regard et Harry finit par baisser les yeux sur la petite boîte noire qu'il ouvrit avec un brin d'appréhension. À l'intérieur, brillant de mille feux, une alliance. Semblable à la sienne, d'argent gravée d'un fin liseré d'or rose. Il la sortit de l'écrin et la passa sur le bout de son index pour l'observer, tout en laissant Aria attraper la boîte pour jouer avec. Il n'y avait qu'un seul détail qui différait avec l'alliance que Harry portait déjà à l'annulaire de sa main droite et il comprit brusquement l'importance qu'il pouvait avoir pour Lucius : la nouvelle alliance était gravée des armoiries des Malfoy, comme l'était celle que portait Severus.

Harry leva brusquement les yeux vers son amant, frissonnant d'une violente décharge d'adrénaline. Lucius eut un sourire incertain, dans l'attente d'un verdict qui ne venait pas.

– Si tu le souhaites... si tu le veux, nous pourrions à présent officialiser notre relation par une union magique... Je ne veux plus que tu sois simplement notre amant, j'aimerais que tu fasses vraiment partie des Malfoy. Je veux dire... tu pourras garder ton nom, bien sûr, et faire ce que tu veux, mais je ne veux plus que notre relation ait l'air cachée, ou que ça donne l'impression qu'elle a moins d'importance que mon mariage avec Severus. Toute la société sorcière est au courant maintenant que je l'ai rendue publique, mais j'aimerais un lien officiel, à la hauteur de ce que tu es, et tu n'es certainement pas qu'un amant caché dans une alcôve.

À la fois troublé et profondément touché, Harry affichait un sourire crispé, essentiellement parce qu'il essayait de garder une certaine contenance et de ne pas avoir l'air béat. Les explications de Lucius, aussi brouillonnes et surprenantes qu'elles soient pour un homme d'habitude si clair et concis, l'émouvaient au plus haut point. D'ailleurs, ses yeux le piquaient dangereusement ! Mais la joie était là, immense, au moins aussi grande que l'amour que Harry éprouvait pour lui et que sa tendresse à le voir si hésitant, empêtré dans un discours dont il semblait ne pas savoir sortir. Lucius lui rappelait Severus, le jour où celui-ci avait parlé pour la première fois d'une union : la même hésitation et les mêmes paroles confuses.

– C'est une demande en mariage ? gloussa-t-il en jouant avec l'alliance au bout de son doigt.

– On peut voir ça comme ça, fit l'aristocrate, contrit.

Lucius laissait rarement apparaître ses incertitudes, et encore moins ses failles. Il était fait d'un seul bloc, droit et fier, toujours impassible et maître de lui-même... Mais à cet instant précis, il dévoilait une fragilité que Harry ne lui avait pas vue depuis longtemps; peut-être même jamais. Un flottement dans son assurance, le reflet du doute dans son regard, l'appréhension d'un refus... Une attitude qui le bouleversa bien plus que toutes les déclarations d'amour que Lucius aurait pu lui faire.

Lucius attendait et Harry souriait, savourant la chaleur dans son ventre et dans son cœur, l'amour immense qui l'envahissait presque violemment, qui menaçait de lui échapper et qui lui fit fermer les yeux.

– Alors ? Qu'en dis-tu ?

Lucius n'aimait pas supplier mais le silence commençait à devenir éprouvant pour ses nerfs. Harry rouvrit ses yeux si verts et plongea son regard droit dans le sien.

– Mais... es-tu sûr que ce soit seulement possible ? L'union que j'ai prononcée avec Severus était exclusive... Et tu as déjà prononcé un serment magique avec lui.

– Ne t'occupe pas des détails, fit Lucius avec un geste agacé. J'ai fait des recherches sur le sortilège qui vous unissait... Le rituel d'union du caliciat a dissous votre union magique. Enfin... en réalité, la magie vampirique a supplanté la magie sorcière. Votre lien n'a pas été totalement détruit, ce qui explique que Severus possède encore la magie que tu lui as donnée, mais il est passé au second plan. Quant à mon serment avec Severus, il n'empêche pas de prononcer une deuxième union, même si le fait est rarissime... Il y a plusieurs siècles, les familles de Sangs-Purs étaient parfois polygames pour avoir plus de chances d'obtenir un héritier.

Harry haussa les sourcils de surprise. Il n'avait jamais entendu parler de polygamie dans le monde sorcier – du moins pas en Europe – mais il revint vite à ses interrogations.

– Tu dis que notre lien avec Severus n'a pas été détruit, remarqua-t-il sérieusement. Mais les marques ont pourtant disparu quand il est mort.

Lucius serra les dents quand Harry prononça ce dernier mot, mais avec patience, il reprit ses explications.

Presque disparues. Severus a toujours conservé une trace de la marque sous son alliance. Votre lien n'a jamais été totalement rompu, même après son décès. Et encore, ce n'est que son corps qui est mort avec la transformation, son esprit et sa personnalité n'ont jamais cessé d'exister. Mais le rituel du caliciat a modifié votre union, sans la rompre pour autant. Le sortilège que vous aviez prononcé a simplement été vidé de sa substance et de la plupart de ses effets. Au bout du compte, rien ne t'empêche aujourd'hui de prononcer un serment d'union en parallèle...

Harry resta silencieux un moment, songeur, pour s'apercevoir avec retard qu'Aria mâchouillait allègrement l'écrin de l'alliance. Gêné vis à vis de l'aristocrate, il lui retira de la bouche avant de faire venir d'un Accio un jouet pour l'occuper.

Lucius décroisa les jambes et les croisa dans l'autre sens, lissant avec application le pli de son pantalon. Le geste amusa Harry, mais il cachait surtout l'impatience et la contrariété de l'aristocrate. Celui-ci était indulgent, il voulait bien expliquer les subtilités de la magie et des sortilèges, mais il ne fallait pas trop le pousser non plus.

– Je suppose que tu attends une réponse, fit Harry avec un sourire mal dissimulé.

– Si ce n'est pas trop te demander.

Cette fois, Harry sourit franchement devant les lèvres pincées de son amant. Il n'aurait pas eu Aria sur ses genoux, il l'aurait embrassé depuis longtemps.

Il se contenta de se pencher légèrement et de glisser sa main libre sur la nuque de l'aristocrate pour l'attirer vers lui.

– Ma réponse est oui, murmura-t-il. Bien sûr que je veux t'épouser, prononcer un serment d'union avec toi et que nos magies soient liées. Bien sûr que je veux faire partie de ta vie et de ta famille. Je t'aime et ce que je suis n'y changera jamais rien. Je t'aime...

Harry caressa la nuque sous sa main, son regard plongé dans les yeux gris et tendus de Lucius, avant de poser un baiser sur ses lèvres.

– Je me fiche que notre union soit reconnue officiellement aux yeux du monde sorcier. Si j'accepte, c'est uniquement pour ce que ça représente pour toi et moi. Ceci dit, je ne suis pas contre un peu de liberté dans mes gestes en public, ajouta-t-il en gloussant. Mais par pitié, je ne veux pas d'un grand mariage comme celui que tu as eu avec Severus !

Surpris par le brusque mouvement d'Aria qui se penchait pour attraper la queue d'Orion venu se frotter contre ses jambes, Harry glapit, lâcha la nuque de son amant et la retint par réflexe avant de râler doucement sur ses imprudences.

Le sourire était revenu sur les lèvres de Lucius qui tendit la main pour caresser le chat esseulé de Severus. Harry avait accepté. Sans conditions, sans tergiverser, juste curieux de savoir comment c'était possible. Lucius n'en montrait rien, mais la réponse le transportait de joie et le soulageait. Il avait tellement cru, en constatant l'amertume de Harry à sa sortie du pavillon chinois, que le jeune homme ne voudrait plus jamais entendre parler d'union de quelque sorte que ce soit. Qu'il ne voudrait plus s'engager, qu'il aurait du mal à lui faire confiance, qu'il ne voudrait même plus de lui. Les heures passant l'avaient détrompé, lentement mais sûrement... Mais il avait bien fait d'attendre deux jours de plus pour avoir cette réponse-là.

Et puis il était satisfait parce que, insidieusement, Severus était de plus en plus présent dans leurs conversations, et pas seulement pour le dénigrer et lui faire des reproches. Il restait absent mais il reprenait peu à peu une place légitime dans ce Manoir, autour d'eux, quelqu'un que l'on mentionne comme une évidence, comme une partie d'eux-mêmes et de leur vie, et dont l'évocation ne jetait plus systématiquement un voile sombre sur l'humeur de Harry. Lucius espérait vraiment que le temps allait lisser les aigreurs et faciliter son retour.

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Après quelques minutes à caresser le chat de Severus et à se remettre de leurs émotions, Harry monta donner le bain à sa fille, accompagné par son amant – à présent officiel, et bientôt futur mari...

Lucius s'était installé dans le fauteuil à bascule, écoutant d'une oreille amusée ce qui se passait dans la salle de bains attenante, la complicité entre Harry et sa fille, sa façon de lui parler, sa tendresse manifeste, leurs jeux et leurs rires... Il ne voulait pas s'imposer, ni que sa présence n'incite Harry à se modérer, par pudeur ou par gêne. Il écoutait à distance, le sourire aux lèvres, charmé de l'aisance de son amant à être père, pétri de tendresse, captivé, séduit... éperdument amoureux sans doute.

Et dans la salle de bains, avec le même sourire ébloui, Harry babillait avec Aria, s'amusant à l'éclabousser et à la faire rire aux éclats. De temps en temps, il jetait un œil à sa main droite, où sa nouvelle alliance brillait de mille feux, scintillante comme un trésor tout juste découvert. Les armoiries des Malfoy étaient discrètes – simple détail qui signifiait tellement – mais il les portait avec bonheur et fierté. Et les apercevoir, à chaque fois, ramenait sur ses lèvres ce sourire sans doute idiot mais que personne ne voyait.

Son ancienne alliance était maintenant au doigt de Lucius, là où se trouvait déjà celle de son mariage avec Severus. Enfin, l'aristocrate pouvait porter un symbole de leur relation, visible aux yeux de tous, marquant ce qu'il n'avait jamais pu assumer jusqu'à présent, et il en paraissait enchanté. Un brin de fierté, certainement, sa possessivité enfin accomplie, et puis, plus prosaïquement, Harry devinait aussi que cet échange d'alliances lui permettait de ne pas perdre la face aux yeux du monde. Après la déclaration publique et fracassante du caliciat entre Severus et Harry, cette alliance montrait bien que Lucius n'avait pas été trompé par son mari et que leur relation à trois était bien réelle. Jusqu'à ce que leur futur mariage ne le montre officiellement.

Lucius portait donc aujourd'hui deux alliances à son annulaire gauche, et Harry, pour mettre sa nouvelle bague aux armoiries de son désormais fiancé, avait remis l'alliance de Severus à sa place, à sa main gauche. Comme avant... Ce n'était pas qu'il acceptait... – il n'aurait pas su dire quoi, d'ailleurs –, mais pendant ces quelques jours, la sensation de vide au doigt où il portait habituellement l'alliance de son vampire, l'avait dérangé. Il était habitué à sa présence... Et puis sur cet annulaire moche, toujours légèrement tordu, la bague était jolie. Elle avait au moins le mérite de faire oublier la forme disgracieuse de ce doigt... On regardait la bague et pas la position saugrenue de son doigt au milieu de sa main.

Un instant, en tenant les mains de sa fille entre les siennes, Harry contempla ses deux annulaires avec chacun l'alliance qui correspondait à chacun de ses conjoints, et il eut le sentiment que les choses étaient vraiment à leur place. Il se souvint brusquement de ce matin-là, à Paris, où Mark avait placé sa main gauche entre les deux siennes, émerveillé de ces alliances, de ces petits bijoux si dérisoires mais si symboliques de leur bonheur actuel. Aujourd'hui, la situation était différente, son union avec Severus était devenu un caliciat, mais ce qui, avec Lucius, n'était qu'une promesse entre eux, allait devenir un engagement officiel. Et il en était heureux.

Ce n'était peut-être pas très juste pour Severus, qui avait patienté des années avant d'obtenir enfin cette reconnaissance publique, mais c'était ainsi. La seule chose que Harry redoutait était sa réaction à venir : le vampire était possessif, jaloux et intransigeant. Même si Severus était profondément attaché à Lucius, accepterait-il pour autant de partager son calice ? Qu'un autre que lui le touche, lui fasse l'amour ou partage ses nuits ? Accepterait-il que Lucius l'épouse, qu'il lui donne cette même place, au sein des Malfoy, que Severus possédait déjà et qu'il avait mis tant d'années à conquérir ? Entre sa possessivité et son amertume ancienne, Severus avait de quoi fulminer. Et c'est pourquoi Harry se promit de savourer encore un peu plus son absence.

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Après le bain, ils descendirent tous les trois pour aller dîner, Aria installée comme une grande dans une chaise haute entre eux. Ravie de sa nouvelle place qui lui permettait une vue d'ensemble sur la pièce et sur la table, elle mangea avec appétit, réclamant à goûter à tout ce que Harry mettait dans sa bouche. Le temps qu'elle soit satisfaite et lui rassasié, le repas dura bien plus longtemps qu'à l'ordinaire. Ce fut même Lucius qui finit par lui donner à manger pour permettre à Harry de finir tranquillement sa troisième assiette de poulet au citron.

Après le dîner, ils prirent un thé dans le Petit Salon pendant qu'Aria buvait son dernier biberon, puis Harry monta la coucher. Lorsqu'il redescendit, Lucius avait préparé un film dans la Salle de Cinéma et il l'attendait dans le canapé, confortablement installé et un cognac à la main. La légèreté de l'histoire, souvent drôle, parfois absurde, fit sourire même l'aristocrate et ils montèrent se coucher un peu plus tard avec une envie évidente de complicité plus poussée.

Déjà pendant le film, Lucius avait eu les mains baladeuses en le tenant dans ses bras. Rien d'ostensible, mais des suggestions... Une main glissée dans la poche arrière de son pantalon, ou bien appuyée sur sa nuque, un effleurement subtil là où la pointe de son téton déformait sa chemise. Harry se contentait de sourire sans rien dire.

Mais une fois dans la chambre, et pour la première fois depuis sa sortie du pavillon chinois, ils firent l'amour. Joyeusement, très librement, avec le plaisir de se redécouvrir enfin et de retrouver des sensations qui leur avaient manqués. Puis la passion et la luxure de la chair prirent le dessus, enivrantes, jusqu'à ce qu'ils atteignent, en sueur et passablement échevelés, l'orgasme qui allait les soulager.

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Harry se laissa glisser sur le ventre, heureux de sentir le poids de son amant avachi sur son dos. Ça avait été bon, il avait même joui, alors qu'il s'attendait à ne pas y parvenir avant plusieurs jours ou même semaines, comme après sa captivité... Il fallait dire que Lucius savait particulièrement bien y faire, et il savait ce qu'il aimait. Malgré tout, Harry restait sur une sensation bizarre, un vague sentiment d'inachèvement...

Tandis qu'il reprenait son souffle, le cœur battant à tout rompre, il se souvint de cette pensée qui avait traversé son esprit alors que le plaisir montait dans son corps vers son apogée. Il avait eu envie que Lucius le morde. Il avait senti l'orgasme venir lentement, puis exploser, mais il avait manqué quelque chose pour qu'il soit pleinement satisfait, quelque chose que Lucius ne pourrait jamais lui donner. Il avait manqué une morsure.

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ooOOoo

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Le lendemain matin les trouva encore enlacés, reposés et heureux. Malgré tout, Harry se réveilla fébrile, impatient, avec l'envie surprenante de descendre dans la rotonde pour nager jusqu'à épuiser son énergie ou de partir marcher plusieurs kilomètres. Plutôt que de quitter le douillet lit conjugal, il préféra profiter de la présence de Lucius et le réveilla pour reprendre leurs ébats de la veille.

Ils eurent à peine le temps de terminer qu'Aria se réveillait et appelait d'une voix outrée pour qu'on vienne la sortir de son lit. Harry se leva pour aller la chercher, la changea rapidement et revint s'allonger dans le lit que Lucius n'avait pas quitté pour savourer un moment de câlin tous les trois. Mais l'appétit matinal et du père, et de la fille, se fit vite entendre et Lucius décréta en riant qu'il était temps de se lever.

Il fila sous la douche pendant que Harry donnait un biberon à sa fille, adossé contre les oreillers du lit, puis laissa la place à son amant tout en surveillant le bébé. Et après un copieux petit-déjeuner, Lucius proposa, parce qu'il était déjà bien dix heures du matin, d'aller étrenner sa nouvelle veste d'équitation tout en faisant prendre l'air à la fillette, ce que Harry accepta avec ravissement.

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La matinée était déjà douce, bien plus agréable que la grosse chaleur prévue dans l'après-midi. Harry prit Aria avec lui, bien installée dans son dos avec le rebozzo et curieuse de tout ce qui se passait par-dessus son épaule. De temps en temps, elle riait, chatouillée par ses cheveux que le vent emportait sur son visage. Pourtant, il n'allait pas vite sur son balai, juste une allure tranquille pour suivre le trot du cheval de Lucius. Et de temps en temps, il se laissait distancer pour profiter de la vue sur le fessier moulé de blanc de son amant, qui montait et descendait en rythme avec sa monture.

La veste qu'il avait offerte à Lucius était magnifique, encore plus belle en pleine lumière que dans celle, tamisée, du Petit Salon. La pureté de sa couleur bleu roi répondait à la pureté du ciel et les cheveux blonds de l'aristocrate ressortaient comme une masse d'or chatoyant. Harry s'en mordait les lèvres avec délectation. Sans compter que la taille de Lucius paraissait d'une finesse incroyable... Bref, il était beau à couper le souffle, et il n'y aurait pas eu Aria avec eux, Harry se serait bien arrêté pour batifoler dans un fourré.

Au lieu de cela, ils se promenèrent un bon moment, jusqu'à ce qu'il juge avec prudence qu'il était temps de rebrousser chemin s'ils ne voulaient pas arriver en retard pour le déjeuner, ce que Lucius approuva en éclatant de rire.

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Ils s'installaient à peine à table quand un coup léger frappé à la porte de la Salle à Manger leur fit lever la tête. Harry se retourna brusquement alors qu'il installait Aria dans sa chaise haute tandis qu'une violente décharge d'adrénaline déferlait dans son corps et lui crispait le ventre. Mais lorsqu'il reconnut les boucles blondes de Mark et son sourire lumineux, ce fut un bonheur immense qui remplaça son appréhension.

En deux pas, Harry fut dans ses bras, le serrant contre lui avec une force sans doute démesurée mais qui lui faisait tellement de bien. Mark était revenu !... Il avait posé la question à Lucius la veille, du bout des lèvres, craignant une vérité qui ne lui plairait pas du tout. Que deviendrait Mark, maintenant que l'aristocrate n'était plus Ministre et qu'il allait reprendre la conduite de ses affaires ?... Lucius avait souri, puis il avait à peine consenti à dire que Mark continuerait à travailler pour lui, de temps en temps, pour le suppléer... mais le voir là, en chair et en os, était un tel soulagement !

Harry prit le visage du jeune homme entre ses mains, le regard plongé dans ses yeux bleus, et il posa ses lèvres sur le sourire immense de son ami, presque aussi heureux de le revoir qu'il l'avait été en retrouvant Lucius quatre jours plus tôt dans le pavillon chinois. Du coin de l'œil, il entrevit l'aristocrate hausser un sourcil, puis sourire devant leur chaste baiser, mais Lucius ne se permit pas un commentaire.

Harry respira profondément en se détachant enfin des lèvres de Mark, se permit un autre baiser rapide, puis un deuxième, avant d'avoir un peu épuisé son besoin de manifester ainsi sa tendresse, et le serra à nouveau dans ses bras.

Quand ils se relâchèrent enfin complètement, Mark avait les yeux brillants et le sourire ému et il passa nerveusement une main dans ses boucles blondes pour reprendre pied dans une certaine normalité. Il tourna un regard hésitant vers Lucius, qui ne semblait ni choqué, ni furieux, et le salua d'un sourire, puis il aperçut Aria qui tapait sur la tablette de sa chaise haute pour avoir enfin à manger. Aussitôt, l'émotion et la gêne disparurent et il redevint celui qu'il était habituellement : un jeune homme espiègle, libertin et pétillant.

– Mais c'est qu'elle proteste, la petite puce !... Ah, je suis content de vous revoir tous les trois ! Vous m'avez manqué, tu peux pas savoir ! Comment vont les plus adorables princesses que je connaisse ?

Lucius haussa un sourcil méfiant, Harry éclata de rire et Aria piailla jusqu'à ce que l'aristocrate ne lui enfourne une cuillère de purée dans la bouche.

– Vous m'invitez à déjeuner ? fit Mark avec la bouche en cœur.

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Évidemment, Mark resta à déjeuner, puisque Lucius l'avait invité la veille... Il resta pour le thé, et même pour l'après-midi, pour la plus grande joie de Harry.

– Allez, venez ! On va à la piscine tous les trois avec Aria ! proposa celui-ci avec enthousiasme. Il fait super beau dehors, elle va adorer !

– Harry, tempéra Lucius. Aria a d'abord besoin de faire une sieste, je pense. Elle n'a pas dormi ce matin, pendant la promenade, et si tu ne veux pas qu'elle soit d'une humeur de chien... Et j'avais prévu de travailler un peu avec Mark.

Harry se renfrogna brusquement sous les regards amusés des deux autres, jusqu'à ce que Lucius ne lève les yeux au ciel et finisse par concéder :

– On ira à la piscine après... quand elle sera réveillée.

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Au final, Harry monta coucher sa fille qui en avait bien besoin et ils allèrent s'installer tous ensemble sur la grande table de travail dans le bureau de Lucius. La quantité de dossiers à traiter était impressionnante, les quinze jours de Mark au Ministère avaient entraîné un retard considérable, mais à trois, le travail allait bien plus vite. Sans compter que ce n'était pas désagréable d'être ainsi, ensemble, concentrés, appliqués chacun sur un compte-rendu ou un courrier, et de croiser en levant les yeux, le regard gris de Lucius ou le sourire pétillant de Mark. Et puis de temps en temps, une phrase, une question de l'aristocrate sur un dossier qu'il n'avait pas suivi, une plaisanterie suivie d'un éclat de rire, cette espèce de tendresse palpable entre eux et qui faisait sourire Harry sans discontinuer.

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oooooo

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Bien qu'elle n'ait pas fait de sieste le matin, Aria se réveilla relativement tôt dans l'après-midi, tout en étant de fort bonne humeur, et elle fut encore plus enjouée lorsque Harry sortit avec elle sur la terrasse. Le grand air et la chaleur y étaient pour beaucoup – comme son père, Aria appréciait d'être dehors – sans compter le fait qu'elle avait trois hommes empressés autour d'elle et prêts à réagir à ses moindres babillages.

Ils se baignèrent tous ensemble, même Lucius qui n'était pas mécontent d'avoir ainsi son amant et son ancien mignon presque nus sous ses yeux. Il n'en disait rien mais son sourire plein de gourmandise était éloquent.

Harry était ravi, à deux doigts de penser qu'il n'avait jamais été aussi heureux... Une belle journée chaude à souhait, sa fille riant aux éclats toutes les cinq minutes, Lucius toute la journée avec lui, et dont le regard alléché promettait monts et merveilles pour le soir, et Mark, sa petite cerise sur le gâteau et qui lui avait tellement manqué. Ils n'arrivaient tellement plus à se lâcher tous les deux que ce fut Lucius qui sortit le premier de l'eau pour donner son goûter à une petite fille morte de faim.

Accoudés côte à côte sur le bord de la piscine, Harry et Mark contemplaient l'aristocrate qui donnait avec patience, cuillère après cuillère, une compote de fruits que Aria semblait adorer. Les cheveux ramassés sur une épaule, légèrement penché vers le bébé, Lucius lui parlait à mi-voix sans qu'ils n'en perçoivent un mot et Aria lui répondait de temps en temps d'un Ba ! enthousiaste.

– Sous ses grands airs, il est capable d'être gentil et attentionné, gloussa Mark. Il en est presque attendrissant !

Harry sourit en silence, tout à fait d'accord avec cette réflexion. Il soupçonnait aussi son amant de s'être éloigné à dessein, pour le laisser discuter avec Mark, en aparté, en toute intimité. Ils ne s'étaient pas vus depuis tellement de temps... depuis tellement d'événements, plus exactement.

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Devant Lucius, Mark ne s'était permis aucune question, aucune réflexion. Il avait bien jeté un œil critique sur la minceur de son corps ou sur son cou à la recherche de traces suspectes, mais il n'avait rien dit. Mais maintenant que Lucius s'était un peu éloigné, cela n'allait plus tarder.

Harry ne savait même pas ce que l'aristocrate lui avait expliqué de la situation et de l'absence de Severus. Mark n'avait pas semblé surpris... Mais Lucius avait sans doute été assez proche de la vérité, car la première question du jeune homme fut un soucieux « Tu vas bien ? ».

– Oui, ça va très bien, fit Harry avec un sourire rassurant. Ai-je l'air malheureux ?

– Plus maintenant ? hasarda Mark.

– Et c'est tout ce qui compte. J'ai Lucius, j'ai ma fille et je t'ai toi... Qu'est-ce que je pourrais vouloir de plus ?

Tout au fond de lui, une petite voix, celle du calice, murmura « mon vampire », mais Harry n'y accorda aucune attention.

– Je suis content que tu sois là, ajouta-t-il. Quand Luce m'a dit qu'il quittait ses fonctions au Ministère, j'ai tellement eu peur que tu ne reviennes plus au Manoir et qu'on n'ait plus l'occasion de se voir aussi souvent qu'avant... J'avoue que ça fait du bien de t'avoir là.

– On se serait débrouillés autrement, chéri, répondit Mark en souriant. Mais ça me fait plaisir aussi d'être là et de continuer à venir. Ce sera un peu moins qu'avant, deux ou trois jours par semaine... Enfin ! Ce sera ce que Lucius m'avait proposé au début, même si en réalité je venais bien plus que ça ! gloussa-t-il. Ou bien, je viendrai tous les jours mais parfois, ce sera juste pour te voir, toi !

Harry sourit et posa brièvement son visage contre l'épaule de son ami avant de se redresser.

– J'ai eu peur de ne plus pouvoir venir, moi aussi, avoua Mark. Quand il a tenu sa conférence de presse, j'ai pensé qu'il n'aurait plus besoin de moi et qu'il allait me virer comme un malpropre... Il ne m'avait tenu au courant de rien du tout. Ça l'a fait rire, quand je lui en ai parlé. Évidemment, il avait tout manigancé dans sa tête... Il veut que je continue à m'occuper de ses entreprises, de ses investissements, de tout ce qui rapporte de l'argent en réalité, et lui, il veut se consacrer davantage à ses actions philanthropiques et à ses collections d'art...

– Et tu as accepté ? voulut s'assurer Harry.

– Bien sûr. Je n'allais pas manquer une occasion de travailler un peu en gagnant bien ma vie ! Et surtout de pouvoir continuer à venir te voir !

Harry sourit à nouveau et posa sa joue sur ses bras croisés pour regarder son ami tout en agitant ses jambes pour se réchauffer. Malgré l'eau qui les mouillait, les cheveux de Mark avaient retrouvé leurs boucles habituelles, à peine plus foncées qu'à l'ordinaire, et sur son torse, la toison toute aussi blonde qui parsemait sa peau paraissait soyeuse.

Lucius en avait plaisanté, un peu plus tôt, tout en réfrénant visiblement l'envie d'y passer la main. Il avait souri en disant que Håkon n'était pas très exigeant. Ce à quoi Mark, un brin vexé, avait répondu que son mari l'aimait pour ce qu'il était et pas pour une apparence quelconque. Harry avait même eu l'impression que cette réponse avait encore plus charmé l'aristocrate que de découvrir le corps de son ancien mignon au naturel.

Lucius ne serait jamais tout à fait insensible à Mark, mais Harry s'en accommodait très bien. Il était dans le même cas, bien que sa tendresse soit plus amicale, et il savait pertinemment que son amant n'irait pas plus loin que des paroles, des allusions et quelques gestes mesurés. Ce qu'il faisait aussi à l'occasion... Il avait bien embrassé Mark à son arrivée, sans que Lucius n'y trouve rien à redire ! Et puis il avait toute confiance en l'un comme en l'autre, sans compter que l'aristocrate allait bientôt officialiser leur relation. Harry sourit rien qu'en imaginant la réaction extatique de Mark quand il allait lui annoncer la nouvelle.

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– Comment ça va avec Håkon ? fit-il. Raconte-moi ce qui s'est passé depuis qu'on s'est vus la dernière fois... Vous êtes partis en vacances ?

– Non, pas encore, répondit Mark en souriant. La semaine prochaine, si tout va bien... On part une semaine en Norvège dans sa famille, et puis une semaine tous les deux en Islande, au milieu des fjords et des glaciers... Et après, je reviens.

– Toi, tu avais vraiment envie de soleil et de chaleur pour tes vacances ! gloussa Harry.

– Je le savais en épousant le Prince des Glaces, hein !

– Il n'a pas l'air si glacial que ça, avec toi !

– Autant que Lucius quand il te dévore des yeux, gloussa Mark.

Ils se sourirent tous les deux, avant de tourner la tête vers l'aristocrate. Loin de les dévorer des yeux, celui-ci les levait au ciel en soupirant parce qu'Aria venait d'éternuer sur la cuillerée qu'il lui tendait. Devant sa mine déconfite et sa chemise ornée de taches roses de compote de fraises, Harry et Mark éclatèrent de rire.

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Mark les quitta en fin d'après-midi et après un petit moment calme pour Aria dans leurs bras, Harry et Lucius dînèrent tranquillement avant de passer la soirée devant un film, enlacés dans le canapé et ravis de leur journée.

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Le reste de la semaine se passa sensiblement de la même manière. Le matin, ils prenaient le temps d'un câlin au lit, tous les deux ou avec Aria, puis, après le petit déjeuner, ils partaient se promener dans les jardins. Parfois à pied, parfois à cheval pour Lucius et en balai pour Harry et Aria dans son dos, ils empruntaient les différents sentiers qui menaient aux confins du domaine, à la rivière ou bien au village voisin où ils achetaient quelques fruits au marché pour le goûter d'Aria.

L'après-midi, ou dès le déjeuner, Mark les rejoignait et ils travaillaient tous les trois dans le bureau de Lucius pendant la sieste de sa fille. Une fois réveillée, ils prenaient le thé ensemble sur la terrasse, dans la véranda quand le temps était plus frais, ou bien ils profitaient de la piscine quand la chaleur était suffisante. En fin d'après-midi, Mark rentrait à l'ambassade et Harry prenait le temps de jouer tranquillement avec sa fille avant l'heure du bain, puis du dîner. Le soir venu et Aria couchée, ils profitaient d'une soirée tranquille devant un film ou devant un bon feu de cheminée et un verre de cognac.

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Lucius était ravi. La vie lui paraissait merveilleuse. Pour la première fois depuis des mois, peut-être des années, il profitait réellement de ses journées. Il avait le temps. Le temps de travailler, sans se laisser déborder par le Ministère, par les dossiers urgents, par des réunions interminables, mais surtout le temps de savourer un thé avec son amant, le temps de le regarder jouer avec sa fille, le temps de paresser au lit juste pour le plaisir de prolonger une étreinte... Il n'était plus sans cesse à consulter l'heure sur la montre que Harry lui avait offerte, ni à se préoccuper de son agenda, il n'avait plus l'esprit fourmillant en permanence de notes à écrire, de décisions à mettre en œuvre sans tarder, d'informations importantes de dernière minute. Il n'était plus dans l'urgence. Le temps passait plus lentement et chaque heure, chaque minute avait une saveur délectable. Il se sentait libéré.

Passés les deux premiers jours tendus et compliqués, Harry était d'une compagnie délicieuse. Sa bonne humeur rayonnait jusque dans son regard, son sourire pétillait en permanence et son espièglerie rivalisait avec celle de Mark. La présence d'Aria était certainement pour beaucoup dans sa gaieté, et Lucius ne doutait pas que dès qu'elle rejoindrait ses mères pour le week-end, Harry allait davantage tourner en rond sans savoir quoi faire pour s'occuper, mais pour l'heure, son enthousiasme était appréciable. Il mangeait pour trois – ou quatre –, il était toujours partant pour une promenade ou un tour dehors, et même au lit, sa fougue était surprenante.

Lucius sentait malgré tout une légère frustration chez son amant. Harry ne semblait jamais totalement satisfait par le sexe, comme si l'orgasme ne suffisait pas à le combler, à le soulager, à l'emmener vers un moment de quiétude et de repos. Il restait éveillé longtemps après l'amour, les yeux grands ouverts sur l'obscurité, et l'aura qui lui échappait parfois trahissait une contrariété lasse. Malgré tout, Lucius n'était pas à plaindre : Harry était inventif, curieux, enjoué et surtout très en demande de sexe.

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Avec émotion, il se souvint d'un matin où il dormait sur le ventre, les jambes légèrement écartées et où il avait senti la main de Harry venir caresser ses fesses puis glisser lentement vers son entrejambe. De bonne grâce, Lucius s'était légèrement soulevé pour que son amant puisse venir chercher son sexe et le baisser entre ses cuisses tandis qu'il se posait à nouveau sur les draps. Harry s'était alors allongé sur son dos, la tête entre ses cuisses et avait entrepris de le sucer, de le lécher, de le caresser de toutes les façons qu'il le pouvait jusqu'à ce que Lucius jouisse en gémissant comme un perdu.

Sans savoir pourquoi, il avait adoré que Harry soit allongé sur lui, sentir son poids sur son dos, sa langue dans des endroits tous plus excitants les uns que les autres et finir par un orgasme puissant sans avoir fait presque un seul mouvement. Harry n'avait pas osé – ou voulu – pousser ses caresses entre ses fesses, vers cet orifice interdit, comme il l'avait fait une fois, mais l'incertitude avait tenaillé Lucius tout du long, et cela avait eu un charme piquant.

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La seule ombre au tableau de cette vie agréable restait l'absence de Severus. Sa présence était pourtant permanente, insidieuse, partout autour d'eux, dans les souvenirs qu'évoquaient une soirée dans le Petit Salon ou bien une étreinte devant un film, dans leur chambre, ses vêtements dans le dressing, son gel douche dans la salle de bains, les photos qu'il aimait dans la Salle de Billard, la porte désespéramment close de son bureau, un travail inachevé dans la Bibliothèque, un kimono de soie noire oublié dans la rotonde... Severus était présent partout et pourtant Lucius ressentait son absence cruellement.

La plupart du temps, il n'y pensait pas, accaparé par l'éclat émeraude des yeux de Harry ou par les éclats de rire d'Aria, et puis, brusquement, il se disait que Severus aurait adoré voir leur amant lire ainsi une histoire à sa fille, ou bien Aria éclabousser son père dans son bain. Et alors Lucius réalisait que son mari n'était pas là, qu'il manquait tous ces moments merveilleux qui avaient lieu sans lui, qui avaient lieu peut-être parce qu'il n'était pas là, et la douleur déchirait son cœur.

Severus faisait partie de lui, partie de sa vie depuis tellement d'années, que son absence avait quelque chose de contre-nature. Et plus le temps passait, plus le manque devenait insondable, odieux, insupportable.

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Lucius avait pourtant reçu une autre lettre de son mari, dont il n'avait pas dit un mot à Harry. Une lettre plus apaisée, plus calme que la précédente... Severus y racontait quelques détails de son séjour à Colibita, les appartements que Mihai avait mis à sa disposition, la bibliothèque monumentale du Palais Seigneurial, la vie tranquille des habitants et la limpidité étonnante de l'air des montagnes... De Harry ou de sa soif de sang, il ne disait pas un mot.

Lucius se doutait bien que la situation de son mari n'était pas aussi simple qu'une villégiature oisive dans les Carpates, mais le ton de sa deuxième lettre l'avait malgré tout rassuré. Severus semblait moins à cran, presque détaché et il se permettait même quelques pointes d'humour caustiques dans lesquelles Lucius le reconnaissait bien. Derrière les lignes apparaissait l'homme, celui qu'il côtoyait depuis quarante ans et qui lui manquait infiniment, celui qui faisait partie de sa vie et qui terminait son message, comme autrefois pendant la guerre, par les mots codés qui signifiaient entre eux « Love. Yours. »

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Harry, lui, ne parlait jamais de Severus, ou du moins, pas volontairement. Si le vampire lui manquait, pour une raison ou une autre, il ne le confiait à personne; ni à Mark, ni à Lucius. Mais parfois, au détour d'une conversation, de l'évocation d'un souvenir, il mentionnait son nom, ou cela lui échappait... « Pas la peine de faire tes gros yeux comme Severus » gloussait-il quand Aria le regardait, contrariée par un refus, ou bien « On croirait Severus » devant un sarcasme un peu corrosif. Puis, aussitôt qu'il avait réalisé ce qu'il venait de dire, il avait un temps d'arrêt, silencieux, à mi-chemin entre gêne et nostalgie, puis il reprenait la conversation au vol.

Malgré tout, au fil de la semaine, Lucius sentit Harry devenir nerveux. Il avait des gestes impatients, agités, il se levait brusquement alors qu'il était tranquillement assis et faisait quelques pas sans but dans le Salon avant de se rasseoir. Leurs promenades devenaient de plus en plus longues, malgré la faim qui le tenaillait parfois; un jour, ils refirent même une sortie dans l'après-midi avec Mark. Un soir, avant le dîner, Lucius trouva même Harry dans la rotonde en train de nager pour épuiser son corps comme le faisait Severus, Aria tranquillement en train de jouer dans un petit parc pour enfant à proximité.

Lucius comprenait cette nervosité. Plus le temps passait, plus Severus avait de chances de revenir au Manoir, et plus cela rapprochait Aria du retour chez ses mères... Et la tension de Harry se manifestait par cette impatience et cette difficulté à tenir en place. Même dans le lit, entre ses bras, son jeune amant avait du mal à rester tranquille, et Lucius s'endormait souvent bien avant lui. Le matin, en revanche, Harry dormait du sommeil du juste, la tête enfouie sous l'oreiller et la respiration lourde.

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Lorsque le vendredi soir arriva, Harry dut ramener Aria à Poudlard et revint plus silencieux qu'à son habitude. Lucius parvint seulement à savoir que tout s'était bien passé et qu'elle revenait dès le début de la semaine suivante, mais Harry ne voulut pas s'étendre sur le sujet. Après plusieurs jours entiers avec sa fille, son absence brutale, sans transition, le mettait face à un grand vide qu'il ne savait comment combler.

De toute évidence, Harry n'avait pas très envie de reprendre ses recherches en potion, soit que cela lui rappelait des souvenirs désagréables, soit qu'il considérait comme un échec personnel de n'avoir pas su trouver à temps la potion qui aurait permis d'interrompre la transformation de Severus et de le sauver. De fait, depuis sa sortie du pavillon chinois, il n'avait pas remis un pied dans le laboratoire.

Sans sa fille, sans les potions, sans patients à soigner comme quand il travaillait à Sainte-Mangouste, Harry tournait en rond comme un lion en cage et la promenade qu'ils firent le samedi dura si longtemps que Lucius en revint fourbu d'avoir passé des heures à cheval. Harry, lui, aurait bien continué encore un peu, bien qu'il ait passé toute l'après-midi à marcher à grands pas ou à trottiner comme s'il faisait son footing.

En sortant de sa douche, Lucius en eut assez. Harry avait besoin de se changer les idées, et même s'il avait plusieurs fois refusé de sortir du Manoir de crainte qu'on ne les aperçoive tous les deux sans Severus, cette fois, il n'aurait pas gain de cause. Lucius ordonna aux elfes de suspendre la préparation du dîner et de passer un appel de cheminette pour réserver une table dans un restaurant. Si Harry ne voulait pas sortir à Londres, ils iraient à l'étranger !

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– Harry ? fit Lucius en ouvrant la porte de la salle de bains. Habille-toi.

– Je n'avais pas l'intention de dîner et de passer la soirée à poil, gloussa le jeune homme qui traînait pourtant à demi-nu sur le lit.

Lucius leva les yeux en attrapant sa brosse à cheveux pour se coiffer.

– Je sous-entendais : habille-toi bien !

– Pourquoi ? Qu'est-ce que tu as derrière la tête ? demanda Harry intrigué en délaissant la fourrure soyeuse d'Orion.

– Ne pose pas de questions et laisse-toi faire.

– Hum... Quand tu dis ce genre de choses, je me demande toujours de quoi tu parles, gloussa Harry en se levant pour le rejoindre.

– Est-ce que tu as une seule fois regretté de te laisser faire quand je te le demande ? fit Lucius avec un sourire amusé.

– Pas vraiment, reconnut Harry en se collant contre le corps de son amant avec un air espiègle. Mais si tu me demandes de m'habiller, c'est que tu ne vas pas profiter de moi tout de suite...

– Le plaisir de l'attente, Trésor...

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Un ciel gris et quelques gouttes de pluie les attendaient à Bruxelles, mais le restaurant était à deux pas et l'atmosphère cosy et chaleureuse de l'endroit chassa aussitôt cette impression de grisaille. Un garçon de salle aux petits soins les installa à une jolie table dans un coin discret, et prit aussitôt leur commande de boissons avant de leur emmener la carte.

– Si je comprends bien, je ne regarde pas les prix, gloussa Harry en détaillant le menu.

– Non seulement tu ne regardes pas les prix, mais tu vas prendre le menu dégustation en huit plats, sinon tu vas encore avoir faim en sortant d'ici et la faim te rend grincheux !

– Comment ça la faim me rend grincheux ?! protesta Harry en faisant la moue.

Lucius étouffa un sourire en buvant une gorgée de vin.

– C'est une réalité, chéri. Tu es maintenant aussi intolérant à la faim que ta fille, et je n'ai pas envie de tu me réveilles toute la nuit parce que tu as un petit creux. Ceci dit, il doit y avoir un room-service à l'hôtel...

– Parce qu'on dort ici ? releva Harry avec un sourire radieux.

Lucius sourit à nouveau puis baissa les yeux pour choisir son plat. Harry avait oublié jusqu'à l'idée même de protester sur les prix du restaurant.

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Lorsqu'ils quittèrent le restaurant, une nuit claire était tombée et les étoiles avaient remplacé les nuages. La fraîcheur était marquée, cependant, et Lucius frissonna devant la différence de température, mais il avait bien besoin d'une petite promenade digestive. Merlin merci, il avait mangé bien moins que Harry, mais il était repu. Celui-ci avait enchaîné avec un plaisir non dissimulé un amuse-bouche, deux entrées, froide puis chaude, un plat de poisson puis un plat de viande, une assiette de fromage, un dessert suivi d'une mignardise, et il avait même repris un deuxième dessert parce que « le tien a l'air drôlement appétissant ! Il faut que je goûte ! ». Sous les yeux surpris du serveur, il avait même demandé une corbeille de pain, histoire d'être sûr de ne pas avoir faim en sortant... En encore, Lucius était quasiment certain que Harry allait regarder ce que proposait le room-service de l'hôtel. À l'avenir, il faudrait tenir compte de l'appétit démesuré de leur jeune amant pour leurs sorties !

Néanmoins, en dépit de ses craintes, ils avaient passé une soirée très agréable. Harry avait oublié sa morosité de la journée, il avait été souriant et enthousiaste, le restaurant méritait ses étoiles et le dîner avait vraiment été digne d'éloges. Sans compter que la ville, toute parée de lumières scintillantes dans l'obscurité de la nuit, était magnifique. Les façades des bâtiments de la Grand Place, à grands renforts de fenêtres, de colonnes et de dentelle de pierre, rivalisaient d'élégance avec l'hôtel de ville et des attroupements de passants admiraient les éclairages des monuments ou un quelconque artiste de rue.

Ils se promenèrent un moment, main dans la main, sans que quiconque n'y trouve à redire, puis Lucius leur fit rejoindre leur hôtel qui avait, cela va sans dire, un peu plus d'étoiles que le restaurant.

À peine arrivé dans leur suite, Harry s'émerveilla de la vue depuis la terrasse tandis que Lucius appréciait la superficie qui leur était offerte et surtout la très belle salle de bains. La baignoire sur pieds avait un cachet très appréciable et l'agencement lui plaisait beaucoup. Peut-être qu'en rentrant au Manoir, il allait demander aux elfes de faire quelques travaux... Un peu de changement ne ferait de mal à personne ! Et demain matin, il allait se faire le plaisir de prendre un bain pour la première fois depuis des mois !

En revenant dans le salon, Lucius s'efforça de ne pas sourire en apercevant Harry reposer la carte du bar et du room-service. Pour s'assurer une nuit tranquille et ne pas laisser son amant sur une envie inassouvie, Lucius commanda un dernier cognac avant de lui demander s'il désirait quelque chose. Harry sauta aussitôt sur l'occasion pour réclamer un thé et une ou deux pâtisseries pour l'accompagner. À se demander ce qui tenait vraiment de son nouvel appétit ou de la gourmandise !

Le garçon d'étage, dans son impeccable livrée, les servit sur la vaste terrasse. Il faisait frais mais Harry voulait absolument profiter de la vue et des lumières sur la tour de l'Hôtel de Ville. Cependant, dès que les deux parts de tarte aux fruits furent avalées, Lucius proposa de rentrer se mettre au chaud, et vu son sourire espiègle, Harry avait bien compris ses intentions.

D'ailleurs, il devait faire suffisamment chaud dans le salon à son goût car ils n'eurent pas le temps d'atteindre la chambre avant de finir nus, et le bureau dans le coin de la pièce, quoiqu'un peu raide aux dires de Harry, trouva une utilité qui leur convint bien. Lucius songea que cela faisait diablement longtemps qu'il n'avait pas fait l'amour ainsi, debout, Harry allongé sur un meuble à hauteur de hanches et les jambes sur ses épaules, et que c'était, ma foi, fort dommage. Le voir, extatique et suppliant, en train de se masturber d'une main erratique, était toujours un plaisir en soi.

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Une sensation étrange éveilla Lucius; peut-être la perception d'un bruit dont il n'avait pas l'habitude ou bien une odeur différente... De toute façon, il dormait toujours moins bien à l'hôtel que chez lui.

À tâtons, il chercha la présence de Harry dans les draps avant d'apercevoir le rai de lumière sous la porte de la salle de bains. Une petite soif nocturne, certainement, ou une envie d'aller aux toilettes. Avec le thé qu'il avait bu juste avant de dormir, aussi...

Mais l'absence de Harry durait et cela empêcha Lucius de se rendormir. Il n'entendait pourtant pas un bruit, ni un mouvement, juste cette lumière allumée qui ne voulait pas s'éteindre. Soucieux, il attrapa sa baguette sur la table de nuit et se leva pour aller voir si Harry n'était pas malade ou n'avait pas fait un malaise.

Un bruit d'éclaboussure, de liquide qui coule, le surprit lorsqu'il ouvrit la porte. Harry était debout devant la baignoire, immobile, et l'espace d'un instant, Lucius se demanda pourquoi diable il urinait dans la baignoire plutôt que dans les toilettes… Mais la baignoire était éclaboussée de rouge et Lucius comprit brusquement que c'était du sang.

– Harry !

Violemment, il referma ses bras autour de son amant et l'attira contre son torse. Harry ne chercha même pas à se débattre, il se contenta de tendre un peu plus le poignet pour que le sang jaillisse vers le fond de la baignoire.

– Harry ! Qu'est-ce que tu as fait ?!

– Je suis désolé, murmura-t-il. J'en peux plus, j'ai trop de sang. Severus ne m'a pas mordu depuis trop longtemps...

Effaré, Lucius écarquilla les yeux avant de comprendre soudain. Harry continuait à produire du sang pour nourrir son vampire comme s'il était mordu régulièrement. Ce qui n'était pas le cas... Et les gouttes de ce liquide vital pour Severus parsemaient l'émail de la baignoire en un tableau impressionniste avant de se rejoindre en une rigole sombre qui s'écoulait lentement vers l'évacuation.

En fermant les yeux une seconde, Lucius respira profondément. L'angoisse d'un geste désespéré qu'aurait pu faire Harry disparut complètement pour faire place à une tendresse résignée. Même si Harry ne voulait pas le reconnaître, même s'il ne voulait pas se l'avouer, il avait besoin de Severus, au moins pour le soulager de ce trop-plein de sang. Et lui, il ne pouvait rien faire pour l'aider, si ce n'était le soutenir. Mais dès le lendemain, Lucius se fit la promesse de répondre à la dernière lettre de son mari pour lui dire de se presser de revenir ! Si ce n'était pour lui, au moins pour Harry.

– Ce n'est pas grave, ne t'en fais pas, murmura-t-il. Si ça te soulage, c'est le principal.

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Entre ses bras, Harry restait immobile, légèrement appuyé contre son torse, le poignet tendu vers le bas. De l'incision qu'il s'était faite, sans doute avec un sortilège de découpe, le sang jaillissait en continu, sous pression, et il fallut encore plusieurs minutes pour que le flot ne retrouve un débit plus lent, avec les pulsations habituelles d'une artère.

– Oui, ça me fait du bien, avoua Harry à mi-voix. Je me sens... plus calme. J'étais nerveux, ces derniers jours, je ne comprenais pas pourquoi... Il fallait que ça sorte.

– Je t'ai trouvé fébrile, moi aussi, admit Lucius. Mais je pense que ça suffit, maintenant. Tu vas finir par perdre trop de sang.

De sa baguette qu'il serrait dans sa main depuis tout à l'heure, Lucius lança un sortilège de soins complexe qui arrêta instantanément le saignement et fit cicatriser la peau. D'un Tergeo, il nettoya aussi la baignoire puis serra à nouveau Harry dans ses bras, embrassant la peau tendre de son cou.

– C'est de ma faute aussi... Je sais que j'aurais dû me restreindre davantage au niveau de l'alimentation. Je n'ai pas fait assez attention; mais si je me prive, j'ai tellement faim ! Il paraît même que je deviens grincheux, ajouta Harry en souriant.

– Tout à fait ! gloussa Lucius, avant de redevenir sérieux. Mais tu ne peux pas aller contre ta nature... Un calice est fait pour produire du sang, et ton appétit est là pour le permettre. Te priver ne servira à rien d'autre qu'à te frustrer. En attendant que Severus revienne, je préfère que tu fasses ça, fit-il avec un mouvement du menton vers la baignoire, plutôt de te rendre malheureux à chaque repas... Pendant un instant, j'ai surtout eu peur que le dîner de ce soir t'ait rendu malade !

– Ça ne risque pas, pouffa Harry. Le repas était délicieux !

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Radouci, Harry se laissa aller contre le torse de son amant, caressant de ses mains les bras qui l'enserraient tendrement. Il avait soulagé son besoin d'évacuer le trop-plein de sang qui l'obsédait et le rendait agité et nerveux, et cela lui avait fait un bien fou. À présent, il se sentait mieux, plus calme, plus apaisé même s'il restait insatisfait, au plus profond de lui, que ce sang ait été gâché plutôt que de nourrir son vampire.

La soirée s'était pourtant bien passée, il n'avait pas senti de signe précurseur, mais brusquement, au beau milieu de la nuit, l'urgence l'avait saisi. Il fallait que le sang sorte de son corps. Il avait été à ce point sous tension qu'il aurait pu se laisser mordre par n'importe quel vampire, malgré l'interdit et le tabou que cela représentait instinctivement pour lui. Il avait atteint sans même le percevoir le fameux point d'engorgement que mentionnait le livret de Mihai.

Avec un peu de recul, Harry se rendait compte du danger qu'il avait frôlé. Il aurait pu faire une hémorragie, une attaque, mourir sous les yeux de Lucius... Cela ne devait pas se reproduire. Si Severus ne revenait pas rapidement, il prendrait les devants pour purger son corps du sang excédentaire au moins deux ou trois fois par semaine. Enfin, mais sans doute un peu tard, Harry comprenait vraiment ce qu'expliquait le livret et cette nécessité impérieuse d'être mordu régulièrement.

Ce n'était pas agréable de se l'avouer, mais les morsures lui manquaient; parce qu'il devait vider une partie de son sang, parce que c'était son rôle désormais de nourrir un vampire et parce que le sexe paraissait toujours inachevé et incomplet sans morsure... Il avait détesté la douleur, l'humiliation, la violence que Severus y avait mises au début, mais si les morsures ressemblaient à celle du deuxième rituel d'union, Harry était prêt à signer pour ce soulagement. Et il regrettait tellement de ne pas être resté, ce jour-là, dans les bras de Severus.

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– Allez, viens te coucher, maintenant que tu vas mieux, sourit Lucius. Il fait meilleur sous la couette !

Ils étaient nus, l'un contre l'autre, au beau milieu de la salle de bains, et la chaleur de leurs corps ne suffisait pas à le réchauffer.

– Tu ne m'en veux pas ? murmura Harry, les yeux rivés là où le sang avait coulé.

Lucius ne répondit pas immédiatement mais il relâcha son amant et le fit tourner entre ses bras pour lui faire face. Les yeux émeraude de Harry le regardaient sans ciller, lumineux, et Lucius s'aperçut soudain que l'ensemble des arabesques sur son corps scintillaient de vert, à l'exception de son torse, où les marques sombres de Severus paraissaient d'un noir laqué.

Il prit le visage de son jeune amant entre ses mains et l'embrassa rapidement.

– Harry... Je n'ai pas peur de ce que tu es. Tu restes celui que j'aime et que je veux épouser, même si ton appétit va me ruiner, même si tu as besoin de ce genre de scène digne d'un film d'horreur, même si ton histoire avec Severus est compliquée... Je ne suis pas homme à fuir à la moindre difficulté et toi non plus. Tant que tu es capable de revenir faire un câlin sous la couette après ce bain de sang, tout me va. Et je ne parle pas de sexe !

Un sourire amusé fleurit sur les lèvres de Harry.

– À propos... Tu savais que certaines légendes racontent qu'autrefois, certaines reines prenaient des bains de sang de jeunes vierges dans l'espoir de conserver leur éternelle jeunesse ? Si ça se trouve, c'était des vampires ! gloussa-t-il.

– Et toi, tu n'es plus vierge depuis longtemps ! ricana Lucius. Mais je ne dirais pas non à un bain demain matin avec toi... si tu viens te coucher maintenant !

D'une main ferme, il poussa Harry hors de la salle de bains jusqu'au lit et, à peine sous la couette, il l'enlaça en souriant.

Demain, un bain, un copieux petit-déjeuner, et en rentrant au Manoir, la lettre à Severus. Lucius devait lui annoncer sa volonté de s'unir avec Harry, pour lui laisser le temps de s'y faire même si ça n'allait pas lui plaire, mais surtout lui dire de rentrer rapidement au Manoir parce que son calice avait besoin de lui. S'il le fallait, il écrirait à Mihai pour lui demander de ramener Severus par la peau des fesses ! Mais la dernière lettre de Severus avait été plus apaisée, et Lucius espérait vraiment que cette situation ne durerait plus très longtemps.

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Merci à tous de votre lecture et de vos commentaires ;)

La semaine prochaine, on retrouvera brièvement Severus (oui oui!) et Harry renouera lentement avec une partie de la famille Malfoy et devra affronter des questions parfois dérangeantes...

Au plaisir

La vieille aux chats