Résumé: De retour à Torquay pour la première fois depuis sa transformation, Severus est bouleversé de retrouver Draco et surtout ses enfants dont l'affection envers lui, à son grand soulagement, n'a pas changé. De son côté, Harry fait des efforts pour apaiser leur relation mais il a encore du mal à reconnaître ses besoins et à les assumer. Le refus de Severus de boire durant la nuit refroidit d'un cran la légère amélioration de leur lien, sans compter le demi-mensonge de Lucius qui n'ose pas avouer qu'il vient de passer du bon temps avec son mari.
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La disparition de la sensation familière de son vampire réveilla Harry très tôt. Avant l'aube, de toute évidence. Et malgré des tours et des détours dans le lit, il ne parvint pas à se rendormir réellement, d'autant que la façon dont il s'était accroché avec Lucius au moment de se coucher l'avait contrarié. Il n'avait même pas eu réellement envie de sexe, il avait juste voulu voir si son amant lui dirait la vérité... Il avait vu.
Harry avait dit vrai, pourtant : il ne leur reprochait rien. Il savait que ce genre de choses arriverait, il avait même réfléchi à sa réaction s'il tombait sur eux en train de s'embrasser, ou bien nus, en train de se caresser, ou pire encore... Cela ne lui ferait pas plaisir, mais il ne dirait rien. Severus tolérait bien qu'il passe toutes ses nuits avec Lucius alors qu'il était son calice, et il savait bien ce qu'ils faisaient ! Harry ne pouvait pas se montrer moins « tolérant ». Simplement, il ne voulait pas être mêlé à ça.
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En soupirant, Harry finit par se lever pour aller nager un peu, et quand il remonta, calmé et l'estomac dans les talons, il trouva Lucius sous la douche, souriant et prêt à se faire pardonner de la plus délicieuse des manières !
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Avec une impatience qu'il espérait discrète, Harry attendait que Lucius finisse son thé et retourne travailler dans son bureau pour quitter le Manoir. Durant la matinée, ils étaient sortis se promener tous les deux, presque sans un mot, mais savourant le plaisir d'être ensemble. Lucius aurait préféré y aller l'après-midi, mais puisque Harry devait retourner chercher le pantalon dont le tailleur avait repris les ourlets...
Enfin l'aristocrate disparut dans son bureau, après un baiser et une plaisanterie sur son envie soudaine de sortir sur le Chemin de Traverse maintenant que Severus y était toute la journée. Harry serra les dents sous l'ironie et s'empressa d'aller changer de chaussures avant de transplaner.
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Le pantalon était prêt, l'essayage dura cinq minutes, et après un petit tour dans la boutique pour voir s'il n'était pas passé à côté d'une autre merveille, Harry fut bien obligé de ressortir dans la rue. La Librairie était là, un peu plus loin de l'autre côté de la rue, rideaux tirés, porte close et panonceau « Ouvert »...
L'hésitation, encore. L'envie instinctive de ressentir la présence de Severus d'un peu plus près. Le voir, quelques secondes. Le nourrir. Lui proposer de le ramener sans attendre la nuit... Et brutalement, le souvenir de l'ironie de Lucius.
Harry serra les dents et les poings au fond de ses poches. Il n'avait pas besoin de voir Severus. Il n'avait pas besoin de lui donner son sang. Il n'avait pas besoin de lui. Si Severus voulait quelque chose, il le lui demanderait, mais Harry n'irait pas faire le premier pas. S'ils n'avaient pas été liés par le caliciat, Severus n'était plus rien pour lui.
Résolument, il tourna les talons et s'en alla un peu plus loin.
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Harry n'avait rien prévu mais ses pas le menèrent vers la boutique des jumeaux Weasley, dont la devanture ruisselait toujours de gadgets en tout genre qui cherchaient à attirer le regard. Le sien fut capté, de toute évidence, et il entra dans le magasin dans l'intention de les saluer rapidement. Les jumeaux avaient tous les deux envoyé un message sympathique pour son anniversaire, il pouvait bien venir les remercier en personne.
Comme à l'accoutumée, la boutique était noire de monde, essentiellement des adolescents et de jeunes adultes, quoique certains rayons cosmétiques ou érotiques attiraient une clientèle plus âgée. En temps ordinaire, Harry aurait bien été faire son curieux, mais là, il ne voulait surtout pas tomber sur des panoplies de vampire « Pour que vos nuits soient à croquer, mordez dans la passion », et autre « Le temps d'une nuit, devenez son calice et laissez vous envoûter par son charme ». À vomir !
Dès qu'ils l'aperçurent, les jumeaux se précipitèrent vers lui et il ne fallut pas deux minutes pour qu'ils abandonnent la boutique à leurs employés et le traînent à l'étage pour discuter. Ils étaient ravis de le voir, d'excellente humeur et d'excellente compagnie, et Harry passa une très bonne après-midi. Il se fit bien taquiner une fois ou deux sur sa propension à se mettre dans des histoires improbables, ou sur son incapacité à mener une vie calme et rangée, mais cela restait très bon enfant, et le sujet fut vite écarté.
À vrai dire, il n'y eut aucune question déplacée, aucune réflexion, aucune curiosité malsaine. Ils parlèrent de tout et de rien, de la boutique et des anecdotes à propos des clients, ils plaisantèrent sur de vieux souvenirs, ils rirent beaucoup en écoutant Georges raconter les coups pendables de ses enfants, et le temps s'envola comme une plume.
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Il avait passé un moment si agréable et si détendu que Harry s'en étonna presque au moment de partir, quand les jumeaux le raccompagnèrent à la porte du magasin.
– Disons que Charlie nous a un peu briefés, avoua Fred en ricanant.
– Il nous a juste dit de ne pas poser de questions si on te voyait, et de ne pas parler de certaines choses si tu n'en parlais pas le premier, compléta Georges. Mais de toute façon, on s'en fout. Tant que tu es capable de blaguer comme ça, c'est que dans le fond, ça va... Nous, on n'est pas là pour les conversations qui plombent le moral. C'est pas qu'on veut pas, c'est juste qu'on sait pas faire !
Avec une certaine tendresse, Harry se mit à rire avec les jumeaux. Ces deux-là n'existaient que pour plaisanter, s'amuser et égayer la vie autour d'eux. Il les avait même vus avoir un fou rire incontrôlable le jour des obsèques de leur père et de leur frère et sœur. L'émotion, un jeu de mots douteux et surtout complètement déplacé pour un jour pareil, et le besoin de relâcher toute la pression des funérailles. Molly avait eu beau faire son regard le plus noir, rien n'y avait fait. Et Merlin ! c'était tellement plus agréable de les voir ainsi, pétillants d'humour, que l'humeur sombre et déprimée de Fred, l'année dernière...
– Et puis on ne tient pas à avoir un vampire furibond sur le dos ! gloussa Fred. Il était déjà redoutable quand il était professeur de potion à Poudlard, je n'ose imaginer à quel point il doit être impressionnant aujourd'hui !
– Ça va ! pouffa Harry. Il n'est pas non plus effrayant !
Georges salua ces paroles d'une tape sur le bras et le prit par l'épaule.
– Ceci dit, si jamais l'envie te reprend de retoucher à des ingrédients de potion, sans pression, juste pour le plaisir, tu peux toujours travailler pour nous... Je suis sûr que tu saurais nous pondre des crèmes de soin avec des ingrédients exotiques qui feraient fureur ! Ou bien des potions de métamorphose... Les dérivés du polynectar ont toujours beaucoup de succès !
– Ou des produits à visée un peu... érotique. Il doit bien y avoir dans tout ce que tu connais, des ingrédients légèrement stimulants ?!
Harry éclata de rire devant les regards calculateurs des deux frères.
– Une base de polynectar, mais juste pour la faire paraître plus grosse ? pouffa-t-il.
Les jumeaux écarquillèrent des yeux envieux et ronds comme des billes.
– On serait en rupture de stock dans la journée !
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Au final, Harry rentra au Manoir d'excellente humeur. Il n'avait pas cédé à ses envies d'aller voir son vampire, l'après-midi avait été formidable, il avait passé son temps à rire sans voir le temps passer... et ce soir, il allait pouvoir donner son sang à Severus comme convenu et sans précipitation. Tout ça était bien un peu artificiel, mais au moins, il avait le sentiment de maîtriser sa vie.
Après le dîner, il s'installa avec Lucius devant un film, dans la salle de cinéma. Harry avait voulu une histoire drôle, légère, qui le tienne d'aussi bonne humeur que toute l'après-midi. Lucius avait plutôt bien réussi son choix, mais son effervescence retomba aussitôt que son vampire fut de retour au Manoir.
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Lucius voulut lui faire une place, mais Severus refusa aimablement. Son mari et son calice étaient bien installés, Harry à demi avachi contre l'aristocrate, son bras autour de ses épaules et les jambes repliées sur le canapé... il ne voulait pas imposer sa présence et les déranger. Il s'assit sur un des canapés de côté, ce qui lui laissait une vue imprenable sur l'attitude abandonnée de son calice.
Le film ne l'intéressait pas; il l'avait déjà vu, longtemps auparavant, et ce n'était qu'une bluette peu digne d'intérêt. Mais si cela avait le mérite de détendre Harry...
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Sauf que Harry ne paraissait pas du tout détendu. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux, puis se gratta l'oreille. La main repartit sous le plaid qui recouvrait ses jambes, puis ressortit pour jouer avec la couture de la boutonnière de sa chemise. Puis il se frotta l'œil, se gratta le nez, chassa une poussière imaginaire sur le plaid avant de se poser quelques secondes. Puis il remua les jambes, se réinstalla contre Lucius, ajusta le plaid qui avait bougé et remit en place une mèche de cheveux.
Le cirque dura plus de cinq minutes, au bout desquelles Severus craqua.
– Harry ?... Est-ce que tu as besoin de monter ?!
Aussitôt, son calice sursauta comme si une mouche l'avait piqué et en quelques secondes, il fut debout, plus fébrile que jamais.
– Je t'attends là-haut.
– Au point où on en est, vous pouvez faire ça ici ! lança Lucius tandis que Harry s'échappait vers la porte. Ce n'est pas moi que ça va déranger !
Dans la pénombre de la pièce, la lueur rouge qui traversa les yeux de Severus parut flamboyante.
– NON !
– Très bien, fit Lucius en levant les mains. Faites comme bon vous semble. Je terminerai le film tout seul.
Severus soupira de lassitude tandis qu'une brume noire se formait à ses pieds.
– On en parlera plus tard. Je dois le rejoindre.
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Dans la chambre, Harry était encore debout, occupé à se débattre fiévreusement avec la manche de sa chemise. Severus attrapa sa main, défit le bouton de ses doigts rapides, découvrit le poignet et y plongea ses dents.
Tandis que Harry gémissait de soulagement, il passa un bras dans son dos afin de le guider pour s'asseoir sur le bord du lit. Sous ses lèvres, le bras de son calice tremblait. Et il trembla jusqu'à ce que le flot de sang ne retrouve un débit plus calme.
– Merci, murmura Harry.
Puisqu'il avait la bouche occupée, Severus salua le remerciement d'une légère caresse du pouce sur la main de son calice. Il aurait voulu faire plus, mais déjà, il avait caressé le dos de Harry en l'incitant à s'asseoir. Ce simple geste avait fait virevolter la tendresse et le désir dans son ventre, mais il ne voulait pas se montrer trop envahissant. Surtout quand Harry était en position de faiblesse comme maintenant.
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Il but encore un peu, plus tranquillement, puis referma la plaie d'un dernier coup de langue. À présent s'annonçait la partie la plus délicate : faire comprendre certaines choses à son calice.
– Tu as bu assez ? s'inquiéta Harry.
– Oui. Bien assez, même si tu n'en as pas l'impression.
Et pour cause. Il n'avait plus faim, mais Harry, lui, devait se sentir juste soulagé, sans être aussi « vidé » que d'habitude. Et si son calice avait encore du mal à reconnaître son seuil de tolérance, il devait malgré tout sentir la différence.
– Harry..., commença Severus.
Son calice était pâle, le souffle encore rapide, mais il ne semblait pas sur le point de fuir. Et comme il avait moins bu, son excitation sexuelle était moindre...
– … J'aimerais que tu me dises quand ça ne va pas. Quand tu as besoin que je te morde tout de suite... Ça ne sert à rien d'attendre le dernier moment, quand tu te sens vraiment mal. Au contraire, je pense que ce serait mieux si je te mordais plus souvent, mais en prenant de plus petites quantités à chaque fois. Ce serait plus confortable pour toi, et pour moi. Plus tu attends pour donner, plus la pression de ton sang est importante et plus tu ressens un inconfort.
– Mais si tu me mords plus souvent, ça ne va pas stimuler mon corps pour produire encore plus de sang ? s'alarma Harry.
Brièvement, Severus croisa le regard émeraude de son calice, et le fait était assez rare pour pour qu'il l'apprécie à sa juste valeur. D'autant que ce regard transpirait davantage l'inquiétude que l'intransigeance.
– Non. Pas si je prends des quantités de sang modérées. Je pense que ton corps cherche à reproduire la façon dont il produisait du sang au tout début, dans le pavillon chinois. Je te mordais tous les jours, voire plusieurs fois par jour. Certes, je te prenais trop de sang, mais ton corps a été habitué à ce rythme. Aujourd'hui, tu me donnes ton sang tous les deux jours, mais entre deux morsures, l'effet d'accumulation est difficile à supporter pour toi. Si je te mordais tous les jours, en prenant des quantités réduites, ta production de sang serait plus régulière et tu ressentirais moins les effets de « trop plein » ou de vide... Et je ressentirais moins la faim... Tout ça serait plus mesuré.
– Tu es sûr que ça ne va pas être un engrenage pour que je produise toujours plus de sang ?!
– Avec le temps, cela va s'équilibrer, assura Severus. Et en buvant tous les jours, je serais plus à même de réguler les quantités que je prends pour que ce soit confortable pour toi... Dimanche soir, j'ai bu beaucoup, et pourtant, ça n'a pas suffi à ce que tu sois tranquille pendant deux jours. Et à chaque fois que je bois beaucoup, ton corps reçoit l'ordre urgent de compenser... Il vaudrait mieux que je boive plus souvent, mais moins.
Harry leva la main qu'il avait, sans y faire attention, laissée entre ses doigts, et la passa sur son visage, puis dans ses cheveux. Il semblait hésiter, résister, puis il lâcha prise.
– Je ne sais pas... Si tu penses que c'est mieux...
– On peut faire un essai sur la fin de la semaine, si tu veux. Voir si tu es moins gêné...
– Mais demain soir, on a prévu de sortir !
– Ça n'a pas d'importance, fit Severus avec un sourire rassurant. On fera ça après votre retour. Cela fera à peine vingt-quatre heures depuis cette morsure, tu ne seras pas dans l'urgence de donner...
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– Tu as dit « votre retour », releva Harry en fronçant les sourcils.
En retenant un sourire, Severus se rassit un peu mieux sur le lit. Depuis tout à l'heure, Harry n'avait pas cherché à s'éloigner de lui, et c'était déjà une petite victoire. Sans compter le fait de pouvoir lui parler sans le voir s'enfuir, et d'avoir pu garder son poignet dans sa main un peu plus longtemps que pour le don... Des progrès infimes, mais des progrès tout de même.
– Oui, répondit Severus. Lucius m'a dit que tu proposais de m'emmener directement sur place à cause de la lumière et je t'en remercie, mais... je préfère ne pas venir. C'est juste que... tu as vu ce qui s'est passé l'autre soir avec Matthieu, et pourtant c'était Matthieu. Je crains d'être à nouveau trop possessif et trop menaçant si certains viennent te parler ou te tourner autour. C'est mon rôle de m'interposer pour te protéger et je ne peux pas maîtriser cet instinct-là. Je préfère encore ne pas être là du tout plutôt que de risquer un esclandre public. Les vampires sont déjà assez mal vus pour que je me mette à menacer tout le monde !
Harry fronça un peu plus les sourcils tandis qu'une moue désolée passait rapidement sur son visage.
– Et je ne souhaite pas que tu m'en veuilles d'empiéter sur ta liberté, osa Severus. Je sais que tu es parfaitement capable d'éconduire ceux qui t'ennuient ou qui seront trop désagréables avec toi, mais mon instinct se base sur tes émotions... Et même si tu n'en montreras rien, certaines réflexions ou certains commentaires pourront te blesser. Si je suis là, je ne pourrais pas m'empêcher d'intervenir, et tu ne le souhaites pas plus que moi.
– Je comprends, dit simplement Harry en baissant enfin la manche de sa chemise pour en refermer le bouton. Je ne t'en veux pas, même si ce genre de réaction m'agace sur le moment. Je sais bien que tu n'y peux pas grand-chose... comme je ne maîtrise pas toujours mes propres impulsions.
Severus ne voulut pas demander quelles étaient ces impulsions, mais la compréhension de son calice était déjà un petit miracle en soi. S'il acceptait ses réactions les plus primaires sans les lui reprocher, ils faisaient un grand pas en avant.
– Luce va être déçu, fit remarquer Harry.
– Je vais descendre le voir et lui expliquer, dit Severus. Il comprendra... Et dans quelques temps, j'espère que tout ça sera plus simple et que je pourrai me joindre à vous.
Harry hocha la tête sans répondre. Est-ce qu'il acquiesçait à sa présence future avec eux, ou bien simplement au fait qu'il aille expliquer la situation à Lucius... Severus préféra croire ce qui lui faisait le plus plaisir.
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– J'avais demandé à Mihai de m'envoyer un livre sur la production de sang des calices, fit-il en se levant. Quelque chose de plus détaillé que le livret qu'il t'a donné. Il est dans mon bureau si tu souhaites le consulter...
– Je n'ai déjà pas tout lu du premier ! fit Harry avec un rictus blasé.
– Je sais. Celui-là est plus technique mais il répondra peut-être à certaines de tes questions, y compris sur l'alimentation...
– Merci.
Pour la deuxième fois ce soir, Harry le remerciait... Severus n'allait pas s'en remettre !
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– Comment va-t-il ?
La question surgie de nulle part, le regard fuyant, au moment où Severus allait sortir pour rejoindre Lucius... Et l'émotion évidente dans l'attitude de Harry.
– Bien... Aussi bien qu'il peut aller en l'absence de calice, corrigea-t-il. Il aurait aimé avoir de tes nouvelles...
Un sourire triste passa sur le visage de Harry puis il baissa la tête.
– Je vais dire un mot à Lucius avant que vous n'alliez vous coucher, fit Severus en ouvrant la porte. Tu as besoin de quelque chose ?
Harry secoua la tête, toujours assis sur le lit. Il n'avait pas l'air de vouloir bouger, ni de savoir quoi faire, en réalité. Son attitude paraissait abattue, mais dans les émotions qu'il percevait, Severus ne décelait pas vraiment de mal-être. Juste quelque chose comme de la mélancolie.
– Non. Je vais aller me coucher aussi...
– Je ne veux pas te chasser, tu peux rester là si tu veux, osa plaisanter Severus.
Harry gloussa un instant avant de secouer la tête.
– Bonne nuit, sourit Severus en laissant derrière lui une porte ouverte et un calice qui n'avait toujours pas bougé.
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Lucius leva la tête en entendant des pas dans l'escalier en colimaçon et sourit à son mari lorsqu'il entra dans le Petit Salon.
– Le film est déjà fini ? ironisa Severus.
– J'ai écourté puisque j'étais le seul à rester. Tout s'est bien passé ?
– Oui.
Indécis, Severus fit quelques pas jusqu'à la porte-fenêtre dont les rideaux pouvaient enfin rester ouverts, puis se retourna vers son mari.
– Je tenais à m'excuser pour tout à l'heure. Je ne voulais pas te menacer ou quoi que ce soit, mais...
– Oh ! gloussa Lucius en refermant son livre. J'imagine que je me suis mêlé de ce qui ne me regardait pas !
– Je ne voulais pas le dire comme ça, sourit Severus, mais c'est un peu ça, oui. Pour les calices, la morsure est un acte très personnel, très intime, qui ne souffre pas de se produire en public... Même si tu n'es pas n'importe quel public. C'est un peu comme si tu nous avais demandé de faire l'amour devant des inconnus...
– Ça ne me dérangerait pas non plus ! gloussa Lucius. Tant que je peux regarder !
Severus pinça les lèvres sous l'ironie.
– Désolé, fit Lucius avec un geste de la main pour s'excuser. Je suppose que l'aspect sexuel est quelque chose de compliqué pour toi...
– L'absence d'aspect sexuel, plutôt... Quoi qu'il en soit, évite de parler de morsure devant Harry, ou d'y faire allusion. Il a beaucoup de mal à accepter cette partie de notre relation.
Lucius acquiesça obligeamment. Il ne tenait pas à rendre les choses plus difficiles pour Harry, ni même pour Severus. Parfois, une pointe d'ironie lui échappait, mais il essayait autant que possible de faciliter la vie des deux hommes qu'il aimait et qui ne s'aimaient plus entre eux. L'espoir que tout finisse par s'arranger était une bonne source de motivation.
– Je lui ai dit aussi que je ne viendrai pas avec vous demain soir, reprit Severus. Je crains de me montrer trop menaçant face aux curieux ou aux questions indélicates. Je ne veux ni me donner en spectacle, ni entrer en conflit avec Harry... Et quand je vois que j'ai déjà du mal à me maîtriser face à toi ou à Matthieu...
– Tu y arrives très bien ! assura Lucius. Ce n'est pas une anicroche de temps en temps qui veut dire quoi que ce soit !... Tu supportes même que je dorme avec Harry et que je le baise tous les soirs !
– Ne parle pas comme ça de lui ! gronda Severus en serrant les dents et en croisant les bras.
Avec un sourire malicieux, Lucius se leva et le rejoignit de sa démarche féline. Il posa une main autoritaire sur sa nuque et lui vola un baiser rapide avant que Severus ne secoue la tête pour se défaire de la poigne de son mari.
– Tu vois, ironisa l'aristocrate. Tous les soirs, à quelques mètres de toi, je fais l'amour à ton calice que tu n'as pas touché depuis des semaines... Tu as plus de contrôle sur toi-même que tu ne le croies, Severus. Mais je comprends que tu préfères attendre un peu...
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– Mange ! Le spectacle commence dans moins d'une heure et après tu vas te plaindre que tu n'as pas assez mangé !
Harry grimaça et enfourna dans sa bouche une fourchette de pommes de terre.
Puisque Severus rentrait de toute façon à la tombée de la nuit et ne venait pas avec eux, ils avaient décidé de manger au restaurant avant l'opéra. Un petit restaurant sans prétention, à deux pas de la salle de spectacle, et qui bien entendu, était bondé à cette heure-ci. La nourriture n'était pas exceptionnelle comme à Bruxelles, mais cela permettait de changer d'air, et la carte des vins, en revanche, rachetait les plats un peu communs.
– Je n'ai pas très faim, marmonna Harry en terminant malgré tout son deuxième plat de résistance.
– Allons bon, fit Lucius avec un sourire espiègle. Et qu'est-ce qui te contrarie ?
– Rien, protesta Harry en grignotant un morceau de pain.
– À d'autres, chéri !... Tu es particulièrement silencieux depuis qu'on est partis du Manoir. Je veux bien que tu sois occupé à manger et ta compagnie, même silencieuse, ne me dérangera jamais, mais je commence à te connaître et je sais quand quelque chose te préoccupe. Et si tu me dis, en plus, que tu n'as pas très faim... je vais finir par croire que tu es malade !
Harry grogna avec un air faussement vexé et attrapa la carte des desserts que lui tendait le serveur.
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– Je me sens un peu coupable, je crois, avoua-t-il une fois le jeune homme parti avec leur commande.
– Que Severus ne soit pas avec nous ?
Lucius prit son verre de vin tandis que Harry faisait une moue qui se voulait réservée mais qui était une affirmation en soi.
– J'aurais dû insister un peu plus... Lui dire qu'on pouvait transplaner directement à l'intérieur. Que je resterai dans la loge pour éviter les autres spectateurs... Moins on aurait croisé de monde et plus il aurait été rassuré...
Lucius leva les yeux au ciel en buvant une gorgée de vin.
– Tu ne vas pas t'empêcher de vivre ou rester enfermé parce que ça dérange Severus ! C'était un des aspects qui te rebutait le plus dans votre union magique : le fait de vivre à moitié reclus au Manoir parce que Severus ne supportait pas ton éloignement... Au moins, devenir son calice t'a permis de rompre avec cette contrainte; tu devrais en profiter ! Et plutôt que d'exiger que tu restes avec lui, ou que tu restes au Manoir, Severus préfère se mettre en retrait et te laisser ton entière liberté. Alors que, soit dit en passant, votre lien est beaucoup plus puissant aujourd'hui. Profite donc de cette soirée sans arrière-pensée ! C'est ce que Severus souhaite, en tout cas !
Harry grogna à nouveau devant son sermon et chercha des yeux sur la table quelque chose à manger.
– Je sais tout ça. J'imagine que ce sont juste mes émotions de calice qui me font me sentir coupable...
– Ou ta bonne conscience, fit Lucius avec un sourire en coin.
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L'opéra avait été très beau, et les costumes et les décors particulièrement somptueux... Harry avait trouvé cela un peu long, mais il avait malgré tout beaucoup apprécié. Cependant, à présent que le rideau était retombé et que le brouhaha des voix s'élevait à nouveau dans la salle, il était pressé de rentrer au Manoir. Il avait un peu faim et surtout il lui tardait de retrouver Severus et de lui donner son sang.
Il ne ressentait aucun inconfort, ni aucune urgence à la morsure, mais il y pensait depuis au moins la moitié du spectacle. Et puis Severus était parti depuis l'aube, il était presque minuit... Harry avait dû s'accoutumer à être près de lui assez régulièrement et cela commençait à faire long.
En soupirant contre lui-même, il enfila sa veste et s'apprêta à suivre Lucius. Lui, il aurait bien transplané directement au Manoir depuis la loge, mais l'aristocrate tenait sans doute à descendre dans le Hall et à saluer quelques connaissances avant de rentrer. Les relations mondaines, encore et toujours...
À leur arrivée, Lucius grand seigneur et lui à son bras, Harry avait bien entendu quelques réflexions pas toujours courtoises. Il y avait eu des regards curieux, des photographes à l'affût, une ou deux questions sur l'absence de Severus, mais rien d'insurmontable. Et puis il suffisait d'une phrase acide de Lucius ou d'une fin de non-recevoir de sa part, et les indiscrets n'allaient pas plus loin. Severus aurait presque pu les accompagner ! Mais cela aurait sans doute augmenté la curiosité des gens : les vampires se montraient peu en société, et leur histoire personnelle avait abondamment nourri les journaux. Et la petite sortie de ce soir allait remplir quelques pages de plus !
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Enfin, ils réussirent à s'extirper de la foule pour rejoindre les aires de transplanage et partir en toute discrétion. Harry les fit arriver dans le Hall d'Entrée du Manoir avec un soupir de contentement. Lucius tendit sa canne à pommeau d'argent et ses gants à l'elfe de service, puis ôta son manteau avant de finir par changer de chaussures. C'est que pour cette petite sortie, il avait sorti toute sa panoplie de Lord Malfoy !
Harry patienta, un sourire vaguement exaspéré sur les lèvres. Lui, il pouvait bien monter en chaussettes ou pieds nus, il s'en fichait ! Là, il avait surtout envie de rejoindre Severus et de lui donner rapidement son sang pour espérer se coucher avant une heure du matin. Sans compter que si la morsure l'excitait comme habituellement, il n'était pas prêt de dormir !
Hier soir, il avait moins ressenti cette excitation, sans doute parce que Severus avait moins bu... Son érection, moins tendue, avait disparu en parlant avec son vampire et quand Lucius l'avait rejoint dans leur chambre, il avait davantage eu besoin de tendresse que de sexe...
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Quand enfin, Lucius eut terminé, ils montèrent par l'escalier en colimaçon à peine éclairé par une lueur dans le couloir. Parvenus à l'étage, Harry s'arrêta presque immédiatement devant la porte de Severus, tandis que Lucius s'immobilisait en haussant un sourcil interrogateur. L'aristocrate dut bien se mordre un peu la langue pour éviter de lâcher une réflexion ironique, mais il parvint à se contenir et après un signe de tête à son amant, il poursuivit son chemin jusqu'à sa propre chambre.
Harry frappa un coup à la porte, puis l'ouvrit sans attendre de réponse. Il savait que Severus était là; sa présence était plus forte et puis, c'était évident...
Dans la chambre, un simple chandelier, près de la fenêtre, jetait une lueur vacillante qui semblait suffire à Severus pour lire. Allongé sur le lit les jambes croisées, adossé aux oreillers, il releva la tête de son énorme grimoire pour lui adresser un sourire lumineux.
– Bonsoir...
– Bonsoir, répondit Harry alors que son vampire refermait son livre.
En s'approchant, il retira son pull léger, finissant sans doute un peu plus ébouriffé que d'habitude, et entreprit de défaire le bouton de sa manche avec des gestes plus sûrs et plus maîtrisés que les autres fois. Severus avait au moins eu raison sur ce point : il n'était pas dans l'urgence de la morsure et cela rendait certaines choses plus faciles.
– Alors, c'était bien ? fit Severus en décalant ses jambes pour lui permettre de s'asseoir.
– Très ! Très beau, très romantique, très émouvant... Je ne comprends pas un traître mot aux textes chantés, mais avec l'argument, les surtitres et quelques commentaires de Luce, je m'en suis à peu près sorti !
Severus sourit tandis que Harry achevait de remonter sa manche. Cela faisait plaisir de voir son calice aussi enjoué, aussi calme et détendu alors même qu'il allait lui donner son sang, et prêt à faire la conversation de façon tout à fait naturelle. Il avait presque l'impression de passer un moment normal avec Harry.
– J'avais vu cet opéra il y a très longtemps, avec Lucius, à New York, se remémora Severus alors que son calice lui tendait son poignet. J'en avais gardé un très bon souvenir... Et puis l'aria de l'acte trois est une pure merveille...
L'esprit perdu dans ses souvenirs, Severus caressait distraitement la peau vierge de toute trace du poignet de Harry avant de percevoir son sourire vaguement moqueur. Il sourit à son tour, se redressa un peu pour être plus à son aise puis porta la main de son calice vers sa bouche. Entre ses lèvres, la peau palpitait d'un seul coup un peu plus fort, le cœur de Harry s'était accéléré sous l'imminence de la morsure, puis tout s'apaisa quand il mordit doucement.
– Je ne saurais pas te dire lequel était l'aria de l'acte trois, pérora Harry pour camoufler son gémissement de soulagement, mais l'ensemble des airs était très beau. On a presque du mal à croire que ce sont de vraies voix et qu'ils chantent sans sortilège d'amplification... Luce était ravi aussi, je crois. Et puis il a croisé assez de connaissances à saluer pour satisfaire son besoin de mondanités !
Tout en buvant, Severus ne put empêcher ses lèvres de former un sourire sur la peau de son calice.
– On a eu quelques questions sur ton absence, quelques remarques, toujours très polies bien entendu, mais rien d'extraordinaire... Honnêtement, je m'attendais à pire. Il a eu droit aussi à quelques réflexions hypocrites sur son successeur, savoir s'il ne regrettait pas au moins un peu son départ et si la politique ne lui manquait pas... Il a envoyé tous ces gens-là sur les roses avec une élégance très raffinée.
Amusé par la conversation de son calice, Severus savourait ce moment comme un instant précieux, une espèce de trêve entre eux qui lui faisait vraiment du bien. Sans tension, sans rejet, sans agressivité... Une proximité étonnante. Une proximité même physique, puisqu'il n'était pas vraiment assis, juste redressé pour s'approcher de Harry, appuyé sur un bras tendu tandis que ses genoux repliés étaient contre les reins de son calice. Presque enlacés...
– Le restaurant était pas mal, pas aussi brillant que ceux que Lucius apprécie, mais c'était bon. Et copieux ! Luce a quand même été obligé de me commander un truc à grignoter à l'entracte, mais c'était juste une bonne excuse pour se prendre une coupe de champagne ! Il ne sait vraiment pas résister à ces petites bulles françaises !
À regrets, Severus interrompit la pulsation tranquille du sang dans sa bouche puis lécha lentement les deux orifices de la morsure.
– Déjà ? s'étonna Harry.
– Si je bois plus souvent, je bois moins, rappela Severus. Juste assez pour que tu sois bien jusqu'à demain soir.
– Est-ce que c'est assez pour toi ?
– Déjà je bois tous les jours... c'est bien assez pour moi !
Tandis que Harry souriait, Severus relâcha son poignet et posa la main sur son genou, presque au contact du dos de son calice. Pour un peu, il aurait eu envie de soupirer de bonheur... Rassasié, en tête-à-tête, une ébauche de complicité... C'était déjà inestimable.
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Lentement, Harry baissa sa manche et referma le bouton à son poignet. Il ne paraissait même pas pressé de partir.
– Il est tard, dit malgré tout Severus. Tu devrais aller te coucher avant que Lucius ne s'endorme... Surtout si tu espères qu'il te soulage de ce côté-là.
Devant son coup d'œil sur son entrejambe légèrement proéminent, Harry se mit à rire. Severus avait craint de le mettre mal à l'aise, mais son calice était suffisamment détendu et de bonne humeur pour accepter la plaisanterie.
– Tu n'es pas mal non plus ! gloussa-t-il.
Severus sourit. Il était effectivement un peu à l'étroit dans son pantalon, mais à part sa main droite, personne n'allait le soulager.
– À croire que tout le sang que tu bois descend directement à cet endroit-là ! ironisa encore Harry.
– Ni toi ni moi n'y pouvons rien. C'est un effet secondaire de la morsure dans un couple calice-vampire... Et encore, je ne te mords qu'au poignet, pas au cou !
Harry, qui semblait disposé à plaisanter sur leur excitation réciproque, parut brusquement gêné par ses paroles. Était-ce d'avoir mentionné l'endroit normal des morsures pour les calices ? Ou bien le mot couple qui l'avait choqué ?... Il était debout, prêt à partir, les sourcils légèrement froncés sur un visage embarrassé. Severus avait peut-être été un peu trop vite...
– Bonne nuit, fit-il avec un sourire contrit.
– Bonne nuit, répondit malgré tout Harry. Enfin...
D'un geste, il exprima la futilité de ce que représentaient ces mots pour Severus, puis se dirigea vers la porte.
– Embrasse Lucius pour moi...
– Je n'y manquerai pas.
Loin de toute ironie ou de toute rancune, le ton de Harry était particulièrement doux.
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Harry poussa la porte entrouverte de la Bibliothèque sur une pénombre entrecoupée de rayons de lune. Les masses sombres des fauteuils et de la grande table, des nuances de noir et de gris au travers de la pièce et, au-delà des fenêtres, la nuit qui paraissait presque claire. Et puis la musique...
Douce, limpide, et qui emplissait l'espace. Des notes cristallines qu'il lui semblait reconnaître. Et cette voix...
– Tu devrais dormir. Il est tard...
– Une petite faim nocturne, répondit Harry. Et puis j'ai entendu la musique...
Complètement sur la gauche de la fenêtre, masse sombre sur la masse sombre des rideaux rassemblés dans une embrasse, la silhouette de Severus bougea légèrement.
– C'est l'opéra qu'on a été voir ce soir, n'est-ce pas ?
– Oui. Tu m'as donné envie de le réécouter...
Une musique sublime, d'une pureté incroyable.
Ils écoutèrent en silence les quelques minutes de chant qui le faisaient si bien frissonner, jusqu'à ce que les choeurs ne s'élèvent dans le chant suivant et brisent l'instant.
– … Et ça, c'était l'aria de l'acte trois (1) , fit la voix souriante de Severus.
– Il est très beau.
Derrière le vampire, un chatoiement argenté ondula brièvement sur la vitre.
– Pourquoi tu as fait ça ? Le sortilège, précisa Harry. Là-bas, il servait à t'enfermer, à t'empêcher de partir, mais ici... ?
– Pour rien, répondit Severus.
Devant le silence de son calice, il poursuivit plus doucement.
– C'est devenu une habitude, un tic... J'aime bien le contact du sortilège, son côté piquant, un peu électrique... Rien de plus qu'une manie, ne t'inquiète pas.
– Je ne m'inquiète pas, fit Harry avant de mesurer la dureté de ses mots. Je... Bonne nuit.
Aussi vite qu'il était apparu, son calice disparut, laissant la porte entrouverte sur les craquements de l'escalier. Tout cela s'était terminé un peu abruptement mais Severus en souriait encore. Ce moment de musique partagé en silence, presque une communion... Et puis son calice, nu devant lui. Complètement nu, sans pudeur, à peine drapé dans la pénombre... Une vision enchanteresse qui aurait peuplé ses rêves s'il avait encore rêvé.
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Lucius remontait les couloirs familiers du Ministère en toute dignité. Régulièrement, il saluait de la tête ou d'un mot des employés, des directeurs de service qui avaient, jusqu'à il y a peu, travaillé pour lui. Il s'y sentait encore comme un poisson dans l'eau ! Quoiqu'il avait perdu l'habitude d'arriver ici par l'entrée des visiteurs et au milieu des curieux... Ceci dit, son simple visage et la vérification de sa baguette magique lui avaient permis de passer outre les contrôles fastidieux auxquels devaient s'astreindre la plupart des gens de passage.
Il laissa derrière lui le service des Portoloins pour entrer dans celui de la Régie Autonome des Transports par Cheminée. Le Directeur était une vieille connaissance et qui plus est, un membre d'une famille très ancienne de l'aristocratie anglaise. Et ils se fréquentaient depuis assez longtemps pour se devoir mutuellement quelques petits services...
– Lucius Malfoy ! Quel bon vent t'amène ?!
Le temps de faire les politesses d'usage et un brin de conversation aimable, le cœur du sujet ne vint qu'au bout d'une dizaine de minutes de patience vaguement agacée. Quand il était Ministre, tout cela allait quand même bien plus vite ! Un ordre, et c'était réglé !
– Je venais m'enquérir de l'avancement d'une requête déposée par mon mari, fit enfin Lucius. Il a rempli votre formulaire pour faire établir une connexion entre la cheminée du Manoir et celle de son magasin, sur le Chemin de Traverse, et nous n'avons toujours pas reçu de nouvelles.
– Oui. Oui, bien sûr. Je l'ai vue passer sur mon bureau ce matin, fit le Directeur. Toutes les pièces étaient jointes et tout est réglé sur le plan administratif. J'ai envoyé un ordre de mission aux techniciens pour procéder à la connexion mais leur planning est très chargé. D'autant que vous n'avez pas choisi la solution la plus simple...
– Comment ça ? fit Lucius en soupirant d'exaspération.
– Vous avez demandé une connexion exclusive et sécurisée entre le Manoir et la Librairie, cela oblige les techniciens à intervenir sur les deux sites. Si vous n'aviez choisi qu'un simple raccordement de la Librairie au réseau de cheminette, cela aurait été plus vite.
Lucius se maîtrisa pour ne pas lever les yeux au ciel. Cela faisait déjà une semaine que la requête était déposée; cela faisait cinq jours, depuis lundi matin, que Severus disparaissait avant l'aube et ne revenait qu'à la nuit tombée, et il n'en pouvait plus de ne voir son mari qu'en coup de vent le soir, pendant une heure ou deux avant d'aller se coucher !
Dès que la Librairie serait raccordée à la cheminée du Manoir, Severus pourrait partir plus tard, rentrer à une heure raisonnable, partager les repas avec eux même s'il ne mangeait pas, et ils pourraient passer un peu plus de temps ensemble ! C'était tout de même un comble que Severus, pour qui le temps ne comptait plus, soit celui qui soit le plus absent au quotidien ! Même Harry, avec les morsures, passait plus de temps avec Severus que lui !
Lucius grogna en silence contre lui-même et contre la frustration qui guidait ses pensées. Severus vivait au Manoir, il n'avait plus besoin de perdre du temps à dormir, ni à manger, et pourtant, il lui manquait affreusement.
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– Une connexion standard au réseau de cheminette suffira, fit-il enfin. Cela lui permettra d'aller où bon lui semble et si ça peut accélérer la procédure !...
– Je vais m'en occuper personnellement, promit le Directeur. Le dossier est sur mon bureau et je le surveille de près... Et si en partant, tu pouvais passer voir le Sous-Directeur aux Affaires Magiques Européennes... Il doit rendre un rapport circonstancié sur un dossier nébuleux et un avis expérimenté comme le tien ne serait sans doute pas de trop. C'est mon beau-frère, compléta le Directeur avec bonhomie.
Lucius plaqua sur son visage un sourire hypocrite de compétition et prit rapidement congé. S'il voulait que sa connexion soit en place avant la nuit des temps, il n'avait pas de temps à perdre.
Il descendit récupérer le dossier nébuleux en question et rentra au Manoir pour l'étudier tranquillement. Cela concernait des revendications anciennes des Êtres de l'Eau, remises au goût du jour parce que de nouveaux droits avaient été accordés à la Confédération des Centaures Européens... Rien d'insurmontable, mais pour cela, il fallait bien connaître les premiers traités et avoir un peu d'ancienneté en politique étrangère. Ce qui n'était visiblement pas le cas du beau-frère en question.
Lucius passa un ou deux appels de cheminette pour s'assurer qu'aucun détail d'importance n'avait eu lieu depuis sa démission, puis il rédigea rapidement une note de trois pages qu'il fit envoyer au Ministère sous pli scellé. En espérant que cela fasse avancer les choses !
Le tout lui avait pris moins d'une heure, mais il n'en était pas très fier. Et il n'était pas prêt d'en parler à Severus ou à Harry ! Remettre un pied dans l'engrenage du Ministère alors qu'il n'était parti que depuis trois semaines ! Même si c'était pour la bonne cause, il avait un peu honte.
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En rentrant de sa randonnée de l'après-midi, Harry trouva Lucius dans le Petit Salon, légèrement bougon et en train d'essayer de s'intéresser à un livre qui, visiblement, peinait à le convaincre. Malgré toute sa bonne volonté, il n'en tira pas une explication et bientôt, l'aristocrate abandonna son livre pour un catalogue de vente d'art, avant de disparaître dans son bureau jusqu'au dîner.
En s'installant à table, Lucius paraissait bien plus détendu et souriant, mais Harry n'eut pas plus de succès pour obtenir une explication. Ils parlèrent de tout et rien pendant le repas, mais certainement pas de ce qui avait préoccupé l'aristocrate. Harry ne faisait plus cas de ces rares silences à son encontre... Avec un peu de patience, il finissait toujours par savoir de quoi il retournait.
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Ils regardaient un film dans la salle de cinéma quand Severus revint de sa journée à la Librairie, mais cette fois, et avec un brin de satisfaction, Harry fut capable d'attendre la fin du film avant de monter pour nourrir son vampire.
La veille, déjà, il avait pu prendre son temps et ils étaient restés un long moment avec Lucius avant de décider de monter. En réalité, ils étaient montés tous les trois en même temps – comme autrefois – Lucius pour aller directement dans sa chambre, et Harry l'avait rejoint une dizaine de minutes plus tard, émoustillé et assez joyeux pour que leur partie de jambes en l'air soit aussi une partie de rire.
Comme Severus buvait moins, le don durait moins longtemps mais ils avaient tendance à parler davantage. Ils prenaient aussi plus de temps pour s'installer, pour se mettre à leur aise, pour se quitter de manière moins précipitée qu'au début. La morsure rebutait de moins en moins Harry. Il n'avait jamais mal, ni jamais aucune cicatrice, il n'avait pas de vertiges, ni de sensation de malaise. La seule contrainte était qu'il avait souvent envie de dormir après... Une fois l'excitation passée !
Cela aussi le gênait de moins en moins; il avait admis qu'il n'y pouvait rien. Et Severus était lui aussi dans le même état, sans que cela ne modifie en rien son comportement envers lui. Était-ce la morsure, son instinct de calice qui réagissait, ou bien une substance sécrétée par le vampire, Harry n'en savait rien, mais son érection était systématique. Il avait pris le parti d'en rire plutôt que d'en être gêné, et puis Lucius était là pour le soulager. Severus, en revanche, restait sur sa frustration, impassible et stoïque.
Et il l'était encore ce soir, tandis que Harry baissait tranquillement la manche de son pull. Un instant, il croisa le regard à la fois sombre et lumineux de son vampire et en éprouva la même fascination que quelques mois plus tôt. Il savait bien que la présence de Severus jouait sur ses instincts et sur ses hormones, mais l'effet s'atténuait lorsque le vampire était absent ou à la Librairie. Harry avait juste appris à ne pas tenir compte de ses émotions immédiates.
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– Tu n'as même pas enlevé le glamour, fit-il remarquer avec impertinence.
Au final, Severus ne l'avait enlevé que deux ou trois fois, et plus depuis quelques jours. La faute à la précipitation, dans un premier temps, et puis à l'oubli...
– Et pour cause, sourit Severus. Je ne porte plus de glamour.
– Depuis quand ? s'étonna Harry.
– Un ou deux jours... Il s'est effacé naturellement quand mon apparence réelle a rejoint mon apparence « améliorée ».
– Et tu n'as plus du tout les yeux rouges ?! Je pensais que c'était encore le glamour qui cachait leur couleur...
– Non. Tu me nourris tous les jours en ce moment, cela suffit pour faire quasiment disparaître la sensation de faim... Ils ne sont rouges que lorsque la partie la plus sauvage en moi prend un peu le dessus. De façon mesurée, précisa Severus.
Il avait dit cela en souriant, pour le rassurer, mais malgré ce qu'il avait vécu, Harry n'était pas inquiet. L'influence de son instinct, sûrement.
– Ça ne s'est pas produit avec moi...
– Non. Lucius y a eu droit, une fois ou deux... Une question de... dominance.
À sa façon de le dire, Harry comprit très bien à quoi il faisait allusion et brusquement, il se demanda comment se passait le sexe à présent, entre ces deux-là. Il imaginait mal Severus tenir le même rôle de passif qu'auparavant. De la même manière qu'il imaginait mal Lucius offrir son corps à la pénétration de son mari alors qu'il avait toujours refusé de le faire... Severus devait avoir les yeux rouges assez régulièrement !
– Je vois, fit Harry avec un sourire amusé.
Ceci dit, Severus, avec ses contraintes horaires depuis qu'il avait réouvert la Librairie, ne devait pas partager beaucoup de moments avec Lucius. Bien moins qu'avec lui, de toute évidence !
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– Mais comment se fait-il que ton apparence ait changé si vite ? fit Harry en revenant à cette histoire de glamour. Tu étais quand même très... marqué.
– Je suis un jeune vampire, répondit tranquillement Severus. Ou du moins, ma transformation est récente. Du coup, toutes mes réactions liées à ma « nature » sont plus amplifiées que pour les vampires plus anciens. Je suis plus sensible à la faim : Mihai peut tenir plusieurs semaines sans boire, ce qui n'est pas du tout mon cas. Je suis aussi plus sensible au bruit, et surtout à la lumière. Et je suis aussi beaucoup plus « vif », y compris dans mes réactions de protection vis à vis de toi, ou dans mes instincts de défiance vis à vis de Lucius ou d'autres... Les vampires plus anciens ont tendance à être plus « tempérés ». Avec les années qui passent, leurs émotions et leurs réactions sont davantage lissées par le temps... Ils sont plus calmes, plus paisibles. Les hommes disent que les Anciens sont sages, gloussa-t-il. Je dirais qu'ils sont mous. Ou amorphes. Mihai a plus de deux cent ans et il en faut beaucoup avant de seulement le voir agacé... Quand il l'est, il vaut mieux ne pas rester dans les parages, mais selon les serviteurs du Palais, c'est beaucoup plus rare qu'autrefois. Le corollaire, c'est que je marque aussi beaucoup plus vite physiquement. La faim s'imprime directement sur la couleur de mes yeux ou sur mon visage, mais je récupère aussi très vite. Tu as vu la différence lorsque tu as nourri Mihai : le changement physique était visible au premier coup d'œil, mais il était beaucoup moins important que le mien...
Harry hocha la tête au souvenir de son don de sang au vampire et à la façon dont il avait littéralement repris des couleurs... D'ailleurs, ce mot dans la bouche de Severus le perturbait un peu. Pour lui, il n'avait pas nourri Mihai, il lui avait donné son sang. Il ne nourrissait qu'un seul vampire et c'était Severus.
Avec un peu de recul, Harry pouvait aussi comparer les morsures. Celle avec Mihai avait été plaisante, sensuelle, légèrement érotique. Le vampire avait joué avec lui et il avait cherché à le provoquer, mais il n'y avait pas, comme avec Severus, cette impression de soulagement, d'accomplissement. Certes, à l'époque, il n'était pas encore un calice, mais il n'y avait pas non plus ce lien particulier qu'il avait avec Severus. Aujourd'hui, les morsures étaient presque un moment de détente, de relâchement, dont il sortait apaisé et satisfait. Avec Mihai, il y avait eu du jeu et de l'attirance, mais à aucun moment, il n'avait eu ce sentiment d'être à sa place et que les choses étaient en ordre. Et il n'avait pas non plus eu ce sentiment dans le pavillon chinois !
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– Alors, avec le temps, tu vas devenir un vieux vampire tranquille, à végéter devant la cheminée ? gloussa Harry en se souvenant de Severus s'assoupissant le soir dans son fauteuil.
– Peut-être, sourit le vampire. Mais pas avant des dizaines d'années...
Des dizaines d'années... Harry n'était même pas sûr d'être encore vivant pour le voir. Et qui nourrirait Severus alors ?...
– Tu ne m'as pas dit ce que tu pensais du fait de me laisser boire tous les jours, finalement, fit Severus qui cherchait de toute évidence à changer de sujet. Est-ce que tu trouves ça plus confortable ou tu préfères revenir à des morsures plus espacées ?
– Oh non ! Ça me va très bien, assura Harry. Je n'ai plus du tout de gêne ou de sensation de fébrilité. C'est beaucoup plus... tempéré, ajouta-t-il avec un sourire. Même au bout de vingt-quatre heures, je ne ressens pas vraiment d'inconfort.
– Bien. Alors, si tu n'y vois pas d'inconvénient, on peut peut-être continuer comme ça. Ceci dit, il y en a peut-être certains aspects auxquels tu n'as pas pensé...
Harry leva un sourcil interrogateur tandis que Severus se passait la main dans les cheveux avec un air... hésitant.
– Déjà le temps et la disponibilité que ça te demande... si tu as envie sortir un soir, ou toute la nuit. Et puis... l'alcool, dit le vampire. Je sais que le soir où vous êtes allés à l'opéra, tu as fait attention à ne pas boire d'alcool parce que tu devais me nourrir après, mais à la longue, cela peut devenir une contrainte, si tu me nourris tous les soirs... Ceci dit, on peut le faire le matin si tu préfères, mais cela veut dire qu'il ne doit plus rester une goutte d'alcool dans ton sang à ce moment-là.
Harry haussa le deuxième sourcil avec une moue embêtée. Il ne pouvait pas dire qu'il buvait beaucoup, mais les dîners en famille... les soirées avec Matthieu ou Draco... les sorties avec Alicia...
– Il faut combien de temps au juste pour éliminer quelques verres de vin ? gloussa-t-il en grimaçant.
– Je ne sais pas exactement, répondit Severus. Plusieurs heures, sans doute... En réalité, je peux toujours sauter une morsure si tu veux une soirée de liberté pour sortir ou pour boire sans devoir faire attention, mais ce serait sans doute inconfortable pour toi, et tu serais obligé de te purger autrement de l'excédent de sang...
Se saigner comme il l'avait fait à Bruxelles ?! Harry fronça les sourcils à cette idée choquante. À Bruxelles, il n'avait pas eu le choix, mais à présent que Severus était revenu, c'était presque... un parjure. Gaspiller son sang alors que Severus avait faim et qu'il pouvait servir à le nourrir lui paraissait brusquement impossible.
Restait la possibilité de décaler les morsures au matin, s'il était sobre, mais sans doute aussi de dérégler leur routine tranquille.
– Je ne sais pas trop, fit Harry, perplexe. J'imagine qu'on verra ça au fur et à mesure, si le besoin s'en fait sentir. Je veux dire si... si je sors ou si je bois un verre ou deux... Tu ne tolères rien du tout, ou bien tu supporterais un peu d'alcool dans mon sang ?
Severus laissa échapper un sourire en se réinstallant, une jambe repliée sur le dessus de la couette tandis que l'autre pendait au bord du lit.
– Au vu de la sensibilité de mes réactions, je préfère m'abstenir d'essayer ! gloussa-t-il. Mais ça ne me dérange pas si tu préfères sauter une morsure pour pouvoir profiter d'une soirée, même si tu me le dis à la dernière minute... Ou bien je peux te mordre juste avant, mais alors ce sera à toi de gérer tes envies de sommeil et de sexe après ! Dans tous les cas, j'adapterai la quantité de sang que je te prends à chaque fois pour que tu ne sentes pas la différence. Si on décale une morsure au matin, je prendrai plus de sang à ce moment-là, et beaucoup moins le soir suivant... Je ferai en sorte que ce soit très linéaire pour toi, très lisse...
Harry hocha simplement la tête, touché par l'attention que manifestait Severus à son confort, mais aussi bien conscient que la jambe repliée du vampire longeait sa cuisse et sa fesse. Un contact qui aurait pu être anodin, mais qui n'existait plus entre eux depuis bien longtemps. Severus touchait son poignet avec sa bouche, ses lèvres, ses doigts; l'autre jour, il l'avait aidé à s'asseoir, mais ce contact-là : sa jambe le long de sa cuisse, était voulu, délibéré et il ressemblait trop à une tentative de rapprochement physique pour que cela le mette à l'aise.
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Lentement, Harry essuya les paumes de ses mains sur son pantalon, puis se leva en douceur.
– Je vais aller rejoindre Lucius avant qu'il ne s'endorme tout seul... Qu'est-ce que tu vas aller écouter cette nuit ?
Sans s'offenser de son mouvement de retrait, Severus sourit avant de se mettre à réfléchir.
– Un opéra ? Un Puccini, sans doute... Turandot ou bien Madame Butterfly... Tu demanderas à Lucius de t'emmener les voir. Ils font partie de ses préférés...
Harry sourit à son tour.
– Eh bien... bonne nuit, alors. À demain.
– À demain, fit Severus avec un regard souriant.
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(1) Verdi. La Traviata. Acte III: Addio del passato
Merci de votre lecture et de votre fidélité :)
Un petit chapitre où il ne se passe pas grand chose mais qui augure le rapprochement progressif entre Harry et Severus... La semaine prochaine, leur relation devient plus sereine, mais c'est au tour de Severus de douter un peu et de se faire bousculer par son mari et son filleul.
Au plaisir
La vieille aux chats
