Résumé: Lucius a prévu d'organiser une sortie tous les trois à l'opéra avant son mariage avec Harry, pour montrer que Severus fait toujours partie de leur vie et n'est pas "exclu" de leur couple... Severus accepte de les y accompagner mais pendant quelques jours, il rumine ses angoisses de ne pas parvenir à se maîtriser face aux gens qui aborderont ou parleront à son calice. Chacun à leur manière, Harry et Lucius essaient de le rassurer...

Aujourd'hui, nous sommes à l'opéra. Bonne lecture!

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Les dorures étaient les mêmes que l'autre jour. L'immensité du hall d'entrée, le scintillement éclatant des miroirs et des lustres de cristal, le brouhaha de la foule, les rideaux rouges aux broderies dorées et le sol de marbre où claquaient les talons des femmes et la canne de Lucius. Les éclats de rire de loin en loin, au milieu des conversations policées. Les tenues d'apparat rehaussées de bijoux précieux. Une multitude de visages, de gestes, de mains qui se serrent, de sourires vrais ou plus convenus, de doigts qui attrapent une coupe de champagne, de sourcils haussés et de regards qui se croisent.

Harry sourit en s'avançant au bras de Lucius. Il n'aimait pas la foule, il n'appréciait pas plus que ça de devoir être ici pour préserver une certaine image du nom des Malfoy ou de leur couple à trois, mais il le faisait de bonne grâce. Ce qu'il appréciait en revanche, c'était de savoir que cette fois, Severus était avec eux et que le sourire de Lucius n'avait rien de faux ou de convenu. Il appréciait de venir voir cet opéra en leur compagnie et de partager un peu plus que ce qu'il partageait la nuit avec son vampire. Il appréciait d'être là, pas pour faire taire les rumeurs, mais pour ce que ça représentait pour eux.

– Fais au moins l'effort de retirer ta capuche, murmura Lucius. Comment veux-tu qu'on te reconnaisse sur les photos ?

La phrase était dite avec une pointe d'ironie qui fit grogner Severus mais il s'exécuta tout de même. De ses mains gantées, il baissa le capuchon de sa cape qui se rassembla sur sa nuque et dévoila son visage pâle et ses cheveux noirs d'encre aux regards des curieux. Et des photographes. Lucius lui murmura quelques mots à l'oreille que Harry ne perçut pas dans le bourdonnement de la foule et Severus esquissa enfin ce qui ressemblait à un sourire en coin plein de complicité.

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Ils étaient arrivés suffisamment en avance pour avoir le temps de traîner un peu dans le hall et de faire quelques mondanités mais Harry serait bien monté directement dans la loge. Même s'il savait à présent comment procéder, faire transplaner Severus avec lui était fatiguant et puisait dans sa magie. L'effet ne durait pas mais les quelques minutes qui suivaient étaient éprouvantes. Il se raccrocha au bras de Lucius qui tenait déjà une coupe de champagne et passa sa main sur son visage, avant de surprendre le regard soucieux de Severus.

C'était peut-être la fatigue aussi... Severus l'avait mordu quelques minutes avant de partir et les morsures étaient souvent suivies d'un intense besoin de sommeil. Mais il n'était pas question qu'il soit fatigué maintenant !

En souriant pour rassurer son vampire, Harry songea que pour une fois, son excitation avait été quasiment inexistante. En réalité, il soupçonnait Severus de n'avoir quasiment rien bu. C'était pourtant lui qui avait proposé – suggéré avec insistance – la morsure, « juste quelques gorgées » avant celle du soir qui aurait lieu en rentrant de l'opéra, pour se détendre l'un et l'autre et chasser leur nervosité.

De ce que Harry avait ressenti, c'était davantage le fait de le mordre qui avait détendu Severus, plus que le sang en lui-même. Une façon de reprendre un peu possession de lui, de l'imprégner de son odeur, de sa puissance, de sa marque... D'ailleurs, il avait presque hésité à effacer les deux traces de ses canines d'un coup de langue avant de s'y résigner. Étrangement, s'il les avait laissées jusqu'à leur retour au Manoir, Harry ne lui en aurait pas voulu.

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Il serra une main ferme, répondit à un sourire par un sourire et ajouta quelques mots sans même y prêter attention. Il ne savait déjà plus qui était cette personne que Lucius venait de lui présenter, mais Harry ne s'en souciait guère. Son futur mari déteignait sur lui de façon éhontée. À présent, il était capable de se comporter comme un pur Malfoy, toujours poli et courtois, exemplaire et irréprochable jusqu'au bout des ongles. Ce qui ne l'empêcha pas de glousser en demandant de qui il s'agissait dès qu'ils s'éloignèrent, s'attirant un regard réprobateur de Lucius et un sourire amusé de Severus.

– Tu veux boire quelque chose ? lui proposa l'aristocrate avant de porter sa coupe de champagne à ses lèvres.

– Non merci, répondit Harry en souriant devant cet attrait irrésistible pour les petites bulles françaises.

Avec la même question à l'esprit, Lucius tourna par habitude son regard vers Severus, qui haussa un sourcil moqueur. Il avait très certainement envie de boire, mais rien qui ne pouvait se faire ici, ni sans un certain degré d'intimité avec son calice. Même Harry finit par ricaner devant la gêne passagère de Lucius.

Malgré l'appréhension qu'il avait laissée transparaître avant de venir, il trouvait Severus plutôt à l'aise depuis leur arrivée, autant vis à vis de l'environnement que des personnes présentes. Il ne semblait pas incommodé par la lumière déclinante du soir, tant qu'ils se tenaient loin des portes vitrées ouvertes sur la rue. Il se contentait de leur tourner le dos, et à travers la foule dense et serrée, les dernières lueurs du jour ne parvenaient presque pas jusqu'à eux, effacées par la lumière artificielle des lustres.

Severus supportait même sans broncher les regards insistants qui le dévisageaient, les murmures sur son passage quand on le reconnaissait, les coups d'œil craintifs, les sursauts de surprise, les grimaces de dégoût... Il s'était laissé prendre en photo – plus ou moins discrètement –, il avait serré des mains tout autant que lui, souri sans paraître se forcer, il avait dit quelques mots aimables quand il le fallait, il jouait son rôle à la perfection... même si Harry soupçonnait qu'il usait très légèrement de son influence pour maintenir à distance les simples curieux. Il n'en restait pas moins que Lucius était ravi et cachait mal sa fierté.

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– Vous avez l'air d'aller plutôt bien...

– Je suis ravie de vous revoir dans ce genre d'événements et en si bonne forme, apprécia une femme entre deux âges drapée dans une robe fourreau et un collier de perles.

Avec un sourire franc, Severus serra la main de Parkinson et offrit un baise-main à sa femme.

– Je vais très bien, merci. Et c'est toujours agréable de venir à l'opéra, surtout pour celui-là...

Harry vit Lucius esquisser un sourire en coin, puis il salua à son tour les parents de Pansy Parkinson. Il les connaissait à peine, mais Severus les fréquentait de loin en loin depuis des années, au gré des soirées mondaines où le traînait Lucius, et leur sympathie avait l'air sincère. Aussi sincère que les exclamations joyeuses des Nott en les rejoignant.

Harry se sentait légèrement de trop dans ce petit monde de l'aristocratie sorcière dans lequel Severus ne dénotait même pas, en dépit de son union avec un homme. Malgré tout, le sourire de satisfaction de Lucius suffisait à justifier sa présence ici. Et surtout, le calme serein et puissant de Severus faisait plaisir à voir. Après la réserve froide et suspicieuse des regards posés sur eux, renouer avec des connaissances qui ne le fuyaient pas et qui semblaient au contraire apprécier son retour, paraissait l'avoir rasséréné. Harry sentait sa puissance rayonner sans être pesante, une espèce d'aura intense qui imposait le respect et presque une certaine déférence. Severus avait pris une envergure que tout le monde ressentait, et lui plus encore.

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Après le départ des Nott, ce fut un visage vaguement familier que Harry vit approcher et dont il serra la main sans parvenir à remettre un nom dessus.

– Monsieur Potter... Monsieur Rogue, j'espère que vous allez bien ?

– Très bien, merci.

– Lucius...

– William ! s'exclama l'aristocrate en se détournant de sa conversation précédente. Comment allez-vous ? Et quel bon vent vous amène ici ?

– Le travail, toujours... mais ça n'empêche pas de profiter des bonnes choses.

– Harry, tu te souviens de William MacNair, le journaliste à qui tu avais donné une interview, il y a deux ans...

– Oui, bien sûr. Et le père de James, fit Harry avec un grand sourire. Pardonnez- moi, votre visage m'était familier mais je n'arrivais plus à vous situer.

Après quelques minutes d'une conversation polie qui esquiva d'un accord tacite les événements récents, MacNair prit Lucius légèrement à part.

– J'ai fait un très très beau portrait de vous trois, tout à l'heure, murmura-t-il avec un air espiègle. Je vous l'enverrai, si vous voulez. Sinon, vous le trouverez demain dans la Gazette.

– Avec plaisir, répondit Lucius. Je connais vos talents de photographe. Et ce genre d'image est toujours... symbolique et appréciable.

MacNair hocha la tête avec un sourire et un air entendus.

– D'ailleurs, qu'est-ce que vous faites le vingt-et-un septembre ?

– Luce ! protesta Harry qui venait de saisir la proposition au vol.

– Eh bien quoi ? fit l'aristocrate avec un rire amusé. Il nous faut bien un photographe officiel !

Harry leva les yeux au ciel tandis que le regard intrigué de MacNair passait de l'un à l'autre.

– La plupart des serments sorciers n'empêchent en rien une double union, murmura Lucius encore plus bas. Je vous offre la primeur de l'information, faites-en bon usage...

Avec une précision d'horloger, Harry aurait pu situer au dixième de seconde près le moment où MacNair comprit ce que sous-entendait Lucius. Ses yeux s'agrandirent, puis son sourire s'élargit, terriblement sincère.

– Je n'y manquerai pas. Et... toutes mes félicitations.

Son regard chaleureux s'attarda sur eux puis devint plus incertain et glissa lentement vers Severus qui lui répondit avec un sourire serein.

– Votre vie est une succession de rebondissements, murmura MacNair. Mais je suis heureux que tout se termine par un Happy End.

Harry pinça les lèvres. Leur situation n'était pas aussi merveilleuse que William semblait le croire, mais ils s'efforçaient malgré tout de n'en garder que le positif. Rien n'avait pu empêcher Severus de mourir et de devenir un vampire, rien n'avait pu empêcher l'enfermement sordide et destructeur dans le pavillon chinois, rien n'avait pu empêcher son lien avec son vampire de se résumer à une relation de sang sans attachement, ni amour, rien n'avait pu empêcher Lucius de se retrouver pris entre deux feux... mais ils s'efforçaient d'en tirer le meilleur.

– Merci pour ce que vous avez fait pour James, fit brusquement MacNair qui l'avait pris à part. Je sais que vous n'avez pas obtenu les résultats que vous escomptiez, mais le fait que l'ayez fait participer à vos recherches a beaucoup compté pour lui. Ça a été une révélation et il vous doit énormément.

Hary jeta un coup d'œil inquiet vers Severus qui semblait pris dans une autre conversation et légèrement trop loin pour percevoir leurs murmures. Ce n'était ni le lieu, ni le moment pour évoquer toute la période sombre de cette course contre la montre pendant sa transformation. Elle s'était certes terminée par un succès grâce à Lisbeth, mais pour lui et pour son vampire, elle n'était qu'un échec douloureux.

– James est un garçon brillant, assura-t-il cependant avec un sourire confiant. Il aura un bel avenir s'il poursuit dans cette voie-là... et il sera bien entouré par votre future belle-fille !

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Malgré la bienveillance des quelques personnes qu'ils avaient croisées, Harry fut aussi soulagé que Severus de se rendre enfin dans leur loge et d'y trouver un semblant de tranquillité.

À peine la porte de l'alcôve refermée, il attrapa la carafe laissée à disposition et se versa un grand verre d'eau qu'il avala d'un trait. Puis il soupira et partit s'asseoir dans le fauteuil, laissant le canapé pour Severus et Lucius. Ne serait-ce que pouvoir s'asseoir était déjà appréciable. Et puis c'était leur opéra, leur moment, il pouvait bien leur laisser un peu d'intimité.

Harry jeta un regard dans la salle : la moitié des places du parterre étaient encore inoccupées; il restait un peu de temps avant le début de la représentation. Il se renversa contre le dossier de son fauteuil et ferma les yeux, savourant la chaleur confortable de l'endroit. Pour un peu, le murmure continuel des voix des spectateurs l'aurait bercé et il aurait pu s'assoupir là, tranquillement. Sans savoir pourquoi, il se sentait fatigué. Avec pour seule envie de s'allonger dans un coin, entre deux bras accueillants et des mains qui l'auraient caressé de temps en temps, sans même y penser. Il avait envie de tendresse.

Enfin, la lumière s'éteignit dans la salle, le brouhaha se tut peu à peu et le rideau s'ouvrit.

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Au moment où la lumière se ralluma, Harry referma les yeux, emportant dans son esprit et derrière ses paupières l'image des deux mains jointes de Lucius et de Severus et de leurs doigts entrelacés.

Il ne pouvait pas nier que l'opéra était magnifique, les chants somptueux, les voix incroyables. Tout était époustouflant : la richesse des costumes chatoyants, la beauté des décors, si minutieux et réels qu'il s'était senti transporté ailleurs en quelques secondes, les chœurs, formidables d'émotion, et cette histoire, aussi belle que cruelle... Mais l'histoire qui se jouait là, à un mètre de lui, l'émouvait tout autant.

Il n'avait pas vu le geste qui avait rapproché les deux mains de son futur mari et de son vampire. Simplement, à un moment, en les regardant à la dérobée dans la pénombre de la salle, il avait vu leurs mains enlacées et son cœur s'était gonflé de joie et de tristesse mêlées, d'une émotion qu'il ne comprenait même pas mais qui avait mis de l'humidité dans ses yeux et une gêne manifeste dans sa gorge.

Il était ridicule à s'émouvoir pour si peu de choses, pour ce qui ne le concernait même pas en réalité... Lucius et Severus avait leur propre relation, leur jardin secret, une histoire qui leur appartenait. Ils s'aimaient, et quelle que soit sa propre relation avec Severus, cela restait beau à voir.

C'était sans doute la fatigue qui le faisait réagir ainsi, à fleur de peau. La fatigue et un brin de regrets. Celui de ne plus pouvoir vivre cela avec Severus...

Harry n'avait rien oublié de ce qui s'était passé dans le pavillon chinois, ni la violence, ni la douleur, ni les mots, ni les gestes... mais il se souvenait aussi d'avant, d'autres mots et d'autres gestes, de douceur et de tendresse, des moments d'amour, des étreintes douces et réconfortantes, du plaisir de se serrer contre ce corps-là. Bizarrement, Severus lui manquait et ce sentiment était particulièrement criant ce soir.

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– Est-ce que tout va bien ?

Harry frissonna sous la main qui pressait doucement son épaule et ouvrit les yeux sur le visage soucieux de Severus.

– Oui, très bien, répondit-il en parcourant du regard la salle à demi-vide et le rideau rouge ondulant sur la scène. Où est Lucius ?

– Il est descendu faire des mondanités pendant l'entracte, comme tu dis si bien, sourit Severus.

Le retrait de la main de son vampire le fit frissonner de nouveau et Harry soupira doucement.

– J'ai cru que tu t'étais endormi.

– Pas pendant l'opéra ! protesta Harry. J'étais juste... ailleurs.

– Assez loin pour ne pas réagir quand Lucius t'a proposé de descendre avec lui...

En souriant, Severus s'était déjà détourné vers la console où se trouvait la carafe d'eau et il revint avec un plateau de service chargé d'une théière et de tasses de porcelaine qu'il posa sur la petite table basse.

– Tu veux un thé ?

– Oui, je veux bien, fit Harry tandis que Severus se rasseyait dans le canapé.

Ils burent leur thé en silence, chacun perdu dans ses pensées, le regard s'égarant dans la salle à leurs pieds, sur un couple bien mal assorti, sur un enfant que l'on avait traîné à l'opéra contre son gré et qui s'agitait sur son siège, sur une sorcière cacochyme dont la robe d'un autre temps piquait les yeux.

Et perdu était bien le mot. Même s'il était ravi d'être là, Harry se sentait perdu dans ses sentiments, pris dans une ambivalence dont il n'arrivait pas à se sortir. Severus... Severus ne l'attirait pas, mais il chérissait les moments passés ensemble la nuit dans la Bibliothèque. Il appréciait de nouveau sa compagnie, même silencieuse, son ironie mordante, son acidité. Sa douceur aussi puisque Severus se montrait toujours très attentif à lui, toujours soucieux de son bien-être. Harry ne pouvait que reconnaître à quel point son comportement était exemplaire. Sans compter que depuis sa transformation, Severus avait gagné en prestance, et sa présence remuait beaucoup de choses en lui.

Et puis il y avait les morsures. Les morsures qui devenaient au fil des jours un plaisir de plus en plus grand, et pas seulement sur le plan physique. Les inconvénients restaient les mêmes : l'excitation, le besoin de sommeil, la faim... Mais paradoxalement, plus le temps passait, plus les morsures lui procuraient un sentiment de sécurité.

Lorsque Severus le mordait, il se sentait bien, à sa place, fier de pouvoir nourrir son vampire et submergé par un sentiment de sérénité calme et confortable. Un moment, Harry avait même cru que son vampire usait de son charme et de son influence sur lui, pour l'amadouer et le mettre dans de bonnes dispositions à son encontre, mais son intuition lui disait le contraire. Severus n'aurait pas risqué de perdre à nouveau sa confiance en le manipulant.

Restaient ces morsures qui représentaient un plaisir interdit, déplacé, mais que Harry jugeait malgré lui insuffisant. Il avait envie de plus. Le plaisir était tel, quand Severus buvait son sang, qu'il rêvait que son vampire le prenne dans ses bras, qu'il le serre contre lui dans une étreinte pleine de tendresse, qu'il le morde ailleurs.

Dans le cou...

Et Harry ne savait pas quoi faire de cette envie-là.

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Sans doute que la présence de Severus influait sur son ressenti, sur ses émotions. Sans doute que sa nature de calice lui dictait certains comportements, et même certaines envies. Sans doute que leur lien avait un impact indéniable sur ce qu'il pouvait penser ou éprouver... Mais le fait était que Severus prenait de plus en plus d'ampleur dans sa vie et que Harry en venait à attendre les morsures et leurs moments en tête à tête avec impatience.

Mais raisonnablement, il n'était pas sûr de vouloir aller aussi loin.

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Le rideau se referma sur la scène pour le deuxième entracte et Harry se leva en même temps que Lucius.

– Tu m'accompagnes ? fit-il, surpris.

– J'ai besoin d'aller aux toilettes, avoua Harry en souriant. Et je vais aller me chercher quelque chose à grignoter...

Lucius ne répondit pas mais il leva les yeux au ciel avec un air moqueur qui fit sourire même Severus. Ils avaient dîné avant de venir mais un peu tôt et un peu trop rapidement pour Harry. Et puis cela devenait presque un plaisir d'aller se chercher une petite gourmandise.

– Je suppose que tu restes ici ? fit l'aristocrate à son mari.

– J'ai assez donné de ma personne, je pense, grimaça Severus. Il faudra déjà retraverser tout le Hall d'entrée pour repartir !...

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– Est-ce que vous pouvez mettre ça sur le compte de la loge ?

– Bien sûr, Monsieur. Quel numéro ?

– Premier balcon face. Numéro cent, je crois...

– Monsieur Lucius Malfoy ?

– Oui, s'il-vous-plaît.

– Ce sera fait, Monsieur.

Harry remercia poliment le serveur et s'écarta sur le côté pour trouver un tabouret haut et s'installer au bar le temps de manger sa pâtisserie. La foule était dense, bruyante, colorée, et Lucius se trouvait là, à quelques mètres, en grande discussion avec Antonius Greengrass et une coupe de champagne à la main. Harry s'était extirpé avec bonheur de cette conversation politique pour assouvir sa gourmandise et il ne le regrettait pas le moins du monde !

Il avalait sa dernière bouchée de sucre et de chocolat quand il aperçut une silhouette s'approcher et s'installer près de lui. Il n'y prêta pas plus d'attention jusqu'à ce qu'une main tendue ne l'incite à lever la tête.

– Monsieur Potter... Je suis ravi de vous revoir !

Surpris, Harry détailla le visage masculin un peu lourd qui lui faisait face, le front dégarni aux cheveux blonds lissés en arrière, les yeux bleus perçants qui lui rappelaient ceux de Matthieu et la bouche aux lèvres pleines et ourlées. Un homme, un peu plus vieux que Lucius, mais qui ne lui rappelait aucun souvenir.

– Pardonnez-moi, nous nous connaissons ? fit-il en tendant malgré tout la main. Monsieur... ?

– Louis-Marie d'Alagnac. Nous nous sommes croisés une ou deux fois à des soirées du Ministère il y a bien longtemps, et plus récemment au mariage de Francis Dorléans, à Paris.

– C'est possible, hésita Harry en souriant pour s'excuser. Ma mémoire n'est pas toujours très fiable...

– Et j'imagine que vous rencontrez bien trop de monde pour vous souvenir de chacun...

Harry acquiesça obligeamment, percevant enfin le léger accent français qui l'avait dérouté au départ.

– Alors, comment trouvez-vous l'opéra ? Vous l'aviez déjà vu peut-être ?

– Pas celui-ci, non, fit Harry en remarquant la broche ancienne que portait l'homme sur la poche poitrine de son costume sorcier : un rubis d'un rouge velouté en forme de goutte, enchâssé sur une monture d'argent ouvragé. Je suis venu voir La Traviata il y a quelques temps, mais je préfère nettement celui-ci !

D'Alagnac avait souri en suivant son regard insistant et il baissa une seconde les yeux sur sa broche.

– C'est l'emblème de mon château... Et je vous rejoins tout à fait en ce qui concerne l'opéra : à mon sens, Turandot est au dessus de La Traviata. D'autant que la mise en scène de ce soir est particulièrement réussie. Et encore, vous n'avez pas entendu le dernier acte !

– Votre château ? fit Harry en haussant un sourcil alors que Lucius lui adressait un sourire depuis sa conversation avec Greengrass.

– Je possède quelques terres dans le Bordelais... Des domaines viticoles qui sont, ma foi... plutôt fameux. Je produis essentiellement du vin rouge, mais je possède aussi quelques domaines en Champagne.

– Ah ! Les fameuses petites bulles françaises ! gloussa Harry en glissant un regard vers la flûte que Lucius tenait en main.

– Je vous offre une coupe de ma dernière cuvée ? proposa D'Alagnac en faisant déjà signe au serveur. Il doit bien rester quelques bouteilles dans tout ce que j'ai fait livrer ce soir !

Le sourire était délicieux, l'intention amicale, le champagne sans doute savoureux, mais Harry arrêta le serveur d'un geste.

– Merci, mais je ne bois pas d'alcool.

– Bien entendu. C'est tout à votre honneur d'être si soucieux de la pureté de votre sang...

Un instant, Harry crut avoir mal entendu dans le brouhaha des conversations autour d'eux. Puis l'instant d'après, il crut avoir affaire à un vieil aristocrate qui plaçait le statut du sang en haut de ses priorités.

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Il ne sut pas vraiment ce qui lui mit la puce à l'oreille... Le regard vif et acéré de l'homme en face de lui, son sourire gourmand, la couleur sombre et veloutée de ce rubis sur lequel son regard revenait malgré lui ou bien la conscience soudaine de la médaille de Mihai qu'il tripotait dans la poche de son pantalon... ? Mais brusquement l'évidence lui sauta aux yeux : l'homme devant lui était un vampire.

Un vampire qui venait le sonder en douceur, discrètement, et qui savait sans doute très bien ce qu'il était.

– Quel dommage que vous ne puissiez vous-même profiter de tous ces alcools que vous produisez ! fit Harry avec un sourire narquois.

D'Alagnac salua ses paroles d'un rire plein de connivence, bien conscient qu'il avait percé à jour sa véritable nature.

– Il est d'autres breuvages bien plus exquis, que je devine rien qu'à leur odeur, susurra-t-il.

– Si vous percevez cette odeur, vous devez bien percevoir aussi que j'appartiens déjà à quelqu'un, répliqua Harry.

– Appartenir ! Que voilà un mot bien puissant et bien symbolique, fit D'Alagnac en secouant légèrement la tête. Mais vous vous trompez, cher ami. Aucun homme, fût-il un calice, n'appartient à qui que ce soit. Les allégeances ne sont pas figées dans le temps.

Harry répondit au sourire malicieux par un sourire serein et détendu.

– Je vous remercie, mais je suis parfaitement bien à la place qui est la mienne et je n'en regrette strictement rien.

– Eh bien, si jamais un jour l'envie vous prend de changer d'air ou d'allégeance, je me ferai un plaisir de vous faire visiter mes domaines...

– Si je changeais d'allégeance, je crains que vous ne soyez pas le premier sur les rangs, gloussa Harry en caressant doucement la médaille de Mihai.

Avec un geste élégant de la main, D'Alagnac concéda sa défaite virtuelle, mais son sourire résigné conservait toute son ironie.

– Hélas ! Ce sont toujours les plus beaux partis les plus convoités !

– Vous m'en voyez désolé ! fit Harry en riant doucement.

L'homme n'était pas désagréable; espiègle, un brin vieux jeu, amusant... un chassé-croisé léger en guise de conversation et surtout, aucune insistance qu'il aurait pu juger déplacée. Harry aurait pris plaisir à poursuivre cet échange futile si un bras possessif glissé autour de sa taille ne l'avait fait se raidir brusquement.

Il y a un problème ? fit une voix polaire.

Rien qu'à la voix, il aurait pu savoir que ce n'était pas Lucius, rien qu'à l'intonation, rien qu'à ce son grave qui vibrait au plus profond de lui. Mais ce qui emporta la conviction de Harry, ce fut l'intense sentiment d'apaisement qui l'envahit au contact de ce bras autour de ses reins.

Peut-être même qu'il ferma les yeux une fraction de seconde, peut-être qu'il soupira de contentement, peut-être qu'après des battements échevelés, son cœur reprit un rythme lent et puissant dans sa poitrine, mais personne ne le perçut.

À moins que le regard intrigué et malicieux du vampire en face de lui ne montre son amusement devant leur comportement. Mais Harry avait également remarqué le léger recul et la méfiance soudaine.

– Il n'y a aucun problème, sourit-il en posant une main apaisante sur le bras de Severus. Monsieur prenait congé et j'allais remonter dans la loge...

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Fendant la foule qui s'écartait gracieusement sur leur passage, ils regagnèrent la loge en quelques minutes et sans encombres. Harry soupçonnait même Severus d'user de son aura de vampire pour repousser les gens autour d'eux et dissuader quiconque de les approcher, mais il ne s'en souciait guère. Tout ce qui comptait était ce bras autour de sa taille et ce feu dans ses reins.

Pendant tout le temps qu'ils mirent pour remonter vers le premier balcon, Severus ne l'avait pas lâché et ce ne fut qu'une fois qu'il ouvrit la porte et qu'il s'effaça pour le laisser passer, que son vampire baissa les yeux sur ce bras possessif. Il le retira aussitôt, bougonnant des mots inintelligibles qui devaient tenir autant d'une explication que d'un semblant d'excuse.

– Eh bien ! Je me demandais où vous étiez passés ! s'exclama Lucius en se retournant à leur arrivée.

Il les attendait debout, accoudé à la balustrade en observant les spectateurs regagner leurs sièges pour le troisième acte.

– Severus s'est senti obligé de jouer les chaperons, gloussa Harry. La peur de la concurrence...

Furtivement, il posa sa main sur le bras de son vampire pour se faire pardonner l'ironie tandis que Lucius haussait un sourcil.

– La concurrence ?

Severus bougonnait à nouveau mais brusquement, les lumières s'éteignirent et Harry se jeta dans son fauteuil.

– Plus tard ! Ça recommence !

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Severus avait insisté pour faire seul le trajet vers le Manoir, pour ne pas le fatiguer inutilement maintenant qu'il faisait nuit noire, et il apparut sur le perron quelques secondes avant eux. Ils entrèrent tous les trois, chacun quittant son manteau, sa veste, sa cape, leurs chaussures respectives... Harry fut le premier à grimper le grand escalier du Hall, fatigué et pressé d'aller se coucher. Et pressé de cette morsure qu'il attendait comme un damné depuis le bras de Severus autour de lui.

Ce contact inattendu, ce geste de possession et de jalousie, l'avaient ravi au plus haut point. Il sentait encore la chaleur que ce bras avait allumée en lui, le feu lancinant qui s'était emparé de ses reins, qui avait gonflé son cœur, qui avait parcouru son corps. C'était la première fois que Severus touchait autre chose de lui que son poignet et son corps avait réagi sans attendre : électrisé, effervescent, exalté. Il en voulait encore. Il voulait une morsure.

Mais Harry attendait sur le lit, dans la chambre de Severus, et son vampire traînait dans le couloir avec Lucius. Il ne pouvait pas leur en vouloir. Cette soirée voulait dire beaucoup pour eux : revoir leur opéra préféré, revivre d'anciens souvenirs, réaffirmer leur attachement, exposer aux yeux du monde leur union et leur amour. Ils avaient sans doute envie de prolonger le moment, de passer du temps ensemble. Ils auraient certainement passé la nuit ensemble s'il n'avait pas été là...

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Quand enfin Severus pénétra dans la chambre, Harry s'était allongé sur le flanc, la main glissée sous l'oreiller et les yeux fermés. La fatigue l'avait emporté sur l'envie, l'heure tardive sur le moment à venir.

Malgré tout, il ouvrit mollement les yeux et sourit quand son vampire vint s'asseoir sur le bord du lit, à côté de lui.

– Tu devrais aller te coucher si tu es fatigué. Je peux attendre demain soir.

Attendre... Severus n'avait que ce mot à la bouche depuis son retour. Il pouvait attendre. Qu'il soit d'accord, qu'il soit disponible, qu'il soit moins fatigué... sans doute pour compenser toutes les fois où il avait imposé des morsures.

Harry soupira doucement en fermant les yeux. Il préférait presque le Severus jaloux et possessif qui avait imposé ce bras autour de sa taille que ce Severus servile qui faisait tout pour le préserver et ne pas le froisser.

Il voulait un Severus plus authentique dans sa façon d'être, sans pour autant redevenir le tyran qu'il avait été dans le pavillon chinois. Il le voulait plus franc, plus incisif, moins précautionneux. Tel qu'il l'était certainement avec Lucius. Il n'était pas une petite chose fragile à prendre avec des pincettes. Tout ce qu'il voulait, c'était du respect; pas cette espèce de contrition pour racheter ses fautes. Il ne pourrait pas pardonner le passé, parce qu'il ne pourrait pas l'oublier, mais il pouvait faire en sorte de ne considérer que le présent.

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– Allez, va te coucher, Luce t'attend... Je crois qu'il t'espérait un peu plus en forme, le pauvre, mais il s'en remettra ! gloussa Severus.

– C'est donc pour ça que vous traîniez dans le couloir, sourit Harry. Tu as passé dix minutes à l'exciter pour le laisser sur sa faim ?

Tout en restant presque collé à Severus, il se redressa dans le lit pour s'asseoir et s'adosser aux oreillers.

– Je serai plus en forme quand tu m'auras mordu.

– Tu devrais aller dormir, fit Severus avec un sourire doux.

– Et je n'arriverai pas à dormir en sachant que tu as faim.

Et c'était la stricte vérité. Le calice en lui percevait la faim et surtout l'envie de boire de son vampire et cette sensation ne le laisserait pas en paix tant qu'il n'aurait pas rempli son rôle.

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Rapidement, Harry remonta la manche de son pull pour tendre son poignet avant de se mettre à sourire. La position, l'instant, quelque chose dans ce moment lui rappelait sa toute première morsure, avec Mihai. Il avait alors un peu plus d'appréhension au sujet de la douleur, mais il avait confiance; aujourd'hui, il savait ce que pouvait être la douleur, mais il ne l'appréhendait plus. Il avait tout aussi confiance.

C'était étrange de réaliser cela. Quelque part entre deux morsures et des moments au creux de la nuit dans la Bibliothèque, entre un air d'opéra et un morceau de jazz, la confiance en Severus était revenue. Harry ne craignait plus ni la douleur, ni la violence, ni les excès d'aucune sorte. Il savait que jamais plus Severus n'irait aussi loin, que le vampire en lui chérissait le calice qu'il était. La violence pouvait s'exercer envers les autres, mais pas envers lui. Quoiqu'il advienne, Severus ferait toujours en sorte de le protéger.

Harry ne savait toujours pas pourquoi ce qui avait eu lieu dans le pavillon chinois avait pu se produire, mais ce n'était clairement plus d'actualité. Dans les regards de son vampire, dans son attitude, dans ses attentes silencieusement refrénées, il lisait aujourd'hui leur lien, l'attachement étrange de Severus, fait de désir, de détermination et de fidélité absolue. Un sentiment de possession dévouée qui lui faisait mieux comprendre les mots de Mihai « le calice est un trésor aux yeux de son vampire ».

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Et l'envie était là également, dans les yeux rougeoyants de Severus, et il ne se fit pas prier davantage pour prendre son poignet dans sa main et le mordre. Harry ferma les yeux pour savourer ce plaisir étrange qui ruisselait dans son corps.

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ooOOoo

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– Comment se fait-il que tu sois debout avant moi ?!

En riant, Lucius glissa une main possessive dans ses cheveux pour lui faire incliner la tête et l'embrassa avec avidité.

– Je n'ai pas très bien dormi, avoua Harry.

La main descendit vers sa mâchoire, le pouce retraçant ses cernes sans doute trop visibles et les sourcils se froncèrent.

– Comment ça se fait ? demanda l'aristocrate en s'installant à la table du petit déjeuner.

Harry éluda la question de la main.

– Mauvais rêves... Rien de méchant.

Pendant quelques secondes, Lucius eut un regard perçant puis il décida de ne pas insister et se servit une tasse de thé tout en feuilletant les journaux du jour.

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Harry soupira et recommença à manger. Ça n'était pas à proprement parler un cauchemar, mais comment expliquer ce mauvais rêve qui l'avait poursuivi toute la nuit. Il était au milieu d'une réception quelconque, une soirée de gens élégants et fiers qui se promenaient tous sous des lustres dorés avec une flûte de champagne à la main, et d'Alagnac le rejoignait, lui, au milieu de tout ce beau monde, pour le courtiser encore et encore. Et Harry changeait d'endroit, il transplanait dans une autre réception et d'Alagnac le suivait, encore et encore, de soirée en soirée, toujours courtois mais toujours insistant. Et quand au bout d'un moment, lassé, fatigué, Harry se résignait à le laisser le mordre, il se retrouvait brusquement face au regard furieux de Severus. Et Harry se sentait désolé, tellement désolé et tellement coupable... Et quand les canines de d'Alagnac se posèrent dans son cou, au beau milieu de tous ces regards avides et fascinés, la colère de Severus disparut pour ne laisser place qu'à un regard blessé qui avait réveillé Harry en sueur et le cœur échevelé.

Rien qu'à y repenser, la culpabilité se répandit à nouveau dans son esprit, gonflant sa gorge d'une émotion contrariée qui lui fit secouer doucement la tête. Ce n'était qu'un rêve. Il n'aurait jamais laissé d'Alagnac le mordre, ni même s'approcher de lui, il n'aurait jamais offert son sang, ni son cou, et encore moins en public. Tout ça n'appartenait qu'à un seul vampire et ce vampire était Severus, et personne d'autre.

À son réveil, Harry avait eu envie d'aller le chercher, de se faire mordre, comme un acte d'allégeance et d'affirmation de leur lien, mais il savait que c'était le calice en lui qui tentait de se rassurer de la seule façon dont il était capable. Alors il était descendu dans son « bureau », pour retrouver sa forêt, sa magie, pour se réapproprier son univers et ce qu'il était, et ça lui avait fait un bien fou.

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– On ne fait pas la Une mais on fait tout de même les gros titres des pages mondaines, fit soudain Lucius avec un sourire ravi.

Harry leva la tête de son assiette pour apercevoir le journal qu'il montrait. En lettres grasses et bien noires qui s'étalaient sur toute une double page, il pouvait lire « Trio de charme sous les ors de l'opéra ».

– Severus a vu la photo ? demanda Lucius.

– Je ne sais pas. Je ne l'ai pas encore croisé ce matin.

– Il n'est pas dans la Bibliothèque ?

– Je ne suis pas allé voir, répondit Harry.

Sinon, il aurait eu à nouveau besoin de cette morsure et il ne voulait pas céder à cela.

– Elle est vraiment magnifique, fit rêveusement Lucius avant de se lever pour aller chercher son mari.

Du bout des doigts, Harry tira le journal vers lui. Lucius avait raison : la photo de MacNair était magnifique. En noir et blanc, elle les représentait tous les trois, coupés au niveau de la taille, côte à côte et légèrement tournés les uns vers les autres. Lucius murmurait à l'oreille de son mari avec un air amusé, puis on voyait le sourire en coin de Severus s'étirer lentement tandis que Lucius se reculait un peu. Quant à lui, il les regardait tous les deux, admirant leur complicité, et sur son visage, on pouvait lire une infinie tendresse. Harry ne se souvenait pas avoir eu ou exprimé cette émotion-là mais ses sentiments étaient flagrants.

Tout se jouait dans leurs visages, les expressions, les sourires... On voyait les petites rides au coin de ses yeux, qui soulignaient l'éclat et la pureté de son regard; la beauté farouche et intense de Severus dominait toute la partie gauche de la photo, et entre eux, la blondeur lumineuse de Lucius éclairait l'image, d'autant plus qu'il semblait sur le point de rire délicieusement. Ils étaient vraiment beaux.

Puis son regard fut happé par les sous-titres et la légende de la photo avant de parcourir rapidement le texte principal. « Première sortie officielle pour Severus Rogue, l'époux de l'ancien Ministre Malfoy, depuis sa tragique transformation ». « Le Ministre Lucius Malfoy, son mari Severus Rogue, et (son futur époux?) Harry Potter ».

« Plusieurs semaines après la tragique agression et la morsure qui ont fait de lui un vampire, Severus Rogue a fait sa première apparition publique hier soir, pour assister à la représentation de Turandot au Grand Opéra Sorcier de Londres. Il était accompagné de son mari, l'ancien Ministre de la Magie Lucius Malfoy qui a dû quitter le pouvoir en raison de sa transformation, et de Harry Potter, le héros de la guerre vainqueur de Voldemort, connu également en tant que médicomage et potionniste de renom, dont la découverte récente a (…) Lors de la conférence de presse au cours de laquelle il avait annoncé sa démission, Lucius Malfoy avait également révélé que Harry Potter était leur amant commun depuis son retour en Angleterre et qu'il était devenu depuis le calice de son mari (…) Sur ce très beau cliché, leur complicité évidente saute aux yeux et (…) il se murmure même que pour renforcer les liens qui les unissent, Lucius Malfoy pourrait épouser Harry Potter en secondes noces, sans pour autant rompre les vœux qui l'unissent à Severus Rogue. En effet, les anciens serments d'union prononcés traditionnellement dans l'aristocratie sorcière n'interdisent en rien (…) Nous leur souhaitons, si cela se confirmait, tous nos vœux de bonheur. »

Un article, un peu plus bas, retraçait la façon dont Vladimir s'en était pris à eux, à leur famille et à la population sorcière depuis un an, puis exposait le succès de sa potion révolutionnaire. Un autre insistait sur les doubles unions sorcières, un autre encore dressait un portrait flatteur de Severus, héros de guerre, spécialiste en magie ancienne de renommée mondiale, et victime collatérale de la carrière de son mari. Harry sourit en songeant que Lucius n'avait peut-être pas vu cet article-là qui, s'il redorait un peu le blason de Severus, écornait celui de l'aristocrate... Quoique. MacNair prenait tout de même bien soin d'insister sur le fait que Lucius avait sacrifié son poste par intégrité et pour rester auprès d'eux.

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– Qu'est-ce que tu voulais me montrer de si urgent ? maugréa Severus en entrant dans la Salle à Manger à la suite de Lucius.

D'un simple signe de tête, le vampire le salua avant de s'installer à sa place. Mal à l'aise, Harry baissa les yeux sur son assiette tandis que l'aristocrate soumettait la photo à son mari.

– Oui, je l'ai déjà vue, fit Severus en refermant le journal sans même y jeter un œil. MacNair a bien fait son travail.

– Ne prends pas tes grands airs blasés, gloussa Lucius sans se formaliser de la réaction acerbe de son mari. La photo est magnifique et tu le sais.

Severus leva les yeux au ciel puis attrapa la théière pour se servir. Harry prit sa propre tasse et avala une gorgée brûlante en les dévisageant tour à tour. Il ne comprenait pas pourquoi Severus semblait presque contrarié par cette photo. Comme lui, il ne voyait peut-être que ce qui n'était plus : l'amour entre eux.

Le cliché montrait une certaine forme de complicité, de connivence, de quoi faire illusion aux yeux de tous, mais pour eux deux, qui se trouvaient au sein de la situation, elle soulignait surtout qu'ils n'étaient plus amants, ni même... amis. Ils dépendaient l'un de l'autre d'une façon étrange, pour se nourrir, pour se sentir bien, parce que le caliciat leur imposait une certaine proximité qui leur devenait indispensable, mais ils n'étaient plus amoureux. Tout juste... protecteurs l'un envers l'autre, attentifs, soucieux de leur bien-être mutuel et de ne pas se blesser... Et brusquement, la culpabilité honteuse d'avoir trahi Severus dans son rêve envahit à nouveau Harry.

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– Tu n'as même pas dit comment tu avais trouvé l'opéra hier soir ?

La question de Severus s'adressait à lui et Harry mit un certain temps à le comprendre. Il reposa sa tasse un peu brusquement et s'efforça d'afficher un sourire sincère.

– Très beau... Vraiment très beau. Bien plus que l'autre. Plus... émouvant.

– Évidemment, fit Lucius avec un petit air fier. Et tu vois que finalement tout s'est bien passé, ajouta-t-il en tournant la tête vers son mari.

Harry dressa une oreille plus attentive. De toute évidence, Severus avait eu avec Lucius des conversations privées sur certaines inquiétudes qu'il avait à peine devinées. Il l'avait senti tourmenté par cette sortie, sans peut-être prendre la mesure de ses angoisses, mais il n'avait pas su le rassurer autrement que par des promesses vagues et de la dérision. Il avait suffisamment confiance en Severus pour savoir qu'il ne se montrerait ni menaçant, ni dangereux pour ceux qu'ils allaient croiser, tant qu'il ne lui donnait pas matière à s'agacer...

Mais cette rencontre avec d'Alagnac avait obligé Severus à intervenir et Harry n'arrivait pas à chasser cette impression de l'avoir trahi.

– Mmh, grogna Severus. J'aurais préféré éviter certaines rencontres.

– Tu parles de MacNair ? fit Lucius.

– Non. Du marchand de vin avec qui Harry discutait...

Sous le regard sombre du vampire, Harry frissonna et serra les dents, les yeux baissés sur la tasse de thé entre ses mains. Dans sa poitrine, un étau de culpabilité l'empêchait presque de respirer.

– Qui donc ? interrogea Lucius en tournant son regard vers lui.

– Un propriétaire viticole... Un Français, murmura Harry. Est-ce qu'on peut éviter de parler de ça ?

Il ne vit pas les regards posés sur lui se teinter de surprise. Il ne voyait que celui de Severus, dans son rêve, meurtri parce qu'il s'offrait à la morsure de d'Alagnac. Et là, il n'avait qu'une envie, c'était de s'offrir à la morsure de Severus pour effacer cette image. Il abandonna sa tasse de thé sur la table pour se lever rapidement et quitter la Salle à Manger.

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– Attends !

Enveloppé d'une brume sombre, Severus se matérialisa brusquement devant lui et posa une main sur son bras pour l'arrêter. Il fronçait les sourcils, plus inquiet que furieux.

– Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi...

Harry secoua la tête pour chasser l'image obsédante du regard douloureux de Severus. Même quelques minutes, il n'aurait jamais dû parler à d'Alagnac. Il n'aurait jamais dû plaisanter si librement avec lui, et surtout pas sur un sujet aussi intime que le caliciat. On ne parlait pas des morsures en public, on ne se laissait pas mordre en public, on ne trahissait pas son vampire, même en rêve.

– Je suis désolé, d'accord ? lâcha-t-il d'un ton un peu trop véhément. Je n'aurais pas dû parler avec lui, je n'aurais pas dû rester, j'aurais dû remonter dans la loge ou même ne pas en sortir. Je suis désolé... Je ne voulais pas ça, je ne voulais pas que ça t'oblige à t'interposer. Je n'aurais rien fait mais...

– Harry, arrête !

L'ordre claqua au milieu du couloir, faisant sursauter Axaya dans son portrait, malgré la bulle de silence qui les entourait. Ils n'étaient pas allés bien loin, jusqu'à la porte de sa forêt, où Harry comptait se réfugier, mais Severus ne voulait sans doute pas que Lucius entende leur discussion houleuse au sujet de leur relation.

– Je ne te reproche rien, assura Severus plus calmement. Je ne te reproche rien du tout... Tu es libre d'aller voir qui tu veux, de parler à qui tu veux, de faire ce que tu veux. Tu n'as pas de compte à me rendre.

La main de Severus glissa doucement le long de son bras pour atténuer la sécheresse de ses propos. Une caresse qui se termina sur son poignet, et Severus effleura machinalement l'endroit de la morsure.

– Je t'ai dit que je pouvais avoir besoin de m'interposer si je te sentais en danger ou blessé par certaines paroles, mais ce n'était pas le cas hier soir. J'ai juste perçu la présence de ce vampire dans l'opéra et j'ai préféré m'assurer... de ses intentions. Je sais bien que tu es parfaitement capable de te défendre tout seul, je n'aurais pas dû écouter votre conversation, ni même intervenir, mais j'ai eu peur. Au début, j'ai eu peur que ce soit un sous-fifre de Vladimir, et puis j'ai eu peur qu'il ne se montre trop insistant. J'ai été bêtement jaloux.

Severus baissa les yeux sur sa main qui caressait son poignet.

– Si quelqu'un doit être désolé, c'est moi. Je peux faire mine d'ignorer les regards que tu ne vois pas, les paroles que tu n'entends pas. Tant que rien ne te touche, je peux faire semblant et ne pas m'agacer des horreurs qui sont dites sur nous. Mais ta connivence avec ce vampire... je me suis senti menacé, sans doute... et ce n'est pas un sentiment très confortable. Notre lien n'est pas assez fort pour me rassurer. J'aurais mieux fait de ne pas venir.

Le regard dur, Harry fronça les sourcils.

– Bien sûr que tu devais venir. C'était important pour toi, c'était important pour Lucius, pour ta position sociale, ça comptait pour vous deux.

Ça comptait pour lui aussi, mais il n'arrivait pas à le dire, même si Severus attendait peut-être ces mots-là. Au lieu de ça, Harry retira son poignet et recula d'un pas.

– Excuse-moi, je dois descendre au labo.

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oooooo

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D'un accord tacite, ils s'évitèrent durant le reste de la journée. Le temps de digérer leurs paroles, leurs émotions. Harry fréquenta un moment le laboratoire, puis la véranda inondée de soleil. Après le déjeuner, il signifia son envie d'aller bronzer sur la terrasse près de la piscine et, pourquoi pas, y faire la sieste, puis il réclama à Lucius une promenade à cheval tandis que Severus s'enfermait dans la pénombre de son bureau. Autant d'endroits où l'un n'irait pas chercher l'autre.

Le soir venu, après un dîner plein de silences durant lequel Lucius s'obstina à faire la conversation à l'un puis à l'autre, comme si de rien n'était, Harry partit dans la Salle de Billard pour frapper quelques billes et s'occuper l'esprit tandis que Lucius et Severus buvaient un thé ou un cognac dans le Petit Salon. Il les rejoignit assez tard, avant de monter se coucher, juste pour formaliser le fait qu'il n'était ni contrarié, ni fâché. Il avait simplement besoin de temps et d'espace pour s'éclaircir l'esprit.

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Des paroles de Severus, il n'avait retenu que deux choses : d'abord, qu'il avait écouté sa conversation avec d'Alagnac, et Harry s'en sentait mortifié. Et ensuite, que Severus avait eu peur, qu'il s'était senti menacé par la présence d'un autre vampire. Comme si Harry allait le fuir pour suivre d'Alagnac, comme s'il n'y avait rien de plus entre eux qu'un échange de sang et de bon procédé, dans le meilleur des cas.

Pourtant Severus avait bien dû entendre ses aveux, son affirmation de n'appartenir qu'à un seul vampire et de n'en rien regretter... Harry ne savait même pas pourquoi il avait dit ça. Devant d'Alagnac, cela paraissait évident, mais la réalité était plus complexe. Il regrettait certainement beaucoup de choses, à commencer par la transformation de Severus et son échec personnel à élaborer la potion plus rapidement; il regrettait le premier rituel et les jours sombres qui avaient suivi; il regrettait de s'être enfui dans la salle de bains après le deuxième rituel; il regrettait la fuite de Severus à Colibita pendant des jours et des jours... Mais aujourd'hui, il ne regrettait pas que Severus soit son vampire.

Quand il se leva en même temps que Lucius pour monter se coucher, Harry eut un temps d'arrêt pour inviter Severus à les suivre. Le vampire se leva à son tour en fronçant les sourcils, incertain. De toute évidence, il ne s'attendait pas à pouvoir boire ce soir.

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– J'ai dit quelque chose qui t'a déplu ? demanda Severus après la morsure.

– Non. Excuse-moi... J'ai sans doute réagi avec excès, ce matin.

Harry rajusta la manche de sa chemise sur son poignet et frotta les paumes de ses mains sur son pantalon. La morsure lui avait fait du bien, l'avait tranquillisé, mais pas autant qu'il l'aurait souhaité.

– J'ai un peu mal dormi, la nuit dernière. Peut-être que cette première rencontre avec un autre vampire que toi ou Mihai m'a plus troublé que je ne le pensais...

Sans un mot de plus, et sans que Severus ne cherche à le questionner, Harry quitta la chambre et partit rejoindre Lucius dans leur lit. Il n'avait pas particulièrement la tête à ça, mais son corps avait réagi à la morsure et semblait avide de sexe. Et finalement, un peu de tendresse et des bras enroulés autour de lui n'étaient pas pour lui déplaire.

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Au creux de la nuit, Harry descendit à la Bibliothèque et s'enroula dans un plaid sur un fauteuil. Il n'y eut pas de morsure mais un opéra qu'il ne connaissait pas. « Lakmé » (1), avait dit Severus. Il n'y eut pas plus de paroles, mais il finit par s'endormir sur le fauteuil, apaisé par la présence silencieuse de son vampire.

Quand Harry se réveilla, presque une heure plus tard, engourdi et un peu perdu, un piano de jazz s'étirait dans le silence de la nuit et la plume de Severus grattait régulièrement le parchemin. Harry se leva, toujours enroulé dans son plaid, et remonta se coucher entre les bras de Lucius.

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(1) Ecoutez le Duo des Fleurs de l'Acte 1, bien sûr ;)

Merci à tous de votre lecture et n'hésitez pas à laisser un petit commentaire ;)

La semaine prochaine, on fêtera les deux ans de Scorpius!

Au plaisir

La vieille aux chats