Résumé: Lors de l'anniversaire de Scorpius, Harry se sent de plus en plus tiraillé entre ses envies de "rapprochement" avec son vampire et celle de maintenir une saine distance avec lui. Il se confie au sujet du pavillon chinois auprès d'Alicia, qui lui conseille de s'éloigner quelques jours pour s'éclaircir les idées, et essuie les reproches de Luna, qui l'exhorte au contrainte à céder à ses instincts. Et la présence de sa fille au milieu de toute cette situation complique un peu plus les choses...

Dernier chapitre un peu tendu avant une ébauche de rapprochement ;) Gardez espoir et bonne lecture!

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– Clay ! appela Lucius en frappant deux coups sur la table. Mes chaussures, mon manteau et ma canne !

– Tu t'en vas déjà ? fit Harry en relevant la tête de son parchemin.

– Oui. J'ai rendez-vous pour déjeuner sur le Chemin de Traverse...

Mark avait également levé un regard curieux de ses dossiers, et même Aria, assise sur le tapis au milieu de ses jouets, s'était mise à quatre pattes pour s'approcher d'eux en voyant Lucius se lever.

Harry jeta un œil sur la pendule au-dessus de la cheminée. Ils travaillaient tous les trois dans le bureau de Lucius depuis un moment et il n'avait pas vu le temps passer. Il esquissa cependant un sourire espiègle.

– Onze heures ! Un peu tôt pour aller déjeuner, tu ne crois pas ?

– Je voudrais passer voir Severus à la Librairie avant, se justifia Lucius en s'asseyant sur le canapé pour mettre les chaussures que Clay lui tendait.

– Une heure, ça va vous suffire ? gloussa Harry.

Face à lui, il aperçut le sourire complice de Mark tandis que Lucius lui lançait un regard noir qui ne l'impressionnait pas le moins du monde. Aria, elle, avait changé de direction, évité la touffe de poils somnolente d'Orion et bifurqué vers le canapé à l'aide duquel elle se mettait à présent debout avec un cri de joie. Lucius mit instinctivement une main derrière son dos le temps qu'elle trouve son équilibre, puis se préoccupa à nouveau de ses chaussures.

Harry observait son amant le sourire aux lèvres, presque ému de ce geste attentif envers sa fille. Lucius finit par se lever et sortit sa baguette pour jeter un sortilège de défroissage sur son pantalon et sa chemise.

– Tu crois que c'est la peine alors que tu vas tout enlever dans cinq minutes ? gloussa à nouveau Harry.

Cette fois, Mark pouffa de façon beaucoup moins discrète avant de se raidir brusquement quand Lucius posa une main sur son épaule.

– Silence. Et toi, menaça-t-il son futur mari, aucun commentaire si tu ne veux pas que j'explique quelques petites choses à Severus que tu préférerais sans doute garder pour toi.

– C'est ça, ricana Harry en déployant sa magie pour prévenir toute chute de sa fille qui crapahutait joyeusement le long du canapé. Et n'oubliez pas de vérifier qu'il n'y a plus aucun client dans la Librairie avant de vous y mettre !

Lucius enfila son manteau avec un sourire mi-pincé, mi-narquois qui ne trompait pas sur ses intentions lubriques.

– Ne sois pas jaloux. Je ne rentrerai sans doute qu'en fin de journée, dit-il en venant l'embrasser. Soyez sages et ne travaillez pas trop.

– Aucun risque ! gloussa Harry. Et, Blondie... n'oublie pas de te recoiffer avant ton rendez-vous !

Lucius jeta la poudre de cheminette dans l'âtre froid avant de se retourner une dernière fois avec un sourire sarcastique.

– Et tu n'oublieras pas de jeter un sortilège de silence ce soir, chéri... si tu ne veux pas réveiller ta fille à force de couiner et de supplier ! La Librairie, Chemin de Traverse.

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Laissant Mark rire tout son soûl, Harry se leva et rejoignit sa fille qui exultait d'avoir réussi à se hisser sur le canapé. Il s'assit à côté d'elle en souriant tandis que les flammes vertes dans l'âtre disparaissaient peu à peu.

Il allait vraiment falloir qu'il fasse attention... Aria devenait plus que dégourdie et elle était capable de traverser une pièce à quatre pattes en quelques secondes, aussi bien qu'elle réussissait à grimper sur les fauteuils et les canapés. Il ne pouvait presque plus se permettre de la quitter du regard !

– Tu crois vraiment qu'il va rejoindre Severus pour ça ? gloussa Mark avec les yeux encore brillants de rire.

– Je pense, acquiesça Harry. Ils n'ont pas eu de moments tous les deux depuis plusieurs jours...

Mark eut une moue compréhensive et referma son dossier sans rien ajouter. Il devait bien deviner que leur situation n'était pas simple. Puisque Harry refusait tout rapprochement avec Severus autre que leurs morsures en tête à tête, Lucius devenait une sorte de pierre angulaire dont la position n'était pas confortable. Et qui n'était certainement pas ce que l'aristocrate souhaitait.

– J'ai vu les photos de votre sortie à l'opéra, dans le journal... Vous étiez magnifiques, tous les trois !

Mark s'était levé pour venir le rejoindre sur le canapé et en passant, il glissa une main caressante sur son épaule pour adoucir ce que représentaient ses paroles.

– Je sais, soupira Harry. Lucius a reçu un agrandissement de la photo la plus belle, ajouta-t-il en désignant un cadre retourné posé près du buffet aux alcools. Il compte l'installer sur le mur là-bas, derrière la table de travail...

Au départ, Lucius avait même voulu la mettre au-dessus du secrétaire du Petit Salon, là où ils passaient le plus de temps, mais Harry avait catégoriquement refusé. Il ne voulait pas avoir en permanence sous les yeux cette image, symbole du couple à trois qu'ils ne seraient plus jamais. Lucius avait fini par céder, sans doute parce qu'il devinait ses raisons, et il avait opté pour son bureau. L'aristocrate passait également beaucoup de temps dans cette pièce, et cette fois, Harry ne pouvait rien y redire.

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En vérité, il trouvait lui aussi la photo magnifique mais la voir le rendait... mélancolique. Elle ne faisait qu'insister un peu plus sur le tiraillement qu'il ressentait au fond de lui, sur cette sensation d'écartèlement entre ce qu'il refusait à Severus – et à lui-même –, et ce dont il avait profondément envie.

Luna avait tout compris avant lui et ses mots, la veille, n'avaient fait que mettre en lumière l'évidence qu'il niait depuis plusieurs jours. Il se faisait souffrir en refusant de céder. Il réfrénait ses désirs, ses pulsions instinctives, parce qu'il refusait de se laisser gouverner par autre chose que la raison – et la rancœur légitime qu'il éprouvait envers Severus. Mais loin au fond de lui, son esprit et son corps réclamaient la même chose : la tendresse de son vampire, et des morsures qui aillent plus loin que cet aspect purement nutritif.

Aujourd'hui, il aspirait à davantage de contacts, davantage de douceur, à renforcer le lien qui les unissait, à agir enfin comme un vrai calice, et même à se laisser mordre... ailleurs. Il voulait s'enfoncer dans les bras de Severus en offrant son cou, il voulait de la tendresse dans le creux de la nuit, il espérait sentir sa peau, même glacée, contre la sienne, et pas seulement un bras dans son dos par-dessus des couches de tissu, il se languissait de plonger son regard dans celui de son vampire et d'y voir briller son attachement, son désir de le choyer, de le protéger, et même sa jalousie trop possessive. Il voulait pouvoir faire confiance à Severus et s'abandonner dans ses bras sans craindre autre chose que le plaisir qui le submergerait après la morsure.

Il en rêvait... Et pendant ses nuits agitées, ses rêves tournaient toujours autour des morsures et du lien avec son vampire.

Et puis, au petit matin, Harry revenait à la réalité, à la distance souhaitable – nécessaire – qu'il maintenait avec Severus, à la prudence la plus élémentaire, à la sagesse qui l'incitait à se méfier pour ne pas être à nouveau déçu.

Et au fil des heures qui l'éloignaient de la dernière morsure, au fil de la séparation trop longue d'avec son vampire, au fil de sa faim grandissante et qu'il ressentait cruellement, Harry éprouvait à nouveau le besoin de se rapprocher de Severus et de s'offrir à lui.

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– Tu as l'air... dépité, murmura Mark avec une moue chiffonnée.

– Oui. Je suis un peu perdu...

– Avec Severus ?

Harry se contenta de hocher la tête, le regard vague égaré vers la cheminée éteinte. D'une main, il protégeait machinalement Aria de tout risque de chute, mais sa fille s'était calmée et elle venait à présent se coller doucement contre lui.

– Il t'a envoûté ? fit doucement Mark.

Harry sourit faiblement en croisant les yeux bleus si doux du jeune homme.

– Alicia me conseille de m'éloigner, de partir, seul, pour faire le point... Pour savoir ce que je pense et ce que je veux. Luna me conseille l'exact opposé : de me rapprocher de Severus et de me laisser aller à mon intuition. À mes envies.

– De t'éloigner ?! À ce point ? s'alarma Mark.

– Pas longtemps, tempéra Harry. Quelques jours. Histoire de prendre de la distance. Même s'il ne fait rien pour ça, la présence de Severus influe sur ce que je suis devenu. Je voudrais... me détacher de cette emprise.

Avec une grimace, il réalisa à quel point il avait du mal à prononcer le mot calice, comme s'il en était gêné. Quelque part, Harry savait qu'il avait toujours un peu honte de « ce qu'il était devenu ». Et lui, plus que quiconque, il avait en horreur ce genre de périphrases qui lui rappelaient bien trop des temps révolus, et qu'il ne pouvait cependant s'empêcher d'utiliser à son propos.

Il était le calice de Severus, que ça lui plaise ou non. Il l'avait choisi, il devait l'assumer. Son rôle était de le nourrir, de s'assurer de sa satiété, de sa survie et le lien entre eux l'y incitait en permanence. Il était là pour ça.

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Ceci dit, s'il faisait abstraction de cette contrainte consentie et des premiers jours passés dans le pavillon chinois, il n'était pas à plaindre : Severus lui laissait son entière liberté, il respectait ses moindres désirs, il se contentait de ce que Harry voulait bien lui donner sans le forcer à rien. Il n'exigeait même pas de contacts rapprochés, ni de rapports sexuels, alors que cela tombait sous le sens entre un vampire et son calice. Harry n'était pas qu'un simple donneur de sang, mais il se comportait comme tel, parce que, pour lui, le caliciat restait l'équivalent d'un esclavage.

– Tu crois qu'on pourrait reporter le dîner de samedi soir ? demanda-t-il du bout des lèvres.

Mark haussa les sourcils, surpris de sa question.

– Bien sûr ! affirma-t-il en se reprenant rapidement. Si tu préfères reporter, il n'y a aucun problème. Vous savez que vous êtes les bienvenus n'importe quand... mais je ne veux pas que ce soit une contrainte pour toi. On fera ça quand ce sera plus serein entre vous. Sans doute pas avant le mariage, mais... Tu ne comptes pas annuler le mariage, quand même ?!

Les yeux bleus de Mark s'étaient agrandis d'effroi et il avait presque fini sur un cri horrifié.

– Non. Bien sûr que non, répondit Harry avec un sourire rassurant. Ce qui se passe entre Severus et moi n'a rien à voir avec mon mariage avec Lucius.

Ses propres mots le faisaient grimacer intérieurement. Sa relation avec Severus avait pourtant beaucoup à voir avec son mariage, tout simplement parce qu'avant, ils étaient en couple tous les trois, et qu'aujourd'hui chacun cherchait encore sa place dans cette nouvelle configuration. Sans parler du fait que Lucius et Severus, eux, regrettaient profondément ce qui n'était plus.

– Ne t'inquiète pas, gloussa Harry avec une gaieté retrouvée. Le mariage aura bien lieu et tu pourras parader au bras de ton Chaton ! D'ailleurs, à ce propos, j'aurais une petite requête à te faire...

Les sourcils de Mark se froncèrent une seconde et son visage devint brusquement attentif.

– Tout ce que tu veux, Chéri... Tu sais bien que je ne peux rien te refuser.

– J'espérais que ça te fasse un peu plus plaisir, minauda Harry avec un sourire amusé. Je ne voudrais pas que ce soit une contrainte...

Si Mark perçut sa tentative de moquerie par rapport à ses paroles précédentes, il n'en montra rien et ne quitta pas son air sérieux.

– De quoi as-tu besoin ?

– Est-ce que tu accepterais d'être mon témoin ? murmura Harry en souriant alors qu'une émotion soudaine remontait dans sa gorge.

Dans un silence étrange, Mark mit quelques secondes à intégrer ses mots.

– Moi ?! balbutia-t-il. Mais pourquoi ? Tu es sûr ?! Mais bien sûr que j'accepte ! Mais tu es vraiment sûr ? Je... Harry, je... Oui !

Son affirmation retentissante sonnait comme un « Oui » devant un mage d'union, ses yeux brillaient de la même émotion que lui, ses mains volaient, devant sa bouche pour cacher son émoi, puis dans le dos de Harry, dans une étreinte brusque et tremblante, et enfin sur son visage, pour essuyer une larme échappée, son sourire immense haletait des mots sans queue ni tête et des exclamations de joie, et Harry sentait son cœur se serrer de plus en plus et sa gorge devenir douloureuse.

Évidemment, qu'il était sûr. Mark représentait tant de choses pour lui. Tant de confessions, tant de compréhension et de douceur, tant d'amitié et de soutien que sa décision était d'une limpidité à toute épreuve. Mark savait tout de lui, jusqu'aux détails les plus glauques et les plus sordides, jusqu'aux tourments qui agitaient son esprit indécis, il acceptait ses errances, ses hésitations, ses erreurs, et il était encore là, prêt à tout pour lui avec un amour inconditionnel qui lui broyait le cœur.

Harry passa une main dans ses cheveux pour éviter de la passer sur ses yeux qui le piquaient furieusement, puis il attrapa la main de Mark et la pressa doucement.

– Tu pourras supporter de voir ton Lucius m'épouser ? gloussa-t-il en faisant allusion à la relation tendre qui unissait toujours l'aristocrate et son ancien mignon.

Mon Lucius ne pourrait épouser personne qui soit aussi parfait pour lui. Je te traînerai devant le mage d'union par la peau des fesses si tu faisais mine d'hésiter ! menaça Mark avec un grand sourire. Et qui va apporter les alliances ? Mademoiselle Aria ? ajouta-t-il en posant des yeux pleins de douceur sur elle.

Harry baissa la tête et regarda sa fille qui, depuis un moment maintenant, restait délicatement lovée contre lui, la tête posée sur son torse et un bras enroulé autour de son ventre. La pensée fugace que c'était elle qui lui faisait un câlin l'effleura un instant. Comme si elle était venue le réconforter pendant que son esprit oscillait entre hésitations et culpabilité, comme si elle avait senti ses tourments et qu'elle tentait, à sa manière, de l'étreindre et de le cajoler.

Il passa une main douce sur ses cheveux si fins et elle releva vers lui son regard étrange et sombre. Ils se fixèrent un instant en silence, puis d'un coup, elle sourit, poussa un petit cri enthousiaste et sembla retrouver son énergie habituelle. Elle bascula à quatre pattes et se dirigea vers Mark, attirée par la montre brillante qu'il portait au poignet.

– Je la verrais bien avec un petit coussin pour porter les deux alliances, gloussa-t-il. Il faudrait juste un ou deux sortilèges pour s'assurer qu'elle ne les envoie pas valser à travers la salle !

– Pas besoin de tout ça, fit Harry en riant. J'ai déjà une alliance ! Et j'ai dit que je voulais un mariage minimaliste et sans tralalas. Il est hors de question que je lui fasse porter une robe rose à volants ou je ne sais quoi de ridicule pour lui faire jouer les demoiselles d'honneur !

Mark ricana une seconde en le regardant puis reporta son attention sur Aria qui tentait de secouer la montre pour se l'approprier.

– Je crois que tu ne connais pas encore assez Lucius et ses manies d'un autre siècle ! fit-il avec un sourire en coin. Je ne serais pas étonné qu'il t'offre une nouvelle alliance pour officialiser ce mariage... Mais ne t'inquiète pas. En tant que témoin, je me chargerai de ces petits détails avec lui et l'autre témoin. Ce sera Severus, je suppose ?

Harry hocha la tête sans croiser son regard.

– Et je me charge aussi de trouver la robe parfaite pour Mademoiselle Aria ! ajouta Mark avec un sourire ravi.

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La journée s'écoula lentement, aussi calme que Harry aurait voulu ce jour de retrouvailles avec sa fille et avec Mark. Ils déjeunèrent paisiblement, riant aux éclats des tentatives d'Aria pour manipuler sa cuillère toute seule et de ses résultats déconcertants, ils s'allongèrent dans un des canapés de la salle de cinéma pour regarder une série tous les deux pendant sa sieste, ils allèrent se promener une fois qu'elle fut réveillée, pour aller voir le grand poney que Lucius avait acheté pour les deux ans de Scorpius. Aria marcha avec empressement en les tenant tous les deux par un doigt, elle babilla à tue-tête entre deux rires joyeux, elle passa un temps infini à toucher son père et à tenter de saisir les arabesques sur ses mains qui s'illuminaient d'une magie verte fascinante, elle fut le bébé qui avait tant manqué à Harry : légère, heureuse, curieuse de tout et n'importe quoi, et qu'il chérissait tant...

La seule ombre à ce tableau idyllique était l'appréhension qu'il ressentait à la perspective du retour de Severus de la Librairie. Autant le calice en lui était impatient de le revoir, de ressentir sa présence, de lui donner son sang, autant le père qu'il était également craignait cet instant. Raisonnablement, il savait que Severus ne ferait pas de mal à Aria, il savait qu'il l'adorait... mais viscéralement, il ne pouvait pas imaginer de laisser un vampire s'approcher de sa fille. Harry se sentait écartelé entre ces deux sentiments absolument contraires et cette ambivalence le fatiguait. Il espérait juste que ce moment où il devrait faire cohabiter Aria et Severus serait le plus court possible.

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En fin d'après-midi, Mark finit par partir alors que Lucius n'était pas encore rentré. Harry s'installa avec Aria dans la salle de jeux, assis sur le tapis au milieu des jouets éparpillés tout autour d'eux. Il la regardait mâchouiller un cube de bois d'un air songeur lorsqu'il sentit brusquement la présence de Severus dans le Manoir. Il frissonna malgré lui.

Il faisait encore jour et la présence était proche, son aura plus forte et plus impérieuse que d'habitude. Pas assez pour l'impressionner, mais suffisante pour le mettre mal-à-l'aise. Harry fronça les sourcils et jeta un regard inquiet sur sa fille. Aria, elle, n'avait pas bronché et elle mâchouillait son cube avec application tout en essayant d'en attraper un autre du bout des doigts.

Au bout de quelques secondes, Harry entendit la porte du bureau de Lucius s'ouvrir et les pas de son vampire résonner sur le parquet. Son souffle se bloqua dans sa poitrine tandis qu'il sentait une certaine tension nerveuse se répandre dans son corps. Il secoua la tête pour se débarrasser de cette sensation désagréable et ridicule, mais la puissance que dégageait Severus ne l'aidait pas à se détendre.

Harry passa nerveusement sa main dans ses cheveux mais il n'eut pas le temps de se recomposer une attitude plus neutre que les jambes de Severus s'encadraient déjà dans son champ de vision. En même temps qu'Aria, il leva la tête, remontant la longue silhouette sombre de son vampire jusqu'à son visage fermé et ses sourcils froncés. Il ne savait pas pourquoi Severus était de cette humeur-là mais son aura transpirait la contrariété.

Harry ne voulait surtout pas savoir et il baissa les yeux vers sa fille, sans voir le regard de son vampire s'éclairer en les apercevant tous les deux assis par terre. Inconsciente de leurs sentiments respectifs, Aria, elle, avait jeté son cube à travers la pièce et filait déjà à quatre pattes vers les jambes de Severus. En une seconde, elle l'avait rejoint et elle s'agrippait à son pantalon pour se mettre debout, y essuyant sa bouche au passage.

Figé, Harry sentit son cœur se serrer convulsivement. Aria jasait joyeusement et se dandinait sur ses cuisses rondes, fière d'avoir réussi à se lever. Elle souriait, sa bouche grande ouverte laissant apercevoir les cinq dents qu'elle avait à présent. Elle finit même par lâcher une main et ne se retenir que de ses quelques doigts crispés sur le pantalon de Severus.

Tout aussi crispé, Harry ne savait que faire. La situation le hérissait au plus haut point, et même si l'humeur qui filtrait de Severus semblait s'être grandement réchauffée, il ne voulait pas laisser sa fille si près du vampire.

Brusquement, Harry se leva sans l'avoir même réfléchi et en un instant, Aria fut entre ses bras, hissée sur sa hanche, loin de Severus. Son regard, lui, restait fixé sur le filet de bave qui brillait sur le tissu sombre du pantalon. Il ne vit pas le visage du vampire se refermer alors qu'il souriait juste auparavant, il ne remarqua pas les bras qui retombèrent ballants le long de son corps, alors que Severus les avait tendus vers Aria, il n'entendit pas le soupir de lassitude et de résignation.

– Viens là, ma puce, et laisse Severus tranquille. De toute façon, il est l'heure d'aller au bain.

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Quand il redescendit, Lucius était rentré, il était l'heure de dîner et, entre sa fille à nourrir et son propre repas, Harry n'eut pas le temps de lever les yeux de leurs assiettes. Lucius faisait la conversation pour trois, ravi du tableau qu'il venait d'acquérir et du prochain gala de charité qui s'organisait doucement. Severus finit par se joindre à lui, sans un mot au sujet d'Aria, sans une question, sans une remarque.

Ce soir-là, Harry disparut particulièrement tôt pour mettre sa fille au lit, et le moment du coucher dura particulièrement longtemps.

Restait la morsure du soir. Celle qu'il désirait en tant que calice, tout en redoutant la conversation qui pouvait s'ensuivre.

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Une fois Aria couchée, Harry redescendit l'escalier en colimaçon en se sentant étrangement rassuré. Il devait encore faire face à Severus, à son incompréhension, à ses reproches peut-être, mais quelle que soit la situation à venir, le fait que sa fille ne soit pas entre eux le soulageait. Il n'aurait pas besoin d'être sur la défensive, il n'aurait pas besoin de s'interposer. Severus pourrait se montrer méprisant, odieux ou même violent, Aria ne serait pas menacée, et elle ne serait même pas là pour voir ça. Parvenu dans le couloir du rez-de-chaussée, il s'arrêta malgré tout un instant pour respirer un bon coup et reprendre ses esprits, puis il rejoignit Lucius et Severus dans la Salle de Billard.

Ils discutaient tous les deux, et ne prêtèrent pas plus attention à son retour que par un regard et un sourire. Harry s'avança jusqu'au râtelier des queues de billard et attrapa la première venue avant de s'approcher de la table. Après le dîner, il avait insisté pour venir prendre le thé ici plutôt que dans le Petit Salon, justement parce que frapper quelques billes lui permettrait de mettre un peu de distance entre Severus et lui. Et c'est ce qu'il s'employa brillamment à faire jusqu'au moment de monter se coucher.

Harry ne pouvait empêcher la culpabilité de l'étreindre, cependant. Maintenant que Aria n'était plus présente au milieu d'eux comme un enjeu, il trouvait son propre comportement cruel et presque abject. Severus avait certainement attendu beaucoup de ces retrouvailles avec le bébé dont il s'était tant occupé et qu'il n'avait pas vu depuis si longtemps, et même Aria n'avait eu pour seule envie, en le voyant, que d'aller le retrouver et de grimper dans ses bras. Tout à ses craintes, Harry les avait frustrés tous les deux mais c'était plus fort que lui. Il se sentait incapable de laisser sa fille trop près de Severus.

Et sans doute à juste titre, il avait l'impression que Severus lui en voulait. Depuis le retour de Lucius, il n'avait pas dit un mot au sujet d'Aria, il n'avait pas posé une question, pas fait une remarque, il ne lui avait même pas adressé la parole directement. Ses regards étaient fugaces, vite détournés, son attitude froide et distante, ses gestes plus secs que d'habitude. Et lorsque Lucius impulsa le départ pour aller se coucher, Severus resta en retrait, imperturbablement assis dans son fauteuil avec un magazine entre les mains, jusqu'à ce que Harry ne se retourne depuis le pas de la porte en lui jetant un regard interrogateur. Ce ne fut que lorsqu'il murmura « Viens » avec un signe de tête pour l'inciter à le suivre que Severus consentit à se lever, les sourcils froncés pour cacher son étonnement.

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Assis sur le lit, Harry entendit la porte de la chambre se refermer dans son dos tandis qu'il dénouait déjà les boutons de sa manche avant de la retrousser en haut de son bras. Il se sentait fébrile et cela se voyait sans doute à ses gestes. La proximité de Severus lui manquait, et il espérait que la culpabilité qui l'étreignait encore se calmerait avec la morsure. Il avait presque besoin de se sentir appartenir à son vampire pendant quelques instants, de se donner entièrement à son rôle de calice pour se sentir mieux.

Il essuya machinalement les paumes de ses mains sur son pantalon, surpris et mal-à-l'aise du silence dans la pièce.

– Qu'est-ce que tu veux, Harry ? murmura Severus.

Harry se retourna brusquement, déconcerté de trouver son vampire à distance de lui, debout de l'autre côté du lit, les bras croisés sur son torse et le visage fermé.

– Eh bien, que tu boives avant que j'aille me coucher ! s'exclama-t-il comme une évidence.

– Bien sûr.

Lentement, Severus contourna le lit pour venir s'asseoir à ses côtés, laissant un espace suffisant entre eux pour que leurs cuisses ne se touchent pas. Il prit le poignet qu'il lui tendit entre deux doigts pour le porter à sa bouche et le mordit doucement.

La morsure fut si légère, le contact des canines si peu perceptible que Harry se demanda pendant quelques secondes si Severus avait vraiment percé sa peau. Il fallut qu'il l'entende déglutir plusieurs fois avant de comprendre que c'était le cas.

Il le regarda boire quelques instants, fouillant son visage qui paraissait si lointain, ses yeux noirs cachés par des paupières mi-closes, son front où n'apparaissait plus aucune ride, avant de devoir fermer les yeux à son tour pour essayer de ressentir quelque chose. Et il ne ressentait que du vide.

Severus était loin, il le touchait à peine du bout des doigts, sa cuisse ne le frôlait pas, nul bras n'était venu caresser son dos ou se coller contre ses reins, la morsure était trop légère pour qu'il n'en ressente aucun plaisir, ni aucun sentiment de plénitude. Harry cherchait encore au fond de lui une quelconque sensation que Severus avait déjà cessé de boire et léché sa peau pour la faire cicatriser.

Interdit, Harry fixait son poignet qui reposait mollement sur sa cuisse, sans même songer à descendre sa manche et à se rhabiller. Il écarquilla les yeux, sans comprendre ce qui venait de se produire, incapable de détacher son regard de sa peau vierge de toute trace, comme s'il ne s'était rien passé.

Et il ne s'était rien passé. Aucun plaisir, aucune excitation, ni même aucun soulagement d'avoir donné son sang. L'habituelle sensation de sérénité, d'apaisement que lui procuraient les morsures n'était pas là. Il se sentait au contraire démuni; perdu. Désemparé à l'idée que leur lien n'existe plus, qu'il n'ait pas rempli son rôle, effrayé que son vampire ne veuille plus de lui... Comme s'il n'était plus qu'un simple donneur de sang, et non pas un calice.

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Il tourna la tête vers le visage inexpressif de Severus, si lointain, si résigné, perdu dans une contemplation vague de la nuit au-delà de la fenêtre. Il n'y avait rien à voir mais Severus ne voulait de toute évidence pas croiser son regard.

– Merci, murmura-t-il.

Ce fut le mot de trop qui acheva de serrer douloureusement le cœur de Harry dans sa poitrine et il sentit aussitôt des monceaux de culpabilité lui tomber sur les épaules.

Severus n'ajouta pas un mot, muré dans un silence écrasant et plein de renoncement jusqu'à ce que Harry ne finisse par se lever pour quitter la chambre. Il venait d'ouvrir la porte quand la voix grave de Severus vibra jusqu'à lui.

– Elle a grandi... Elle te ressemble de plus en plus.

Harry se mordit la lèvre en inspirant un grand coup, puis referma la porte derrière lui.

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Cette nuit-là, comme souvent, comme presque toutes les nuits depuis le retour de Severus, Harry se réveilla et descendit à la cuisine. Il erra dans la pièce déserte et silencieuse sans rien manger, bien conscient que ce n'était qu'un prétexte fallacieux, et alla même jusqu'à faire un tour tout aussi inutile dans son laboratoire.

Remonté au rez-de-chaussée, il s'arrêta au pied de l'escalier en colimaçon, hésitant et frissonnant de froid. Il songea au plaid qui devait l'attendre sur un des fauteuils de la Bibliothèque, à la chaleur moelleuse qu'il ressentait lorsqu'il s'emmitouflait dedans. Il entendait la musique qui s'échappait dans le couloir sombre devant lui, un piano mélodieux et mélancolique et il se demanda soudain de quel genre de musique jouait Lucius... Mais par-dessus tout, il sentait une odeur qui le prenait à la gorge, ravivant sa culpabilité et ses remords, avant même que sa mémoire ne se souvienne de ce que c'était.

L'odeur âcre et entêtante de la chair brûlée emplissait le couloir et le calme de la nuit, et sous les notes aiguës du piano, Harry percevait par moments le crépitement du sortilège d'argent. Il déglutit malgré la boule qui enflait dans sa gorge et remonta se coucher auprès de Lucius.

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Une lumière chaude filtrait derrière les lourds rideaux quand Harry s'éveilla quelques heures plus tard. Il s'étira paresseusement, appréciant le contact frais et la douceur des draps sur lesquels glissait sa peau. Il était malgré tout relativement tôt, et Lucius dormait encore, couché sur le côté avec les jambes repliées, dans une position presque fœtale que Harry trouva particulièrement attendrissante. Lucius dormait le plus souvent sur le dos ou sur le ventre, ses cheveux éparpillés en corolle autour de sa tête, mais le voir ainsi, avec cette apparence aussi vulnérable, l'émouvait étrangement.

Harry esquissa un sourire moqueur envers lui-même et s'arracha à sa contemplation énamourée pour glisser ses jambes hors du lit et s'asseoir. La fraîcheur de la chambre lui tira un frisson et il passa une main dans ses cheveux un peu trop longs pour les chasser de son visage. Un petit tour chez le coiffeur avant le mariage ne serait sans doute pas du luxe. Quoique... la dernière fois, la longueur de ses cheveux avait permis à Lucius de les attacher avec une corde jusqu'à sa cheville, et de s'en servir pour lui maintenir la tête renversée en arrière. Ce qui n'avait pas semblé lui déplaire du tout !

Harry secoua la tête et se leva, enfilant un kimono avant de s'approcher de la porte. Aria devait être réveillée depuis un bon moment et il avait bien envie d'un petit réveil plein de tendresse tous les trois avec Lucius. Il traversa le couloir en silence, s'arrêta devant la porte de sa fille et tendit l'oreille. Les gazouillis joyeux qu'il percevait le firent sourire et il entra dans la chambre.

Aussitôt, il se figea, paniqué de découvrir la longue silhouette de Severus, debout près du lit de sa fille. Sa réaction fut instinctive plus que réfléchie : Harry déploya sa magie dans une grande vague émeraude qui s'interposa entre le vampire et Aria, formant un bouclier des plus puissants.

– Qu'est-ce que tu fais là ? Ne t'approche pas d'elle !

Severus tourna lentement la tête vers lui, les sourcils haussés, partagé entre sidération et incompréhension.

– Elle était réveillée depuis longtemps...

– Elle ne pleurait pas ! Tu n'as aucun droit d'être ici !

Le visage de Severus s'affaissa peu à peu à mesure qu'il comprenait ce qu'impliquaient ses paroles. Une brume noire se forma lentement à ses pieds tandis que debout dans son lit, Aria gazouillait joyeusement en tendant les bras vers lui. Puis il disparut brusquement.

Le cœur battant la chamade sous l'inquiétude et l'émotion, Harry tourna son regard vers sa fille. Elle ne gazouillait plus et les coins de sa bouche se courbaient vers le bas, au bord des pleurs d'avoir vu disparaître l'homme qui avait bercé tant de ses nuits. La gorge nouée, Harry se précipita vers elle et la prit dans ses bras.

– Là... Tout va bien. Je suis là...

Mais il n'était clairement pas celui qu'elle avait envie de voir et elle le repoussa de ses bras tendus, le regard aussi blessé que celui de Severus avant de disparaître.

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Severus avait dû comprendre le message car lorsque Harry descendit prendre son petit-déjeuner avec Lucius et Aria, il avait déjà quitté le Manoir pour la Librairie. Il ne rentra qu'en fin d'après-midi ce jour-là, et autant qu'il put, il évita d'être dans la même pièce qu'eux si Aria était présente. Il ne répondait pas à ses regards, ni à ses bras tendus et impatients, et quand Aria détalait à quatre pattes pour s'approcher de lui, il se levait et quittait la pièce sans un mot. Plusieurs fois, Harry dut même aller la chercher dans le couloir tandis qu'elle suivait aussi vite qu'elle pouvait les grandes enjambées sombres du vampire.

Lucius assistait à ces allées-et-venues sans rien y comprendre. Ou du moins il devinait certaines choses, mais il ne voulait pas s'en mêler. Cela concernait la relation entre Harry et Severus et ils étaient bien assez grands tous les deux pour s'en débrouiller. Même si la situation ne lui plaisait pas, et encore moins de voir Aria chouiner parce qu'elle ne parvenait pas à rejoindre Severus à temps, il ne fit aucune réflexion. Cependant, Harry sentit plusieurs fois sur lui son regard sévère et réprobateur.

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Le soir venu, la morsure se fit en silence. Severus but encore moins que le soir précédent, à peine quelques gorgées avant de renoncer, écœuré de se voir céder si facilement à l'appel du sang, alors que Harry ne voulait de toute évidence pas de lui dans sa vie et encore moins dans la vie de sa fille. Il quitta la chambre sans un mot et pour la première fois depuis que Harry était devenu son calice, son corps rejeta le sang censé le nourrir.

D'un mouvement de baguette, il fit disparaître la petite flaque de sang du marbre clair de la terrasse. Il releva la tête et respira à pleins poumons l'air frais de la nuit pour chasser les nausées qui l'assaillaient encore.

Il se sentait clairement blessé par le rejet de Harry, humilié et meurtri au plus profond de lui-même. Il avait eu l'impression que les choses allaient mieux entre eux, qu'ils parvenaient à se rapprocher, que Harry lui faisait peu à peu confiance et qu'il appréciait de nouveau les moments qu'ils passaient ensemble, mais le retour d'Aria avait tout changé.

Il avait pourtant tant espéré revoir enfin la fille de Harry, la prendre dans ses bras, contre lui, la câliner et l'embrasser, la faire rire par ses regards et ses mimiques, discrètes mais que la fillette percevait si bien. Il avait eu tellement envie de retrouver cette complicité qui lui tenait tant à cœur. Pour lui, Aria était si précieuse, elle était presque sa fille par procuration, telle que Harry avait souhaité qu'il la considère, l'enfant qu'il n'aurait jamais, un attachement plus viscéral encore que pour Iris, et Merlin savait comme il était proche d'Iris !

Mais à présent, Harry ne voulait plus qu'il fasse partie de la vie d'Aria et il devait se retirer, s'éloigner de cet enfant qu'il chérissait tant... C'était un crève-cœur.

S'il avait su que faire de Harry son calice lui aurait fait perdre Aria, il aurait préféré y renoncer et se laisser mourir de soif.

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Severus soupira en levant les yeux vers les étoiles qui se détachaient dans la nuit sombre et passa la main sur son ventre où se mêlaient la faim et la nausée. Il avait envisagé que le retour d'Aria dans leur vie soit compliqué, mais il n'avait pas voulu y croire. Et aujourd'hui, renoncer à la fillette en l'ayant sous les yeux tous les jours lui paraissait au-dessus de ses forces. Encore une fois, quand la situation lui semblait à peine s'améliorer, il venait de tout perdre. Aria. Harry. Bientôt, ce serait la Librairie, et après... Lucius ? L'éternité lui semblait un tel fardeau que le souvenir des bains d'argent de Colibita le fit doucement rêver.

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Severus leva brusquement la tête de son parchemin et posa sa plume avant de saisir sa baguette pour couper la musique. Aria pleurait. Des pleurs un peu perdus d'un réveil en pleine nuit, le gros chagrin d'un mauvais rêve...

Il ferma les yeux et soupira, puis remit la musique d'un geste de baguette. Un peu plus fort. Il n'irait pas la voir puisque Harry ne le voulait pas.

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Harry s'éveilla en sueur dans des draps humides de transpiration, loin de Lucius et presque sur le point de tomber du lit. Son cœur tambourinait dans sa poitrine et son corps poissait encore d'angoisse et de culpabilité. Il se débattit dans les replis de la couette qui l'emmaillotait tandis que les images de son cauchemar lui revenaient lentement à l'esprit : le regard blessé de Severus tandis qu'il offrait son cou à d'Armagnac, son regard encore blessé tandis qu'il prenait sa fille dans ses bras pour l'éloigner de lui, sa chair qui se dissolvait au contact du sortilège d'argent, qui fondait, qui s'écoulait comme des traînées de cire sur une bougie tandis qu'il repoussait peu à peu Severus vers un piège mortel...

Harry frissonna de froid et de culpabilité en se soulevant à quatre pattes dans le lit, les cheveux ruisselants sur son visage. Le bruit qui l'avait réveillé déchira à nouveau le silence et il secoua la tête. Aria pleurait, il devait se lever.

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Ce furent les mots de Mark, un peu plus tard dans la journée, qui le mirent cruellement en face de son comportement. Une énième dérobade pour éviter qu'Aria ne s'approche de Severus, un énième regard fuyant, une énième pleurnicherie de sa fille qui le repoussa à nouveau, au comble de la frustration...

Mark attrapa la fillette pour la coller dans les bras de Lucius et il saisit ensuite le bras de Harry pour le tirer dans une autre pièce.

– Qu'est-ce que tu fous, bon sang ?! À quoi ça rime ?! s'exclama-t-il à voix basse malgré la porte du Grand Salon fermée et le sortilège de silence. Pourquoi tu empêches Aria de s'approcher de lui ? Tu oublies tout ce qu'il a fait pour elle, la façon dont il s'en est occupé depuis sa naissance ?! Elle est plus importante pour lui que la prunelle de ses yeux et Aria l'aime tout autant ! Il serait incapable de lui faire le moindre mal !

Harry n'avait jamais vu Mark aussi furieux et il contemplait avec étonnement les yeux bleus devenus sombres, son visage brusquement dur et sa bouche véhémente.

– Tu ne sais pas de quoi il est capable, marmonna Harry en enfonçant ses poings au fond de ses poches.

– Il ne peut pas faire de mal à un enfant ! asséna Mark avec une irritation perceptible. Il te l'a déjà dit à propos des réflexions de Minerva ! Et je l'ai assez vu se comporter avec Aria pour savoir qu'il tient à ta fille plus qu'à n'importe quoi d'autre. Elle le réclame, bon sang !

Mark se tut un instant, fulminant d'une colère sourde que Harry comprenait mal mais qui le mettait très mal à l'aise. Il ne connaissait pas le jeune homme sous ce jour-là et être la cause de cette colère le peinait étrangement.

– Severus a peut-être été horrible avec toi dans le pavillon chinois, mais ton comportement aujourd'hui l'est tout autant !

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Cela faisait peut-être une minute ou deux qu'il était devant cette porte et il hésitait encore. Ce qui était ridicule parce que Severus l'avait sans doute entendu depuis longtemps. Harry ferma les yeux une seconde, le temps de respirer profondément, puis il frappa doucement à la porte du bureau de son vampire. Sans qu'il ne perçoive une quelconque réponse, la porte s'entrouvrit devant lui et il prit ça pour une invitation à entrer.

La pièce était plongée dans l'obscurité, exceptée une petite lampe à abat-jour posée sur le sol près du sofa, au fond du bureau. Ici, le sortilège sur les fenêtres était permanent, et hormis cette lampe et le léger chatoiement du sortilège d'argent, les ombres régnaient dans la pièce.

Severus était là, assis derrière son bureau, grand, sombre et impassible. Même son visage n'arborait aucune expression, ni surprise, ni contentement, ni lueur d'intérêt. Son entrée le laissait de marbre.

Le seul mouvement qu'il concédait consistait à faire rouler dans sa main droite le vieux vif d'or qui traînait habituellement au milieu de ses papiers. La petite balle n'avait même plus assez de magie pour déployer ses ailes et elle se contentait de rouler lentement sur la paume du vampire au gré de l'inclinaison de sa main, de l'orée du poignet jusqu'à l'extrémité de ses doigts, se tenant en équilibre au bord de la chute avant de revenir dans le creux de la main. Un geste sans doute mille fois répété, inlassable, exemplaire de précision et de rigueur. Qui s'arrêta brusquement quand Severus ferma le poing et reposa le vif d'or d'un geste sec.

– Qu'est-ce que tu veux ? murmura-t-il, légèrement sur la défensive.

Harry sourit doucement et s'approcha du bureau. Il se faisait l'impression de venir débusquer Severus jusque dans son repaire et il comprenait que le vampire soit presque méfiant.

– Te proposer de boire maintenant... Je ramène Aria à Poudlard pour la nuit et j'avais bien envie de passer voir Matthieu et Charlie. Et je pense que j'échapperai difficilement à une invitation à dîner ou à une petite bière...

Severus hocha la tête avec un sourire crispé qui tenait davantage de la grimace puis il éluda la proposition d'un geste de la main.

– Vas-y. Je boirai demain soir. Ou à un autre moment.

– Je préférerai que tu boives maintenant, insista doucement Harry. Je sais que tu as faim et tu as faim au moins depuis hier... Je n'ai pas envie que...

– Tu préfères avoir bonne conscience pour passer une soirée tranquille ? Approche.

Harry se mordit la lèvre pour ne pas répondre et esquissa un sourire désolé. Il l'avait sans doute bien cherché. Après avoir tant fait pour empêcher Aria de s'approcher du vampire, après avoir été lui-même si fuyant, et si lâche quelque part, il était normal qu'il essuie les reproches de Severus. Et encore, ce n'était sans doute pas cher payé, car après cette simple réflexion, Severus se tut et se contenta d'attendre qu'il s'approche du bureau.

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Surpris de ne pas le voir se lever, Harry fronça les sourcils et se sentit légèrement déstabilisé. Ils n'allaient quand même pas faire ça là, comme ça, lui debout au milieu de la pièce et Severus assis sur son fauteuil, à la va-vite, sans aucun cérémonial ni symbole ?! Harry ne connaissait pas grand-chose sur les calices – et il ne voulait surtout pas approfondir la question – mais il savait, et il sentait au fond de lui-même, que les morsures n'étaient jamais anodines, qu'elles étaient un moment privilégié, essentiel, qu'il ne fallait pas prendre à la légère et qui était plus intime que quoi que ce soit d'autre. Dans leur relation si chaotique, la morsure était sans doute ce qui avait le plus de sens, le plus d'importance, et il ne voulait pas piétiner ce don comme une chose sans valeur.

– Est-ce qu'on peut au moins aller s'asseoir sur le sofa ? murmura Harry.

Severus le toisa une seconde, haussa les épaules puis se leva pour rejoindre le canapé. Désemparé, Harry le suivit avec un sentiment de malaise grandissant. La réaction de Severus le troublait profondément, il ne comprenait pas que le vampire accorde si peu d'importance à la morsure, comme si c'était un acte banal et futile. C'en était presque aussi humiliant que si Severus l'avait mordu en public, au beau milieu de regards avides.

Pour lui, la morsure était le moment où il se sentait le plus proche de Severus, le plus en harmonie avec son vampire, mais aussi avec sa nature profonde. C'était un moment vrai, un moment juste, qu'il attendait presque avec impatience tout au long de la journée, et qu'il ne voulait bâcler pour rien au monde.

Au contraire, Harry appréciait de plus en plus leur petit rituel dans la chambre, sa lenteur, son calme, la douceur de Severus, sa façon si délicate de le toucher... Ce ne serait jamais aussi magique que la fois où il lui avait donné son sang au milieu de la nuit dans la Bibliothèque, mais ce souvenir-là le tirait vers un idéal qu'il désirait de plus en plus. Il désirait revivre cette proximité chaleureuse, cette tendresse, le sentiment intense de sérénité et de bonheur qui l'avait envahi... Aucune morsure ne devait être en deçà de cette nuit-là. Il rêvait même d'une morsure dans l'étreinte de Severus, contre son torse, entre ses bras puissants, contre sa peau trop fraîche qu'il réchaufferait de sa chaleur et de son sang... Il rêvait de lui offrir son cou comme preuve de la valeur de ce moment, il rêvait de pouvoir s'abandonner en toute confiance, et jusqu'au plaisir envahissant, infini, que pouvaient lui donner les morsures.

Il ne voulait pas sacrifier ce moment précieux et lumineux parce qu'ils étaient en désaccord sur d'autres sujets.

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Harry but une longue gorgée de sa bière avant de reposer la bouteille sur sa cuisse. Merlin, que c'était bon ! S'il ne se forçait pas un peu à faire durer le plaisir, il aurait tout avalé d'une traite, mais cela n'aurait pas fait honneur à l'excellence de cette bière. Charlie les faisait importer directement de Roumanie pour sa consommation personnelle, il n'allait pas la boire comme une vulgaire bièraubeurre.

Le dragonnier lui adressait d'ailleurs un petit sourire amusé que Harry lui rendit aussitôt puis il se renfonça dans son fauteuil avec bonheur avant de croiser sa jambe à plat par-dessus l'autre, la cheville posée sur le genou. Il était ravi d'être là, avec presque l'impression de respirer plus librement une fois loin du Manoir. Non pas qu'il n'aimait pas l'endroit où il vivait, mais l'ambiance pesante de ces derniers jours et l'ambivalence de ses sentiments lui pesaient sur le système. Il avait bien conscience que beaucoup de choses étaient de sa faute, et qu'il ne faisait rien pour y remédier, mais être en permanence baigné dans le tumulte de ses émotions contradictoires ne l'aidait pas à prendre du recul, et encore moins à réfléchir. Ici, il était loin de tout ça, loin de Severus et même loin d'Aria, et les choses semblaient plus simples à appréhender.

– Tu avais connu Tobias bien avant qu'il ne devienne le calice de Mihai, n'est-ce-pas ? fit-il pour relancer la conversation qui s'était éteinte sur une gorgée de bière.

– Oui, bien avant, répondit aussitôt Charlie après un coup d'œil vers la cuisine. Il n'a pas travaillé longtemps à la Réserve, mais on ne s'était jamais perdus de vue.

– Il savait, en revenant à Colibita, qu'il allait devenir son calice ?

Charlie prit une gorgée de bière en le regardant pensivement puis lécha la mousse sur sa lèvre supérieure.

– Non, je ne crois pas. Il devait bien se douter que Mihai allait reprendre contact avec lui, voire lui faire à nouveau des avances... Il est même rentré en partie pour ça, je pense, pour reprendre ce qu'ils avaient plus ou moins mis en pause pendant des années, mais il n'avait pas dans l'idée d'aller jusque là. Il avait envie d'une relation exclusive, intense, il voulait vivre pleinement ses sentiments et le don du sang avec la même personne, mais... tu sais quel genre d'homme est Mihai.

Harry cacha son sourire en coin en portant la bouteille à ses lèvres. Entendre le vampire être qualifié « d'homme » avait quelque chose de très spontané qui le touchait. Et puis, il se souvenait bien de la façon d'être de Mihai.

– Quand il n'est pas dans l'exercice de ses fonctions, c'est quelqu'un de très charnel, de très voluptueux, qui est beaucoup dans la séduction... et qui est assez « joueur ». Tobias, lui, était d'un naturel plutôt... pas vraiment jaloux, mais possessif. Il ne supportait pas les provocations de Mihai, ses insinuations qu'il allait parfois mordre d'autres donneurs dans les maisons communautaires, sa façon de regarder d'autres hommes... Je suppose que devenir son calice lui a permis d'être rassuré sur la fidélité de Mihai... Qui l'était, en réalité, mais qui se plaisait à sous-entendre le contraire. Avec le lien, Tobias était certain qu'il n'irait pas voir ailleurs. Et puis, il y avait cette façon de s'appartenir l'un à l'autre qui couronnait leur passion...

Harry but une nouvelle gorgée de bière et tourna un regard pensif vers le fond de l'appartement. Là-bas, Matthieu, aussi minutieux pour découper ses ingrédients de cuisine que ses ingrédients de potion, préparait leur dîner. Il ne voyait que son dos légèrement penché sur le plan de travail, mais il devinait ses gestes précis et il entendait le claquement régulier du couteau sur la planche à découper tandis qu'il hachait sa brunoise de légumes.

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Comme il l'avait prévu, Harry n'avait pas échappé à l'invitation à dîner, ni à la bière, mais à vrai dire, il était venu un peu pour ça. Il n'avait pas vu Matthieu et Charlie seul à seul depuis trop longtemps et il était content d'être là. Cette petite soirée était une bulle d'oxygène bienvenue. Et puis cette conversation avec le dragonnier, sans honte et sans réserve, lui faisait beaucoup de bien.

Les mots de Charlie, d'ailleurs, trouvaient en lui un étrange écho. S'appartenir... c'était un terme qu'il utilisait régulièrement avec Severus, avant. Il pouvait comprendre l'envie qu'avait eu Tobias de construire un lien puissant avec son vampire, qui aille au-delà des sentiments, au-delà du sexe, du don de sang ou des morsures. Un lien indéfectible. Mais aujourd'hui que ce lien existait avec Severus, Harry n'était plus sûr de savoir quoi en faire.

– Il l'a bien vécu, de devenir son calice ? Je veux dire... même s'il l'a souhaité, ce n'est pas anodin. Et ça transforme et l'organisme, et la relation.

– Il l'a bien vécu parce qu'il l'a choisi, répondit rapidement Charlie, mais ça n'a pas été simple pour autant.

Harry haussa un sourcil en lui lançant un regard interrogateur. Lui aussi avait choisi de devenir de calice de Severus, mais cela n'avait été qu'un choix par défaut, et aujourd'hui, il subissait presque la situation, ce qui la rendait encore moins simple.

– On ne s'est pas vus pendant un bon moment quand il est devenu le calice de Mihai, reprit Charlie, mais on s'écrivait assez régulièrement. Je crois qu'il ressentait une certaine fierté de ce qu'il était, ce sentiment d'être important. Essentiel... En plus d'avoir le cœur et le lit de Mihai, il était celui qui lui permettait de vivre, qui lui donnait sa force et son énergie. Ça fait un peu mégalomane de dire ça comme ça, gloussa Charlie, mais pour Tobias, c'était important. Il ne s'en vantait pas, mais il en était fier. Ce qui le gênait davantage, c'était tous les à-côtés...

Charlie but une gorgée de bière pour se désaltérer et reprit.

– Il avait en permanence l'impression d'être dépendant de la présence de Mihai, l'impression d'avoir besoin de lui... pour être mordu, pour se sentir bien, pour pouvoir dormir correctement, pour ne pas se sentir perdu... Tobias était quelqu'un de très indépendant, qui a préféré à un moment, quitter sa communauté pour vivre seul, pour découvrir le monde à sa manière... Même dans sa relation avec Mihai, il était assez indépendant. Ils ne partageaient pas leur vie jour et nuit, il avait tenu à garder un travail, il avait même repris un appartement dans une maison communautaire... Mais là, tout d'un coup, être lié à ce point, cette influence involontaire que Mihai avait sur lui, ce manque qu'il ressentait en son absence... il l'a assez mal vécu. Il a fini par s'y adapter, mais ça n'a pas été immédiat.

Charlie resta pensif quelques instants puis se mit à rire doucement.

– Je me souviens qu'un jour, il m'avait raconté s'être disputé avec Mihai et qu'il s'était rendu compte qu'il était incapable de rester fâché contre lui. Même s'il voulait marquer le coup et rester loin de Mihai pendant toute une journée, le calice en lui éprouvait le besoin d'aller le retrouver et de faire la paix. Il savait qu'il l'aimait, mais parfois il ne savait plus si c'était lui ou si c'était le calice qui éprouvait ces sentiments.

Harry tenta de cacher sa grimace – relativement mal, au vu du coup d'œil que lui lança Charlie. Il se reconnaissait plutôt bien dans ce que racontait le dragonnier : la distance qu'il imposait à Severus leur faisait du mal à tous les deux, et il ne rêvait que d'aller le retrouver chaque soir pour une morsure encore plus intime que ce qu'elle était déjà. Sans parler de cette espèce d'attachement qu'il ressentait à nouveau pour son vampire, sans savoir s'il ne concernait que le calice ou bien lui tout entier.

Et puis il y avait le problème d'Aria et de cette crainte absurde que Severus s'approche d'elle. Un problème de confiance... Raisonnablement, il savait que Severus ne lui ferait jamais aucun mal. Qu'il la protégerait envers et contre tout, qu'il avait veillé sur elle peut-être mieux que lui-même n'avait su le faire, qu'il la chérissait comme sa propre fille et qu'Aria l'aimait tout autant. Quoi qu'il se soit passé entre eux dans le pavillon chinois, Severus ne pourrait jamais se comporter ainsi avec Aria. Il ne pourrait même plus se comporter ainsi avec lui ! Il fallait juste... franchir le pas.

Harry était certain également que la tension latente entre Severus et lui y était pour beaucoup dans son comportement vis à vis d'Aria. Les morsures presque décevantes jouaient sur son moral, tout comme le manque de temps passé en tête-à-tête ou les moments au creux de la nuit dans la Bibliothèque qui n'avaient plus lieu depuis quelques jours.

Ce soir encore, Severus n'avait bu que quelques gorgées, presque à contrecœur, alors que Harry sentait sa faim toujours présente. Et encore une fois, il n'avait presque rien ressenti, ni plaisir, ni sérénité, ni le sentiment habituel d'accomplissement. Même lors des morsures, il n'avait plus l'impression d'être à sa place, ni de remplir son rôle, et ça ne pouvait pas continuer comme ça. Il était le calice de Severus et, au moins pour les morsures, il voulait le revendiquer. Il n'était pas qu'un simple donneur de sang, et cette idée le fit sourire. Mieux que jamais, il comprenait la fierté possessive de Tobias vis à vis de son vampire... et il la partageait.

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Il était très tard quand Harry rentra au Manoir. Trop tard pour trouver Lucius encore debout. Sans savoir pourquoi, il avait éprouvé le besoin de quitter le château à pied et de marcher un peu dans le parc de Poudlard avant de transplaner dans le Hall d'Entrée. Il laissa sa veste à l'elfe présent dans le vestibule puis se dirigea vers le couloir qui menait à la Bibliothèque. Severus devait certainement s'y trouver et peut-être que cette nuit était la nuit où ils pouvaient recommencer à dialoguer avec un peu plus de sincérité.

Hormis un vague luminaire allumé tout au bout, le couloir était sombre, et la Bibliothèque l'était tout autant. Harry s'arrêta sur le seuil, le temps de laisser sa vue s'habituer à l'obscurité, et il fut aussitôt surpris par le parfum des roses, l'odeur des pierres humides, de l'herbe, de la terre... Un souffle d'air fit voleter le rideau près de la porte-fenêtre ouverte sur les jardins, puis un mouvement de l'autre côté de la pièce attira son attention. Severus était là, debout, et enfilait une cape noire comme de l'encre qu'il boutonnait lentement.

– Mais tu vas où ?!

– Faire un tour dans les jardins, vu que c'est le seul moment de la journée où je peux sortir.

L'amertume palpable dans la voix de Severus permit à Harry de se remettre de sa surprise et il demanda doucement :

– Est-ce que je peux... venir avec toi ?

Severus tourna brusquement la tête vers lui et eut un temps d'arrêt.

– Si tu veux.

Le ton était peu engageant, mais avec un sourire résigné, Harry lui sut gré de n'avoir pas simplement haussé les épaules. Il emboîta le pas de Severus qui sortait déjà sur la terrasse par la porte-fenêtre et il descendit les escaliers de marbre clair à ses côtés.

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La nuit était d'un noir d'encre et les étoiles pâles se distinguaient à peine dans le ciel. Heureusement, un mince croissant de lune permettait vaguement de distinguer les formes alentours et le gravier plus clair des allées dessinait la silhouette du chemin à suivre. Harry se contentait de marcher aux côtés de Severus, le laissant guider leurs pas vers il ne savait quelle destination.

À vrai dire, Severus ne semblait même pas avoir de but. Il se promenait, presque lentement, posant son regard perçant sur le jardin et les massifs de fleurs dont Harry ne distinguait que les formes sombres. Il se demanda un instant si le vampire percevait les couleurs malgré la nuit et l'obscurité, s'il parvenait à différencier les différentes touches de roses, de rouges, de jaunes, si les fleurs étaient aussi belles qu'en plein jour, sous la lumière, ou bien si Severus regrettait de ne plus pouvoir profiter des jardins que dans des camaïeux de gris et de noirs...

Ils marchèrent un long moment en silence, sans déranger les bruits de la nuit de leurs paroles. Harry reconnut le hululement d'une chouette, le croassement de crapauds ou de grenouilles près du lac, accompagné d'une odeur de vase ramenée par un souffle d'air. Il crut un instant que Severus se dirigeait vers le pavillon chinois, mais leurs pas s'en éloignèrent doucement, crissant sur les cailloux ou faisant craquer une brindille en travers du chemin.

Avec bonheur, Harry inspira profondément les odeurs de la nuit. Sa vue n'était pas aussi bonne que celle de Severus dans la pénombre, mais il avait toujours aimé la nature la nuit, ce monde un peu différent, furtif, la lueur pâle de la lune ou des étoiles, et ce silence... Et la présence muette de Severus à ses côtés, sa proximité, lui faisaient du bien.

Il n'avait plus l'air réticent à ce qu'il soit là, ni en colère contre lui. Au contraire, il semblait calme. Serein. Était-ce cette promenade lente et paisible, le fait de pouvoir être à l'extérieur sans craindre la lumière ? Harry osa même rêver que Severus savourait ce moment partagé tous les deux, différent des nuits dans la Bibliothèque mais pas moins appréciable. Il fut d'autant plus déchiré de devoir le troubler.

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– Sev... Combien de temps tu pourrais tenir sans boire ?

Harry avait l'impression d'avoir murmuré, mais sa voix lui parut malgré tout bien trop forte. Presque un coup de semonce pour Severus qui s'arrêta net.

Rongé par ses propres tourments, Harry ne s'en aperçut qu'au bout de quelques secondes et se retourna vers lui, fouillant la nuit du regard. Il n'eut pas besoin de chercher longtemps : les yeux rougeoyants de Severus le fixaient sans ciller.

– Rien ne t'oblige à me nourrir si tu ne veux plus le faire.

Harry se mordit les lèvres, ennuyé que leur conversation prenne d'emblée un virage aussi dur.

– Si, répondit-il doucement. Je me suis engagé à te nourrir durant toute ma vie et je ne reviendrai pas sur cette parole. Mais il ne s'agit pas de ça. Je veux juste savoir combien de jours tu pourrais rester sans boire mon sang.

– Peu importe. Autant qu'il faudra. Je suis resté plus de trois semaines sans boire, ce n'est pas un problème.

Le ton sec de Severus claqua comme un fouet dans le silence de la nuit puis il se tut, reprenant sa marche sans ajouter un mot. Harry le sentait guindé, sur la défensive, répugnant de toute évidence à poser des questions et à laisser transparaître ses inquiétudes.

– Je vais... partir quelques jours, finit par avouer Harry. Pas très longtemps mais...

– Partir ? Et pour aller où ?!

Severus s'était stoppé à nouveau et Harry s'arrêta à son tour pour lui faire face. Il ne distinguait de son vampire qu'une longue silhouette sombre mais le rougeoiement intense de ses yeux était presque inquiétant.

– Je ne sais pas encore, mais loin. Dans ma forêt peut-être. Ou bien au Sarawak... Ou peut-être les deux ! fit-il sur un ton plus souriant qui passa complètement à côté de son objectif de légèreté.

– Et comment vas-tu faire pour dormir ? Pour manger ? Avec tes besoins en nourriture actuels ?

Harry haussa les épaules.

– Je me débrouillerai ! Je chasserai, comme avant. Je poserai des pièges et j'irai cueillir quelques fruits... Ça a été ma vie pendant des années, Sev, ça ne m'inquiète pas du tout.

– Tu devras te purger de ton sang. Ton corps est habitué à être mordu tous les jours et...

– Sans doute.

Harry, comme Severus, savait que ce n'était pas tout à fait vrai. Son corps de calice était assez bien régulé pour ne produire du sang qu'après une morsure puis se mettre en pause jusqu'à la morsure suivante. Il avait certainement un peu de marge avant de se sentir inconfortable, mais il saurait de toute façon en reconnaître les symptômes.

– Et pour Aria ? Tu es censé la garder tous les jours de la semaine.

– Je me suis arrangé avec Luna et Padma, et avec Daphnée.

– Je vois que tu as déjà tout organisé.

Aussi sèchement qu'il avait déroulé ses questions, Severus reprit sa marche qui n'avait plus rien d'une promenade paisible. Harry le suivit, réprimant l'envie de le prendre doucement par le bras pour le ralentir et le calmer. Il n'était pas certain que Severus accepte son geste pour ce qu'il était, et pourtant, il souhaitait plus que tout, à cet instant, apaiser les choses entre eux.

Sans compter que le plus dur restait à venir : jusqu'à présent, Severus n'avait posé que des questions purement matérielles ou d'organisation, repoussant visiblement le moment d'aborder le fond des choses.

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Enfin, Severus sembla se résoudre et s'arrêta à nouveau pour lui faire face.

– Pourquoi ? murmura-t-il.

– Parce que... j'ai besoin de prendre du recul, répondit doucement Harry. De la distance.

– Tu ne veux plus épouser Lucius ?

– Non ! Ça n'a rien à voir ! s'écria-t-il avec surprise. Je... C'est plutôt entre toi et moi. En sortant du pavillon chinois, tu es parti un certain temps à Colibita...

Harry leva la main pour faire taire Severus qui s'apprêtait à l'interrompre. Cette fois, il avait besoin d'aller au bout de ce qu'il voulait dire.

– … Aujourd'hui, j'ai besoin de faire la même chose. De prendre un peu de distance pour réfléchir, pour comprendre ce que je suis. Être un calice a une incidence sur mes perceptions, sur mes émotions... Ça influe sur ce que je ressens, et même sur ce que je pense. J'ai besoin de faire le point. De faire la part des choses entre ce que je suis moi, et ce que je suis en tant que calice. Et pour ça, j'ai besoin de m'éloigner. Parce que même si tu ne fais rien pour ça, ta simple présence joue un rôle dans cette influence...

Severus se détourna à nouveau mais cette fois, Harry le retint par le bras. Puis, lentement, il laissa glisser sa main le long de la manche de son vampire jusqu'à sentir ses doigts froids entre les siens.

– Sev... J'ai besoin de savoir où j'en suis.

Harry pressa doucement la main de son vampire avant de la relâcher, et inspira à pleins poumons, grisé de sentir la chaleur que ce simple contact avait fait naître dans son corps.

– Je ne partirai que quelques jours... je te le promets.

Severus reprit sa marche, mais cette fois, bien plus lentement, attendant qu'il le rejoigne et qu'il marche à sa hauteur, comme s'ils reprenaient leur promenade interrompue par une conversation difficile.

– Je comprends. Fais ce que tu as besoin de faire et prends le temps qu'il te faudra.

Harry sourit doucement dans la pénombre. Les paroles de Severus contenaient plus de générosité et de respect que ce à quoi il s'attendait, mais il devinait malgré tout ce qu'il lui en coûtait de le laisser partir ainsi, sans même savoir où, à l'encontre de ses instincts de protection les plus primaires. Severus faisait preuve de confiance envers lui et cela lui réchauffait le cœur.

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Ils marchèrent un moment en silence, chacun plongé dans ses pensées. Harry ne savait même plus où ils se situaient sur le domaine, il s'était laissé guider par Severus et dans la nuit noire, il ne reconnaissait plus rien autour d'eux. Pourtant, il se sentait étrangement calme et serein, plus en communion avec son vampire qu'il ne l'avait été depuis plusieurs jours. La perspective de partir quelques jours était un vrai soulagement, mais la réaction de Severus y était pour beaucoup également.

– Quand pars-tu ?

Surpris par sa voix dans le silence, Harry trébucha sur une inégalité du sol. Aussitôt, d'un geste trop vif pour être totalement humain, Severus le rattrapa et l'empêcha de tomber. Ses mains restèrent fermement cramponnées autour de ses bras, son bras en travers de son torse, jusqu'à ce que Harry ne se remette de sa frayeur et de sa surprise.

Il leva la tête vers les yeux rouges de Severus, conscient qu'il serait bien resté là, si près de lui, un moment infini.

– Merci...

– Tu es glacé, lâcha Severus. Tu n'as même pas de veste ou de manteau !

Il le relâcha aussitôt, défit rapidement les boutons qui retenaient sa cape et la lui passa sur les épaules.

– Rentrons.

Harry esquissa un sourire sans même chercher à protester. Même s'il ne lui imposait rien, il sentait l'autorité naturelle du vampire dans les paroles de Severus et son geste avait quelque chose d'une galanterie ancienne digne de Lucius qui l'amusait profondément.

Il n'avait pas vraiment eu conscience d'avoir froid, sans doute grâce aux quelques bières qu'il avait bues, mais Harry se rendit effectivement compte qu'il frissonnait. Il aurait pu utiliser un sortilège de chaleur mais il profita plutôt de la tiédeur confortable que lui procurait la cape et s'enroula dedans avec bonheur. Le fait qu'elle soit imprégnée du parfum de Severus était une raison de plus pour ne pas la lâcher et sa mièvrerie le fit sourire encore davantage.

– Et toi ? fit-il malgré tout.

– Je ressens les différences de température, mais je n'éprouve ni froid, ni chaleur, répondit Severus. Mon corps est mort, cela ne peut pas le gêner. La cape, c'est plus une habitude pour me protéger de la moindre lumière. Ceci dit, tu ferais même mieux de transplaner directement au Manoir et d'aller te coucher. Il fait bien trop froid cette nuit pour traîner dehors.

Harry sourit à nouveau et secoua doucement la tête. Il faisait peut-être très frais en cette nuit de septembre, mais il n'allait certainement pas se priver d'un moment apaisé avec Severus.

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Merci à tous de votre lecture et de votre fidélité!

La semaine prochaine, ils vont se réconcilier avant le départ de Harry, promis! ;)

Au plaisir

La vieille aux chats