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La nuit sur P3X-836 était plus froide que O'Neill l'aurait imaginé. Au bout de quelques heures, les nuages envahirent la gorge et la pluie se mit à tomber, drue et glaciale. Une brume noyait les environs, bouchant toute visibilité. Il n'y avait eu aucun bruit jusqu'ici. Aucun signe de patrouille en vue.

Jack décida de quitter son poste d'observation et de rentrer voir comment allait Carter.

Il alluma la torche sans la braquer directement vers elle pour éviter de la réveiller si elle dormait. Elle était recroquevillée en chien de fusil sur son épaule saine et elle grelottait férocement.

Il s'agenouilla et posa sa main sur son front. Elle était en sueur et brûlante de fièvre.

O'Neill laissa échapper un juron et fouilla dans son paquetage pour trouver la seringue d'antibiotique. Il lui fit une injection dans la cuisse, à travers son treillis. Sam gémit faiblement et il crut l'entendre appeler son prénom.

Il consulta sa montre. Il était trop tôt pour lui donner une nouvelle dose d'antidouleur. Il épongea à nouveau le visage de la jeune femme pour la rafraîchir un peu puis, il s'allongea et l'attira contre lui. Elle se laissa aller, comme si elle cherchait sa présence. Il cala sa tête au creux de son épaule de façon à lui faire un oreiller de son corps. Sam soupira doucement. Un long frisson la parcourut et se blottit davantage contre Jack. Sa main glissa sur le torse de son supérieur et elle se cramponna à sa veste, comme pour l'empêcher de partir.

Comme s'il avait la moindre envie de s'éloigner d'elle et de la laisser…

Il ne pensait qu'à la protéger, aujourd'hui comme chaque jour qui passait depuis ce lointain briefing, lorsqu'elle était entrée dans sa vie comme une comète entre en collision avec une planète. Elle avait fait irruption dans son univers et avait tout chamboulé. Il était morne et triste après la mort de Charlie, aigri même, mais elle avait éclairé ses ténèbres.

Elle était son rayon de soleil. Son oxygène.

À chaque fois qu'il passait la Porte des Etoiles, il était heureux parce qu'il était avec elle mais, il était aussi dévoré par la peur. Peur qu'elle soit blessée comme à présent. Peur de la perdre.

Il avait lutté contre ça mais, rien n'y avait fait.

Il savait, depuis le jour où elle avait été coincée derrière ce bouclier d'énergie, qu'il ne survivrait pas si elle venait à disparaître.

Et pourtant, il était douloureusement conscient de l'interdit qui flottait entre eux comme une menace, invisible mais implacable… Il savait qu'elle pensait à quitter l'armée mais, elle était tellement douée, tellement précieuse pour le programme… il ne pouvait se résoudre à la laisser gâcher sa carrière. Il n'en valait pas la peine, lui le vieux colonel couvert de cicatrices…

Souvent lors des briefings, il se perdait dans la contemplation de ses yeux bleus et il n'écoutait plus vraiment le jargon technique dont elle les abreuvait. En fait, c'était la principale raison au fait qu'il ne suivait jamais… Elle était la plus merveilleuse des distractions…

Jack passa le reste de la nuit à essayer de faire abstraction du corps de Sam, chaud et souple, lové contre lui, à observer le plafond de la grotte et à se persuader qu'il avait fait le bon choix lorsqu'il lui avait dit qu'il était d'accord pour taire ce tendre aveu qui leur avait échappé devant Janet, Teal'c et Anise.

Il s'endormit finalement quelques heures avant le petit jour.

Sam bougea contre lui. Jack ouvrit immédiatement les paupières et la scruta. Elle délirait et semblait avoir toujours autant de fièvre. Il s'assit en la gardant contre lui et lui fit deux nouvelles piqûres : un antidouleur et un antibiotique. Puis, il essaya de la faire boire. Mais elle ne desserra pas les lèvres.

– Allez Sam… Fais un effort, juste une gorgée…

Elle nicha son visage contre son torse pour toute réponse.

Il fallait absolument qu'elle s'hydrate sans quoi son état risquait de s'aggraver très rapidement.

Jack réfléchit aux options dont il disposait puis, il saisit le menton de la jeune femme entre son pouce et son index. Délicatement, il l'orienta vers lui puis, il but une gorgée et se pencha sur elle. Ses lèvres épousèrent les siennes. Il la sentit frémir et entrouvrir la bouche à son contact. Lentement, avec précaution, il laissa couler un peu d'eau dans sa gorge. Sam déglutit et avala. Il recommença puis l'allongea et la recouvrit pour qu'elle puisse se reposer.

Il fit un rapide inventaire des réserves. La nourriture était en quantité suffisante d'autant que Sam mangeait comme un oiseau…

En revanche, sa gourde était presque vide. Il fallait qu'il trouve de l'eau potable rapidement.

Il se fit chauffer un café pour se remettre les idées en place. Mais, alors qu'il avalait lentement le breuvage, faisant tourner la tasse dans ses mains pour les réchauffer, il ne songeait qu'aux lèvres de Sam sur les siennes. Malgré la fièvre, elles étaient incroyablement douces.

Leur premier baiser avait été sauvage et animal lorsqu'elle était sous l'emprise du virus. Il n'en gardait qu'un souvenir trouble, mêlé de violence et d'un désir brut quasi incontrôlable.

Le baiser de l'autre Sam était plus doux, empreint de tristesse et du désespoir d'un adieu.

Il rêvait de découvrir la vraie Sam… Sa Sam.

La pluie avait un peu ralenti et s'était changée en une bruine glacée. Jack ajusta sa casquette pour se protéger et sortit explorer les environs.

Il retrouva le sentier qui serpentait en grimpant une pente assez raide. Il parvint à une sorte de belvédère. Le chemin continuait plus haut, à travers des éboulis vers le sommet de la falaise. D'ici, il avait une vue assez dégagée de la plaine. Au loin, il devina la zone où se trouvait la Porte des Etoiles. Il activa la radio :

– Teal'c ? Daniel ? Vous me recevez ?

L'émetteur crachota puis il entendit la voix du Jaffa lui répondre :

– O'Neill ! Est-ce que ça va ?

– Oui, nous avons pu nous abriter dans une grotte. Carter est grièvement blessée. Elle n'est pas en état de marcher. Où êtes-vous ?

– Nous avons réussi à semer les Jaffas et à rejoindre les abords de la Porte. Nous vous attendions pour repartir.

– Non, rentrez dès que vous en avez la possibilité. Avec toutes les troupes ennemies, il ne faudrait pas que la Porte soit bloquée. Prévenez le Général Hammond que nous aurons un peu de retard. Nous vous rejoindrons dès que Carter sera en meilleure condition physique. Si nous ne sommes pas rentrés d'ici trois jours, envoyez-nous une équipe de secours. Terminé.

– Vous êtes sûr que vous ne voulez pas qu'on vienne vous récupérer ? demanda la voix de Daniel.

– Négatif, c'est trop dangereux.

– Entendu, O'Neill. Soyez prudents, conclut Teal'c.

– Bien reçu, terminé.

En redescendant vers la grotte, Jack entendit un léger clapotis. Se dirigeant au bruit, il trouva une anfractuosité dans la paroi qui laissait passer un filet d'eau claire provenant de l'orage de la nuit. Il remplit sa gourde, y ajouta une pastille purificatrice par sécurité et en profita pour se laver les mains et le visage. Puis, craignant de laisser Sam seule trop longtemps, il se hâta de retourner à leur camp.

La jeune femme dormait toujours. Elle délirait encore sous le coup de la fièvre.

Jack s'installa vers l'entrée de la grotte pour avoir du jour et attendit en surveillant.

La pluie s'était remise à tomber peu avant midi. Le Colonel se fit chauffer des pâtes au fromage, grignota une barre de céréales et but un autre café. Puis il s'activa à vérifier les pansements de Sam et à lui faire son attèle. La douleur la réveilla malheureusement avant qu'il ait terminé. Il se hâta de poser l'onguent et de refermer le pansement propre tout en lui murmurant des paroles apaisantes. Puis, il la cala contre lui et la serra doucement dans ses bras.

– Voilà, c'est fini… tout va bien.

Elle semblait un peu plus claire car elle demanda :

– Daniel et Teal'c ?

– Je les ai eus à la radio. Ils sont près de la Porte. Ils vont rentrer à la base. Nous les rejoindrons lorsque vous irez mieux, d'ici un jour ou deux.

Il se voulait confiant mais, il était inquiet. La brûlure était très sévère. Les cloques qui se formaient suppuraient d'une façon assez peu engageante… L'œdème de sa cheville en revanche semblait se stabiliser. Elle ne devait avoir qu'une mauvaise entorse.

– Vous voulez un peu d'eau ?

– Oui, merci, Monsieur…

Il lui soutint la tête tout en l'aidant à tenir le gobelet.

Il s'apprêtait à lui proposer un biscuit lorsqu'il vit qu'elle avait déjà refermé les yeux. Blottie entre ses bras, elle semblait en paix. Les tremblements de la fièvre étaient moins violents. Son souffle était un peu court mais régulier. Tendrement, il caressa son front et sa joue et la garda contre lui sans bouger.

Les heures étaient comme des pierres dans le cœur de Jack tandis qu'impuissant, il craignait pour la vie de la femme qu'il aimait en secret.

Samantha reprit conscience pendant que Jack faisait chauffer le repas du soir. L'orage faisait rage au dehors. Les éclairs déchiraient le ciel et illuminaient les parois de la grotte comme des phares de voiture. Par moment le tonnerre résonnait si fort au-dessus d'eux que les parois de la grotte paraissaient vibrer.

Sam s'assit avec un grognement de douleur et appuya son épaule indemne contre le mur. Ses traits étaient tirés et elle était très pâle mais, son regard semblait moins brumeux. Jack avait profité de son sommeil pour lui refaire ses injections. L'antibiotique semblait enfin faire son œuvre. Il apporta sa gamelle à la jeune femme.

– Vous avez faim ? J'ai cuisiné !

Elle lui offrit un sourire. Un de ces sourires « spécial O'Neill » qu'il aimait tant et qu'elle ne réservait qu'à lui.

– Merci… souffla-t-elle. Je suis désolée. Je nous mets en danger.

– Ne dites pas de bêtises, voyons ! Allez, mangez !

La voir s'alimenter enfin était un soulagement immense. Mais, lorsqu'il la vit frissonner, il s'inquiéta à nouveau :

– Est-ce que ça va ?

– J'ai froid…

Il réalisa que la température avait vraiment chuté dans la grotte et qu'il faisait presque de la buée en parlant.

– Je vais faire un peu de feu. En mettant le foyer dans ce recoin, on ne devrait pas l'apercevoir depuis l'extérieur. J'ai ramassé du bois dans l'après-midi au cas où. C'est le plus sec que j'ai pu trouver.

O'Neill s'activa pour allumer le feu.

Quelques minutes plus tard, une douce chaleur rayonnait dans le fond de la grotte. Sam tendit sa main valide vers les flammes pour se réchauffer. Jack rajusta les couvertures sur ses jambes avant de s'installer près d'elle. Elle lui proposa tacitement de partager la chaleur en soulevant un coin de couverture, l'invitant à se serrer contre elle. Il accepta sans un mot et lui ouvrit son bras pour l'accueillir contre lui.

Il commençait à s'habituer au contact rapproché de son corps contre le sien… peut-être même un peu trop pour son propre bien.

La tête appuyée contre son torse, Sam écoutait le cœur de son Colonel battre au creux de son oreille : il frappait fort, trop fort en regard de l'apparente sérénité que dégageait l'homme. Tout comme le sien dont les battements caracolaient dans sa poitrine. Elle ne put s'empêcher de rire doucement, consciente que leur trouble était réciproque.

– Quoi ? qu'est-ce qu'il y a de drôle ? interrogea-t-il avec un soupçon d'inquiétude dans la voix.

– Rien…

– Sam ! insista-t-il.

Elle frissonna en entendant son prénom.

Elle adorait ça.

Elle tourna la tête, ne résistant pas au désir de le regarder. Elle avait besoin de voir l'écho de ce qu'elle ressentait dans ses yeux chocolat. À la lueur du feu, ses traits semblaient plus saillants, durcis par une barbe naissante. Ses yeux étaient sombres et profonds, impénétrables. Ils s'adoucirent en plongeant dans les siens et un nouveau sourire éclaira le visage du Major.

Ils étaient si proches qu'elle sentait la chaleur de son souffle sur son visage. Troublée, elle se souvint confusément d'un rêve étrange qu'elle avait fait durant son délire fiévreux.

Il l'avait embrassée ? Non, impossible. Pas le Jack O'Neill qu'elle connaissait…

Pourtant, elle ne s'y trompait pas : son regard profond, brillant de désir se promenait de ses yeux clairs à ses lèvres, comme si le Colonel hésitait sur la conduite à tenir. Comme s'il s'efforçait de résister encore et toujours...

– Alors ? répéta-t-il d'une voix, une octave plus basse.

Et il a fallu à Sam tout son self-contrôle pour comprendre de quoi il parlait. Elle hésita puis, se rappelant qu'elle avait encore failli mourir, elle repoussa au loin ses craintes et se jeta à l'eau. Elle souffla :

– J'entends votre cœur…

Il parut désarçonné par sa réponse :

– Et ?

Puis, il comprit et bredouilla, troublé :

– Ah…

Le sourire de Sam s'épanouit plus largement sur son visage devant la confusion de son Colonel. Elle tendit sa main vers son visage, se moquant de la douleur qui lui déchirait le dos. Ses doigts effleurèrent la courbe de sa joue, caressant sa barbe poivre et sel.

Il ne se déroba pas.

Un coup de tonnerre claqua tout près de là et la pluie redoubla, coupant la grotte du reste du monde derrière un épais rideau d'eau et de brume.

C'était un de ces rares moments où ils étaient seuls.

La dernière fois où ils avaient connu pareil degré d'intimité, c'était en Antarctique, sous la glace. À l'époque, la situation était inversée : elle était indemne et il était sérieusement blessé. Depuis, le temps avait passé et ce qui n'était alors qu'un béguin était devenu un sentiment puissant, difficile à cacher.

Retenant son souffle, Jack recouvrit sa main de la sienne, sans la retirer de sa joue. Sa paume était chaude, ses doigts légèrement caleux.

Sam se mordilla la lèvre inférieure et le regard de Jack se retrouva inexorablement attiré vers cette zone. Il n'en fallut pas plus pour que la digue qu'il tentait désespérément de retenir se brise.

Vaincu, Jack s'inclina vers Sam et ses lèvres trouvèrent les siennes. Il les effleura d'abord délicatement, comme une caresse. La douceur de ce baiser était tellement intense que Sam retint avec peine un gémissement. Impatiente, elle fit glisser ses doigts dans son cou et crocheta sa nuque.

Jack sourit en sentant la main de Sam fourrager dans ses cheveux courts, lui réclamant plus d'attentions. Malgré la fureur de l'orage, il l'entendit soupirer de bien-être.

Lorsque sa langue les effleura, ses lèvres douces et charnues s'ouvrirent, invitant le Colonel à explorer sa bouche. Mais, lui voulait prendre tout son temps. La découvrir, la savourer. Cela fait si longtemps qu'il attendait ce moment.

Le règlement lui sembla soudain bien insignifiant en comparaison des émotions qui le traversaient.

Qu'importe ce qu'il adviendrait… Il était prêt à affronter la Cour Martiale pour cet instant de félicité. Il était prêt à renoncer à tout pour elle. Même à sa propre vie.

Jack enlaça Sam pour la rapprocher encore de lui. Il sentit sa poitrine s'écraser contre la sienne et leurs souffles chauds se mêler dans un tourbillon. Elle passa ses jambes par-dessus les siennes, se lovant délicieusement contre son corps.

Jack avait l'impression que Sam cherchait à toucher son âme.

Jamais il n'aurait cru que l'Interdit serait si bon… si doux… si brûlant.

Le Colonel butina le visage clair de Sam : ses joues, son cou, ses paupières closes sur le plaisir qu'il lui offrait puis, il approfondit enfin leur baiser et la goûta plus intimement. Sam gémit lourdement en réponse à sa douce intrusion. Par ses caresses, Jack prononça les milliers de je t'aime qu'il n'avait jamais osé lui dire.

Le baiser s'éternisa, s'embrasa, comme si le temps suspendait son cours.

Sentant Sam essoufflée entre ses bras, Jack recula un peu pour la contempler. Profitant de la clarté du feu, il chercha à nouveau son regard, inquiet qu'elle regrette cet instant de fol abandon. Mais, tout ce qu'il vit, ce fut un désir semblable au sien et un amour si vaste qu'il lui coupa le souffle aussi sûrement qu'un uppercut en pleine poitrine.

Puis, il aperçut le froncement de sourcils infime et le plissement de ses yeux une fraction de seconde. Elle avait mal. Il s'en voulut aussitôt et desserra un peu son étreinte. Comme elle semblait inquiète, il lui sourit et murmura :

– Il faut que tu dormes sinon ta fièvre va remonter.

Et avant qu'elle proteste, il déposa un baiser tendre et léger sur le bout de son nez puis, un autre, sur ses lèvres, comme une promesse.

Terrassée par les émotions et ses blessures, Sam capitula. Elle déposa sa tête contre l'épaule de Jack et sombra dans le sommeil.

Jack sentit la jeune femme se détendre entre ses bras. Sa respiration devint plus calme, plus profonde et, juste avant qu'elle ne s'endorme, il l'entendit murmurer :

– Ne me laisse pas…

Il déposa un baiser dans ses cheveux et répondit d'une voix tranquille :

– Jamais.