Le repas fut détendu et joyeux, Harry faisant en sorte de distraire Théo. Lorsqu'ils eurent terminé le repas, Harry nettoya et rangea d'un sort et Hermione fila dans sa chambre pour récupérer son sac. Elle vérifia au passage dans un miroir sa tenue — elle portait un pantalon ample noir qui pouvait passer pour une jupe longue et un chemisier blanc, et elle enfila une cape sorcière noire brodée d'un liseré rouge — et elle décida que ça conviendrait pour ses projets.
C'était le genre de vêtements qui pouvaient passer inaperçus dans le monde moldu, mais également dans le monde magique. Si elle décidait d'aller côté moldu, elle devrait métamorphoser sa cape sorcière en veste, mais si elle avait le courage de suivre son idée, elle resterait dans le monde magique uniquement.
Lorsqu'elle sortit de sa chambre, Harry détailla sa tenue avec un sourire malicieux, les yeux brillants.
— Tu as rendez-vous, Hermione ? Tu es drôlement chic.
La jeune fille rougit et le bouscula en riant nerveusement.
— Ne sois pas idiot ! J'ai acheté des vêtements un peu plus… sérieux que mes jeans et… Tu trouves que c'est trop ?
Harry l'attira dans ses bras en souriant.
— Non, ça te va très bien. Je suis juste un peu étonné du changement, c'est tout.
En sortant de chez Harry, Hermione transplana en pleine campagne anglaise, près de sa destination. Elle avait pris soin de se renseigner sur le lieu exact où elle devait se rendre, en préférant ne pas faire confiance à ses souvenirs, probablement un peu flous. Elle regarda autour d'elle, laissant le passé la submerger.
La dernière fois qu'elle était venue dans le Wiltshire, elle n'avait pas vraiment pris le temps de regarder le paysage. Elle était terrorisée, presque certaine qu'elle allait mourir… elle était prête à tout faire pour que Harry puisse continuer seul s'il le fallait, y compris à se sacrifier. Bien que désespérée, elle n'avait pas paniqué, refusant d'abandonner ses deux meilleurs amis en devenant hystérique.
Hermione serra les poings, s'obligeant à repousser toutes ces images qui la hantaient certaines nuits, et elle fit quelques pas jusqu'à la grande grille en fer forgé qui marquait l'entrée du domaine. Elle voyait l'immense manoir un peu plus loin, aussi magnifique que menaçant.
Ils avaient été traînés à cet endroit, tous les trois. Ron, Harry et elle. Ils n'avaient pas eu le temps de comprendre, de chercher une solution pour fuir. Presque par réflexe, elle avait lancé un maléfice cuisant sur Harry pour le rendre méconnaissable, espérant qu'il ne serait pas identifié.
Elle passa la main sur la grille sombre, retraçant le « M » symbolisant la famille Malefoy, regardant attentivement le blason légèrement terni. Elle se demanda si Drago tenait son prénom des dragons encadrant le blason et elle déchiffra la devise sans difficulté. « Sanctimonia vincit semper ». Elle réprima un ricanement amer en le traduisant : la pureté gagne toujours…
À l'époque, sans avoir besoin de lire ces mots, elle avait immédiatement compris que le sort qu'elle avait jeté sur Harry ne serait pas suffisant. Loin de là. Il pourrait fonctionner sur des Mangemorts, mais certainement pas sur Drago Malefoy, leur camarade depuis la première année. Celui avec qui Harry avait le plus d'interactions en dehors de ses camarades de maison, même si c'était uniquement pour se battre. Harry s'était un jour vanté de pouvoir reconnaître Drago Malefoy sous n'importe quel déguisement, mais l'inverse était également vrai.
Et pourtant… pourtant, Malefoy les avait couverts. Il avait refusé de reconnaître Harry, prétextant qu'il n'était pas sûr, qu'il ne le reconnaissait pas. Sans la moindre hésitation, il leur avait permis de gagner un peu de temps.
Hermione avait lu la terreur dans le regard acier, pourtant le Serpentard n'avait pas flanché, pas un seul instant.
Il avait longuement fixé Harry dans les yeux, comme s'ils communiquaient secrètement tous les deux. Folle de rage de voir la gratitude de son maître lui échapper pour lui avoir livré l'élu, Bellatrix avait agrippé Hermione, ses ongles tranchants pénétrant sa chair, décidant de noyer sa déception dans une bonne séance de torture.
Hermione s'était débattue, de toutes ses forces. Elle avait lutté, autant que possible, essayant de ne pas se mettre à supplier, de ne pas pleurer. Elle avait résisté aux Doloris, elle avait supporté les insultes et les coups.
Lorsque Bellatrix avait commencé à graver ce mot ignoble dans sa chair, elle avait hurlé, autant de douleur que de rage, sanglotant de son impuissance et priant pour que Harry profite du chaos pour fuir. Mais elle ne s'était pas rendue. Elle avait lutté, à chaque instant.
Elle avait croisé une fois encore le regard de Malefoy, alors qu'elle se débattait, pendant que son sang coulait et souillait le sol précieux du manoir Malefoy. Il était blême et semblait sur le point de se mettre à vomir. Elle pouvait voir ses mains serrées en poings trembler et il semblait enfin prendre conscience de l'horreur de la situation, ainsi que de la cruauté de son propre camp.
Lorsque le couteau de Bellatrix avait entaillé une fois de plus sa chair, Hermione avait hurlé en ruant de toutes ses forces, sans quitter Malefoy des yeux, incapable de détourner le regard. Quelque part, l'horreur dans ses yeux était réconfortante, elle se sentait… soutenue. Comme si savoir que son ennemi d'école ne voulait pas qu'elle soit torturée pouvait adoucir la douleur et lui donner le courage de lutter, de ne pas céder.
Quelques instants plus tard, il était resté figé lorsque Harry s'était précipité, suivi de Ron. Elle l'avait vu lâcher volontairement sa baguette lorsque Harry l'avait agrippé, leur permettant ainsi de fuir. La main sur son bras ensanglanté, maintenue par Ron au moment où Dobby les faisait transplaner, Hermione avait croisé une dernière fois le regard de Malefoy… Il semblait soulagé, mais également résigné, comme s'il savait que leur survie causerait sa perte.
Hermione ferma les yeux quelques secondes, en se souvenant qu'elle s'était inquiétée de son sort quelques secondes en arrivant à la chaumière aux coquillages. Elle avait espéré qu'il irait bien, que leur fuite ne le ferait pas tuer… puis, Harry avait hurlé le nom de Dobby et elle n'avait plus eu une seule pensée pour Drago Malefoy.
Ils avaient ensuite enterré le petit elfe, qui avait donné sa vie pour les sauver, puis ils avaient dû prendre soin de Garrick Ollivander, et ils avaient replongé tête la première dans le quotidien de la guerre, avec la certitude qu'ils approchaient de la fin. Le sort de leur ennemi de toujours lui était sorti de l'esprit, pas par méchanceté ou indifférence, mais uniquement parce qu'ils ne pouvaient pas revenir en arrière. Ils devaient avancer et espérer mettre fin à la guerre avant que trop d'innocents ne soient tués.
