Note : J'ai gardé le nom anglais de la mère de Remus pour cette histoire. Elle s'appelle ainsi "Hope "et non "Espérance".
"La cruauté est le remède de l'orgueil blessé."
Friedrich Nietzsche
Confortablement installé à côté d'une vieille citrouille en plastique, Remus coloriait en silence un énième dessin de fantôme. C'était son institutrice préférée, Mademoiselle Parkins, qui les avait imprimés à sa demande. Largement délaissés par les autres enfants au profit de créatures plus bariolées, les esprits dormaient en pile dans un coin de la classe et Remus se faisait un plaisir de venir les chercher les uns après les autres.
Une fois assis à sa table, le rituel restait invariablement le même : Remus posait d'abord Barney, sa petite peluche de spectre, à côté de lui pour l'utiliser comme modèle. Il s'appliquait ensuite à reporter sur le papier les ronds de ses joues puis son sourire avant de tracer avec une précision presque chirurgicale les contours des grandes auréoles brunes qui maculaient son corps. Si Barney avait, comme Remus, survécu à la "nuit du monstre", il en portait aussi les stigmates. Aucune lessives, moldues ou sorcières, n'avaient réussi à éliminer les taches de boue incrustées dans son tissu blanc. La plus sombre, située sur son flanc, s'étirait comme une longue blessure jusqu'au bas de son voile. Remus ne pouvait s'empêcher de la tripoter en permanence. Sa propre cicatrice aussi, il la malmenait, la grattait parfois jusqu'à la faire saigner. Cela avait beau faire un an, Barney et lui étaient toujours blessés.
Il espérait qu'un jour, ils pourraient enfin guérir. Faire comme les dessins sur lesquels Remus s'appliquer à reproduire les taches avant de les gommer.
"Qu'est-ce que tu fais ?", demanda Brody, un enfant que Remus n'aimait pas beaucoup car il lui volait souvent ses affaires.
"Je soigne Barney", se contenta de répondre Remus avant de tirer la langue pour mieux se concentrer.
"On dirait une vache", commenta méchamment Brody en observant le dessin.
La remarque le piqua au vif et Remus releva brusquement la tête.
"Barney n'est pas une vache !", s'énerva-t-il, "C'est un fantôme !"
"Si", ricana Brody, "c'est une vache fantôme ! Je vais lui faire des cornes !" ajouta-t-il en saisissant un des feutres de Remus dans sa trousse.
Alors qu'il essayait de le pousser pour voir le dessin de plus près, la pointe d'un crayon se planta fermement dans le dos de la main de Brody. Fou de douleur, il laissa échapper un cri aigu, tandis que Remus, l'arme encore à la main, se mit à lui hurler dessus :
"LAISSE-LE, J'T'AI DIT ! C'EST PAS UNE VACHE, C'EST UN FANTÔME !"
"Remus !", s'exclama Miss Parkins de l'autre bout de la salle, "Qu'est-ce que tu lui as fait ?"
"Il m'a fait mal !", chouina Brody.
Il leva sa main bien haut, la mine du crayon toujours enfoncée, un peu sang coulant de la plaie. Ses grosses larmes agacèrent d'abord Remus, puis la vision de la blessure le figea sur sa chaise. Sa cuisse devint soudainement engourdie, ne laissant qu'une sensation de vide, une absence nauséeuse, et il glissa instinctivement sa main dans son pantalon pour chercher sa blessure. Furieusement, ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau enflée, grattant la cicatrice avec une telle violence que tout son corps trembla. Rien, pas même la main que la jeune maîtresse avait posée sur son épaule, ne parvint à l'arrêter.
"Mais qu'est-ce que tu fais ?", hurla la jeune femme, désemparée, "Ça ne va pas ? Arrête ! Remus, arrête ! Tu vas te faire mal !"
Elle finit par saisir son bras pour le tirer de force, puis grimaça en voyant la peau sous ses ongles.
"Oh, regarde, regarde ce que tu as fait ! Tu t'es griffé ! Encore ! On avait dit que tu devais arrêter, Remus ! Pourquoi tu as fait ça ? Marlene !", cria-t-elle à sa collègue qui tentait de calmer les autres enfants, "Garde la classe, il faut que je l'emmène voir l'infirmière ! Oh non, mais pourquoi est-ce qu'il finit toujours par faire ça ?"
"Je sentais plus ma jambe", répondit simplement Remus, toujours un peu hagard, "Quand je la sens plus, je la griffe. Comme ça, ça brûle et ça redevient normal… "
Son explication fut accueillie par un long silence. Marlene Morrow, la deuxième maîtresse, une vieille femme aux allures de chouette avec ses grosses lunettes, se pencha sur les dessins de fantômes empilés sur le bureau, tous coloriés puis effacés jusqu'à presque déchirer le papier. Soufflant sur les miettes de gomme, elle finit par murmurer :
"Je t'avais dit qu'il ne fallait pas qu'on accepte ce gamin. Il est dérangé."
Mademoiselle Parkins ne répondit pas à sa critique. Elle se contenta d'attraper les deux enfants par la main pour les emmener à l'infirmerie. Brody en fit des tonnes durant le trajet. Arguant qu'il ne pouvait pas marcher parce qu'il avait trop mal, il agitait sa main dans tous les sens, la brandissant dans les airs comme la relique d'un martyr. Il faillit même se rouler par terre dans la cour de récréation. Étrangement, dès que la maîtresse lui tournait le dos pour porter Remus dans les escaliers, il semblait retrouver toute son énergie et commençait à leur tirer la langue à tout-va, sautillant derrière eux comme un cabri. Il ne recommença à trainer la patte qu'une fois arrivé à l'infirmerie, ce qui était un peu idiot, comme Mademoiselle Parkins le lui fit si justement remarquer, car ce n'était pas à la jambe qu'il avait été blessé.
Les deux petits garçons reçurent chacun des soins. Brody pointa la cicatrice de Remus avec un air dégouté quand Mademoiselle Parkins s'éclipsa pour appeler ses parents et Remus se fit engueuler par l'infirmière avant de pouvoir lui répondre. Il se fit aussi disputer, plus gentiment cette fois, par Mademoiselle Parkins qui lui expliqua qu'il ne devait par blesser les autres juste parce qu'il était en colère. Puis, de retour en classe, Madame Morrow le mit au piquet.
Assis dans son coin, Barney fermement ancré dans ses bras, Remus regarda le reste de la classe se réunir autour des deux institutrices.
"Comme vous le savez tous, c'est bientôt Halloween !", déclara joyeusement Mademoiselle Parkins.
La nouvelle fut accueillie par des cris de joie. Remus aussi gigota sur sa chaise, impatient. Il n'était jamais allé à l'école avant cette année et sa mère lui avait raconté que pour Halloween, les enfants pouvaient venir déguiser en classe. Il avait préparé à cette occasion un beau costume de fantôme et il trépignait d'impatience à l'idée de le montrer à ses camarades.
"C'est l'occasion de faire quelques activités ensemble !", reprit Mademoiselle Parkins, "Pour bien préparer cette fête, nous allons créer des masques en papier mâchés, une petite décoration à accrocher sur votre porte d'entrée et, surtout, nous allons apprendre une chanson !"
Madame Morrow, qui fixait Remus d'un air contrarié depuis qu'il avait remis les pieds en classe, ajouta d'une voix sans entrain :
"Il s'agira de l'apprendre par cœur, car nous chanterons avec les autres classes devant vos parents pour Halloween. Nous avons sélectionné pour vous trois chansons différentes et ce sera à vous de choisir. Il y en a une sur les fantômes, une autre sur les sorcières et enfin, une sur les loups-garous."
Le cri qui s'échappa de la gorge de Remus porta plus loin qu'il ne l'avait pensé. Les autres enfants se tournèrent vers lui pour le regarder avec stupéfaction. Mademoiselle Parkins fit de même, remettant nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille alors qu'elle le fixait, craignant visiblement nouvelle crise de colère. Seule Madame Morrow réagit. Soupirant, elle leva la tête vers Remus avant de lui demander d'une voix ferme :
"Qu'est-ce qu'il y a encore ?"
Remus baissa la tête, sentant la gêne monter en lui. Ses doigts caressèrent longuement le flanc de Barney avant qu'il ne trouve finalement la force de répondre :
"Je veux pas la chanson sur le loup..."
Sa voix était si basse que Remus lui-même peinait à s'entendre.
"Qu'est-ce que tu as dit ?", demanda Madame Morrow.
Elle quitta le tableau et traversa à grands pas la salle de classe pour venir pencher sa grosse tête de hulotte vers le petit garçon. Ce dernier se tassa sur sa chaise à son approche, essayant de cacher ses larmes naissantes derrière sa peluche.
"Je veux pas la chanson sur le loup...", murmura-t-il une nouvelle fois.
"Ah ! Tu ne veux pas la chanson sur le loup-garou !", lui répondit Madame Morrow d'une voix qui partait dans les aigus, "Mais, tu sais, tu n'es pas tout seul dans cette classe ! Tu ne peux pas décider pour les autres ! Vous allez devoir choisir la chanson tous ensemble !"
"Attends, Marlene", l'interrompit Mademoiselle Parkins, "Ça me revient maintenant, que ses parents ne voulaient pas qu'il fasse des activités en rapport avec les loups. Ils ont vraiment bien insisté là-dessus. Nous devrions tout simplement l'enlever."
"Mais moi je veux chanter la chanson sur les loups-garous !", s'exclama Brody d'une voix faussement innocente.
Remus aurait bien aimé lui lancer sa trousse dans la tête, mais Madame Morrow ne l'aurait sûrement pas laissé faire.
"Tu vois", dit-elle en désignant Brody, ignorant royalement sa consœur, "Il y en a qui voudrait bien chanter cette chanson. Alors, tu vas être sage, pour une fois, et tu vas laisser les autres choisir ce qu'ils veulent. Et s'ils veulent la chanson sur les loups-garous, vous chanterez la chanson sur les loups-garous. Maintenant, tu vas te taire et l'écouter."
"N-non.", balbutia Remus.
Une marée de hoquets de surprise envahit la salle et Madame Morrow ouvrit des yeux aussi ronds que ses lunettes.
"Qu'est-ce que tu viens de me dire ? Tu m'as dit "non" ?"
"Marlene", répéta Madame Parkins, "Je pense que nous pouvons juste garder les deux autres chansons."
"Elisabeth, je te rappelle que tu n'es que stagiaire", lui répondit sèchement Madame Morrow, "Ça reste ma salle de classe ! Tout ne tourne pas autour de cet enfant ! Alors, Remus, tu m'as dit "non", c'est ça ?"
Remus n'eut pas le temps de lui répondre. La vieille femme s'était fermement emparé de son bras pour le trainer jusqu'à son bureau. La vue brouillée par ses larmes, il vit défiler devant lui les visages déformés de ses camarades avant d'être assis de force sur une chaise à côté du vieux lecteur cassette.
"Marlene", essaya encore une fois d'intervenir Mademoiselle Parkins, "Il vaudrait mieux..."
"Il vaudrait mieux qu'il écoute enfin !", la coupa Madame Morrow, "Ce n'est pas un petit garçon qui va faire la loi dans ma salle de classe ! Il faut qu'il apprenne à agir comme les autres ! Mets la chanson !"
"Mais, nous pourrions...", tenta encore Mademoiselle Parkins.
"Mets la chanson !", ordonna vivement Madame Morrow.
Remus avait beau essayer de se débattre, les mains de Madame Morrow s'étaient refermées sur ses épaules comme de grandes serres. Secouant la tête dans tous les sens, il supplia du regard Mademoiselle Parkins d'arrêter, mais il était trop tard. La musique était lancée.
Remus sentit son cœur battre de plus en plus fort. Ses mains devinrent moites et, s'il chercha d'abord à s'essuyer sur son pantalon, il commença à furieusement gratter le tissu de ses ongles, cherchant à atteindre le vide qu'il sentait se creuser dans sa cuisse.
Une mélodie joyeuse résonna dans la pièce, bientôt suivit d'un chœur qui se mit à prononcer lentement les paroles, à la manière d'enfants chantant en ronde :
Croissant de lune,
Quart de lune,
Demi-lune
Pleine lune !
Oh non, la lune est pleine !
Le monstre hurle dans la plaine !
Le refrain se termina par le hurlement d'un loup et Remus s'étouffa avec sa propre salive. Sa gorge était bloquée, plus un son ne pouvait sortir de sa bouche. La montée d'angoisse le fit presque tomber à la renverse tant il se balança fort sur sa chaise.
Le loup-garou a soif, le loup-garou a faim
Les enfants pas sages, il s'en va les chercher
Les saisit par les pieds, les saisit par les mains
Et part les emmener là où tout est caché !
Il sembla à Remus qu'une vitre avait éclaté quelque part dans la salle, que quelque chose était rentré dans la classe. Qu'Il était rentré dans la classe. Il pouvait discerner sa silhouette dans l'ombre. Il pouvait sentir son souffle moite. La froideur de ses dents. La chaleur de sa langue. Et ses ongles si durs qui lui raclaient les cuisses tandis qu'il prononçait son nom.
"Remus ! Remus !"
Il fallait qu'il s'enfuie. Mourir, il allait mourir s'il restait ici !
"REMUS !"
Des mains se pressèrent sur son visage et Remus émergea dans une grande respiration. La salle dansait tout autour de lui. Mademoiselle Parkins lui tenait les joues tandis que Madame Morrow essayait lui faire lâcher les lambeaux de son pantalon. Les cris des autres enfants couvraient la musique. Des cris de peurs, si semblables aux siens. Une attaque ? Peut-être. Sûrement. Oui.
Il était là.
"Je le vois… Il est tout près… Tout près de moi… Je le... vois. Lâchez-moi. Je dois partir… Lâchez-moi... Lâchez-moi !"
Il voulait se lever, partir en courant, se cacher. Mais on ne le laissait pas faire. Il y avait ces pressions partout sur son corps, ces mains qui l'agrippaient pour le maintenir au sol, qui l'empêchaient de respirer, qui lui faisaient monter cette boule dans le ventre, ce vertige tout au fond de sa tête… Tout ce sang sur ses cuisses…
Et puis, entre ses jambes, la tête de la Bête.
"Lâchez-moi... LÂCHEZ-MOI !"
Il y eut le bruit fracassant des bureaux contre les murs, des bibliothèques éclatant avec fureur et passant au travers des fenêtres. Il y eut les plaintes, les cris et les pleurs.
Puis, subitement, plus rien.
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Enveloppé dans une vieille couverture, Remus se terrait à l'arrière de la voiture, observant dans l'ombre ses parents échanger avec un des Aurors sur le parking de l'hôpital. La tension était palpable, des mots à peines audibles glissant sur leurs lèvres : "Destruction", "Blessés", "Protection", "Danger". Les regards se croisaient, chargés de colère et d'anxiété. Remus voulait crier, demander des réponses à ces adultes qui paraissaient tout savoir, tout comprendre. Pourtant, ses mots restaient pris dans sa gorge, étouffés par la peur de ce qui pourrait arriver s'il découvrait la vérité. Il se contentait de se cramponner à Barney, dernier vestige de sécurité. Il ne se souvenait plus de ce qu'il s'était passé, mais sa vie venait de nouveau d'être bouleversée. Il le sentait.
Le monde extérieur semblait flou, presque irréel, alors que les phares des autres voitures filaient comme des étoiles dans la nuit. Le jour avait glissé sans qu'il s'en rende compte. Assis dans l'obscurité, les yeux rivés sur ses parents, il avait l'impression étrange d'être englouti par le vide.
"Connard !"
La voix de sa mère le sortit de sa torpeur. Elle poussait violemment l'Auror de ses deux mains et son père dut la saisir par-derrière pour qu'elle arrête enfin. La voix de l'Auror se fit plus menaçante et ses deux parents finirent par battre en retraite, claquant bruyamment les portes de la voiture tandis qu'ils s'installaient sur les sièges.
"Comment est-ce qu'il ose dire ça de notre fils ? Et comment toi, tu peux le laisser faire ?", hurla sa mère.
Elle pleurait, mais Remus comprit rapidement que c'était de colère.
"Hope", tenta de la calmer son père, complètement déconfit, "Je t'avais dit qu'on aurait dû venir le chercher dès que l'institutrice nous a appelé. C'était irresponsable de le laisser là-bas."
"Il avait commencé à se calmer après ses crises ! Cela faisait plusieurs fois qu'il se griffait un peu et puis qu'il s'arrêtait ! Il allait de mieux en mieux ! Je voulais l'encourager !", se défendit sa mère.
"Ah parce que tu appelles ce qu'il a fait "aller mieux" ?", répondit son mari du tac au tac.
"Ce n'était pas sa faute ! On l'a forcé à écouter une saleté de chanson sur les loups-garous ! On l'a maintenu de force sur une chaise, Lyall, on a maintenu notre enfant de force sur une chaise ! Il a fait une crise parce que ces horribles femmes l'ont poussé à bout ! On leur avait dit qu'il ne devait pas de près ou de loin être confronté à une image de loup ! C'est toi-même qui disait que les enfants sorciers pouvaient causer des accidents en relâchant de la magie à cause du stress ! Et le nôtre souffre de stress post-traumatique ! ! Alors, non, ce n'était pas sa faute, c'était la leur !"
Lyall resta un instant bouche-bée avant de reprendre avec plus de véhémence :
"Je n'ai jamais dit que c'était sa faute, mais tu sembles oublier qu'il a blessé d'autres enfants ! Il a provoqué une tornade dans sa salle de classe ! Il y a des enfants, Hope, des enfants de son âge, qui ont été projetés contre les murs ! T'étais où quand les Aurors nous ont expliqué ce qu'il s'était passé ? Tu te rends compte du danger que ça représente ? Il aurait pu les tuer ! D'autant plus qu'il a fallu faire intervenir toute une équipe de médicomages puis lancer des sortilèges d'oubliettes à tout le quartier !"
Tout à coup, les souvenirs revinrent en force dans l'esprit de Remus, se déroulant à une vitesse vertigineuse. L'explosion éblouissante, comme si le monde entier avait été dévoré par cette lumière éclatante. Les objets qui volaient dans les airs, les murs qui tremblaient. Le chaos et les cris. Les bras des pompiers puis des médicomages qui s'étaient refermés sur lui. Les livres éparpillés dans la cour. Les brancards dans le grand hall et tous ces regards incompris.
Dépassant de l'ambulance, l'angle bizarre de la jambe de Mademoiselle Parkins…
Une puissante nausée s'empara de lui et il dut se plier en deux pour ne pas régurgiter, étouffant ses pleurs en mordant de toutes ses forces la couverture usée.
Inconsciente du fait qu'il était éveillé, Hope continua de hurler :
"Oui ! Oui, j'en suis consciente ! Je suis consciente que cela aurait pu être encore pire que ça ! Mais, qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? Qu'on l'enferme pour toujours dans sa chambre ? Je ne regrette pas de l'avoir inscrit dans cette école, Lyall ! Je regrette que personne ne nous ait écoutés ! Personne ne s'est adapté à ses besoins !"
"Mais comment tu veux qu'ils s'adaptent à ses besoins ? Ce sont des moldus, ils ne sont pas équipés pour accueillir un enfant comme lui ! On ne peut pas le laisser avec eux ! Ça se reproduira forcément ! Je t'avais dit que c'était une mauvaise idée dès le départ ! Que ça te plaise ou non, il va falloir le garder à la maison !"
Il sembla à Remus que si sa mère avait pu bondir à la gorge de son père, elle l'aurait fait. Chaque nouvelle inflexion dans sa voix lui faisait mordre plus férocement le tissu entre ses dents, sa salive imprégnant la laine rêche.
"C'est un enfant de six ans, il a besoin de se sociabiliser ! Je te rappelle que c'est ta faute si aucune garderie sorcière ne veut le prendre ! Et c'est aussi ta faute si les autres familles du quartier refusent que leurs enfants l'approchent ! C'est toi qui l'as condamné en le déclarant au Ministère et en l'inscrivant sur cette putain de liste ! Pourquoi est-ce qu'il faudrait que les loups-garous soient inscrits sur une liste, d'abord ? Et pourquoi nous forcer à faire le tour des maisons pour avertir les voisins ? Remus est un enfant, pas un détraqué sexuel !"
Cette fois-ci, son père resta silencieux. Les yeux fixés sur le volant, il passa ses doigts dans ses cheveux grisonnant avant de finalement murmurer :
"Je sais… J'ai… J'ai toujours travaillé pour le Ministère. Je leur faisais confiance. Je pensais qu'en suivant la procédure, ça lui simplifierait la vie… Je veux dire, ils nous avaient promis un accompagnement et on l'a eu… Je ne pensais juste pas que le déclarer se retournerait contre nous. Je… Je voulais juste bien faire… Je voulais bien faire..."
Il répéta plusieurs fois sa dernière phrase d'un air absent, sa main se plaquant contre son front avant de glisser le long de son visage pour recouvrir sa bouche.
"De quel accompagnement tu parles ?", demanda sa mère, "De la vieille folle qui nous a appris comment maintenir notre fils en cage ? Tu parles d'une aide ! Tout ce qu'on a obtenu, c'est son nom sur la liste des bannis !"
"Elle permet de recenser les loups-garous. Elle a été faite pour améliorer la sécurité des habitants et..."
Son père ne termina pas sa phrase, ne semblant pas croire lui-même à ce qu'il disait. D'ailleurs, même s'il y avait cru, il ne l'aurait sûrement pas continué au vu de la rage qui habitait le regard de sa femme. Remus aussi se taisait. Il avait déjà fait un premier trou dans la couverture et s'appliquait maintenant à en ronger un nouveau bout, respirant à peine alors qu'il se balançait d'avant en arrière.
"Et quoi ?", insista Hope, "De quelle sécurité tu parles ? On nous a déjà appris les sorts nécessaires pour les soirs de pleines lunes ! On a même des adresses officielles de "gardiens" travaillant pour le compte du Ministère, si besoin. Nos voisins sont déjà en sécurité ! Explique-moi, Lyall, pourquoi est-ce qu'on nous force à mettre son nom sur une liste consultable par tous ? Pourquoi est-ce que c'est marqué dans son dossier scolaire ? Pourquoi est-ce qu'on nous impose de le dire à tout le monde ? Pourquoi est-ce qu'on nous empêche de vivre dans un quartier moldu ? Parce que eux ne peuvent pas consulter la liste, c'est ça ? C'est pour leur sécurité à eux ? Et, notre sécurité à nous, tu y penses ? Tu te sens en sécurité toi ? Tu te sens en sécurité quand on tague ta maison pour te dire de dégager ? Quand on jette des œufs sur ta porte ? Tu te sens en sécurité quand toute ta rue signe une pétition pour que tu t'en ailles ?"
"Hope...", tenta vainement Lyall.
La jeune femme ne l'écouta pas, continuant de parler d'une voix plus sanglotante cette fois :
"Et quand tu emmènes ton fils au parc et que tous les autres parents se lèvent pour exiger qu'il joue tout seul dans un coin, et qu'ils regardent ses moindres fais et gestes avec leurs mains sur leurs baguettes ? Tu te sens en sécurité ?"
Alors c'était pour ça qu'il sortait leurs baguettes ? Son père lui avait toujours dit que c'était parce que les sorciers étaient toujours vigilants. Il lui avait menti.
Il lui avait menti et Remus venait de faire un troisième trou dans la couverture, mâchonnant nerveusement les fils avant de les avaler. Tout avait un goût de bile.
"Hope, je..."
"Est-ce que tu te sens en sécurité ? Parce que moi non..."
Cette fois-ci, Lyall ne répondit plus, se contentant de fixer les voitures qui passaient le long de la route. Les yeux remplis de larmes, Hope l'observa en silence avant de reprendre d'une voix étranglée :
"Alors, on va déménager dans un quartier moldu. Et on va rien dire à personne."
"Tu sais bien que c'est impossible", murmura Lyall, "C'est interdit et passible d'amendes..."
"On va aller dans un quartier moldu !", insista Hope, marquant chacun de ses mots d'un mouvement désespéré de la main, "On va trouver une nouvelle maison, dans une rue avec plein d'enfants, pour qu'il se fasse des copains. Parce que je te rappelle qu'on a fait que bouger quand il était bébé et qu'il n'a jamais eu de vrais copains. Mais là, il va en avoir, et… Et il ira à l'école avec eux."
Sa dernière déclaration sortit soudainement son mari de sa léthargie :
"Il est absolument hors de question qu'il aille à l'école !"
"Il ira à l'école !", vociféra sa mère, "Comme les autres enfants ! Comme il aurait dû le faire avant que tu ne t'embrouilles avec ce Greyback !"
"Ah parce que tu penses que je l'ai fait exprès ? Tu crois que je savais ce qu'il allait faire à Remus ? Tu crois que j'ai fait exprès de me disputer avec lui ?"
"Je sais pas, rappelle-moi pourquoi t'as dit à un gosse de 15 ans qu'il ne valait rien parce que c'était un loup-garou ?"
La révélation marqua l'esprit de Remus au fer rouge. Personne ne lui avait jamais dit que le monstre qui l'avait attaqué avait un nom. En fait, personne ne lui avait rien dit à son sujet, et Remus n'avait jamais imaginé que la chose qui l'avait attaqué puisse être un humain comme lui. Greyback était un garçon lui aussi. Un grand garçon, mais pas encore un adulte.
Il s'était fait attaquer par un autre enfant.
Et, à son tour, il avait attaqué les enfants de sa classe aujourd'hui.
Son estomac se tordit un peu plus à cette pensée et il tâtonna à travers le plaid pour chercher sa cuisse.
"J'aidais le bureau de recensement des loups-garous pour des contrôles d'identités !", s'indigna son père, "Ils étaient en sous-effectif et j'ai voulu leur donner un coup de main ! Plusieurs membres de la famille Greyback souffraient de lycanthropie et ils n'avaient pas mis à jour leur nouvelle adresse ! Ils se sont montrés hostiles, les choses ont dérapé ! C'est quoi ton but ? Tu veux lui trouver des excuses ? Tu veux que je dise que c'est normal qu'il se soit vengé ?"
"Non ! Je veux pas dire ça ! Ce gamin est mauvais ! J'espère qu'on le retrouvera et qu'il ira en prison ! Là où est sa place ! Mais, le jour où un membre du Ministère dira ça à ton fils, comment est-ce que tu réagiras, hein ?"
"Je sais pas, mais en tout cas j'irais pas mordre ses gosses pour me venger ! Non mais merde, tu veux quoi à la fin ? C'est quoi le but de cette conversation ? Dis-le-moi ! Tu veux quoi ?"
Le poing de sa mère s'abattit comme un marteau sur le tableau de bord de la voiture alors qu'elle criait cette fois-ci à pleins poumons :
"JE VEUX QU'IL AILLE À L'ÉCOLE, LYALL ! JE VEUX QU'IL AIT DES AMIS ! JE VEUX QU'IL SOIT NORMAL !"
À l'arrière de la voiture, Remus continuait de se recroqueviller sur lui-même. Sa jambe semblait être devenue fantomatique et il peinait à ôter le large bandage qui enserrait sa cuisse. La couverture ne suffisant plus à étouffer ses débuts de sanglots, c'était Barney qu'il serrait entre ses mâchoires, réprimant comme il le pouvait ses sanglots. Le seul qu'il ne parvint pas à retenir, fut couvert par la voix de son père qui se mit à hurler dans la voiture :
"MAIS IL N'EST PAS NORMAL, HOPE ! IL L'ÉTAIT AVANT MAIS C'EST FINI, IL NE L'EST PLUS ! IL VA FALLOIR FAIRE AVEC ! IL N'EST PAS NORMAL, TU M'ENTENDS ?"
Tremblant sous la fureur de son père, Remus réussit enfin à glisser sa main sous ses pansements, venant triturer la plaie à peine refermée. La chair à vif sous ses doigts lui fit avoir un puissant hoquet et Barney quitta sa bouche pour atterrir sur le sol. Une seule note plaintive s'échappa de ses lèvres, un même son aigu, formant un long pleur ininterrompu.
Ses parents tournèrent soudainement la tête dans sa direction et pâlirent comme des morts à sa vue. Le silence qui s'était installé était étouffant, chacun retenant son souffle, incertain de ce qui allait suivre.
Puis un sanglot atroce s'échappa de la gorge de Remus et il se mit à pleurer avec une violence inhumaine, arrachant ses parents à leur état de stupeur. Sa mère fut la première à réagir, se précipitant entre les sièges pour le prendre dans ses bras.
"Hé ! Hé !", tentait-elle désespérément de le rassurer, "Calme-toi ! Tout va bien !"
Remus aurait aimé, mais il ne le pouvait pas. Il se sentait soudainement étranger dans sa propre peau, comme si ce sanglot venait de quelque part d'autre, d'une partie de lui qu'il ne connaissait pas.
"Je suis désolé", parvint-il à articuler entre deux gargouillis hystériques, "Je suis désolé de ne pas être normal..."
Son père qui avait ouvert la portière pour s'asseoir directement à l'arrière le serra à son tour dans ses bras.
"Mais non, mais non ! Tu es normal ! Tu es normal !", dit-il à son tour, serrant Remus si fort contre lui qu'il manquait de l'étouffer.
Cela ne suffit pas. Des râles de désespoir continuaient à émaner de Remus, des chuintements de bête blessée. Il aurait voulu que ce son cesse, qu'il puisse retrouver le contrôle de lui-même, mais la douleur était trop profonde, trop écrasante.
À ses pieds, Barney souriait, la tête appuyée contre le bout de sa chaussure.
Pour la première fois de sa vie, la vision du petit fantôme ne consola pas Remus.
Et voici pour ce petit interlude qui, je l'éspère, ne vous a pas trop secoué (je mens, j'espère vraiment qu'il vous a brisé le coeur).
Le comportement de Madame Morrow peut vous sembler exagéré, mais je vous jure qu'elle est basée, tout comme Mademoiselle Parkins, sur les deux professeurs que j'avais en CP. Aussi bizarre que ça puisse paraître, toutes les deux s'appelaient Marie-Ange. L'une était jeune et gentille, l'autre vieille et sévère. Pour une raison que j'ignore encore aujourd'hui, elle me détestait activement et cherchait toujours à me punir. Elle aimait me prendre violemment par le bras et me mettre au coin pour des méfaits imaginaires, m'accusant par exemple d'avoir sifflé en classe alors que je n'ai jamais su comment faire. Du coup, avec mon père, on l'appelait Marie-Diable.
Marie-Diable cessa finalement de me persécuter le jour où elle prétendit, à tort, bien sûr, que j'avais volé les crayons d'une camarade, poussant ma mère a débarqué comme un pitbull enragé pour la poursuivre dans la salle de classe. L'un de mes meilleurs souvenirs de primaire. x)
Sinon j'espère que êtes satisfaits de ce treizième chapitre. N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire, même juste un "trop chouette", ça fait toujours plaisir !
