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L'ex-Docteur Wu Dengzhu compléta soigneusement les notes qu'il tenait sur l'état de croissance ou de nécrose des différents organes dont il assurait le développement artificialisé. Chacun des bocaux qui s'alignaient sur les étagères, ou derrière les vitrines climatisées, restituait à la perfection le milieu de maturation idéal du spécimen qui y était mis en culture: une riche et vaste collection d'organes d'animaux, naturels ou synthétiques, mais aussi d'humains, naturels... ou synthétiques!
Wu était un petit homme rabougri en blouse blanche, sans véritable particularité physique marquante, en dehors bien sûr de la grosse prothèse oculaire particulièrement inesthétique qui englobait l'ensemble de sa tempe et de son œil droits. Pour le reste, son visage était aussi marqué que ceux des autres résidents de ce secteur soumis aux mêmes aléas climatiques. En fait, il aurait été difficile de lui donner un âge même approximatif, n'eussent été son dos voûté, et sa longue barbiche de filasse ondulée, aussi blanche et clairsemée que sa chevelure.
La pièce où travaillait l'ex-Docteur Wu était peu éclairée, pour ne pas gâter les précieux spécimens qui y étaient entreposés. Le carrelage blanc qui tapissait le sol et les murs de ce local tout en longueur attestait de son ancien usage médical et pharmaceutique; mais l'endroit avait connu des jours meilleurs. Bien des carreaux étaient ébréchés, et il était clair que les surfaces étaient loin d'être nettoyées régulièrement. En revanche, les plans de travail carrelé, les étagères de rangement, et les armoires de stockage réfrigérées étaient d'une propreté irréprochable. De toue évidence, Wu tenait à la plus parfaite préservation sanitaire de chacun des spécimens qu'il avait mis en culture. Toutefois, les organes des Réplicants conçus par Tyrell étaient de très loin ses sujets d'étude favoris.
À l'époque des jours de gloire de la Tyrell Corporation, il existait un marché parallèle pour les organes de Réplicants: yeux, reins, foies, cœurs, etc. Dans le cas des Nexus-6 en particulier, ces organes n'avaient pas été conçus pour durer plus de quelques années, ce qui les rendaient impropres à toute tentative de greffe. Mais leur perfection surhumaine excitait la convoitise de nombreux clients fortunés. La plupart d'entre eux n'étaient que de riches collectionneurs à l'esprit morbide et aux goûts macabres; mais on trouvait aussi quelques chercheurs fascinés par les prouesses génétiques du Docteur Tyrell, et par le simple fait qu'il soit parvenu à synthétiser ainsi une forme de vie supérieure. Ces clients-là, en dépit de leurs faibles moyens, étaient prêts à se saigner aux quatre veines pour pouvoir se procurer des échantillons dignes d'être disséqués, et qui sait, avec de la chance, d'être mis en culture et répliqués.
Ce marché noir très lucratif était alors essentiellement alimenté par une poignée de Blade Runners, qui revendaient sous le manteau des organes viables prélevés sur leurs victimes les plus fraiches. Ces trafiquants de chair pseudo-humaine ne voyaient dans ce négoce rien de plus illégal ou immoral que dans la revente de pièces détachées de machines mises hors d'usage. L'une des plus illustres parmi ces Blade Runners de sinistre réputation n'était autre que la fameuse 'Ash' Ashina, l'une des gloires de la profession. On avait appris plus tard que la traqueuse émérite n'avait eu recours à ce triste expédient que pour pouvoir financer la maintenance de sa prothèse vertébrale cybernétique, celle qui lui permettait de surmonter l'affection génétique qui l'aurait autrement maintenue hémiplégique.
Wu grimaçait de mépris, lorsqu'il pensait à des raisons aussi triviales de faire commerce – de se débarrasser pour de l'argent! – de ces organes parfaits que lui-même s'attachait à recueillir avec un soin presque religieux. L'être humain au naturel était tellement imparfait dans sa nature. Une conception presque accidentelle avec un partenaire de hasard, des dons et des défauts distribués aléatoirement au terme d'une naissance douloureuse... Aucune programmation, aucune planification, aucune forme d'un quelconque dessein intelligent derrière tout cela! Il n'y avait décidément là rien de plus que la simple parturition d'animaux qui s'estimaient bien à tort supérieurs au reste de la Création. Les Réplicants créés par Tyrell étaient si différents, si parfaitement fonctionnels: conçus dès l'origine pour vivre aussi efficacement qu'ils le pouvaient, et pour mourir quand ils le devaient.
Après la mort du génie inimitable qu'avait été Eldon Tyrell, nombre de chercheurs indépendants tels que Wu avaient tenté en vain de percer les secrets de ses créations. L'obsession monomaniaque de Wu Dengzhu lui avait coûté son titre de Docteur, et son poste envié dans l'une des meilleures cliniques privées de Chinatown. Mais il n'avait cure de toutes ces vanités sociales: seul lui importait l'agenda précis de ses programmes de recherches et de développement d'organes artificiels. Et rien ne l'aurait empêché de mener ceux-ci à bien dans le plus grand secret, tant qu'il pourrait vivoter des petites interventions de chirurgie clandestine qu'il assurait dans un local dédié assez proche. Ses clients étaient généralement les individus louches vivant le plus en marge de la loi, mais quelle importance cela pouvait-il avoir? Que pouvaient bien peser les petites gesticulations insignifiantes de la société humaine, face aux mystères de la Création surhumaine?
Wu contempla tristement le bocal vide où il avait longuement cultivé ce qu'il considérait comme l'une de ses plus belles réussites. L'organe en question avait déjà été transféré dans la grosse glacière bleue qui attendait sur le rebord d'un plan de travail. C'est vraiment à regret que le biologiste passionné qu'était Wu allait devoir se séparer de ce magnifique foie de Nexus-6, développé et revitalisé à partir d'une simple poignée de cellules. Mais le médecin féru d'expérimentations nouvelles qui vivait également en lui comptait bien y trouver son compte, en se livrant à une greffe encore inédite qu'il n'aurait jamais pu espérer réaliser, même dans ses rêves les plus fous.
Le flot de lumière qui inonda soudain le grand local tira le vieux chercheur de ses pensées, et le poussa à se retourner. Il sursauta aussitôt de surprise. Deux gaillards en pardessus se tenaient dans la pièce, tout juste à cinq mètres de lui, aussi naturellement que s'ils s'étaient toujours trouvés là. La stature hiératique assez intimidante des deux intrus était renforcée par le fait qu'ils se tenaient tous deux les bras le long du corps, et les mains plongées dans les poches de leurs longs trench-coats bruns. L'un des deux inconnus, assez grand et mince, se distinguait par ses cheveux d'un blanc crayeux sculptés vers l'arrière. Le second, plus petit et trapu, portait quant à lui une courte barbe noire et un vieux chapeau de cuir. Wu, dont l'esprit était presque entièrement et perpétuellement consacré à ses recherches, mit un certain temps à se souvenir qu'il avait déjà rencontré ces deux individus.
Le plus grand des deux hommes commença par présenter ses civilités sur un ton des plus affables, où l'ironie était cependant tout à fait perceptible:
-–- Bonsoir, Docteur Wu Dengzhu. Vous vous apprêtiez à partir, peut-être? On s'est permis d'entrer, la porte était ouverte. Je crois que votre verrou électronique est un peu cassé. Votre alarme n'a pas l'air de très bien fonctionner non plus, j'ai l'impression...
-–- Oublie 'Docteur', corrigea d'un ton hargneux l'acolyte au chapeau mou. Il y a déjà longtemps que cette espèce de charcuteur clandestin a perdu son titre, et le droit d'exercer. Oublie aussi Dengzhu et tout le reste avec, d'ailleurs: c'est juste ce bon vieux "Wu-le-charognard"! Comment ça va, vieux Wu? Tu te souviens de nous, au moins?
-–- Détective Delcroix et Officier Vojran, compléta le grand type aux cheveux blancs pour parfaire les présentations. Unité Blade Runner. Pour autant que je sache, vous avez déjà eu affaire à l'un et à l'autre, séparément, dans des circonstances que vous n'avez certainement pas pu oublier.
-–- Oh non, certainement pas, confirma l'autre homme sur un ton peu amène.
Bien qu'ils n'eussent pas l'habitude de travailler ensemble, Delcroix et Vojran s'étaient déjà instinctivement mis d'accord sur un bon vieux numéro de duettistes, où chacun soutenait et renforçait les propos de son partenaire sans trop varier de ton. Le front commun imperturbable affiché par deux Blade Runners tout-puissants, vêtus des mêmes trench-coats, était une technique d'intimidation qui avait déjà souvent fait ses preuves. La variante gentil-flic-méchant-flic serait éventuellement interprétée plus tard, en cas de besoin.
Le vieux chercheur borgne tenta de se défendre, sans grande véhémence cependant, ni véritable conviction:
-–- C'est établissement respectable, ici!. Propriété privée! Vous, n'avez rien à faire ici! Partez! Partez!
Wu Dengzhu avait visiblement passé trop de temps cloîtré dans son labo, au milieu de ses chers sujets d'expérimentations, pour avoir jamais envisagé l'utilité d'apprendre à maîtriser la langue de la région du monde où il vivait maintenant. Martin Delcroix, lui, comprenait assez correctement le chinois mandarin, et le pratiquait passablement bien. Il aurait pu faciliter les choses en s'adressant au vieux scientifique dans sa langue maternelle. Mais l'obliger au contraire à s'exprimer dans une langue qui ne lui était pas familière, était un élément déstabilisant qui pouvait l'amener à baisser encore un peu plus sa garde; et Delcroix comptait bien profiter de cet avantage.
Le détective chevronné choisit d'attaquer par la flatterie, en accordant au vieux chercheur en blouse blanche le titre dont il avait pourtant été déchu:
-–- Docteur Wu, commença-t-il, c'est une bien belle collection que vous avez là. Elle comprend plusieurs organes de Réplicants, n'est-ce pas? Et je devine aisément d'où provenaient vos premières souches d'échantillons. Il est hélas assez notoire que certains de mes collègues Blade Runners, les moins scrupuleux, avaient pris l'habitude de revendre, aux clients les moins regardants, certaines pièces récupérables des Réplicants qu'ils venaient de mettre hors service. Voilà qui n'est guère à l'honneur de ma profession, je le déplore...
-–- Ouais, sûr, c'est pas joli-joli, souligna Vojran, sur un ton dépourvu toutefois de toute véritable implication personnelle.
Il y avait comme une pointe de gêne dans cette indifférence affichée, ce qui ne manqua pas d'interpeller Delcroix. En fin connaisseur de l'âme humaine, le détective ne mit guère de temps à en deviner la raison:
-–- Attends un peu... Alors comme ça, toi aussi, tu as...?!
L'homme au chapeau de cuir haussa les épaules avec désinvolture:
-–- Quoi, ça te surprend? Réellement? Enfin quoi, tu me connais, Marty: j'ai jamais craché sur une rallonge de pognon! Ça n'avait rien d'illégal en soi, avant le Black-Out et la Prohibition, alors où est le problème?
-–- Oui, confirma Wu en pointant un index grelottant. Oui, me souviens... Officier, bon fournisseur. Belles pièces. Excellent état. Très bien payées, Monsieur Blade Runner.
Vojran foudroya du regard le vieux scientifique, ce qui lui fit instantanément rentrer la tête dans les épaules et adopter un silence prudent. Martin Delcroix put donc reprendre son interrogatoire, sans devoir faire face à aucune opposition. Le ton aimable d'une conversation anodine pour lequel il avait opté ne faisait que rendre plus mystérieusement inquiétants ses objectifs réels:
-–- Docteur Wu, il faut que vous sachiez que nous sommes à la poursuite d'une Réplicante fugitive, modèle Nexus-6 de combat, qui se fait appeler Athéna. Mademoiselle Athéna semble avoir subi des dommages critiques au niveau du foie, qui la condamnent à très brève échéance. Sa seule chance de survie serait de faire appel à l'une des très rares personnes sur Los Angeles, qui cultivent et conservent des organes synthétiques pour Nexus immédiatement disponibles, sans pour autant appartenir à une méga-corporation comme Wallace. Une personne comme vous, par exemple... Au fait, Docteur, dites-moi donc: qu'y a-t-il dans cette glacière?
"Wu-le-charognard" avait beau ne plus avoir qu'un seul œil biologique encore valide, son regard fuyant fut plus qu'un aveu de culpabilité pour les deux enquêteurs chevronnés. Le geste vif par lequel il écarta la grosse glacière bleue demeurée sur le rebord d'un plan de travail était plus parlant encore:
-–- Rien, Messieurs Blade Runners! Rien du tout dedans! Je... Je faisais juste un peu rangement...
-–- Rien, vraiment? poursuivit Delcroix d'un ton inquisiteur. Oh, très bien... Donc, si je regarde dans cette glacière, je ne vais pas y trouver, disons à tout hasard, un foie humain réfrigéré et paré pour une greffe? Parce que si tel était le cas, voyez-vous Docteur, nous serions en droit de vous soupçonner de vouloir porter assistance à un Réplicant fugitif et recherché. Aïïïe... Et ça, c'est un très mauvais plan pour vous, Docteur Wu. Bon, et si vous nous montriez le contenu de cette glacière, maintenant...?
Vaincu, le vieux scientifique finit par s'éloigner de la glacière, avant de passer aux aveux en baissant piteusement la tête:
-–- Une... Une femme m'a contacté par Vid-Phone, trois heures maintenant. S'est vite identifiée comme Nexus-6, oui, mais même sans, je pouvais voir tout de suite pas humaine ordinaire. Elle, bien plus que ça. Supérieure. Savait déjà beaucoup sur moi, savait que j'avais foie disponible et compatible. A obtenu... Disons, m'a imposé intervention dans mon bloc chirurgical privé, pas loin d'ici...
-–- Par "privé", tu veux dire "clandestin", pas vrai? l'interrompit Vojran sur un ton narquois.
-–- Clandestin, oui, admit Wu avec une gêne évidente. Femme blessée, savait déjà où il se situe. Savait beaucoup de choses, oui. Rendez-vous dans une heure maintenant. Pas loin d'ici.
Vojran tira de son pardessus une photo imprimée par le terminal Esper de son Spinner, et la tendit vers l'œil valide du vieil homme en blouse blanche:
-–- C'est bien cette femme que tu as vue sur l'écran de ton Vid-Phone?
-–- Oui, confirma craintivement Wu. Oui, oui... Mais elle, visage plus tendu sur écran. Beaucoup souffrance dans la voix, aussi. Elle, semblait beaucoup blessée. Mais tenace, aussi...
Lek Vojran rempocha la photo avec le sourire vorace d'un authentique charognard:
-–- Putain, j'adore ce job: toucher le pactole, juste pour finir un boulot déjà plus qu'à moitié fait!
Delcroix interrogea à son tour le vieux praticien clandestin:
-–- Est-ce qu'elle vous a donné l'impression d'avoir de quoi vous payer votre organe de culture et votre intervention chirurgicale?
-–- Non, confessa Wu d'une voix tremblante. Elle a admis, pas les moyens de payer. Mais elle a promis, pouvait me régler en nature: me débarrasser de mes ennemis, éliminer les gens que je lui désignerais. Malin, elle: me rendre complice de meurtres, pour être sure de mon silence. De toute façon, pas moyen dire non à une Nexus-6 de combat. Elle a promis aussi, me tuerait moi avant de mourir, si je refuserais d'aider!
-–- Une proposition qu'on ne peut pas refuser, quoi, résuma Delcroix sur un ton sentencieux.
C'est à ce moment qu'un vacarme de plus en plus perceptible, en provenance du couloir par lequel nos deux flics étaient arrivés, finit par pousser ces derniers à se retourner vers la porte. Bientôt, un petit groupe armé pénétra en trombe dans le labo, et vint s'aligner en travers de l'entrée, sans cependant donner l'impression de vouloir engager immédiatement les hostilités. Cette intuition partagée, mais aussi le fait que les nouveaux venus n'avaient pour la plupart que des armes de contact qui les obligeraient à se rapprocher encore, convainquirent Delcroix et Vojran de ne pas dégainer d'emblée leurs propres armes. Il existait peut-être encore une chance d'engager le dialogue, à condition bien sûr de ne pas envenimer la situation.
Le groupe adverse comptait six jeunes garçons, tous asiatiques, dont trois dissimulaient le bas de leurs visages sous des masques de protection respiratoire, tels qu'on en portait couramment dans ce quartier. Celui qui semblait être le chef portait quant à lui un gilet de cuir, et des verres miroirs sous une coupe en brosse garnie de mèches teintes d'un bleu électrique. L'homme lança immédiatement d'un ton hargneux:
-–- Hé, vous faites quoi, ici, vous deux...?!
L'individu avait apostrophé les deux Blade Runners en Cityspeak, une sorte de créole urbain hybride, assemblage de termes issus d'une multitude de langues, que l'on parlait dans le monde souterrain et dans les milieux les moins favorisés de l'immense mégalopole de Los Angeles. En bons flics de la rue, Delcroix comme Vojran maîtrisaient bien sûr tous deux fort bien les subtilités de ce sabir interlope. Selon le ton ou la posture, une même phrase pouvait signifier une simple question, une inquiétude réelle, ou une menace voilée. Ici toutefois, ce genre de subtilités n'était pas de mise: le jeune Asiatique aux mèches bleutées avait en effet opté pour un ton d'une agressivité sans aucune ambiguïté.
Le niveau de menace que représentait la petite bande de ruffians était cependant plutôt mesuré. Le chef de ce groupe disparate était apparemment le seul à être équipé d'un armement conséquent: le pistolet automatique qu'il tenait en main semblait effectivement être récent et de bonne marque. Le plaquage doré, et le laquage aux motifs de dragons rouges courant le long du canon de l'arme, ôtaient tout de même beaucoup de sérieux à la menace, et prêtaient plus au sourire qu'à l'effroi. Quant aux cinq autres gouapes, leur armement tenait plus de celui de loubards des rues que de véritables membres d'un gang: une paire de nunchaku, une barre de fer, un tuyau de plomb, un hachoir de cuisine, et un petit pistolet-mitrailleur du 20ème Siècle de type Ingram. L'un des truands portait également dans sa ceinture un vieux revolver de récupération, une antiquité probablement plus dangereuse pour son utilisateur que pour sa cible, ce qui devait d'ailleurs aussi être le cas pour la mitraillette Ingram. Leurs postures fébriles et excessivement tendues étaient également celles d'hommes qui n'étaient guère habitués à engager le combat contre des adversaires capables de leur opposer une résistance sérieuse. Une fois encore, leur chef, beaucoup plus maître de lui, semblait représenter la seule véritable menace du groupe.
Le jeune meneur aux verres miroirs apostropha violemment les deux inconnus en pardessus, en usant toujours du langage composite de la rue:
-–- Ce vieux fossile de Wu a déjà raqué pour la protection de l'Honorable Fanji; et il raquera encore! Alors si vous vous imaginez qu'on va le laisser se faire dépouiller par deux crevards qui ne sont même pas du quartier, c'est que vous avez carrément pas idée à quel point votre erreur va vous coûter cher!
Delcroix et Vojran connaissaient tous deux vaguement le nom de Fanji: ce devait être le caïd actuel de ce coin de rue, l'un de ces minables chefs de bande sans envergure qui venait sans doute de s'approprier le territoire d'un de ses semblables, et qui ne tarderait guère à en être évincé à son tour par un autre. Ce genre de crapule médiocre proliférait comme de la mauvaise herbe dans les bas-quartiers de Los Angeles. Enfin, façon de parler: il y avait bien longtemps qu'aucune herbe, ni bonne ni mauvaise, ne poussait plus dans la grande mégalopole...
Marty Delcroix fit intentionnellement étalage de la vivacité de ses mouvements, lorsque son porte-carte quitta sa poche intérieure pour apparaître instantanément dans sa main gauche, grand ouvert sur sa carte professionnelle et sa plaque de flic du Rep-Detect. Lek Vojran, pour sa part, se contenta d'écarter un pan de son large trench-coat, juste assez pour que les voyous puissent apercevoir la crosse immédiatement identifiable de son redoutable pistolet lourd Pfläger-Katsumata, l'arme de poing légendaire des Blade Runners, placée dans son holster de ceinture à portée immédiate de sa main gantée.
-–- Détective Delcroix et Officier Vojran, Unité Blade Runner, annonça Delcroix, d'une voix assurée sans être trop autoritaire. On veut pas de problèmes avec vous, les gars. Et je suis certain que vous non plus, vous ne voulez pas de problèmes avec nous.
Durant d'interminables secondes, les regards médusés des cinq voyous de base errèrent entre le PK-D 5223 calibre .44 de Vojran et le porte-carte de Delcroix. Puis soudain, comme par accord tacite, ils se mirent tous en même temps à échanger bruyamment en cantonnais – une langue dont Delcroix maîtrisait tout juste assez de rudiments pour comprendre que doute, confusion, et crainte étaient les maîtres-mots de leurs caquetages dissonants. Le chef de la petite meute n'avait sans doute jamais lu "L'Art de la Guerre" de Sun Tzu; mais il était vraisemblablement assez malin pour comprendre qu'il ne pouvait déjà plus compter sur sa misérable troupe, et que s'il devait y avoir bataille, celle-ci aurait été perdue avant même d'être livrée. Il aboya donc d'abord un ordre sec à l'adresse de ses hommes pour leur signifier de se taire et de baisser leurs armes, puis replaça vivement son propre pistolet dans son holster d'aisselle. Et enfin, il joignit ses paumes nues et baissa humblement le visage devant les deux agents, auxquels il s'adressa dans un anglais mielleux chargé d'un accent asiatique volontairement surjoué:
-–- Haïïïï! Vous avez raison, Messieurs les honorables officiers de police, voilà qui change tout, on est bien d'accord là-dessus... Désolé pour toi, vieux Wu, te voilà seul sur ce coup-là: ton contrat avec l'Honorable Fanji n'inclut pas de clause "Blade Runners"! Et un dernier conseil pour toi, ajouta l'homme en mandarin, sur un ton plus dur, tout en pointant un index menaçant vers le malheureux vieillard effrayé. Quelles que soient tes sales petites combines personnelles avec les 'gueules d'humains', fais en sorte qu'elles ne viennent pas embarrasser les activités de l'Honorable Fanji; ou bien alors, c'est à nous que tu auras affaire!
Les hommes de main commencèrent à quitter la pièce l'un après l'autre, en progressant à reculons d'un pas nerveux. Seul leur chef, à nouveau, semblait assez confiant et serein pour oser tourner le dos aux deux flics en trench-coats, tandis qu'il s'éloignait en une démarche d'une nonchalance affectée. Pourtant, alors qu'il avait presque atteint le seuil de la porte, le jeune homme s'immobilisa soudain, comme pris d'une inspiration subite, et se retourna le sourire aux lèvres, pour demander sur un ton moqueur:
-–- Au fait, Détective... Delcroix, c'est bien ça? Il y a une question que j'ai toujours voulu poser à un Blade Runner: Avez-vous déjà mis hors service un humain, par erreur?
Les yeux pâles de Delcroix soutinrent le regard impertinent qu'il devinait derrière les verres miroirs du voyou asiatique. Il adopta pour sa réponse le ton le plus posé qui soit, comme pour mieux montrer combien peu la question l'avait déstabilisé:
-–- La réponse est non. Tout au moins, la réponse à la seconde partie de votre question...
Le sourire suffisant du petit truand s'effaça instantanément, face à ce qu'impliquait la réponse du chasseur d'hommes professionnel. Le jeune chef quitta la pièce a son tour sans demander son reste, et les deux Blade Runners purent à nouveau tourner leur attention vers leur témoin-clé. Vojran s'adressa le premier à Wu, sur un ton narquois, en fixant toutefois non pas le vieil homme, mais la porte par laquelle venaient de sortir les truands:
-–- Belles fréquentations... Je suppose que ces charmants garçons, ainsi que leur "Honorable Fanji", faisaient partie des noms que tu aurais sans doute donnés à la Réplicante, pour qu'elle t'en débarrasse en paiement de tes services?
L'absence de réponse de l'intéressé fut assez éloquente en soi. Delcroix poursuivit sur un ton plus sérieux:
-–- Bon, revenons à ce dont nous discutions avant d'être interrompus. Docteur Wu, vous disiez avoir un rendez-vous médical à honorer avec la belle Athéna, près d'ici dans moins d'une heure maintenant. Vous allez donc nous fournir le lieu, les détails, et toutes les modalités de ce rendez-vous... Et ça aussi, croyez-moi, c'est une proposition que vous ne pouvez pas refuser!
Le petit bonhomme en blouse blanche semblait en état de panique, lorsqu'il balbutia en joignant ses mains sèches et tremblantes:
-–- Peux pas faire ça... Pitié, Messieurs Blade Runners! J'ai engagement avec la Réplicante. Elle a dit, elle me tuerait si je refusais d'aider!
-–- Je crains que vous n'ayez hélas guère le choix, Docteur, réfuta Delcroix en hochant la tête. Lek, tu veux bien exposer à notre ami tous les chefs d'inculpation qui pèsent sur sa petite tête?
Aleko Vojran s'avança d'un pas, en tirant d'un coup sec et théâtral sur les larges bords de son pardessus, et entama les hostilités en martelant d'une voix rogue:
-–- Bon, je commence par les vétilles, avant d'aller au plus sérieux. Donc: entreposage non-déclaré de produits carnés frais, dans des conditions de conservation non-homologuées...
-–- Articles 145 et 146-3 du Code de l'Hygiène de la Cité de Los Angeles, intervint Delcroix sur un ton sentencieux.
Vojran poursuivit encore, en soulignant symboliquement d'un nouveau pas en avant lourd de menaces l'énoncé de chaque chef d'inculpation supplémentaire:
-–- ...Exercice illégal de la recherche médicale, dans des locaux non-déclarés et non-agréés...
-–- Articles 58 et 66 du Codex fédéral, compléta à nouveau Delcroix.
-–- ...Détention et réplication strictement prohibées d'organes humains artificiels sous licence de la Tyrell Corporation...
-–- Articles 2, 3 et 4 de la Résolution 11/23 des Nations-Unies.
Cette fois-ci, Vojran s'avança d'un pas avant de s'exprimer. Il se trouvait maintenant assez proche du vieillard tétanisé pour pouvoir le saisir par la gorge, s'il lui prenait la fantaisie de tendre son bras vers l'avant:
-–- ...Et si l'on ajoute l'assistance apportée par un citoyen humain, en toute connaissance de cause, à un Réplicant fugitif identifié et sous mandat de mise hors service...
-–- Article 8 du Prohibition Act, énonça Delcroix demeuré en retrait. Législation d'exception, entérinée par le 42ème Amendement de la Constitution.
-–- ...On aboutit à une peine pouvant aller de la réclusion criminelle à perpétuité, en cas de circonstances atténuantes, jusqu'à l'exécution par balle sans droit au recours pénal! Avec tous les autres chefs d'inculpation que je viens d'exposer, tu peux déjà oublier les circonstances atténuantes...
La peau cuivrée du vieux chercheur en blouse blanche pâlissait à vue d'œil, à mesure que tour à tour, les deux policiers en trench-coats scellaient verbalement son destin. Son regard égaré allait désespérément de l'un à l'autre, et ses lèvres tremblantes ne parvinrent qu'à grand peine à bredouiller:
-–- Pitié, Messieurs Blade Runners! Je suis juste simple biologiste! Juste curiosité scientifique, ma raison de vivre! Pitié pour pauvre vieux Wu, Messieurs Blade Runners...
Delcroix éleva brièvement la paume, autant pour imposer silence au vieux geignard que pour couper court à ce que Vojran s'apprêtait à dire. À ce stade, conciliation et diplomatie étaient sans doute encore les meilleurs moyens d'amener Wu à collaborer avec le LAPD. Et quoi que Vojran ait eu l'intention de dire, il n'y aurait de toute évidence été question ni de diplomatie, ni de conciliation... C'est donc Delcroix qui prit la parole, sur un ton faussement doucereux qui ne faisait que mettre encore davantage en évidence les menaces sous-jacentes de son propos:
– Docteur Wu, pour dire toute la vérité, votre petite culture illégale d'organes de 'gueules d'humains' ne nous concerne pas vraiment. Ce qui nous intéresse, nous, ce sont les Réplicants sur pied et bien vivants – enfin provisoirement vivants, et sur la tête desquels existe un mandat de mise hors service. On peut donc vous offrir de fermer les yeux sur tout votre répugnant trafic de bidoche pseudo-humaine, en échange de votre collaboration à venir en tant qu'informateur confidentiel et privilégié du Rep-Detect. Et tenez, comme première preuve de notre bonne foi mutuelle, nous pouvons aussi oublier votre intention criminelle de venir en aide à la fugitive Athéna, en échange de votre coopération dans sa neutralisation définitive. Alors? Qu'est-ce que vous en dites, Docteur?
Le vieil Asiatique dévisageait le Blade Runner d'un œil rond et incrédule, comme s'il s'agissait du Diable venu lui faire une offre pour son âme. Mais lorsque Marty eut fini, il se mit tout à coup à hocher violemment la tête en tous sens, en lâchant dans un geignement pitoyable
-–- Peux pas faire ça... Pitié, Monsieur Delcroix! Elle a dit, elle me tuerait si je trahissais, ou si je refusais d'aider... Elle, Nexus-6 de combat! Elle a dit, elle me tuerait!
-–- Docteur Wu, insista Delcroix en détachant ses mots, vous n'allez de toute façon pas pouvoir honorer votre rendez-vous avec la Réplicante, si vous êtes déjà en route pour le siège du LAPD, en attente de comparution. Elle vous en tiendra donc rigueur, quelles que soient vos bonnes ou vos mauvaises raisons. À supposer qu'elle trouve un autre moyen de survivre à sa blessure, vous finirez déjà placé en tête de liste de ses cibles à venir. Votre unique espoir de survie est donc de nous aider à la mettre hors d'état de vous nuire. Est-ce que vous comprenez bien ce que j'essaie de vous expliquer?
-–- Peux pas faire ça, répéta simplement Wu en panique. Peux pas faire ça, elle a dit elle me tuerait!
Le pauvre vieux borgne était visiblement plongé dans le déni; il continuait à hocher la tête en sanglotant doucement, sans pouvoir ajouter quoi que ce soit de constructif. À regret, Delcroix dut admettre que les arguments sensés ne serviraient plus à rien, et que seule la manière forte allait pouvoir faire sortir leur témoin de sa coquille.
-–- Docteur Wu, soupira-t-il en s'éloignant à reculons, je vais devoir laisser l'Officier Vojran vous exposer ses propres arguments. Je vous prie de croire que je le déplore sincèrement. Fais au plus vite, Lek, le temps joue contre nous ...
Sans un mot de plus, Marty Delcroix prit la direction de la porte du couloir, en passant à la hauteur de son collègue au moment où ce dernier déposait soigneusement son chapeau de cuir sur le bord d'un plan de travail carrelé. Son sourire d'enfoiré n'augurait rien de bon pour le pauvre vieux Wu. De fait, Delcroix n'avait pas encore quitté la pièce, lorsque résonna derrière lui le bruit sourd du premier coup porté.
Delcroix n'aimait décidément pas les méthodes brutales de Vojran. En fait, il n'aimait décidément pas Vojran du tout. En tant que flic, ce type était une plaie avec laquelle il fallait hélas bien composer; en tant qu'équipier, une menace permanente qui obligeait à garder des yeux dans le dos; et en tant qu'individu, probablement ce qu'il y avait de plus humainement détestable aussi bien sur Terre que dans les colonies de l'espace.
Tout en arpentant le couloir obscur, le détective s'alluma une cigarette. Derrière lui, il pouvait entendre les poings et les genoux de Vojran continuer à poser les questions à leur manière: le bruit répété de coups sourds et rapidement enchainés, accompagnés de plaintes étouffées, et entrecoupés de halètements et de longs geignements. Delcroix tira nerveusement sur sa cigarette. En tournant la tête vers la droite, il put deviner la présence de deux, ou peut-être trois des membres du gang de Fanji, tapis dans l'ombre derrière l'angle du couloir. Cette petite arrière-garde d'observateurs avait peut-être été laissée là par son chef; ou alors les voyous étaient juste curieux de voir ce qui allait arriver au vieux Wu, ou d'apprendre comment un duo de Blade Runners s'y prenait pour obtenir la collaboration d'un témoin récalcitrant. Eh bien ils n'allaient certainement pas être déçus de ce côté-là, songea Delcroix.
Un long hurlement de douleur éclata soudain, qui résonna jusque dans l'espace du couloir, puis un autre ne tarda pas à suivre. Et lorsque Delcroix pivota et pointa ostensiblement le bout rougeoyant de sa cigarette en direction de l'angle du couloir, il put entendre le pas précipité des petites frappes qui détalaient à toutes jambes.
Un hurlement plus déchirant encore que les précédents s'éleva encore derrière Delcroix. Ce dernier devina que pour obtenir une note aussi perçante, son collègue avait dû finir par s'attaquer à la prothèse oculaire du malheureux vieillard, directement connectée à son nerf optique. Le détective en frissonna d'horreur autant que de honte. Au moins tout cela n'avait-il pas été accompli en pure perte: Aleko Vojran, qui avait déjà recoiffé son chapeau, se présenta bientôt à la porte en affichant un rictus de cruauté pleinement satisfaite. Delcroix nota la présence de traces de sang sur ses deux gants.
-–- Marty? Je crois que notre ami le chirurgien est prêt à se livrer à cœur ouvert. Hé, chirurgien, à cœur ouvert... Tu piges?
-–- Tordant, Lek, soupira Delcroix en regagnant le labo de recherches. À pisser de rire...
Le pauvre vieux Wu était affalé sur un tabouret, le nez en sang, en train de reprendre péniblement sa respiration; il semblait vraiment très mal en point. Mais s'il lui était venu à l'idée de surjouer la carte de la détresse pour éveiller la compassion des deux Blade Runners, cela aurait été peine perdue: ainsi que l'avait dit Delcroix, le temps jouait contre eux. Le détective attaqua donc de but en blanc, sur un ton sec et tranchant:
-–- Mêmes questions que précédemment, Docteur: lieu, détails, et modalités de votre petit rendez-vous avec la Réplicante Athéna. N'abusez pas de ma patience... Ou c'est Monsieur Vojran qui se chargera à nouveau de vous convaincre!
Heureusement, Wu semblait être à présent dans de meilleures dispositions pour comprendre ce qui était bon pour lui. Le chirurgien clandestin déballa tout, d'une voix lamentable:
-–- J'utilise petite salle d'opération en sous-sol dans ancienne Clinique Chow, deux blocs d'ici. Désaffectée, très discrète...
-–- Je connais, intervint alors Vojran. Un gros bâtiment de briques, ancien. L'endroit est entièrement muré, un vrai sarcophage de pierre. Il n'existe aucun accès, pas même par les toits. Comment tu fais pour t'y introduire?
-–- Il y a petite porte d'entretien pas murée, expliqua Wu, sur l'arrière, utilisée par services de la ville pour inspections. Je acheté codes d'accès du verrou électronique, peux entrer quand je veux. Je installé petit groupe électrogène, aussi, rallume quand j'interviens pour avoir lumière et courant dans section de la salle d'opération. Dois aussi prendre un peu de temps pour stériliser la salle. En retard, maintenant; ne sera pas fait.
-–- Où est Athéna en ce moment? demanda encore Delcroix. Est-ce qu'elle vous attend déjà sur place?
-–- Déjà sur place, oui, confirma le vieux Wu. Je fourni code d'accès. Elle, tient à tout sécuriser, longtemps avant que je me présente. Très méfiante; à cran; imprévisible...
Lek Vojran expira bruyamment par les narines, puis croisa les bras tandis qu'il réfléchissait à voix haute:
-–- Un seul accès, ça va pas être de la tarte. On peut parier que la cible gardera un œil dessus jusqu'à l'arrivée de notre charcuteur clandestin. On pourrait intervenir plus tard, quand le brave docteur sera en pleine opération... Pour sûr qu'elle courra moins vite avec le bide ouvert, hein? Mais comment être sûrs qu'elle ne piégera pas l'entrée après l'arrivée du Doc, par simple précaution? Moi, c'est ce que je ferais, à sa place... Et pourtant, je suis pas un commando surentraîné comme elle!
Wu intervint, pour glisser d'un air gêné:
-–- Elle a dit: pas d'anesthésiants! Tient à rester consciente pendant toute l'intervention. Elle, très forte...
-–- On pourrait penser qu'un seul accès, ça ne représentera aussi qu'une seule issue pour notre fugitive, ajouta Delcroix. Mais nous savons tous les deux qu'il faudra plus qu'une porte ou une fenêtre murée avec des parpaings pour arrêter une Nexus-6 de combat en pleine montée d'adrénaline! Il ne sera donc pas aisé de la piéger dans ce bâtiment. Alors il faudra d'emblée se rapprocher d'elle à portée de pistolet, et parvenir à la neutraliser dans le délai le plus court possible.
Une inspiration subite illumina tout à coup l'esprit de Delcroix. Et c'est un visage éclairé d'un sourire radieux qu'il tourna vers le vieux Wu, lorsqu'il déclara:
-–- Docteur, vous venez de gagner deux assistants médicaux pour pas un rond! Vous auriez quelque part ici deux blouses à nos tailles?
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[ À suivre... ]
