Ça y est.
Encore un peu, et le match sera plié !
Touou Gakuen mène au score avec une des plus confortables marges jamais vues de l'Interhigh, le coach Harasawa n'a plus l'air de leur payer de l'intérêt, affalé sur le banc avec les remplaçants qui, sourires en coin, ont arrêté d'encourager le cinq majeur en action pour silencieusement se délecter des cris infernaux de l'autre côté du parquet. Même les étudiants de l'académie, qui pour la majorité ont perdu leur quidam d'assister aux matches de basketball tellement prévisibles de leur équipe, discutent joyeusement dans les gradins en attendant le coup de sifflet final.
"Aho !" Wakamatsu beugle en propulsant le rebond qu'il vient de sauvagement récupérer, laminant le pivot adverse au passage. "T'as pas intérêt à foirer sur ce coup là ! Va marquer !"
"Tsk", le basané réceptionne le ballon rond avec dextérité, mais de mauvaise grâce. Le binoclard ne lui donnait jamais d'ordres, lui ! "Tu me fais chier, je sais c'que j'ai à faire, bordel !"
Il se retourne furtivement, et n'est pas surpris de faire face à trois défenseurs improvisés, une lueur de défi éclairant leur regard acéré dans sa direction. Aomine, de par sa taille uniquement, les domine tous de deux têtes au moins, et fait insolemment rebondir la balle contre le bois du parquet en les dévisageant avec hilarité.
"Vous faites pitié, les mecs !"
"Le match n'est pas encore fini !" L'un d'entre eux, sûrement le leader, s'écrie, faisant tiquer l'as. Il ne le reconnaît donc pas ?! Il n'a jamais entendu parler de lui, ou de la Kiseki no Sedai ? Il est fou ou quoi ?! "Arrête un peu de te la jouer !"
"Ahooooo !" Le capitaine de Touou gueule à son tour, et le concerné sent le mal de tête poindre avec ce blondinet imbécile dans les pattes. "Tu fous quoi ! Dépêche ! On doit creuser l'écart !"
"C'est déjà pas mal je trouve", la voix étouffée de Sakurai résonne ensuite en fond sonore.
"La ferme, Sakurai ! C'est pas terminé !"
"O-oui, désolé capitaine !"
Aomine roule des yeux, et juste pour éviter les éclats de voix nocifs de Wakamatsu, dribble avec une agaçante facilité les trois adversaires. Qu'est-ce que c'est ridicule. Tout ça, c'est de la faute des joueurs de Seirin. De Tetsu et de son pot de colle de nouvelle lumière, Bakagami. Ils ont fait germer la graine de l'espoir dans tous les cœurs de ces mauviettes. Les gars de Seirin, ils sont forts, ils innovent, on ne sait jamais à quoi s'attendre avec eux, ils ne lâchent rien et ils en ont, des talents bruts. Mais les autres ? Les petites équipes ? Qui ne vont jamais plus loin que leurs poules ? Osent lui rétorquer, que ce n'est pas encore fini, avec un écart monstre de 60 points ? Bah dites donc.
Quels hommes !
En plus des cris de leur fan club et des élèves de leur lycée dans les gradins, les remplaçants font résonner leur détermination sur le banc, et leur coach n'a pas encore l'air d'avoir abandonné la partie. Les joueurs de Touou non plus, sous la férule douteuse de Wakamatsu, n'en mènent pas moins large et continuent de défendre leur panier avec une ardeur inexplicable.
C'est le dernier quart-temps. Il ne reste plus qu'une poignée de minutes pour tenter une retournée ou pour enfoncer ces moucherons encore plus profondément. Qu'est-ce qu'ils vont s'imaginer, eux tous ?! C'est saoulant !
Aomine est de nouveau encerclé, ou du moins sur le coup de l'être encore plus étroitement, pour l'empêcher de shooter en bonne et due forme probablement. Quel trio d'incapables, et plutôt irrespectueux avec ça ! Oui, il a beaucoup appris de sa défaite l'année dernière, mais son ego ne souffre de rien. Il a encore une sale réputation à proprement entretenir, non mais.
Ce qu'il s'apprête à faire, c'est tout frais, il n'a jamais essayé ça aux entraînements pour ne pas faire péter un plomb à Wakamatsu, ou pire, faire intervenir le coach dans ce qui aurait constitué une énième dispute entre eux. Et les terrains de street basket sont plus adaptés, que ceux-ci...
Mais ces bons à rien, ils méritent une leçon.
Ils ont pas l'air de savoir qui il est, et si c'est le cas, ils s'en fichent, ils continuent à se battre. C'est de l'énergie perdue, ils devraient plutôt se concentrer à sortir de leur poule pourrie de bras cassés au moins, et remballer juste après. Bah, pour une fois qu'il se soucie de ses adversaires, il n'y a personne pour le féliciter ! Ben voyons !
Sans crier gare, Aomine s'élance en avant.
Les trois autour de lui et leurs deux coéquipiers un peu plus loin, écarquillent les yeux, hagards.
Wakamatsu est miraculeusement silencieux, et le reste de l'équipe n'ose généralement pas en placer une lorsqu'il décide de faire son show.
Ce serait tellement cool s'il réussissait du tout premier coup, et une première en compétition ! Encore un autre record que personne ne battra jamais, une marche en plus d'un chemin de la gloire que lui seul connaît, et savoure.
Seul...Aomine...encore...toujours...seul.
"Qu'est-ce que...?!" Satsuki manque d'avaler sa gorgée d'eau de travers, avant de refermer la bouteille pour ne pas en mettre partout, puis se jette sur ses jambes, tous les regards sur elle. "DAIKI ! Mais t'es malade ! Ne fais pas ça !"
Tiens...
C'est rare qu'il le dise, et encore moins qu'il le pense, mais il aurait dû écouter sa meilleure amie, sur ce coup. Aomine sent l'équilibre naturel de son corps le lâcher, mais se refuse à paniquer comme un bleu lorsque la balle glisse entre ses doigts, et qu'il se retrouve à un angle fermé, sur le point de s'écraser sur le parquet de tout son long—et de tout son poids.
En une fraction de seconde, un autre des trois équipiers adverses s'élance dans sa direction en jurant bruyamment, et sans crier gare, il se vautre au sol, sur le dos, au tout dernier instant, prêt à absorber le choc avec son propre corps.
Mais Aomine est toujours trop grand...
Crack !
"Et merde...!"
L'entièreté du gymnase s'émeut, de grands cris ainsi que les flashes des journalistes résonnant tout autour de la scène qui s'ensuit. Aomine ne sent plus toute sa jambe droite. Et il aurait mieux fait de ne pas se redresser légèrement sur le dos de l'autre malheureux non plus, porté par les rébus d'adrénaline, pour constater de son propre chef, l'étendue des dégâts.
Son os, décharné, baigne dans le sang et les tissus musculaires, complètement claqués. La peau sombre tombe en lamelles pitoyables sur les bords âcres de la plaie géante et béante, la mare rouge sombre ne cesse plus de s'étendre, et ceci à simple vue d'œil.
Si le brave mec de la formation adverse, qu'il a injustement traitée auparavant de tous les noms d'oiseaux, ne lui sauvait pas la mise, il aurait eu une dégueulasse fracture ouverte, ça c'est une certitude. Aomine referme les yeux, l'équipe de soins médicaux accoure sur le parquet. Touou Gakuen remporte le match, mais l'autre équipe bénéficie des aléas morbides de la fin, ainsi que du courage de leur ailier, et ne va pas retourner à la maison tout de suite.
Leur poule pourrie, hein...
Ils joueront jusqu'à la fin, sans aucun doute. C'est tout le meilleur que Aomine puisse leur souhaiter, du tréfonds de son cœur de pierre.
Et voilà. Où en sont les applaudissements ?!
Encore les mêmes erreurs, et une autre année de compétition de gâchée, pour lui, mais aussi pour ces gens qui croyaient en leur as. Aomine essuie furieusement les larmes amères qui lui roulent sur les joues. Putain. Ça fait pas mal, pas encore, mais il a déjà envie de supplier de se faire endormir sur place. Juste pour pas voir l'air toujours sobre mais certainement résigné sur le visage du coach Harasawa, celui mortifié dans les iris roses de Satsuki, la rancoeur des joueurs de sa formation après qu'il ait été une teigne monumentale lors des entraînements, la pitié, la stupeur, le dégoût.
Quel abruti. Non mais quel connard il fait !
"Je veux mourir", le basané souffle alors qu'il est transporté hors du parquet sur une civière, et l'aide-soignante près de sa tête et donc de ses lèvres, pince les siennes avec amertume.
