Résumé: "1,2,3,4,5...

Tetsurō comptait les secondes qui défilaient, le regard fixé sur la pendule accrochée face à lui, sa respiration se synchronisant naturellement au décompte. Il avait l'impression d'avoir été plongé sous l'eau, sombrant lentement dans les profondeurs, regardant la réalité à la surface devenir de plus en plus lointaine.

Kōtarō avait été admis aux urgences il y a de cela plus d'une heure. Il avait tenu sa main sur tout le trajet dans l'ambulance, lui parlant tendrement alors que son corps tremblait de panique en voyant son regard se faire de plus en plus lointain. En arrivant, ils l'avaient séparé de lui, l'avaient emmené loin de lui, le laissant derrière, seul."

TW: diagnostique critique, panique

Chapitre 56: La montée des eaux

1,2,3,4,5.

1,2,3,4,5...

Tetsurō comptait les secondes qui défilaient, le regard fixé sur la pendule accrochée face à lui, sa respiration se synchronisant naturellement au décompte. Il avait l'impression d'avoir été plongé sous l'eau, sombrant lentement dans les profondeurs, regardant la réalité à la surface devenir de plus en plus lointaine.

Kōtarō avait été admis aux urgences il y a de cela plus d'une heure. Il avait tenu sa main sur tout le trajet dans l'ambulance, lui parlant tendrement alors que son corps tremblait de panique en voyant son regard se faire de plus en plus lointain. En arrivant, ils l'avaient séparé de lui, l'avaient emmené loin de lui, le laissant derrière, seul. La peur, le tourment de la panique, de l'ignorance et de l'impuissance l'avait pris à la gorge, explosant pour ne laisser derrière qu'une impression de vide engourdissant. Il avait été projeté hors de son corps, mais il ne luttait pas pour revenir à la surface. Il avait beau se remémorer tout ce qui venait de se produire, tout lui paraissait déjà lointain, presque irréel. Dans une partie de sa tête, il espérait encore se réveiller. Il s'était juste assoupi sur le canapé, ce n'était peut-être qu'un rêve. D'une minute à l'autre il allait se réveiller. Il allait se réveiller et il trouverait Kōtarō dans la cuisine, et il lui dirait qu'il se sent beaucoup mieux, qu'il s'était reposé et qu'il allait beaucoup mieux, que les médicaments avaient fait effet, que ce n'était pas grand-chose finalement.

Il allait se réveiller d'une minute à l'autre... Il devait juste attendre.

1,2,3,4,5...

— Tetsurō-kun !

Il détourna les yeux de la pendule. Il réagit à peine en voyant que les parents de Kōtarō venaient d'arriver. Il pouvait lire la panique dans leurs yeux, cherchant dans son regard à lui la preuve qu'ils s'étaient inquiétés pour rien, que ce n'était rien de grave. Tetsurō se releva, la sensation de retrouver son corps lui étant si désagréable qu'il se sentit davantage projeté hors de lui-même. Il les salua posément, ne parlant toujours pas. Son attitude ne les rassura en rien.

— Les médecins ont dit quelque chose ? Qu'est-ce que c'est ? Il va bien ? demanda Etsuko en le prenant par les épaules.

— Je –le son écorcha sa gorge- je ne sais pas... Ils ne m'ont rien dit. Je... Ils m'ont juste dit de rester là... Mais ils ne me diront rien de toute façon.

— Comment ça ?

Kuroo tourna les yeux vers Bokuto-san. Il échappa un faible sourire, et répondit :

— Je ne suis pas enregistré comme son partenaire, ils ne diront rien, pas à moi.

— Quoi ?! J'te jure! s'emporta Etsuko; Je vais aller leur dire deux mots, tu vas voir s'ils vont rien nous dire !

Elle fit volteface et se dirigea vers l'accueil, hors d'elle, suivit de près par sa compagne qui essayait de la calmer.

Kuroo les regarda s'éloigner. À sa gauche, Hiroshi soupira profondément et se laissa tomber dans la chaise à ses côtés, le plastique de cette dernière couina sous son poids, le bruit faisant frissonner Tetsurō malgré lui. Voyant qu'Etsuko et Yuma n'avaient pas fini de harceler la pauvre infirmière à l'accueil, le brun s'assit de nouveau. Naruhito, resté debout, fit un pas vers lui.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ?

Tetsurō releva les yeux, il maintint quelques secondes le regard de l'homme face à lui, et finalement résuma ce qu'il venait de se produire.

Les paroles refirent émerger les souvenirs, les images dans sa tête n'avaient plus les couleurs évanescentes d'un rêve, elles étaient vivides et crues. Tout lui revient, les images, les émotions, la peur, surtout la peur, le regard de Kōtarō dans l'ambulance, la voix de Kenma et Keiji au téléphone, le moment où ils l'avaient emporté sur le brancard, et puis plus rien. Il se sentit brutalement retrouver ses sens, si violemment que cela en fut douloureux. Il sentit les larmes lui monter aux yeux, mais il lutta pour les retenir. Il ne voulait pas faillir, pas maintenant.

Il avait comme un sentiment de déjà-vu. Il n'y a pas si longtemps, il était avec Kōtarō dans ce même hôpital. À croire qu'il ne faisait que lui apporter le malheur, qu'il ne pouvait rien faire pour le protéger. Il s'en voulait tellement de ne pas avoir pu le protéger, il avait failli.

— Désolé, laissa-t-il échapper dans un murmure étouffé.

— Tu n'y es pour rien, lui répondit Naruhito, tu as bien réagi.

Le ton de sa voix perça toutes ses résistances, il sentit son visage se tordre de larmes. Mais il lutta, il lutta de toutes ses forces.

— Je n'ai rien pu faire, je... désolé. Je peux rien faire de plus...

— Je sais bien, il n'y a rien à faire de plus. On ne peut qu'attendre maintenant.

Kuroo hocha lentement la tête.

— Peut-être que ce n'est pas si grave. Ça n'a pas l'air si grave, on a surréagi peut-être un peu... Ça va aller, tenta à son tour de le rassurer Hiroshi.

— Peut-être. Comment te sens-tu ? demanda Naruhito à son adresse.

— Je... je ne sais pas.

Vide.

Il se sentait vide.

Et impuissant, et vulnérable.

Il était en colère aussi, contre lui, contre l'univers.

Et il avait peur.

Dans sa vision périphérique, il vit Naruhito s'approcher de lui.

Sans qu'il n'ait pu le voir venir, Naruhito passa son bras contre son épaule et pressa pour le porter gentiment à lui.

— Ça va aller...

Naruhito avait parlé à voix basse.

Il l'étreignait comme on console un tout petit, et Tetsurō s'en trouva profondément désarmé. Il ne lui en fallut pas plus pour que toutes ses résistances s'effondrent, et il fondit en larme, mais resta silencieux. Il avait épuisé les mots de toute façon.

Nakayama se détacha de lui lorsqu'ils entendirent des pas venir à eux. Kuroo s'empressa de s'essuyer les yeux d'un revers de manche et releva la tête, constatant qu'Etsuko et Yuma venaient de revenir.

— Alors ? demanda Naruhito.

Yuma hocha négativement la tête, bouleverser. Etsuko quant à elle bouillait de rage.

— Ils sont bornés, c'est pas possible ! Ils nous disent rien ! Même à nous ! Même à ses propres parents ! On marche sur la tête, c'est hallucinant ! s'emporta la brune.

— On ne peut rien y faire maintenant, temporisa Yuma.

Sa compagne maintint un instant son regard. Finalement, elle soupira, et se laissa retomber dans l'une des chaises face à eux. Yuma la rejoint rapidement, Nakayama également, et ils s'assirent ensemble dans le silence bouleversé de la salle d'attente.

— On sait lorsque Keiji et Kenma seront de retour ? demanda finalement Etsuko.

— J'en sais rien... Ils sont en route. Ils n'étaient plus très loin la dernière fois que je les aie eus au téléphone.

Tous hochèrent vaguement la tête, se drapant de nouveau de silence.

Une heure s'écoula ainsi, avant que Kuroo ne revienne à la surface.

— Tetsurō !

Il releva les yeux et son cœur bondit en apercevant ses deux partenaires entrer dans la salle d'attente. Désespéré, il se leva d'un bon et fondit sur eux, les rejoignant dans une étreinte puissante.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce qu'ils ont dit ? s'empressa de demander le blond, s'éloignant de lui pour capter son regard.

— Rien. Ils ne veulent rien nous dire, ils ne parleront qu'à Keiji.

— Bordel...

Sans plus attendre, le concerné se détacha d'eux pour se diriger vers l'accueil. Kenma et Testuro le regardèrent partir avant que leurs regards ne se trouvent de nouveau, lourds d'une incertitude soucieuse.

Ils partirent s'assoir avec les parents de Kōtarō, mais leur seule compagnie était le silence.

Tetsurō tourna les yeux vers le blond, qui tentait de lire sur les lèvres de l'infirmière avec qui Keiji était en train de discuter. Sentant son attention sur lui, il se tourna.

— Qu'est-ce qu'ils disent ?

Kenma haussa les épaules.

— J'arrive pas à comprendre de là...

— Oh...

Silence.

— Tu sais ce qui pourrait avoir causé ça ?

Il avait parlé dans un murmure.

— Je sais pas... Peut-être un problème avec les suppresseurs... J'espère que c'est rien, mais...

— Mais ?

Le blond inspira profondément, ses yeux s'étaient embués de larmes.

— Mais je sais pas...

Silence.

Tic,tic,tic; fit la pendule.

— On aurait dû réagir avant, finit-il par dire.

— Qu'est-ce qu'on aurait pu faire de plus ?

— Je sais pas... On aurait dû s'apercevoir que quelque chose clochait.

— Kenma...

Il inspira de nouveau profondément.

— Ça faisait des semaines qu'il se plaignait de douleur. Même avant ça, la fatigue, avant notre dernier cycle aussi, il avait souvent mal, et je n'ai pas tiré sur ses cheveux, ils sont juste... On aurait dû faire quelque chose.

Kuroo voulut répliquer, trouver l'argument pour le rassurer, mais il ne sut quoi dire. Alors il se tut.

Tous se turent.

Keiji finit par revenir vers eux.

— Alors ? s'empressa de demander Etsuko, qui s'était levé d'un bon en voyant le brun revenir.

Keiji lui prêta un regard, mais ne répondit pas de suite. Ses yeux voyagèrent sur toute la petite assemblée réunie dans le fond de cette salle d'attente. Il inspira profondément.

— Œstrus réactif.

Le silence flotta entre eux.

Ils savaient tous déjà cela, ils attendaient la suite.

Tetsurō savait ce qu'était un œstrus réactif, mais jusqu'alors, il pensait que cela n'arrivait que lorsque le cycle naturel était bloqué par des suppresseurs... Ce n'était pas le cas ici, pas maintenant, pas si tôt.

Lui venait de le réaliser.

Tous les autres savaient déjà cela.

— Ils savent pourquoi ?

Keiji hocha négativement la tête.

— Non... ils ne savent pas pourquoi. Ils doivent encore faire des examens. Mais il est stable maintenant... On devrait pouvoir le voir bientôt.

Tous échappèrent un soupir de soulagement.

— C'est déjà ça, dit Hiroshi.

Ils durent encore attendre un long moment. Les minutes semblaient tombées dans un abysse lacunaire, passant sans que le temps n'en soit réellement affecté. Kenma avait reposé sa tête contre son épaule, regardant son téléphone sans le voir, Keiji serrait sa main dans la sienne. Hiroshi tenait Yuma contre lui, Etsuko regardait la pendule, les jambes agitées de soubresauts, et Naruhito se tenait debout, droit comme un piquet, fixant la porte menant aux chambres.

Une infirmière s'approcha finalement d'eux, et tous tournèrent leur attention vers elle, espérant désespérément qu'elle leur apportait de bonnes nouvelles.

— Euh...

Elle tourna les yeux sur la fiche sous ses yeux, elle échappa une grimace, surement déstabilisée par tous les noms différents y étant consignés.

— Famille Bokuto ?

— Oui, répondirent-ils tous en chœur.

— On peut le voir ?! pressa Etsuko.

— Euh oui, oui. Il vient d'être transféré de nouveau dans la zone, mais...

Etsuko se leva d'un bon et prit la pauvre infirmière par les épaules :

— Quelle chambre ?

— Euh, 125, juste à gauche de...

— Merci!

Elle partit à toute vitesse dans la direction indiquée. Le reste de la famille suivit, se refrénant cependant de courir dans les couloirs de l'hôpital. Lorsque Tetsurō arriva à la chambre, accompagné de ses partenaires, les parents de Kōtarō étaient déjà rentrés à l'intérieur, Etsuko étouffait son fils dans son étreinte, et Yuma avait pris ses mains dans les siennes. Tetsurō sourit, profondément rassuré. Kōtarō avait l'air encore épuisé, mais le sourire sur ses lèvres lui réchauffa le cœur. Il finit par tourner les yeux vers eux, et ses lèvres prirent les courbes de la tendresse. Il tendit la main vers eux. Ils hésitèrent. Les parents s'écartèrent pour les laisser passer, alors ils s'approchèrent. Keiji s'assit sur le lit, tout près de son partenaire, et passa une main dans ses cheveux. Kōtarō laissa retomber sa tête dans sa main, Kenma s'assit à son tour au niveau de ses jambes et prit sa main dans la sienne. Kuroo resta en retrait. Peut-être que c'était ça le rêve, peut-être qu'il était toujours dans cette maudite salle d'attente.

— Comment tu te sens ? demanda Keiji du bout des lèvres.

— J'ai vu mieux, mais ça va, lui répondit son partenaire.

Kuroo inspira difficilement.

Il était là, il avait entendu sa voix. Il parlait.

Kōtarō capta son regard. Il lui sourit. Kenma détacha sa main de la sienne, et Kōtarō la tendit vers lui. Sans plus attendre, le brun s'avança et la saisit.

— Désolé de t'avoir fait peur comme ça... Mais ça va maintenant.

Kuroo sentit les larmes lui monter aux yeux et sa gorge se nouer. Il hocha la tête.

— On se sera plus souvent retrouvé dans cet hôpital que dans la salle d'arcade, faut vraiment remédier à ça...

— Deal.

Ils se sourirent.

Kōtarō détacha son regard de lui pour le tourner vers Keiji.

— Ils disent quoi ? Je peux sortir quand ? Aujourd'hui ?

— J'ai bien peur que ce ne soit pas aujourd'hui.

Kōtarō souffla, se laissant retomber sur ses oreillers.

— Mais je vais mieux là, ça va je peux sortir, c'était pas grand-chose !

— Kōtarō, murmura Kenma.

— Ils veulent juste te garder un peu pour faire quelques examens... Tu pourras surement sortir demain si tout va bien.

Le concerné échappa de nouveau un soupir, profondément agacé.

— Ok...

— Ça va aller, dit Tetsurō.

Il n'en savait rien vraiment, c'était hors de sa portée.

Les heures s'écoulèrent, douces, mais pesées d'une latence soucieuse dont ils ne pouvaient pas se défaire. Les parents de Kōtarō avaient fini par repartir. Le soleil commençait à étendre ses derniers rayons. Ils avaient renoncé à allumer les lumières, bien qu'ils commençaient à avoir du mal à reconnaitre les cartes dans leurs mains. Kōtarō en profitait pour tricher éhontément, et tous le laissaient faire, amusés par ses justifications loufoques. Ils furent rappelés à la réalité lorsqu'une infirmière pénétra dans la chambre. Ils durent tous fermer les yeux lorsque cette dernière alluma brusquement la lumière.

— Messieurs, les heures de visites sont terminées.

— Oh...

Ils tournèrent les yeux vers Kōtarō, déchiré à l'idée de devoir de nouveau se séparer de lui.

Ils leur sourirent.

— Rentrez, ça va aller.

Personne ne répondit.

— Ça va, aller. Et puis j'ai bien peur que ce soit non négociable, dit Bokuto, tournant les yeux vers l'infirmière.

Cette dernière hocha la tête.

— D'accord... on revient demain de toute manière, promis.

— J'espère bien, parce que j'aimerai bien pas rentrer à pied demain !

Ils sourirent.

L'infirmière attendait toujours dans l'embrasure de la porte, ce qui agaça Kenma.

— On va partir, c'est bon.

Elle ne bougea pas, leur offrant un sourire poli, mais insistant.

— J'te jure, marmonna Kenma.

— On se voit demain.

Les trois autres hochèrent la tête.

Après des au revoir rapides, ils durent se séparer de lui. Et le vide latent du monde extérieur, le soupire de l'attente, les retrouvèrent derrière la porte.

Personne ne parla sur le chemin du retour.

-/-

— Les radios ont révélé plusieurs masses ectopiques symétriques au niveau de vos ovaires.

La nouvelle s'abattit sur eux comme la foudre. Personne ne réagit de suite, paralysé, terrifié à l'idée de comprendre ce que cela voulait dire.

— C'est certainement ce qui a entrainé l'entrée en pseudocycle, et les autres symptômes que vous m'aviez rapportés.

Silence.

— Vous... vous connaissez la nature de ces masses ? se risqua à demander Keiji.

Le médecin soupira, remontant machinalement ses lunettes sur son nez.

— Pas encore...

Ils tournèrent les yeux vers Kōtarō, qui regardait ses doigts d'un air vide. Kuroo sentit la panique monter, mais il tenta de se maitriser, rationalisant autant qu'il le pouvait.

Il avait tous pensé à la même chose. Le simple fait d'y penser était terrifiant.

Mais à cet âge ? Si jeune ?

Il avait passé sa nuit à rechercher les symptômes sur internet, tous pointaient cette direction. Mais ce diagnostic était si rare pour des personnes de moins de cinquante ans. C'était quasiment impossible. Non, ce n'était pas ça... Ce n'était surement pas ça...

— Hum... Qu'est-ce qu'il faut faire, se risqua à demander Tetsurō, une biopsie ?

Le médecin tourna les yeux vers lui. Il sembla peser ses mots avec attention avant de les lui délivrer :

— Une telle intervention risquerait d'aggraver le prognostique, s'y aventurer serait risquer, et...

— Et du coup ? le coupa Keiji.

Kenma resta silencieux, regardant Kōtarō du coin de l'œil, surveillant son état.

— Nous avons déjà effectuer une prise de sang, nous attendons les résultats. Nous avons programmé une nouvelle IRM pour cette après-midi afin d'affiner le diagnostic. Les résultats finaux ne nous parviendront pas avant quelques jours.

Il tourna les yeux vers son patient, qui échappa à son regard :

— Vous serez déchargé après cela, vous pourrez rentrer et vous serez recontacté dès que les résultats nous seront transmis.

Il attendait une réponse de Kōtarō, mais ce dernier resta silencieux.

Comme promis, Kōtarō put quitter l'hôpital en fin d'après-midi.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, le silence était étouffant.

Ils ne pouvaient rien faire de plus. Ils ne pouvaient qu'attendre. Quelle lente agonie...

Kōtarō pouffa, ce qui fit presque sursauter ses partenaires. Il se laissa retomber sur son siège.

— J'ai 23 piges, c'est surement pas ça... Je m'en fais pour rien... On s'en fait pour rien... c'est surement pas ça... Ça peut être un kyste où... je sais pas, mais non.

Ils ne répondirent pas de suite, tétanisée. Personne ne savait comment réagir, ce qu'il fallait dire. Il ne voulait pas inquiéter inutilement Kōtarō. Ils hochèrent vaguement la tête. Kuroo tourna les yeux vers la fenêtre, luttant contre les larmes.

— Sûrement... finit par dire Keiji du bout des lèvres.

-/-

— Je vais faire du thé, quelqu'un en veut ? demanda Kōtarō en fouillant dans les boîtes de thé.

Son ton était si naturel que cela était déstabilisant. Comme si rien de tout ce qu'il venait de se passer n'était arrivé, comme si c'était une après-midi comme les autres.

Keiji et Kenma tournèrent les yeux vers lui, partageant ce sentiment aliénant.

— Euh... ouais je veux bien, répondit Kenma.

— Moi aussi.

Silence.

Kōtarō se tourna :

— Babe ?

— Euh, ouais, ça me va.

Son interlocuteur se tourna en hochant la tête, récupérant quatre tasses dans le placard.

Bien que Tetsurō le cherche partout, il ne pouvait pas sentir le lien existant entre lui et son partenaire. Il avait fermé toutes communications, et à voir l'expression partagée par Keiji et Kenma, et la confusion qu'il sentait venir d'eux, il en était de même pour eux. Rien. Rien non plus dans son regard, dans ses gestes, dans sa voix. Il avait l'impression d'assister à une représentation de poupée de chiffon, et cela n'en était que plus inquiétant.

Le flottement étrange s'installa entre eux, engloutissant tout autour, les figeant dans cette bulle de temps atrophié.

Kōtarō revint de la cuisine avec la théière et les quatre tasses, posant le tout sur la table basse. Il servit tout le monde, se concentrant bien trop intensément sur le service pour que cela paraisse totalement naturel. Mais personne ne dit rien.

Kōtarō s'assit sur le canapé, toujours sous le regard inquiet de ses partenaires, qu'il faisait semblant de ne pas percevoir. Il but une première gorgée, naviguant sur son téléphone de sa main libre.

— On regarde un truc ? Vu qu'on est tous là, on peut trouver un truc. J'avais vu le trailer d'une série qui avait l'air cool, faut juste que je me rappelle le nom, attendez.

Il continua ses recherches silencieusement, prenant une gorgée de temps à autre. Kenma et Keiji échangèrent un regard, le blond pressant son partenaire pour qu'il disent quelque chose, le second lui fit comprendre qu'il n'était pas bien sûr que cela soit le moment. Kenma fronça les sourcils, insistant. Tetsurō était pris au milieu, luttant contre l'envie de se mettre en boule. Le dialogue silencieux entre ses deux autres partenaires s'intensifia, commençant à tourner au combat de regards.

Kōtarō soupira.

— Je vous vois, vous savez.

Les deux autres cessèrent leur manège et tournèrent leur attention vers lui.

— Kōtarō... tu ne penses pas que nous devrions en discuter ? se risqua à demander Keiji.

Ce dernier n'avait toujours pas levé les yeux de son téléphone.

— Pour quoi faire ?

Alors que le brun s'apprêtait à lui répondre, il fut coupé dans son élan :

— Ça sert à rien de faire ça maintenant. On peut rien y faire. Je peux rien y faire. Il faut juste attendre. Alors oui, je pourrais me rouler en boule parterre en hurlant, mais ça ne changerait rien, et retourner ça en boucles ne changera rien non plus. Je sais pas ce que c'est non plus, et franchement, après toutes ces merdes, j'ai juste envie de pas y penser. J'ai juste besoin d'un break là. On peut rien y faire, juste attendre. Alors est-ce qu'on peut juste se taire et regarder cette foutue série s'il vous plait.

Sa voix avait pris l'inflexion de la colère sur les derniers mots, dissuadant tout le monde d'argumenter sur le sujet.

Keiji inspira profondément.

— D'accord.

— Parfait, trancha Kōtarō.

Il alluma la télévision et malgré les recherches qu'ils avaient prétendu faire, cliqua sur le premier programme qui lui était proposé.

Tous restèrent silencieux, faisant mine de suivre ce qui se passait à l'écran.

Kuroo ne suivit pas une seconde du programme.

Le temps atrophié était devenu monstre, engloutissant les minutes, dévorant le silence, grignotant l'angoisse qui les égratignait tous les quatre.

-/-

— C'est un cancer.

La nouvelle claqua terriblement.

Si violement que la toile du temps et de l'espace se déchira, que les murs se fissurèrent et que la terre trembla terriblement. Du moins, c'est ce qu'ils ressentirent.

C'était un mot si redoutable, si effrayant. À juste titre.

Tetsurō avait entendu ce mot raisonner plusieurs fois dans sa tête depuis que Kōtarō avait été admis à l'hôpital. Il l'avait repoussé loin dans son esprit, ou peut-être s'était-il repoussé lui-même, jusqu'à sombrer dans un abysse silencieux. Voilà que la terre sous ses pieds avait tremblé.

Il tourna discrètement les yeux vers Kōtarō. Lui ne s'était pas écroulé, il se tenait droit, respirant profondément. Il avait le regard fixé vers un point lointain. Il n'était pas perdu, il réfléchissait, cartographiant les sorties de secours dans son esprit.

Kenma était retombé au fond de sa chaise, il avait détourné les yeux, pressant sa main sur sa bouche. Son thorax s'agitait de soubresaut. Les mains de Keiji avaient commencé à trembler.

Ils s'étaient tous attendus à cela, mais personne n'avait imaginé finir par entendre ce mot.

— À ... à son âge ? finit par articuler Keiji.

Le médecin tourna son regard vers lui, réajustant les pans de sa blouse.

— C'est rare en effet. Des antécédents dans la famille ?

Kōtarō mit plusieurs secondes à comprendre que la question lui était adressée.

— Non... enfin... j'ai une tante qui a eu un cancer du sein il y a quelques années, c'est tout... Je crois.

Le médecin hocha la tête, écran sur la petite tablette qu'il avait posée face à lui.

Kuroo regardait les fissures s'étendre sur les murs tout autour de lui.

— Heureusement, nous avons pu le détecter à temps. Une simple opération et vous devriez vous en sortir sans complications. Malheureusement, même si nous l'avons détecté à un stade assez précoce, je doute que de retirer simplement les tumeurs suffise à empêcher une rechute.

— C'est-à-dire ? demanda Kōtarō.

— Nous devrons procéder à une ovariectomie complète.

Les fissures remontèrent jusqu'au plafond, attaquant la stabilité de l'édifice.

— Je pense qu'il s'agit la procédure la plus adaptée à votre cas. C'est une opération peu lourde, une laparoscopie suffirait. La procédure est peu invasive, et ne laisse que quelques cicatrices de quelques centimètres. Vous pourrez retourner chez vous le jour de l'opération et vous seriez complètement remis en un mois maximum. Dans d'autres situations, ce n'aurait peut-être pas été ma première option, mais dans votre cas, cela n'affecte pas votre fertilité complètement, ce qui nous permet de passer sous les restrictions du TPO et de privilégier votre santé au long court. Enfin, nous devrons bien évidemment nous assurer qu'il n'y a pas eu d'autre tissu touché, et il faudra faire des vérifications annuelles, et peut-être faire quelques analyses génétiques afin de prévoir si on peut s'attendre à des complications dans le futur. Mais à part cela, tout devrait rentrer dans l'ordre. Vous êtes jeune après tout.

Tetsurō, Keiji et Kenma hochèrent la tête. Les fissures avaient cessé de lézarder sur le plafond au-dessus de leur tête. Elles ne disparurent pas complètement, mais la structure tenait toujours.

— Et sinon ?

La voix de Kōtarō avait sonné si étrangement.

Le médecin fut pris de cours, ne s'attendant pas à ce que son argumentation soit remise en cause.

— Je pense sincèrement que c'est la solution la plus préférable, mais sinon... nous pouvons tenter de retirer simplement les tumeurs, mais cela risquerait de fragiliser les tissus et aggraver la situation. Un passage par la chimiothérapie serait nécessaire... C'est un traitement assez lourd et long. Il faudrait plusieurs cycles de traitement, qui pourrait s'étaler sur environ six mois. En plus des effets secondaires attendus, cela pourrait mener à plus de complications, et à une infertilité totale dans votre cas.

Kōtarō focalisa son regard sur lui.

— Mais j'ai une chance de m'en sortir indemne ?

— En théorie oui. Mais...

— D'accord, le coupa Kōtarō.

La terre s'était remise à trembler. Elle s'était changée en océan déchainé, les ballotant dans ses remous furieux.

— Je pense sincèrement que la première solution que je vous ai exposée est la plus viable, et la plus rapide, mais...

— Mais je peux choisir ?

Le médecin soupira. Il réajusta ses lunettes avant de répondre.

— Évidement...

Kōtarō hocha la tête, baissant les yeux sur ses mains.

— D'accord. Est-ce que je peux y réfléchir un peu.

— Oui... mais je ne tarderais pas non plus à agir, l'évolution à ce stade est incertaine.

— Juste quelques jours, pressa Kōtarō.

Le médecin hocha la tête. Il saisit son agenda.

— Nous pouvons nous retrouver dans une semaine pour en discuter... j'ai un créneau ouvert jeudi prochain à 18h si cela vous va. Je m'assurerai du reste pour que tous se fassent rapidement, quelle que soit votre décision.

Kōtarō hocha lentement la tête. Il avait gardé son calme durant toute la consultation, mais il était sur le point de chavirer. Il avait gardé ses émotions pour lui jusque-là, mais ses résistances commençaient à faillir, et Kuroo put percevoir quelques secondes le tumulte douloureux qui l'étreignait, la tempête faisant rage sous son épiderme.

— D'accord, merci beaucoup.

Il se leva d'un seul coup, sa chaise grinçant aux passages, ce qui fit sursauter ses partenaires. Il récupéra ses affaires à la va-vite, ses mains commençant à trembler. Il fit volteface, salua le praticien poliment, et sans rien ajouter de plus, tourna les talons et sortit de la pièce.

La porte claqua.

Le médecin semblait tout aussi médusé qu'ils l'étaient. Tetsurō et Kenma s'excusèrent à leur tour, et sortirent. Keiji resta à l'intérieur encore quelques minutes.

Le couloir était vide.

— Il est partit où ? demanda Tetsurō, sachant pertinemment que Kenma n'avait pas la réponse.

— À la voiture surement.

Keiji finit par ressortir. Tetsurō voulut lui demander ce qu'il s'était dit en leur absence, mais en décelant son état émotionnel, il y renonça. Ils repartirent, apportant les vagues déchainées, les fissures, et le silence avec eux.

— Il est pas là, constata Kuroo lorsqu'ils arrivèrent à la voiture.

Keiji récupéra les clés de la voiture dans la main de Kenma et déverrouilla les portes.

— Il a envoyé un message. Il est parti faire un tour, il nous rejoint à la maison plus tard, dit-il avant de passer côté conducteur.

Kenma et Tetsurō hochèrent la tête, comprenant qu'il avait besoin de temps pour lui-même.

Ils reprirent la route. Kuroo avait de l'eau jusqu'au torse, l'océan en colère qu'il avait apporté était à peine contenu dans l'habitacle, les fissures avaient presque brisé les vitres.

La consultation repassa en boucles dans sa tête, chaque mot claquant de plus en plus fort dans sa tête. Il revoyait Kōtarō, assis là, se tenant droit. Il imaginait tous les futurs incertains qui les attendait, tous les scénarii, même si peu avaient de sens. Il n'y en avait pas beaucoup dont la fin était parfaite. Aucun n'avait de fin parfaite, mais certains avaient plus de lumière que d'autres.

Tetsurō ne comprenait pas. Qu'est-ce qui était passé par la tête de Kōtarō ? On lui annonçait... ça... et il ne choisissait pas automatiquement la possibilité de s'en sortir indemne ? Il ne comprenait pas, il avait peur, il était dévasté, et il ne comprenait pas.

— Je comprends pas, murmura Tetsurō. Je comprends pas pourquoi il... Je vois pas sur quoi il faut réfléchir en fait... S'il peut éviter la chimio et tout le...

Sa voix se tordit de remous, l'eau salée était montée jusqu'à son cou, et le sel des écumes écorchait sa peau.

— S'il peut éviter ça, c'est mieux, non ? Je comprends pas...

Silence.

Kenma avait collé sa tête contre la vitre. Il regardait le paysage défiler derrière la fenêtre. Ses bras reposaient mollement sur ses genoux.

— Kōtarō a toujours voulu des enfants.

Kuroo fut complètement pris de court par ce que venait de dire Kenma.

— Il a toujours voulu porter des enfants.

Tetsurō sentit sa poitrine s'écraser sous la pression de l'eau. Elle appuyait contre sa cage thoracique, si fort qu'il avait l'impression qu'elle voulait s'infiltrer par les pores de sa peau pour le noyer de l'intérieur, pour se mêler au sang pulsant dans son cœur, dans ses veines.

Il n'en avait jamais discuté. Du moins pas avec lui. Il n'en avait même pas eu le temps.

— Oh... je... je savais pas.

Personne ne répondit.

L'eau montait, elle allait finir par les noyer.

Il refusa la défaite, pas maintenant, pas là, pas si tôt.

Les scénarii fusaient dans sa tête, explorant toutes les issues, toutes les brèches.

— Je sais que... je comprends que c'est pas rien, que c'est... invasif, mais... ça ne l'empêche pas de... enfin si le reste est sain –il parla d'un souffle continu, presque essoufflé de panique- il peut toujours porter des enfants. Je... pas naturellement oui, mais si... s'il tient vraiment ça peut passer par la fécondation in vitro, j'en sais rien, mais... et c'est pas anodin, mais c'est faisable.

Sa voix retomba, dévorer par le silence, englouti sous l'écume.

Kenma inspira profondément.

— Ca ne marche pas pour les omégas... Il faut un traitement hormonale spéciale, et... à ce jour je ne crois pas que ça ait marché. Pas encore en tout cas. Vu les dérives qu'il existe déjà, c'est peut-être mieux...

Les brèches se refermèrent. Les fissures elles semblaient avoir atteint ses organes, cisaillant sa chaire.

— Oh... du coup...

— Du coup ce n'est pas une possibilité.

La voiture prit un virage, ce qui projeta Kuroo sur le côté. Il releva les yeux sur la route.

Keiji venait de sortir de la voie rapide. Les panneaux n'indiquaient pas le chemin de la maison.

— On va où ? demanda Kenma.

Keiji ne répondit pas.

Kuroo tourna les yeux vers la fenêtre. Il les avait emmenés jusqu'à une petite aire de repos au bord de la route.

Keiji contre braqua pour se garer, et arrêta le moteur si brusquement qu'ils furent projetés en avant. Le brun haleta, peinant à respirer.

— Love ?

Keiji croisa les bras sur le volant, s'écroula, et explosa en larmes.

L'orage gronda sous l'océan.

-/-

Tetsurō déverrouilla la porte d'entrée, ses partenaires sur les talons. L'océan l'avait suivi, et il se répondit partout dans l'appartement. Il entra, pataugeant dans l'eau, ses pas résonnant à la surface.

— Babe ?

Le silence lui répondit.

— Je ne pense pas qu'il soit déjà rentré, remarqua Keiji.

— Kōtarō ? réitéra Kuroo.

Il traversa le salon, et partit ouvrir toutes les pièces de la maison. Kōtarō n'était nulle part.

Défait, il revint dans le salon. Keiji et Kenma s'y étaient installés, le brun dans son fauteuil et le blond sur le canapé. La théière était posée sur la table basse, ainsi que quatre tasses. Ses partenaires tournèrent les yeux vers lui en l'entendant revenir, insistant du regard pour savoir ce que ses maigres recherches avaient donné. Il hocha négativement la tête.

Tetsurō baissa les yeux, il avait de l'eau jusqu'aux chevilles. Il partit s'assoir près de la table basse. L'eau clapota. Il ignora le froid qui commençait à anesthésier ses membres et se servit une tasse de thé.

Personne ne parla.

Les fissures avaient voyagé avec eux, elles reflétaient autour les remous de l'eau salée.

Ils furent sortis de leur cocon de silence lorsque près d'une demi-heure plus tard, ils entendirent la porte du sous-sol claquer. Kuroo se redressa, écoutant les pas de Kōtarō dans l'escalier. La porte d'entrée s'ouvrit, tous tournèrent leur regard vers Kōtarō. Leurs regards captèrent le sien. Il avait les yeux rougis, la peau essoufflée de larme, mais ses traits s'étaient vidés de toutes émotions. Il détourna les yeux rapidement, mais resta planté sur le pas de la porte.

Finalement, Keiji saisit la théière et lui servit une tasse, qu'il fit glisser sur la table dans sa direction. Kōtarō hésita, mais finit par approcher, refermant doucement la porte derrière lui. Il ne s'installa pas avec eux, il récupéra la tasse et se redressa. Ils le regardèrent tourner en rond dans le salon, marcher jusqu'à la fenêtre pour regarder dehors, revenir sur ses pas, repartir à l'opposé.

— Comment tu te sens ? demanda Keiji après plusieurs minutes de flottement.

Kōtarō s'arrêta au milieu de la pièce.

— À ton avis Keiji.

L'acerbité de sa réponse forma de grosses vagues sous ses pieds.

Le brun détourna les yeux, ne cherchant pas à insister.

Kōtarō soupira. Il s'avança, passant entre Tetsurō et Kenma pour s'assoir sur le canapé.

Keiji s'enfonça dans son fauteuil, détournant le regard. Il avait les yeux brillants de larmes, mais cherchait à éviter de regarder son partenaire. Il ne put pas s'empêcher cependant de tourner les yeux vers lui lorsqu'il pensait qu'il ne le voyait pas.

Personne ne dit rien. Attendant que Kōtarō reprenne la parole, attendant que le silence les étouffe, attendant que l'eau monte.

— Arrête de me regarder comme ça s'il te plait, dit finalement Kōtarō, s'adressant à son alpha, sans pour autant lui prêter un regard.

La colère avait pris les rênes, la voix de Kōtarō était détrempée d'amertume et d'aigreur. Il tourna les yeux vers Tetsurō et Kenma, et ce qu'il y vit ne fit que grossir son courroux.

— Je sais ce que vous pensez, c'est bon. J'ai le droit de réfléchir.

— Bien sûr que tu as le droit de réfléchir, lui répondit Keiji.

— Mais ?

— Mais rien. Je veux juste... je veux que tu sois... je ne veux pas te perdre.

L'émotion contenue dans la voix de son partenaire ne fit que plus l'agacer.

— Je peux très bien survivre à une chimio. Je peux claquer pendant l'opération, je... merde.

— J'ai juste peur Kōtarō...

— Cool, et pas moi, je pète la forme là vraiment.

Sa voix claqua, les fissures s'élargirent, les fenêtres éclatèrent.

Ce fut Keiji qui reprit de nouveau la parole :

— Je – il soupira- je veux juste ton bien. La décision t'appartient complètement, je veux juste... je veux juste ton bien.

Kōtarō rit nerveusement.

— Honnêtement, ça m'a l'air compliqué là.

Tetsurō baissa les yeux, regardant ses doigts se détendre et se resserrer sur la paume de sa main.

— Tu as entendu ce qu'a dit le médecin, intervint Kenma. C'est encore assez précoce, la chirurgie est la solution la plus rapide, et la plus sûre. Tu pourrais t'en sortir sans futures complications.

Bokuto détourna les yeux.

— Retirer un organe, t'appelles pas ça une complication ?

— Kō...

L'interpellé soupira. Il se laissa tomber sur le dossier de canapé, renversant en arrière pour tourner son regard au plafond.

L'eau redevint calme. Mais elle continuait à s'agiter loin sous la surface.

La poitrine de Kōtarō se soulevait au rythme de sa respiration, celle de Tetsurō s'était instinctivement synchronisée à la sienne.

La lumière diminua quelques secondes dans la pièce lorsqu'un nuage passa devant le soleil, puis les rayons pénètrent de nouveau la pièce.

Kōtarō parla dans un murmure :

— Si je fais l'opération... je pourrais jamais avoir d'enfants. On pourra pas avoir d'enfants. Je... je pensais pas avoir à y pensé si tôt... Je pensais pas avoir à y penser avant encore dix ans, je sais pas, mais...ça me rend dingue, ça me bouffe bordel...

Au loin, on entendait le vrombissement de la route.

Kōtarō avait toujours les yeux tournés en direction du plafond. Sa poitrine sursauta, les larmes lui montèrent aux yeux.

— C'est juste que... je veux pas non... je veux pas m'y résoudre... Je...

Sa voix se brisa, écrasée de désespoir :

— Je veux pas, je veux pas. Je sais que... si je peux m'en sortir sans avoir recours à... je veux pas.

Il peina à reprendre son souffle. Les larmes dévalèrent la peau de son visage.

— C'est juste que c'était... c'était mon rôle, c'était moi qui devais... C'est ce qu'on avait prévu...

Sa voix se brisa en éclats aigus, mouillés de sanglots et de l'eau frémissant sous ses pieds.

Tetsurō baissa les yeux. Le fait que Kōtarō soit plus affecté par cela que par l'idée que sa vie était potentiellement en danger le bouleversait profondément, autant que cela faisait gronder la colère tout au fond de lui. Il ne voyait pas dans quel univers cela était son "rôle", pas le sien en tout cas, loin de là. Il voulait qu'il se choisisse lui. Il voulait le garder lui, le reste importait peu à ses yeux.

Il tenta du mieux qu'il put de garder tout cela pour lui, de ne pas laisser courir les émotions à travers le lien.

Il voyait bien que Kōtarō ne voyait pas les choses de la même manière.

— Non, je peux pas. Je... non. Je veux pas abandonner ça, je peux pas...

Keiji se pencha vers lui. Il voulut prendre sa main, mais y renonça finalement.

Il parla doucement :

— Je sais bien Kōtarō... je sais... mais...

Ce dernier décolla son dos du dossier, sa tête dodelina. Il essuya ses larmes d'un revers de main, et laissa ses bras reposer sur ses cuisses, le regard tourné maintenant vers le sol.

— Je sais, je sais... je... je vois juste pas d'autre solution, c'est... Je veux pas abandonner ça.

Le silence les engloutit. Ils avaient maintenant de l'eau jusqu'aux genoux. La table basse avait été soulevée par la montée des eaux, chavirant entre eux comme une épave abandonnée en mer.

— L'adoption est toujours une possibilité. Ce n'est pas comme nous l'avions imaginé, mais...

Le regard que venait de lui jeter Kōtarō fit taire Keiji. La colère apparut de nouveau dans son regard :

— Je pense pas que ça fasse partit de nos possibilités.

Kenma renifla. Tetsurō tourna les yeux vers lui, pour la première fois depuis le début de la conversation. Son visage était défait de chagrin. Son regard reflétait le tumulte d'émotion l'étreignant : l'affliction, l'empathie profonde qu'il avait pour son partenaire, la douleur, la culpabilité aussi.

Le blond se laissa glisser du canapé et avança à genoux jusqu'à ce qu'il se tiennent devant son partenaire. Il prit ses mains dans les siennes, et attrapa son regard.

— Kōtarō... on a pas à laisser tomber. Je peux toujours les porter.

Kōtarō leva les yeux au ciel, échappant au regard de son partenaire.

— Non.

Sa voix avait claqué comme un orage en mer.

— Je sais bien que non. Je sais bien que tu veux pas.

— Pas maintenant non... mais plus tard, si, évidemment.

Kuroo sentit sa poitrine s'écraser sur elle-même.

Il se souvint de la nuit où Keiji était entré en torpeur, de la terreur sur les traits du blond, de ses paroles qu'il répétait en boucle. La simple idée de tomber enceint le paniquait au plus profond de son être.

Kenma ne mentait pas. Mais Kōtarō avait raison. Il savait que c'était quelque chose qu'il ne voulait pas, qu'il n'avait jamais voulu, et qu'il ne voudrait surement jamais.

Kōtarō le savait.

Keiji le savait, Tetsurō aussi.

Kenma était juste prêt à tout lui céder. La peur de le perdre, la douleur de le voir si bouleversé, tout cela lui ferait tout abandonner.

— Arrête.

— Si Kōtarō. Je... - ses yeux se noyèrent de larmes - je le ferais pour toi, pour nous. Je ferais tout pour toi Kōtarō.

Sa voix était presque éteinte. Il reposa son visage sur les mains de son partenaire, les serrant toujours fortement dans les siennes.

Kōtarō refusait toujours de lui prêter un regard. Ses yeux s'assombrirent, d'une colère tumultueuse qu'il peinait à contenir.

— Arrête. Ne mens pas.

— Je mens pas.

— S'il te plait Kenma.

— Je ne te mens pas.

Kōtarō détacha ses mains de celles de son partenaire, ce qui obligea Kenma à reculer.

— Arrête. Je veux pas, je te laisserai pas faire ça... Je te connais.

— Je te dirais pas ça si j'étais pas sincère Kō...

Kōtarō rit.

— Mais arrête bordel... c'est pas en me disant ça que ça va changer la situation. Peut-être que tu me mens pas, mais je te connais Kenma. Je te connais, je sais.

Il ricana avec mépris

— Bordel, pour ce qu'on en sait, tu peux pas non plus. On sait pas, t'as jamais rien fait pour t'assurer que tu allais bien.

Il baissa les yeux, confrontant son regard à celui de son partenaire, l'écrasant sous la rage bouleversée et tranchante qu'il contenait :

— Et puis même, quand je vois comment tu négliges ton propre corps, je vois pas comment je pourrais accepter de te faire confiance avec la vie d'un autre si tu tombais enceint.

Sa voix claqua terriblement. La cruauté de ses mots prit tout le monde de court. Kenma recula, les yeux bouillant de larmes terrifiées.

— Kōtarō, gronda Keiji.

— Quoi, j'ai pas raison ?!

— Absolument pas. Je sais que tu es bouleversé, je sais que c'est difficile, mais ne soit pas cruel. Tu es injuste là.

— Je suis injuste ?

Kōtarō se leva d'un bon, bousculant Kenma au passage. Il se tourna vers Keiji, le dominant de toute sa carrure, le toisant avec hostilité. Keiji ne réagit pas, se contentant de maintenir son regard.

— Moi je suis injuste ? Woh, désolé d'être injuste, je sais pas si t'as remarqué, mais on vient de me diagnostiquer un cancer à 23 piges ! Ça c'est injuste ! Ça c'est putain d'injuste ! Alors va te faire foutre Keiji! Allez tous vous faire foutre !

Il balança un coup de pied sur le pied du fauteuil et se rua vers la porte d'entrée. Il la claqua si violemment que les murs tremblèrent.

Quelques secondes plus tard, la porte du garage claqua également. Le vase posé sur le meuble de la télévision chuta, éclatant au sol.

Le choc passé, Kenma enfonça sa tête dans le canapé et explosa en sanglot.

Keiji mit du temps à s'en remettre. Il détacha finalement ses yeux de la porte pour les tourner vers le blond. Tetsurō était tétanisé.

Keiji partit s'assoir à côté de son partenaire, caressant tendrement son dos.

— Kenma, il est juste bouleversé, il n'a pas...

— Je sais, le coupa Kenma, je sais. C'est pas pour ça que je pleure... Je veux juste pas... Je veux juste qu'il aille bien... Je veux pas le perdre...

— Moi non plus...

Tetsurō put de nouveau bouger ses membres. Il jeta un dernier regard vers la porte. Il voulait rejoindre Kōtarō, ne pas le laisser seul dans cet état, mais il comprenait qu'il avait besoin d'espace. Alors il s'approcha de Kenma. Le blond se tourna et l'enlaça puissamment dans ses bras.

-/-

Kuroo monta jusqu'à l'étang du parc. C'était l'un des endroits favoris de Kōtarō, il espérait le trouver ici. Il le trouva en effet, assis sur l'une des banquettes en bois construites au bord de l'eau. Il hésita à avancer, ne sachant pas encore comment sa présence serait reçue. Alors il resta planté là. Son amoureux avait déjà détecté sa présence, il le savait, il le sentait à travers le lien qu'il partageait. Il attendait juste un signe de sa part. Son partenaire finit par relever les yeux, trouvant immédiatement son regard. Tetsurō s'avança vers lui, maintenant toujours le contact visuel. Il s'arrêta à quelques pas de lui.

— Hey.

— Tu viens me faire la morale aussi ?

Il avait parlé sans amertume, il était juste épuisé.

— Non... Je peux m'assoir ?

Kōtarō soupira, mais tapota le vide à sa droite pour l'inviter à s'assoir. Il s'exécuta.

Ils restèrent silencieux.

L'océan ne l'avait pas suivi jusqu'ici.

Dans l'étang, une grue était venue pêcher, trainant ses longues pattes dans l'eau en analysant le fond à la recherche de poisson. Un canard mandarin nageait paisiblement, son plumage bleu et vert scintillant sous les derniers rayons du soleil.

Kōtarō avait refermé le lien entre eux. Tetsurō poussa contre ses résistances, laissant filer à travers eux toute la tendresse qu'il lui portait, l'enlaçant sans avoir à bouger. Kōtarō lutta, mais finalement lâcha prise, laissant courir entre eux tout ce qu'il ressentait : la colère, le désespoir, la peur, tout cela se mêlant dans une cacophonie déchirante. Tetsurō serra sa main dans la sienne, et la cacophonie lui sembla moins pressante, les eaux agitées qu'il renfermait se calmèrent doucement. Kōtarō ferma la communication, ne laissant entre eux qu'un mince filet de conscience. Kuroo n'insista pas.

Une cane s'était mise à l'eau, suivit par ses petits.

— Qu'est-ce que tu penses toi ? demanda finalement Kōtarō. T'as rien dit tout à l'heure.

Sa voix était dénuée de colère.

— Je sais pas si je peux dire grand-chose, ce n'est à moi que la décision revient.

— Mais tu penses quoi ?

Kuroo soupira, continuant de suivre les canetons des yeux. Kōtarō le fixait, analysant chacun de ses traits.

— Je suis d'accord avec Keiji... Je veux juste que tu ailles bien. Mais je veux aussi que tu sois capable de ne pas regretter ta décision plus tard. Quoi que tu choisisses, je serais là de toute façon.

Kōtarō hocha la tête lentement. Il tourna à son tour les yeux vers l'étang.

De longues minutes s'écoulèrent avant qu'il ne reprenne de nouveau la parole.

— Je... honnêtement je sais que l'opération est la meilleure solution. Je... J'ai l'impression d'avoir été trahi par mon propre corps... j'ai l'impression de sentir ces tumeurs me bouffer de l'intérieur, je le sens maintenant. Ça me donne envie de... -il agita ses poings- bordel, j'ai envie de me trouer la peau et de les arracher de mes propres mains, ça me rend dingue !

Kuroo tourna les yeux vers lui, interloqué et franchement inquiété par la violence de ses propos.

Kōtarō roula des yeux.

— Je vais pas le faire... C'est juste... Je veux juste ne plus... je veux juste m'en débarrasser le plus vite possible.

Kuroo hocha la tête.

— Peut-être que ça devrait pas être ma préoccupation là, mais... C'est juste... ça fait beaucoup de choses à abandonner...

Tetsurō sourit tristement, serrant sa main dans la sienne.

— Je sais bien... je suis désolé...

Kōtarō baissa les yeux sur ses pieds, commençant à balancer ses jambes. Il soupira.

— Et... je sais que Kenma était surement sincère... Je sais... C'est juste... Ça m'a énervé, parce que ça change en rien ce que je ressens. Ça change pas que ça fait énormément à abandonner pour moi, et qu'il peut rien y faire... Je suis juste frustré, et en colère.

Alors que Tetsurō allait lui répondre, Kōtarō reprit la parole, le coupant dans son élan.

— Et c'est moche, mais... Je... ça me rend dingue que... c'est vraiment moche, mais ça me rend dingue que ce soit moi qui doive y renoncer alors que c'est quelque chose qu'il n'a jamais voulu... Je sais qu'il n'y peut rien, mais... c'est injuste... Je sais que c'est pas jolie jolie...

— T'es pas obligé de ressentir que des choses "jolies jolies" Kō et...

— Et je sais, le coupa son amoureux, je sais que j'aurais pas dû lui dire ça. Je savais juste pas comment digérer ma colère.

Kuroo ne répondit rien. Il lui avait dit qu'il n'était pas là pour lui faire la morale, et il n'en avait nullement l'intention.

Son partenaire respira profondément, tentant de décortiquer le flot d'émotion le traversant.

Deux joggeurs passèrent de l'autre côté du lac.

— Au-delà des enfants... Ça voudrait aussi dire que je... je serais directement en ménopause, enfin, ça veut dire que je rentrerais plus jamais en cycle.

— Oh...

Tetsurō n'avait pas pensé à cela.

— Je … je veux pas abandonner Keiji comme ça...

Le brun fronça les sourcils.

— Je comprends, mais tu sais, je pense que c'est très loin de faire partie de ses préoccupations.

— Peut-être, mais pour moi si...

Le vent se leva.

— Ça va me manquer...

Le brun hocha la tête.

— Tu me diras... pas avoir à être dans cet état-là c'est pas si mal... Je pourrais marcher déjà, c'est plus pratique... Déjà parce que je pourrais me barrer quand il me casse les pieds, et puis t'allais pas tenir longtemps à me trimballer partout, tu vivras plus longtemps.

Son partenaire pouffa malgré lui.

— Et puis parler, c'est bien aussi... Oh et bordel, bouffer, je pourrais tellement bouffer...

Le brun rit de nouveau, un brin nerveusement.

— Quoi, faut bien que je trouve des points positifs non ?

— Hmm... j'imagine.

— Par contre pas dit qu'avec mon drive normal je tienne la route, va falloir être une équipe sur le coup, sinon il va être intenable. Personne ne veut un alpha en rut mal baisé sur les bras.

Tetsurō explosa de rire, décontenancé parce qu'il venait de dire.

— Kō !

Ce dernier sourit mutinement.

— Quoi, je ne dis que la vérité ! Tu sais comment il est, arrêtes de faire genre !

— C'est ton partenaire...

— Notre partenaire, et avoue que j'ai raison.

Tetsurō roula des yeux, riant malgré tout. Il ne pouvait pas dire qu'il avait tort non plus.

Et puis, Kōtarō souriait.

Le ciel avait changé de couleur, les nuances orangées se reflétant à la surface de l'étang.

Le silence retomba, gorgé de tendresse.

Le sourire de Kōtarō fana. La douleur l'étreignant ne s'était pas dissipée, elle s'était juste faite plus silencieuse l'espace d'un instant.

Son amoureux se laissa tomber sur le dossier de la banquette. Il posa une main sur son ventre, suivant les canetons des yeux. L'un d'eux s'était senti trop aventureux plus tôt et avait perdu sa mère des yeux. Il piaillait, tournant en rond pour retrouver sa fratrie. La cane lui répondit, partant à sa recherche avec toute sa troupe.

Kōtarō sourit tristement.

Il inspira.

— Je... on a jamais discuté, tu veux des enfants toi ?

Tetsurō fut complètement pris de cours. Il tourna les yeux vers Kōtarō, analysant son regard.

— Je... je t'avoue que c'est pas franchement à quoi je pense là maintenant.

Kōtarō balaya ses paroles d'un revers de main :

— Je sais, je sais... Mais en vrai, on n'en a jamais discuté. Je veux juste savoir ce que tu penses. Tu t'es un peu retrouvé embarqué dans tout ça...

— Dans tout ça ?

— Oui, avec nous je veux dire. Et, maintenant que ça arrive sur le tapis... pas forcément dans les meilleures circonstances, mais bon... Bref, on... on n'a jamais pu en discuter. Tu penses quoi ?

Kuroo le regarda encore quelques secondes, avant de détourner le regard, s'adossant à son tour à la banquette.

Il soupira.

— Hum... j'ai juste arrêté d'y penser il y a un moment...

— Donc non.

Kōtarō avait parlé dans un murmure.

— Non, c'est pas ce que j'ai dit. C'est juste... j'ai un peu abandonné l'idée quand j'étais plus jeune... J'ai fait mon deuil, et j'ai fait la paix avec ça... Je... enfin, jusqu'à ya pas longtemps ça m'avait pas traversé l'esprit que... je pouvais vraiment en avoir. C'est mon côté bêta pommé ça...

— Hmm...

— Mais je pourrais être parent... J'élèverais des enfants avec vous, sans réfléchir une seconde, mais... je serais aussi ok avec l'idée de ne pas en avoir... Je sais pas.

— Tu sais pas ?

— Non...

Le silence tomba de nouveau. Kōtarō avait les yeux posés sur lui... Voyant qu'il n'obtiendrait rien de plus, il se détacha de lui.

Tetsurō reprit la parole :

— Tu sais, au final... je sais pas si j'ai vraiment un jour abandonné l'idée... Je me suis juste dit que... je sais pas, que la vie est pleine de... la vie c'est un bordel pas possible.

— Sans rire...

— Hum... c'est un bordel, mais c'est plein de possibilités aussi, de chose qu'on n'avait jamais envisagée. Bordel, ya même un an, je me doutais absolument pas que je serais dans cette situation aujourd'hui.

— Avec moi, en déprime dans un parc parce que j'ai l'impression de voir ma vie s'écrouler ?

— Avec trois partenaires que j'aime plus que tout au monde... Ma tête aurait littéralement explosé.

— Hum...

— Donc je sais pas, ya plein de choses qu'on peut pas voir venir... On pourrait ne pas avoir d'enfants, oui... mais on pourrait, je sais pas, le monde change, la science avance. Et même si on va pas jusque là, Kenma pourrait les porter, ou non, on peut toujours trouver quelqu'un qui pourrait les porter, je sais pas, j'en sais rien, mais c'est pas game over. Je vivrais pas dans l'extrême illusion que ça arrivera pour sûr, mais c'est pas sans espoir pour autant. Si on me donnait le choix, je choisirais toujours de faire confiance à la vie, et à toute sa sérendipité. Rien n'est écrit, et ça craint, ça craint maintenant. Mais j'ai pas envie de croire que c'est game over, si je peux relancer les dés dans ce putain de jeu de hasard, je tenterai ma chance à chaque fois. J'ai pas toujours pensé comme ça, loin de là... mais c'est où j'en suis maintenant... Donc j'imagine que si je devais répondre à ta question, je dirais que oui, mais en sachant pertinemment que ce n'est pas un absolu.

Kōtarō mit du temps à intégrer tout ce qu'il venait de dire. Il cligna plusieurs fois des yeux, et se laissa retomber en arrière.

— Je... j'avais pas vu les choses comme ça.

Leurs respirations se synchronisèrent. On pouvait presque entendre leurs cœurs battre à l'unisson.

— Babe, je sais que là, ça craint vraiment, que c'est vraiment pas forcément ce que tu as besoin d'entendre maintenant. Mais ça ira, tout ira bien.

Il n'en savait absolument rien, mais ça ne l'empêcher pas de croire à chacun de ces mots :

— On va s'en sortir. Tu vas t'en sortir.

Kōtarō lui sourit. Il était épuisé, il avait peur, il était toujours en colère contre l'univers. Mais il savait qu'il n'était pas seul.

— Et puis, je te rappelle que l'un de tes partenaires est un nécromancien, je crois pas qu'il va se laisser faire si facilement.

— Dans un jeu vidéo.

— T'as rencontré Kenma? Il serait capable de s'initier à la magie noire pour pouvoir appeler tous les démons de la création afin les asservir et les mettre à ta disposition si nécessaire.

Kōtarō pouffa.

— Quoi, je ne dis que la vérité ! Tu sais comment il est, arrêtes de faire genre ! répéta Kuroo, réutilisant l'argument que lui avait soumis Kōtarō quelques minutes plus tôt.

— C'est ton partenaire, répéta son amoureux, rentrant dans son jeu.

— Notre partenaire, et c'est exactement où je voulais en venir.

Kōtarō sourit. Les derniers rayons du soleil se perdaient dans ses cheveux, teintant sa peau de nuance d'or.

— On rentre ?

Kuroo hocha la tête, et ils repartirent ensemble.

-/-

Tetsurō ouvrit la porte d'entrée, Kōtarō sur les talons.

Kenma et Keiji étaient toujours dans le salon, blotties l'un contre l'autre.

Tout semblait calme, mais Kuroo remarqua que le tapis était retourné à certains endroits, la table avait été déplacée sur le côté, un deuxième vase s'était cassé près du meuble de la télévision. L'eau était montée jusqu'au bord du canapé, ses deux amoureux se tenant dessus comme deux naufragés en mer.

Kenma se détacha de son partenaire, jetant un regard par-dessus son épaule pour capter le regard de Kōtarō. Kuroo se décala sur le côté pour le laisser passer.

Ce dernier s'avança dans la pièce, l'eau se résorba sous ses pieds, les dernières gouttes s'évaporèrent sur son passage, formant un nuage de brume tiède autour d'eux. Il s'assit en tailleur devant le canapé, regardant ses partenaires à tour de rôle.

— Désolé...

— Tu n'as pas besoin de t'excuser Kōtarō, murmura Keiji.

— Si... -il tourna les yeux vers Kenma- désolé de t'avoir parlé comme ça, j'étais en colère. Je suis toujours en colère, mais tu n'y peux rien. Désolé.

Kenma prit ses mains dans les siennes, l'attirant à lui pour embrasser ses phalanges. Kōtarō accueilli avec ferveur la caresse de ses lèvres. Il le tira vers lui pour l'enlacer. Kenma se laissa faire, nichant son visage dans ses cheveux.

— Je sais.

Kōtarō tourna la tête, ébouriffant les cheveux de son amoureux en cherchant sa peau, pour finalement l'embrasser sur la joue. Il tourna la tête pour faire face au brun, Kenma resta agrippé à lui.

— Keiji...

Ce dernier frissonna en l'entendant prononcer son prénom.

— Tu n'as pas à te sentir coupable, tu n'y peux rien.

Il ne pouvait pas lui mentir, il savait ce qu'il ressentait. Il pouvait bien ériger les palissades les plus hautes autour de lui, elles ne tenaient pas face à lui.

Keiji ne dit rien. Son visage se tordit de larmes.

— Personne n'y peut rien...

Le brun hocha lentement la tête.

Kōtarō prit sa main, caressant sa peau du bout des doigts. Il la porta à son visage, la maintenant contre la peau de sa joue.

Kōtarō capta son regard et le maintint longtemps. D'une voix noyée de tendresse, il lui murmura :

— Mon alpha...

Cela suffit à percer les dernières résistances de Keiji, qui explosa en larmes. Il se jeta à son cou pour l'enlacer. Kōtarō caressa ses cheveux. Il se redressa, mais ses partenaires ne le lâchèrent pas: Kōtarō resta agrippé à son cou, et Kenma l'attrapa pas les hanches, nichant sa tête contre son ventre. Kōtarō réussit néanmoins à se tourner assez pour trouver le regard de Tetsurō. Il lui sourit, et tendit une main vers lui. Le brun n'hésita pas une seconde et se jeta sur lui comme un boulet de canon. La collision fut si violente qu'ils chutèrent tous les quatre dans le canapé. Kōtarō se laissa enlacer, maintenant tout contre lui ses partenaires qui se raccrochaient à lui comme une bouée de sauvetage. C'était lui qui était au bord de la noyade, qui risquait de s'enfoncer dans des eaux troubles et dangereuses, et pourtant, c'était lui qui les maintenait à la surface.

Ils restèrent ainsi en long moment. Finalement, Kōtarō se détacha d'eux, il s'assit de nouveau au sol pour leur faire face.

— Désolé mais j'ai besoin d'un peu de temps... J'ai envoyé un message à Nao tout à l'heure pour qu'il vienne me chercher. Je vais rentrer chez mes parents quelques jours.

Kuroo sentit son cœur se retourner sur lui-même, accueillant amèrement l'idée de devoir s'éloigner de lui. Pourtant, il n'en dit rien.

— Oh... quand penses-tu revenir ? demanda Keiji.

Kōtarō se gratta l'arrière de la nuque.

—Je... je sais pas... Je serais là pour le rendez-vous la semaine prochaine de toute façon... J'ai juste besoin de quelques jours.

Keiji hocha la tête.

— Ok.

Kōtarō leur sourit, puis se redressa. Il se détacha d'eux et partit préparer ses affaires.

Une demi-heure plus tard, il était à la porte, son sac pendant sur son épaule. Ils entendirent une voiture klaxonner.

— Il est là.

Il capta leur regard une dernière fois. Il sourit, ouvrit la porte, puis partit.

-Fin du chapitre-

Vous aviez commandé une portion de *~emotional damage~* ? Et hop !

Woh, alors j'en ai écrit des chapitres fuck up, mais celui-là me flingue.

J'espère qu'il vous aura tout de même plu.

Prochain chapitre: "Contre vents et marées"

"Tetsurō s'était toujours demandé ce qu'il se passait durant les ellipses dans les films. La réponse était que s'il était dans une série, les caméras ne seraient surement pas en train de le suivre, personne ne fait une histoire avec du vide."

See ya