Salut les gens ! Alors, je commence par vous dire combien je suis désolée d'être en retard à ce point ! Pardon pardon, je ne vous ai pas oublié, et je n'ai pas du tout laissé tomber cette histoire, j'ai juste eu un début de Juillet très chargé et ensuite je n'avais plus internet... Bref, vraiment désolée, promis vous n'attendrez pas si longtemps pour la suite (qui devrait contenir encore un ou deux chapitres, je suis pas encore sûre).

Sur ce, je vous laisse avec ce chapitre.

Esperluette : si tu arrives jusque là, merci pour la review ! Ne t'inquiète pas si tu ne lis pas dès la sortie, je suis sensible à n'importe quelle review, peu importe le moment où elle est écrite ! Tu as lu le consentement ! Je suis ravie ! Alors, qu'en as-tu pensé ? Moi, il a littéralement retourné ma vie... J'espère te relire bientôt !


On frappe à la vitre de la voiture. C'est Xavier. Caleb lui fait signe : laisse-nous encore cinq minutes. Le jeune homme fronce les sourcils, mais acquiesce. Caleb n'attend pas qu'il se soit éloigné. Ce matin, il fait froid, et c'est encore pire dans la voiture. Et les bancs en bois de la grande salle de la cour, seront-t-ils aussi froids ? Pour le dernier jour d'audience, on pourrait faire l'effort d'allumer le chauffage… Les journalistes se massent sans doute déjà devant les marches, espérant apercevoir l'objet de tous les débats médiatiques. La sentence sera rendue aujourd'hui, ils ne veulent pas en perdre une miette. La veille, deux informations ont fuité :

- la virée romantico-perverse de Dark à Rome (Mark était furieux, il a menacé la maison d'édition, mais le patron a nié en bloc)

- la relation de Caleb et Jude.

Les journalistes sont devenus fous, et le portable de Caleb n'arrête plus de sonner. On lui a déjà proposé dix-sept interviews papier, six entretiens télévisuels et trois émissions radio. Quand on saura pour Axel et Mark, la Capitale ne s'en relèvera pas. La divulgation de ces deux informations a beaucoup touché Jude. Surtout Rome. Il a eu du mal à se défendre, parce qu'il se sent coupable. Mais Schiller s'est révélée brillante au pied du mur. Elle a fait témoigner Mark, rongé par les remords, et toujours aussi formidable tribun.

Le réveil a été douloureux ce matin. Jude a à peine mangé, il s'est engouffré dans la voiture conduite par Caleb, et l'a prié de se garer à une rue du tribunal. A présent, blotti sur la banquette arrière, caché entre les plis du manteau de son compagnon, Jude tremble et essaie de respirer, bercé par les paroles hasardeuses de Caleb. Schiller lui a envoyé un SMS pour lui dire qu'elle était déjà là, qu'ils prennent leur temps, qu'ils ne parlent pas aux journalistes, qu'ils ignorent Dark.

Lorsque sa montre annonce neuf heures dix, il prend les épaules de Jude et les écarte de lui. Jude hoche la tête, puis l'embrasse avant d'ouvrir la portière. Les deux écrivains chaussent des lunettes de soleil, et s'engouffrent dans l'allée menant au tribunal, se tenant par la main, la tête haute alors que les flashes dévient de leur trajectoire, les prennent en chasse. Les micros se bousculent et se pressent à leur rencontre, les voix s'élèvent et s'emmêlent, les caméras les dévorent. Tout en haut des marches, Schiller attend, bras croisés et cheveux attachés, prête à tout. A droite, on entend les deux discours animés de Mark et Nelly « Nous espérons tous, au nom de la décence et de la qualité de notre littérature nationale que cet essai de Dark sur son crime perpétré à Rome ne sera jamais publié, mais la maison Ad Vitam n'est pas connue pour son bon goût moral ou artistique. Sans les romans de Jude, il n'y aurait rien à sauver… ». A gauche, Xavier est assailli par les questions des journalistes : « Etiez-vous au courant de cette relation ? Depuis quand dure-t-elle ? A votre avis, qui a révélé cette histoire ? » tandis que Célia se filme avec son téléphone en essayant de retranscrire l'ambiance brûlante pour son média en ligne. L'Iléveune tente de contenir les journalistes, et échouent.

Dès que Caleb et Jude arrivent dans la rue, ils comprennent qu'ils ne parviendront pas à passer la horde de curieux, professionnels et amateurs, sans répondre à quelques questions. Caleb resserre sa pris sur Jude, il le rapproche de lui, et tente une percée dans l'obscurité. Après seulement deux pas, il doit s'arrêter, ralenti par un homme aux cheveux bruns et lunettes qui rappelle à Caleb le terrible interviewer Willy Glass.

- Monsieur Sharp, Monsieur Sharp ! Que pouvez-vous répondre aux personnes qui prétendent que vous êtes une nouvelle fois le bourreau et non la victime de Monsieur Dark ?

- Monsieur Stonewall, embraye un autre homme, n'avez-vous pas peur d'apprendre que votre amant est en fait coupable ?

- Que dit l'Iléveune de votre relation ?

- Mark Evans connaissait-il cette histoire avec Dark ? Pourquoi n'a-t-il rien fait ?

- Monsieur Sharp, pourquoi rester fidèle aux éditions Ad Vitam si vous avez vraiment été abusé par son grand patron ? Ne devez-vous pas à Dark votre notoriété, après tout ?

Putain.

Comment passer ces tarés ? Caleb n'a rien pour les défendre. Ni épée légendaire, ni poussière de fée, ni cape d'invisibilité, ni champignon magique. Il n'a rien d'autre que son charisme un peu écrasé au milieu de cette marée noire, et ses mots avalés par l'hystérie générale. Il n'a rien. Et pourtant, comme attiré par une aura supérieure, qui dépasse tout le reste, il lève les yeux, en haut des marches blanches, où le soleil pointe soudain.

Axel, nimbé de lumière, ressemblant à un ange un peu rock avec ses boucles d'oreille et ses nombreux colliers de perle, apparait. A sa droite, il y a un jeune homme qui n'a pas encore eu le droit de monter les marches, qui le prend contre l'avis de Jude, ses cheveux bruns volant au vent. Caleb sait que Jude voudrait hurler à Riccardo de rentrer chez lui, mais qu'il n'a plus cette force. Et puis, à côté de l'apprenti de Jude, il y a les autres apprentis. Il y a Victor et Arion qui se tiennent la main, il y a le jeune apprenti de Shawn, et Shawn à ses côtés qui regarde au loin. Et Sue accompagnée de la fille du premier ministre, et Samford et King, et Hurley et son sourire, et Byron qui n'a pas réussi à se parer de son révolutionnaire en planque. Caleb remarque tout à coup que Célia a abandonné son téléphone, Xavier a quitté les micros, Mark et Nelly ont fui les caméras, et tous les quatre ont rejoint cette ligne savamment imaginée par Aquilina Schiller.

- Putain, filme ça !

Les caméras se lèvent, se bousculent, s'écharpent pour attraper quelques miettes de ce spectacle, rare et fascinant, de cette Iléveune renaissante et conquérante, qui se montre au bras d'une nouvelle et célèbre génération, soutenue par des piliers de la Capitale, à la rescousse de l'un de ses fondateurs. Mark tient Axel par l'épaule, il regarde droit devant lui, un sourire éclatant et des yeux froids dirigés vers la foule. L'Iléveune ensorcelle et hypnotise les badauds, elle les attire et les amène à elle.

Caleb décide que c'est le moment. Puisque l'attroupement se décommande et oublie son sulfureux amoureux pour se tourner vers le dernier blockbuster sur-starisé du tapis blanc du tribunal, il fonce. Il sait bien qu'il n'a que quelques secondes avant que l'enchantement ne prenne fin, alors il ne perd pas de temps. Il serre la main de Jude, et presse le pas au milieu du troupeau endormi à la nostalgie. Son compagnon se laisse emmener sur les quelques mètres qui les séparent des marches, où un garde du corps les attend enfin. Après cette héroïque percée, Caleb regarde Jude, parce qu'il ne sait pas quoi faire. L'héroïsme des quelques dernières secondes lui a fait perdre toute réflexion. Mais Jude ne le regarde pas. Il a les yeux rivés sur le plan médiatique de Schiller, Schiller qui lui avait promis de ne pas exploiter Riccardo. Caleb soupire. Il déteste les démonstrations d'émotion publiques. Et Jude déteste les démonstrations d'émotion tout court. Pourtant, tous deux s'approchent de leurs camarades de plume. Shawn s'écarte de Mark, et laisse Jude et Caleb s'insérer dans le creux entre eux, et compléter enfin cette ligne parfaite. Sans vraiment comprendre pourquoi, Caleb se rend compte qu'elle aurait pu se révéler plus parfaite encore, améliorée par la tendresse et la sincérité d'Aitor.

Mark se penche vers Jude, lui murmure quelques mots, qui se veulent sans doute rassurant. Sans doute.

- On va rester sur les marches combien de temps ?

- Je sais pas exactement, répond Shawn. Schiller et Mark ont comploté cette nuit, je suis pas au courant de tous les détails.

- Ton mec a encore disparu ?

- Il est à la maison. Schiller n'a pas considéré que sa notoriété était suffisamment importante pour participer à l'événement.

- Jude va vous tuer pour avoir amené Riccardo.

- S'il a envie de nous tuer à la fin du procès, ce sera bon signe. C'est qu'il l'aura gagné. J'accepterai la sentence.

Après des secondes, qui lui semblent des heures, à subir en silence les maux du jeune homme à sa gauche, et l'angoisse palpable de celui à sa droite, Caleb remarque que son chef de file tourne la tête dans les deux sens, pour capter le regard de ses camarades. Il sourit, puis se détache de la ligne, et s'avance sur les marches, prêt à se faire avaler par le crépitement des flashes. Il se rapproche des micros, des journalistes, durcissant son visage à chaque marche descendue. Lorsqu'il arrive enfin à portée de son et d'image, il affiche une mine tout à fait sérieuse et concentrée. En grand professionnel, aidé par son charisme irradiant, il patiente jusqu'à ce que chaque journaliste, du célèbre reporter de grande chaîne au petit interviewer de journal régional, se taise. Personne n'ose se mettre à parler, tout le monde attend, prêt à capter, à noter chaque mot qu'il prononcera. Il inspire profondément, et se lance, d'une voix claire et forte, qui parvient jusqu'à ses compagnons d'écriture.

- Nous savons que vous êtes impatients, et que vous espérez que la vérité sera enfin faite sur toute cette affaire. Je l'espère aussi. Nous l'espérons tous. Notre belle Capitale est salie par cette histoire, ces histoires, depuis trop longtemps, et la justice doit aujourd'hui faire en sorte de lui rendre sa magnificence. Nous sommes ici pour réparer une terrible injustice faite à un enfant, et nous nous battrons jusqu'au bout. Nous vous donnons rendez-vous à l'issue du procès. Merci à tous.

Mark s'éloigne rapidement, malgré les nombreuses et chaotiques questions de la mêlée qui rêvait d'un discours plein de sang et de sueur, d'amour pourquoi pas. Arrivé, ou retourné en haut des marches, il fait un signe de la tête à Lina Schiller, que Caleb interprète comme un signal de lancement des opérations, et l'avocate invite tout le monde à rentrer dans le tribunal. Le jeune homme observe Mark serrer Jude dans ses bras, tellement fort qu'il lâche la main qu'il tenait si désespérément au milieu de la foule. Avec la sensation que le dramaturge lui vole un peu trop son amoureux, il rejoint Axel qui pose une main puissante sur son épaule, comme pour le rassurer.

- Schiller est confiante.

- Trop.

- Courage, Caleb. C'est bientôt fini.

- Si Jude gagne, Dark fera appel. Il va demander la révision du procès. C'est pas fini.

- Schiller t'avait prévenu.

- Oui oui, je sais. Putain, quand j'ai accepté que Jude vienne vivre chez moi, y a six mois, il était pas question de tout ça. Pas de procès, pas de tribunal, pas de Schiller au téléphone jusqu'à vingt-trois heures… Il était même pas question de Dark, de Rome, de tout ça… Si j'avais su…

- Tu lui aurais pas ouvert ?

- Bien sûr que non.

- Bien sûr que si. Tu es trop curieux. Ecoute, ça va le faire. Ca va être la pire journée de ta vie, mais ça va le faire.

- Messieurs Blaze et Stonewall, rugit soudain la douce Schiller. Si vous voulez bien vous donner la peine de vous raconter vos petits chagrins d'écrivaillons plus tard, j'ai un procès à gagner avant la tombée de la nuit !

Tribunal

14H06

Toujours aussi magistrale, Lina Schiller est plantée dans son hermine, ses grands yeux bleus surmontés de lunettes, et elle regarde très durement les membres du jury, scrutant au fond de leur âme, les forçant à se confier à elle. Elle ne tremble pas, elle les défie, et chaque juré cherche à la fuir, en se reculant au fond de son siège, pour disparaître.

Caleb, lui, tremble. Sur son banc en bois, coincé entre Axel et Byron qui se tiennent tellement droits qu'on les croirait embaumés, il tremble de froid, il tremble d'inquiétude, et aussi d'ennui. Il a besoin de sortir, de s'aérer, de bouger. Mais Lina aime prendre son temps. Elle a choisi la lenteur pour parler la même langue que Dark, qui semble aimer faire durer les choses. Elle a aussi choisi la lenteur afin de raviver dans le cœur de chaque personne présente dans la salle le souvenir de l'écriture, en subtilité et en douceur, de Jude Sharp. Et puis, cela lui donne aussi une contenance et un charisme incroyable. Caleb pense que c'est une sorcière, dans la vraie vie. Comme Nelly Raimon. C'est pour ça qu'elles s'entendent si bien. Il les imagine en haut d'une grande colline, un soir de pleine lune, à danser et réciter des chants dans une langue païenne, avec Célia qui les rejoint.

Alors qu'elles sont sur le point de sacrifier un bouc, Caleb sent un poids s'abattre sur sa cuisse droite. Il sursaute, tourne la tête, remarque la main baguée d'Axel qui s'est figée au-dessus de son genou, dans l'espoir de maintenir sa jambe en place. Caleb décide d'abandonner les rites sataniques et se reconcentre sur la magnétique Aquilina.

- Avant de vous demander une dernière fois, Mesdames et Messieurs les jurés, de réfléchir au cas de Jude Sharp, j'aimerais vous parler de moi, et des raisons qui me poussent à vous regarder dans les yeux aujourd'hui. Mon père était considéré comme un philanthrope. Il a fait construire des orphelinats, il a accueilli de nombreux enfants chez lui et passait pour le père idéal. Et pourtant, ce père idéal était d'une imperfection crasse. Il a exploité des enfants dans le monde entier, a fermé les yeux sur un trafic d'enfants qui avait lieu dans l'un de ses refuges, a enrôlé ces mêmes enfants dans du trafic d'armes… Des années plus tard, devenue avocate, j'ai travaillé à aider les enfants victimes d'abus, afin de réparer les fautes de mon père. Et vous savez ce que j'ai découvert, après un an d'exercice ? Que les fautes commises par les adultes sur des enfants ne se réparent pas. Chaque enfant victime d'abus est condamné à vie. Il est condamné à vivre avec les violences commises par un autre, un autre qui n'est souvent pas inquiété. Oh bien sûr, il pourra apprendre à vivre, grâce à des thérapeutes, grâce à sa famille, grâce à son entourage, grâce à ses passions. Mais ce qu'il ne pourra jamais faire, c'est oublier, effacer, démolir.

Mais putain, elle est sérieuse ?! A quelques mètres de lui, Caleb voit son compagnon se recroqueviller à chaque mot de Schiller, si bien qu'il menace de rentrer en lui-même si elle poursuit son discours. Il jette un regard en direction des jurés, qui semblent tétanisés. Il jette un regard en direction de la cour, qui semble fascinée. Et il jette, quand même, un regard en direction de Dark. Il porte un costume gris parfaitement taillé, assorti d'une cravate et d'une pochette rouge. Il s'agit sans doute de sa tenue la plus sobre et la plus appropriée depuis le début du procès, après les costumes violet, bleu ciel, blanc et vert canard. Peut-être cherche-t-il à montrer patte blanche aux jurés… Peut-être les autres costumes jaune poussin et lila étaient-ils encore au pressing… Pour une fois, Dark ne regarde pas Jude, il regarde Schiller, sans doute impressionné à son tour par le charisme et la rage de l'avocate. Sans doute aussi contraint par son propre avocat qui commence à en avoir assez de le rappeler à l'ordre.

Dark aura droit à une dernière parole aujourd'hui, tout comme Jude. Et Caleb a peur, il a très peur de ce qu'il dira. Non pas parce qu'il craint que sa parole sème le doute parmi les jurés. Non, il a peur du doute qui sera semé dans la tête de Jude.

- Je vous le répète. Jude Sharp était un enfant. Il est aujourd'hui un adulte qui doit se construire avec, malgré ses blessures. Et vous et moi savons qu'il reçoit un soutien formidable, incroyable, de la part de ses proches. Vous avez entendu ses deux meilleurs amis témoigner de la force de , mais aussi des douleurs qu'ils ont vu se former en lui et qu'ils n'ont pas su stopper.

Axel se tend à sa droite, et sans doute Mark est-il dans le même état. Schiller ne les incrimine pas, ce n'est pas leur procès. Mais Axel les incrimine suffisamment pour ça.

- Vous voyez quotidiennement sa sœur s'exprimer sur les réseaux dans le but de rappeler le merveilleux grand-frère qu'il a été.

Là, Célia ment. En fait, non, elle ne ment pas vraiment, elle exagère juste. Privée de son frère parti vivre avec son père alors qu'elle avait six ans, elle s'est activée à créer un grand frère formidable, aimant, plein d'attention, qui s'est hâté de rattraper le temps perdu durant leur adolescence. Mais Jude n'était pas cet adolescent plein de compassion et d'amour, ça, Caleb le sait. Aimant, sûrement. Mais aussi distant, froid, complexe, torturé…

- Et vous avez même eu la grande révélation sur laquelle se sont jetés les vautours qui attendent à l'extérieur en écoutant le discours de son compagnon, rongé par l'ombre dangereuse et planante d'un bourreau qui va jusqu'à pénétrer l'intimité du couple dans l'espoir de récupérer l'emprise qu'il exerçait autrefois, forçant ce jeune couple à vivre dans la peur.

Il a envie de rire, pour ne pas pleurer. Que c'est obscène, que c'est ordurier de balancer leur histoire d'amour sur les dalles froides de ce tribunal, que c'est grotesque de résumer leur ménage au sentiment de peur, alors qu'il y a tellement plus. Et pourtant, comme Caleb se reconnait dans les mots de Schiller !

- Je vous demande de reconsidérer chaque témoignage apporté. Et je vous rappelle qu'il ne s'agit pas seulement de punir quelqu'un, mais aussi et surtout de permettre à un autre de respirer, et d'avoir foi en la justice et les citoyens de son pays. Je vous remercie.

Elle se tourne d'un mouvement, et ses cheveux volent autour d'elle, puis elle va rejoindre Jude et lui murmure quelque chose. Il hoche la tête. C'est bientôt fini. La présidente de la cour appelle alors Dark, pour son ultime prise de parole. Un frisson parcourt la salle lorsque l'accusé déploie son grand corps maigre et s'avance, comme s'avancerait un antagoniste disneyen : avec volupté, grâce, et charisme. Et tout le monde inspire, retient son souffle.

- Madame la présidente, mesdames et messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, je serai bref. Il me semble que nous avons tous mieux à faire que d'être ici, et je regrette de prendre en otage votre précieux temps. Il semble clair que nous ne sommes pas ici pour les bonnes raisons. Vous avez entendu les différents témoignages, et vous avez pu vous rendre compte de l'extrême fragilité de et de son incohérence. Comme il l'a lui-même reconnu, c'est bien lui qui est venu vers moi, et non l'inverse, et il n'a jamais émis la moindre protestation quant à notre relation. C'est évidemment ce qui m'a amené à me demander d'où lui venait cette ridicule idée que je l'aurais forcé de quelque manière. Si ça avait été le cas, il me l'aurait dit, il aurait averti quelqu'un, il aurait cherché à me fuir, aurait quitté ma maison d'édition. Mais rien de tout cela n'est arrivé. Comme mon avocat vous l'a déjà expliqué, je crains que certaines de ses fréquentations n'aient une mauvaise influence sur lui, n'aient cherché à le… détourner de moi, à plusieurs reprises. Plutôt que de comprendre ce qui nous liait. Ce sont ces fréquentations qui me mènent au tribunal aujourd'hui, comme elles m'y ont mené il y quinze ans. Alors, ne jugeons pas trop durement . Il n'avait simplement pas les armes pour lutter contre des amis possessifs, ou des amants jaloux…

- Fils de p…

Axel est suffisamment rapide pour maintenir Caleb et sa colère qui crève d'envie de réduire en cendre chaque banc, chaque siège, chaque pupitre, chaque photo du tribunal, pour regarder Dark se faire attraper et dévorer par les flammes d'un incendie qu'il aura allumé, avec toute sa rage contenue ces derniers mois. Le beau romancier, qui en connait un brin sur la colère et la violence, a emprisonné le bras de Caleb et posé une main sur sa poitrine, pour le maintenir contre le dossier du banc. De l'autre côté, Byron pose une main qui se veut rassurante sur son épaule. C'est Mark qui a décidé de cet emplacement : Caleb entouré de deux personnes en qui il a confiance, et qui ont eu un effet apaisant sur lui depuis le retour de Jude. Manque Aitor, bien sûr.

La présidente de la séance signale à l'écrivain en surchauffe qu'elle ne tolèrera pas de nouvel écart, ce qui faire sourire Dark, et donne de nouvelles envies de brasier à Caleb. Comment ose-t-il renverser la situation d'une façon si sordide ? Comment ose-t-il prétendre que Mark et Axel avaient peur de perdre du pouvoir sur Jude ? Comme ose-t-il insinuer que ce procès n'est que le résultat d'une jalousie savamment mûrie à son encontre ?

- Je connais la Capitale depuis de très nombreuses années, je l'ai vue évoluer, et je ne suis en toute modestie pas pour rien dans la merveilleuse progressions qu'elle a connue. J'ai confiance en la justice qui s'y rend. Je sais que vous ferez le bon choix.

- Merci, veuillez vous rasseoir. La parole est à présent à l'accusation. , souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Jude se lève, avec la fébrilité du Prince qui a perdu son royaume et tente de le reprendre à un sorcier maléfique qui l'aurait élevé, puis bousillé.

- Oui Mme la Présidente.

Oh bon sang, Jude… Sa voix brisée en mille morceaux atteint de plein fouet la poitrine de Caleb et transperce son cœur à mille endroits.

- Je suis désolée qu'on en soit là. J'aurais aimé que ça se passe autrement. Que ça ne se passe pas du tout. J'aurais aimé être plus fort, mieux écouter ce qu'on me disait. J'aurais aimé… savoir aimer correctement. Je n'ai pas pu. Et pour la première fois de ma vie, je comprends que je ne suis pas l'unique responsable de ce qui m'est arrivé. Maintenant, j'ai besoin d'en être sûr. Merci à tous.

- Le jury va délibérer. Je vous invite à quitter la salle.

Caleb est le premier à sortir, et il court à la rencontre d'un souffle d'air, celui qui éteindra le foyer qui le consumera bientôt, et qui fera autant de dégâts que possible si le verdict final ne lui plait pas. Une Capitale à feu et à sang, qui se teintera de rouge pour lui rappeler la couleur des yeux de l'homme qu'il aime. C'est une promesse.


Notre-Dame : Extraction du titre "Notre-Dame de Paris" de Hugo, parce qu'on y retrouve l'idée de procès, de personnages très charismatiques, de personnage fragile qui subit plus qu'il n'agit. Et surtout parce que la réplique de Caleb qui parle de mettre la Capitale à feu et à sang m'est inspirée de LA phrase la plus incroyable du film animé de Disney, pour moi, de Frollo : "je la [Esmeralda] trouverai, même si je dois brûler tout Paris !"

La Bataille du Gouffre de Helm : Tout le passage d'arrivée d'Axel et compagnie, nimbé de Lumière et symbolisant l'espoir m'a été inspiré de la Bataille du gouffre de Helm dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien (qui est sans doute le passage que je préfère du livre et du film).