Le feu mordant se nourrissait de sa peau rougeoyante qui, peu à peu, fondait à son contact prolongé. Lui, il hurlait. Et pourtant, ses mains crispées continuaient de maintenir la silhouette démoniaque prisonnière à la fois de son étreinte, mais également de celle du brasier mangeur de chair. Parce qu'il le fallait. Parce que personne ne l'aurait fait à sa place. Parce que ne rien faire, c'était les laisser mourir.

Et il ne laisserait pas ce monstre lui prendre ceux qu'il aimait. Alors, c'était lui qui y passerait. Il n'était pas prêt à mourir, il ne l'avait jamais été, mais… C'était comme ça. Il avait été le seul à se précipiter sur cette abomination, le seul à prendre la décision de stopper tout cela pour réparer les erreurs commises par d'autres. Des erreurs dues à un égoïsme aussi clair que la noirceur du Nogitsune.

Il hurla, encore et encore, se fit violence pour garder le monstre immobilisé au milieu des flammes. La douleur était insupportable mais l'adrénaline restait plus forte que tout. Son regard devint rubis et il croisa, l'espace d'un instant, les prunelles bleues terrorisées d'Eli.

Son fils. La chair de sa chair.

Et dire qu'il était en train de lui infliger ce qu'il avait lui-même vécu. La douleur de la morsure des flammes l'empêcha de réfléchir, de s'imaginer l'horreur et le traumatisme dont il serait à l'origine. Mais il le protégeait, lui qui n'aurait pas dû se retrouver impliqué dans toute cette histoire… Il le protégeait, il les protégeait tous.

Pour lui, c'était tout ce qui comptait.

Derek brûlait vif. Il n'entendait rien à par le crépitement des flammes qui le dévoraient avec une lenteur sadique. Un crépitement morbide… Ou alors était-ce ses os qui se brisaient ?

En tout cas une chose était certaine : il mourait à petits feux, répétant le schéma qui l'avait façonné…Sa famille avait été décimée par les flammes et voilà qu'il s'apprêtait à la rejoindre de la pire des manières.

Et il hurla, encore, hurla sa souffrance jusqu'à…

- Derek !

… Jusqu'à…

- Derek !

… Mourir ?

D'un coup, le froid l'envahit. Un froid glacial. Puis, une chaleur douce, quoiqu'un peu tiède. Mais il n'avait plus mal. Le brasier ne le rongeait plus. Suite à ce constat Derek ouvrit brutalement les yeux. Son regard paniqué balaya les alentours et il vit… Il vit une chambre aux tons crème, surmontée grandes fenêtres aux rideaux à moitié transparents voletant doucement au gré de la légère brise qui s'infiltrait dans la pièce.

Et Derek fut frappé par le silence léger.

Pas de crépitement incessant. Il se retourna brutalement, à gauche, à droite : il ne vit pas l'ombre d'une flamme. Rien. Ses prunelles affolées finirent par se poser sur la main sur son épaule. Sa source de tiédeur. Il leva les yeux… Qui accrochèrent deux orbes ambrées.

La main sur son épaule se déplaça, alla se poser sur sa joue avec une délicatesse infinie et Derek sentit sa gorge se serrer, comme si… Comme s'il allait pleurer. Que lui arrivait-il ? Pourquoi son corps… Mais oui, il tremblait ! Il tremblait et… Son cœur battait beaucoup trop vite. N'avait-il pas le souffle court ?

- Respire, Der.

Les doigts effleurèrent son éternelle barbe de trois jours avec une douceur infinie et à ses côtés, le lit s'affaissa. Derek ne le quitta pas du regard et fit de son mieux pour l'écouter, appliquer son conseil. Néanmoins, il… Il était perdu. Ne savait pas, ne savait plus. Était-il en vie ?

- Oui, Sourwolf. Tu es vivant, à la maison.

Et cette voix… Il l'aimait tant. Ce visage, aussi. Ces yeux. Ces mains, qui l'aidèrent à se rallonger. Ce corps qui laissa tomber ses vêtements au sol. Cette silhouette qui s'était épaissie avec le temps et qui se glissait à ses côtés, sous les draps.

- Stiles, souffla-t-il, la gorge serrée, les yeux embués.

- Je suis là, fit l'hyperactif d'une voix douce.

Avec une lenteur calculée, le châtain se pressa contre lui, enveloppa son corps meurtri dans une étreinte duveteuse tant elle était douce et empreinte de précautions. Sans aucune hésitation, Derek vint nicher sa tête dans le cou de son compagnon et le serra fort, comme s'il avait manqué de le perdre… Ce qui avait été le cas trois mois plus tôt. Et bien vite, quelques larmes vinrent éclore contre la peau tendre du cou de l'hyperactif qui, comme à son habitude, ne dit rien. Dans ce genre moments, les gestes valaient mieux que les mots : aussi, il choisit de simplement caresser ses cheveux avec patience et amour, comme il le faisait toujours. Contre lui, il sentait le cœur de son Sourwolf qui continuait de battre à une vitesse exubérante et cela ne le surprenait, pour ainsi dire, pas du tout. Il savait ce qu'il avait vécu… Et les bandages entourant son torse, sa jambe gauche et ses bras le lui rappelaient chaque fois qu'il posait les yeux sur lui.

Par souci d'apaisement et parce qu'il avait tendance à maîtriser ses émotions, Stiles s'efforça de ne pas ressentir la moindre colère en cet instant. Si Derek peinait à guérir, il gardait des sens lupins particulièrement aiguisés, alors… Le mieux était de ne pas les stimuler. Ainsi, l'hyperactif se concentra sur lui, sur les caresses qu'il lui apportait, sur l'amour qu'il lui donnait, sur les larmes qu'il sentait couler sur sa peau.

De sa vie, Stiles n'avait jamais réellement vu Derek pleurer comme il le faisait ces derniers temps. A vrai dire, cela avait commencé depuis que ce qu'il nommait « l'incident » avait eu lieu. Son loup avait manqué de mourir, et… Celui-ci ne s'en remettait pas parce que dans sa tête, les flammes continuaient de danser autour de lui, rongeant les barrières autour de son esprit, jouant avec sa santé mentale. Si Derek allait aussi mal, que dire d'Eli ?

Pour être honnête, Stiles était fier de lui, parce que son petit bout de chou de quinze ans était fort. Enfin… Il essayait. Le seul problème avec lui, c'était sa tendance à vouloir déserter la maison en journée mais en soi… Stiles le comprenait. L'atmosphère était, la plupart du temps, anxiogène. Combien de fois le lycéen avait-il entendu son père-loup se réveiller en hurlant ? D'autant plus que cela lui arrivait aussi… Oui, Eli était fort, c'était un fait indéniable.

Mais il lui arrivait également régulièrement de cauchemarder sur ce dont on l'avait obligé à être témoin. Alors… Il faisait comme il le pouvait.

Et Stiles se retrouvait au milieu de tout ça, à devoir assurer de tous côtés.

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Le thé chaud coula lentement dans la gorge de l'hyperactif. La chaleur du doux breuvage était agréable, d'autant plus qu'il avait l'impression d'avoir froid. Une sensation intérieure injustifiée. Mais c'était comme ça depuis l'incident et il se doutait bien que cela ne changerait pas avant des mois, des années. Peut-être plus, il n'en savait rien.

Derek s'était rendormi depuis un bon quart d'heure et Stiles avait dû se résoudre à se lever même s'il mourait d'envie de rester avec lui, dans ce grand lit témoin de mille et un passages de leur vie commune. En ce moment, les draps voyaient plus de larmes que de fluides amoureux, mais… Stiles savait que les choses ne redeviendraient peut-être jamais comme avant. Et pour ça, il leur en voudrait éternellement.

Parce qu'à cause de son ancienne meute, il avait manqué de perdre l'amour de sa vie, le père de son fils, et un homme formidable.

Sur le plan de travail, son téléphone vibra, encore. Stiles avait décidé de désactiver la sonnerie depuis des semaines. Il ne voulait plus qu'on dérange sa famille, encore moins par son biais. Toutefois, il restait alerte et continuait de lire leurs messages, d'ignorer leurs appels qu'il manquait sciemment tout en songeant avec amertume qu'ils le harcelaient maintenant que Derek était sauf alors qu'ils n'avaient pas été foutus de le prévenir du retour du Nogitsune. Rien que pour cela, il ne voulait plus leur parler parce qu'il savait que s'il avait été prévenu, s'il avait été là, les choses se seraient déroulées bien différemment. Personne n'aurait autant souffert et sa petite famille n'aurait pas eu à subir autant. Maintenant, la voilà au bord de l'implosion avec au milieu, lui, qui essayait au mieux de recoller chacun des morceaux de leurs âmes brisées.

Alors non, Stiles n'accordait plus sa confiance en ces gens qui avaient osé le mettre de côté. On avait beau dire, il était certain que c'était son humanité, qui avait posé problème. Pourtant, ne leur avait-il pas prouvé à maintes reprises qu'il pouvait s'en sortir sans aucun pouvoir ? Combien de fois avait-il survécu là où beaucoup auraient laissé la vie ? Stiles ne se voyait pas comme un surhomme, mais il connaissait sa valeur et personne n'avait le droit de le traiter comme un moins que rien. L'ignorer comme on l'avait fait, c'était le rabaisser comme jamais. Cependant, ce n'était pas le traitement silencieux qu'on lui avait infligé qui le mettait dans une colère si noire.

C'était le fait que l'on avait laissé son compagnon se sacrifier sans même essayer de l'aider. Parce que Derek avait été le seul à avoir le cran suffisant pour essayer de mettre fin au règne de terreur du Nogitsune. De plus, l'on n'avait pas cherché à protéger Eli qui, tétanisé, avait assisté à la presque mort de son père. On ne l'avait pas empêché de regarder, on ne l'avait pas préservé de tout cela.

Alors oui, même si son bébé était fort, il serait marqué à vie par cet évènement noir.

Et jamais Stiles ne le leur pardonnerait. Jamais.

- Stiles ?

La voix de son loup le sortit brutalement de ses pensées et l'hyperactif réussit non seulement à ne pas sursauter, mais également à maîtriser les battements de son palpitant, si bien qu'il n'eut l'air qu'à peine surpris de voir Derek pénétrer dans la cuisine. Le loup-garou avait enfilé un pantalon de jogging et un t-shirt surmonté d'une veste en laine, dissimulant par là l'étendue des brûlures zébrant son corps meurtri. Stiles avala une nouvelle gorgée de son thé avant de poser la tasse sur le comptoir et d'avancer d'un pas modéré jusqu'à son compagnon. Il arborait toujours ce petit sourire léger, celui qu'il esquissait souvent lorsque Hale entrait dans son champ de vision. Bien vite, le loup l'attira dans une étreinte douce, amoureuse, quoique teintée d'une certaine fragilité qui lui brisait le cœur. Parce qu'il y avait dans chacun de ses gestes ce petit quelque chose d'hésitant, ce manque d'assurance flagrant. Comme si la mort avait arraché à Derek un morceau de son âme. Parce que… C'était vrai, il l'avait frôlée. Pendant quelques heures, il avait été impossible de savoir s'il s'en sortirait tant son état était grave et à vrai dire… Stiles ne remercierait jamais assez Deaton, Isaac, Peter et son propre père, le shérif, pour y avoir cru jusqu'au bout et avoir tout fait pour le maintenir en vie. L'hyperactif pouvait-il en dire autant des autres ? Pas vraiment.

- Pardon pour tout à l'heure, murmura le loup, le nez contre son oreille.

- Tout va bien, Der, lui assura l'hyperactif en lui rendant son étreinte avec amour.

Derek s'excusait toujours après un cauchemar et Stiles avait beau lui avoir longtemps répété que ce n'était pas la peine, il continuait. Il continuait comme s'il avait fait une faute, une bêtise. Comme s'il avait pu se retenir d'hurler, mais qu'il ne l'avait pas fait. Comme s'il pensait pouvoir contrôler ses cauchemars.

Or, Derek n'avait pas la mainmise sur quoi que ce soit. Simple victime de ses démons, il ne pouvait rien faire d'autre que subir, et se remettre péniblement dans les bras de son compagnon. Stiles se recula légèrement et lui montra sa main. Sur son annulaire gauche brillait un éclat doré.

- Pour le meilleur et pour le pire, tu te souviens ?

Derek hocha la tête, un fragile sourire étirant ses lèvres. Il baissa les yeux et regarda sa main gauche à lui, attiré par le même éclat. Déjà dix ans qu'ils avaient scellé leur union, à la fois de manière humaine et lupine, après plusieurs années d'une relation déjà bien bâtie. Stiles voyait cela comme une double-union, quelque chose d'encore plus solide qu'un mariage standard. Il y avait les alliances, oui, mais pas seulement. Un triskel trônait fièrement entre les omoplates de l'hyperactif – et il y avait tenu malgré sa peur de mourir en pleine séance de tatouage.

Resserrant son étreinte sur son mari, Derek apposa un doux baiser sur ses lèvres et ferma les yeux pour profiter davantage de ce contact qui le rendait toujours aussi fébrile, comme au premier jour.

- Pour le meilleur et pour le pire, répéta-t-il tout contre ses lèvres.