Le commissaire longea la corniche en voiture avant d'apercevoir le bleu des gyrophares et le rouge des rubalises. Visiblement, un agent s'occupait de détourner les quelques curieux qui tentaient d'observer la scène depuis la zone piétonne. Il descendit sa vitre et fit signe à l'officier qui lui indiqua la crique en contrebas. Antoine acquiesça et finit par stationner son véhicule sur le parking situé plus loin.
Sympa ce dimanche à la plage ! songea-t-il avec ironie en claquant sa portière.
Il dévala rapidement les quelques escaliers et approcha les agents en blouse blanche qui flashaient le sol avec minutie. À leurs côtés, Nathalie montrait une concentration à toute épreuve. Sourcils froncés, murmures inaudibles… La responsable de l'IJ réfléchissait à haute voix et son compagnon dut lui taper sur l'épaule pour la faire réagir. La blonde sursauta et releva la tête, fixant l'équipe de la BSU qui l'observait le sourire en coin.
« Salut Nathalie ! lança le commissaire glissant ses mains dans les poches.
- Ah ! Vous êtes là… bredouilla-t-elle.
- Alors ? C'est ça ton cadeau du dimanche ? osa-t-il souriant.
- Mouais… rechigna-t-elle. Dis donc ! réalisa-t-elle. Ça fait longtemps qu'on t'a pas vu sur une scène de crime toi…
- J'suis d'astreinte… expliqua-t-il. J'ai épargné le reste de l'équipe pour aujourd'hui.
- Ils en ont de la chance… plaisanta le commandant Élodie Vasseur.
- Privilège du grade… Ou pas… Plaisanta-t-il avec sa collègue.
- Ou pas oui… répéta Élodie désabusée.
- C'est bien ! lança Nathalie avec vigueur. Vous êtes en forme aujourd'hui ! On dira pas la même chose de cette pauvre femme…
- Hum… répliqua Antoine en hochant la tête visiblement d'accord. »
Le policier s'approcha de la victime. Une femme brune d'une quarantaine d'années, à peine… Recouverte de griffures et d'ecchymoses sur le corps. Les jambes paraissant les plus touchées. Il détailla sa tenue. Sobre, passe-partout, sans extravagance…
« Vu l'état du corps, elle a dû être projetée du haut de la corniche… lança Marquez.
- C'est probable… Enfin, vu son état, c'est difficile à dire si c'est à cause de la chute ou si ce sont des blessures ante-mortem.
- On l'aurait balancé volontairement du haut de la corniche ?
- Ça pourrait aussi être une chute malencontreuse pendant une discussion un peu… tendue… proposa le commissaire.
- On en saura plus à l'autopsie.
- Qui a trouvé le corps ? demanda la commandante.
- Euh… Les 3 jeunes là-bas ! Ils ont passé la nuit en boîte et ils ont fini sur la plage, complètement ivres bien sûr… Quand ils se sont réveillés, ils ont voulu se baigner et en tentant d'accrocher leurs fringues au rocher… Ils l'ont vu…
- Ils savent à quelle heure ils sont arrivés ?
- L'un m'a dit vers 6h du mat'… Mais vu leur état… C'est compliqué à déterminer.
- Ce qui est sûr c'est qu'elle était déjà morte au petit matin… Vu les rigidités cadavériques je dirais que la mort remonte à une dizaine d'heures, un peu moins…
- Il est quoi ? Presque dix heures… réfléchit Antoine en zyeutant sa montre. Donc entre minuit, 2h du mat ?
- Dans ces eaux-là ouais… acquiesça Nathalie en se relevant à leur hauteur.
- Bon… Et on a pu l'identifier ?
- On n'a rien ! Pas de papiers, pas de sac à main…
- Mais c'est marrant… J'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part… Pas vous ?! s'étonna Antoine.
Tous hochèrent négativement la tête alors que la commandante se baissait sur l'inconnue.
- Nathalie ! T'as vu sa main ?!
- De ?! l'interrogea-t-elle en se penchant à son tour.
- Là ! À côté de son entaille…
- Ah oui ! On dirait de l'encre… Mais j'arrive pas à voir ce qu'il y a dessus…
- On dirait des lettres…
- C'est le tampon du Cubanos… Le club au Cap d'Agde… intervint Antoine à son tour.
- Tu connais cet endroit toi ? lança malicieusement Élodie pour l'embêter.
- Alors figure toi qu'il fut un temps où je passais toutes mes soirées en boîte… expliqua-t-il fièrement.
- Eh bah ! On en apprend tous les jours… ! plaisanta-t-elle. Et t'y allais en costume 3 pièces ?
- Hélas… Ce temps est révolu… lâcha-t-il faussement attristé. En tout cas c'est une boîte pour les saisonniers… Peut-être qu'elle bossait sur le port là-bas…
- J'espère que c'est pas une vacancière… Sinon on va galérer… rajouta Marquez avec dépit.
- On va aller sur place avec Marquez. Ordonna la commandante.
- Bien ! Je rentre au commissariat. À tout à l'heure ! »
Deux heures plus tard, le commissaire soufflait d'agacement face à son dossier. Lui qui avait imaginé un tout autre dimanche, en compagnie de sa fille, à se balader dans les ruelles du centre-ville, profitant du soleil et se rafraîchissant avec une glace. Hélas, le voilà cantonné à la paperasse administrative.
Les chiffres… marmonna-t-il en tournant une page du dossier avant d'être dérangé par le retour de ses officiers.
« Alors ? s'empressa-t-il de demander après avoir refermé le dossier.
- Rien de fou… déplora la commandante. Elle était bien là hier soir. Elle a pris quelques consos au bar mais sans plus… Y avait pas mal de monde donc c'est compliqué pour eux de se rappeler de tout…
- Et on a juste un prénom. Émilie… »
Antoine tilta. Émilie… songea-t-il alors que son cerveau semblait recoller les morceaux. Tout s'éclairait désormais. Bien sûr que le commissaire l'avait déjà vu ! Putain… marmonna-t-il en se jetant sur son ordinateur.
« Antoine ? l'interrogea Marquez alors que Nathalie venait de faire irruption dans la pièce.
- Oh… souffla-t-elle. Ça me rappelle quelqu'un…
- À croire que c'est contagieux… rajouta son compagnon en rigolant.
- Voilà ! s'écria vivement le commissaire en tournant son écran d'ordinateur vers eux. C'est elle… Émilie Dejean… Lieutenant à la crim' de Montpellier…
- Attend… réalisa Nath. Tu veux dire que…
- C'était la collègue de Candice… lâcha-t-il perplexe.
- Merde ! grimaça Marquez.
- Euh… On m'explique ? intervint la blonde complètement perdue.
- Elle bossait avec le commandant Renoir…
- Celle que je remplace ?
- En personne !
- Putain ! s'agaça Antoine en quittant rapidement son bureau.
- Tu la sens venir la merde là ? lança Nathalie en fermant les yeux.
- Hum… répondit le capitaine en acquiesçant.
- Je comprends rien… C'est quoi le problème ?
- Disons que… Candice, que tu remplaces a bossé ici pendant 10 ans… avant d'obtenir la crim' à Montpellier. Mais c'est pas que la commandante… pour Antoine…
- Hein ?
- Bah… On te fait pas un dessin…
- Ils sont ensemble ? s'étonna-t-elle.
- Oui… Enfin… En ce moment c'est un peu compliqué entre eux… Sont pas en bons termes quoi…
- Ils sont séparés ?
- Ouais... acquiesça Marquez dépité. Et ça n'annonce rien de bon... Quand ils sont comme ça... Tu passes ton temps à observer deux têtes de mules en confrontation...
- Super… maugréa-t-elle. Mais vous avez fait comment pour supporter pendant tout ce temps ?
- T'inquiète pas… On s'y habitue vite ! Parfois même, on en rigole...
- Mais attend… C'était sa femme et il connaît pas ses collègues ? s'indigna-t-elle.
- Non ! intervint Antoine qui refit son apparition dans le bureau avec un dossier. Elle me les a jamais vraiment présenté. J'ai dû la croiser 2/3 fois quand j'suis passée chercher Candice au boulot en coup de vent…
- Ok… Bon… Qu'est-ce qu'on fait du coup ?
- J'vous ai sorti le dossier d'Émilie, annonça-t-il en leur tendant. Vous me rappelez Ismaël, Val et Mehdi… On va avoir besoin d'eux. Vous me sortez tout ce que vous avez sur elle et… moi je me charge du reste… »
Ses subordonnés acquiescèrent et désertèrent le bureau dossier en main. Quel dimanche de merde… songeait-il en fixant la photo de sa fille sur le bureau. Il releva doucement la tête et posa ses yeux sur Nathalie fermement accrochée au siège devant elle. Il osa un sourire de compassion dans cette situation particulièrement complexe.
« T'as prévenu Candice ? osa-t-elle tout bas.
- Non… Vu la situation entre nous… Fin'… C'est délicat quoi…
- Ouais…
- T'as des nouvelles d'ailleurs ?
- Parce que ça t'intéresse… lança-t-elle sarcastique.
- Oui ça m'intéresse oui, répondit-il durement.
- Elle fait aller… Je l'ai vu la semaine dernière et elle tient le coup…
- Ok… acquiesça-t-il en baissant la tête.
- Qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Pour ?
- L'enquête.
- Bah... Si je la préviens elle va vouloir récupérer l'affaire… Ça va être la guerre…
- C'est légitime non ?
- Mais ils sont trop impliqués ! C'est comme si on devait enquêter sur la mort de l'un d'entre nous… Fin non… C'est déontologiquement pas possible… Faut que je prévienne Perrin…
- Perrin ? l'interrogea-t-elle perplexe.
- Son commissaire…
- Eh bah bon courage… Vu son caractère…
- Ouais… »
. . . . .
Perrin fit asseoir ses Hommes devant son bureau. Candice avait tout d'abord contesté cette convocation impromptue un dimanche après-midi. Mais ne voulant déclencher une bombe au sein de sa brigade, elle finit par faire le déplacement. Réunis dans le bureau du commissaire sans explication, tous se jetaient des regards suspicieux. Le ton solennel qu'il venait d'entreprendre n'annonçait rien de bon... La commandante s'installa sur la chaise du milieu et le scruta avec attention, attendant ses commentaires.
« J'ai pas une très bonne nouvelle à vous annoncer… lâcha-t-il sans prendre de pincettes. J'viens d'avoir la BSU de Sète au téléphone… Ils ont retrouvé Émilie… sur la plage…
- Elle est… ? tenta l'un d'entre eux.
- Oui… Et d'après les premières constats… C'est pas un accident. »
Candice encaissa la nouvelle. Elle venait de se prendre un nouveau coup et cette fois il était difficile à endurer. Mais fierté oblige, elle releva la tête et masqua sa vulnérabilité par une soudaine assurance.
« Vous avez vu avec Dumas pour récupérer le dossier d'enquête ?
- Oui. Enfin… On en a longuement discuté… Et c'est pas possible. On connaissait tous Émilie. On peut pas récupérer l'affaire. On est trop impliqués.
- Pardon ?! Mais c'est notre collègue… On va pas laisser des inconnus se charger de l'affaire quand même ?! s'indigna-t-elle en se levant de son siège.
- Justement… On en a parlé et…
- Ah non ! le coupa-t-elle férocement. Me parlez pas d'une cosaisine hein. Je mets pas les pieds là-bas moi ! cracha-t-elle.
- C'est la seule solution commandant ! C'est soit ça, soit vous les laissez faire !
- Putain… marmonna-t-elle en se retournant.
- Puis c'est vos anciens collègues… Vous savez comment ils fonctionnent… Ce sera nettement plus efficace qu'une guerre des services…
- Bah voyons… souffla-t-elle de nervosité.
- Si vous êtes d'accord, Dumas est prêt à vous accueillir. Il a prévenu son équipe et ils vous attendent.
- De toute façon si j'ai bien compris on a pas le choix ! maugréa-t-elle en tournant les talons. »
La blonde garda la face jusqu'à la sortie du bureau du commissaire Perrin. Jusqu'où diable le sort allait-il s'acharner ? Après sa rupture avec Antoine, voilà maintenant la perte de sa collègue dans des circonstances obscures. Le tout couplé à l'obligation d'enquêter avec ses anciens collègues... La situation était tendue. Alors oui, elle aimait ses anciens collègues mais… à nouveau, le personnel venait se mêler au professionnel. Et pendant dix ans, Candice en avait fait les frais. Et visiblement, dix ans n'étant pas suffisant, il fallait encore en rajouter… Elle souffla jusqu'à son bureau où elle récupéra sa veste avant de s'isoler dans la cour du commissariat. Elle s'appuya dos au mur, feignant la solidité. Pourtant, elle sentait ses larmes monter à vitesse grand V. Mais il ne fallait pas craquer ici, devant eux. Alors à nouveau elle souffla et ouvrit les yeux, tentant d'accrocher son regard sur un élément distrayant. Et la seule chose qui happa ses yeux océans fut une petite fumée qui s'évaporait de la bouche d'un brigadier. La tentation était grande… Trop grande… Alors Candice délaissa le mur et entama une marche rapide jusqu'à l'homme en question. Elle échangea quelques mots avec lui et reprit sa place initiale, joignant la cigarette à ses lèvres. Au diable les problèmes cardiaques ! songea-t-elle en humant à nouveau l'odeur de la nicotine. Le moment était exceptionnel… mais surtout agréable… enfin… jusqu'à ce que son bras droit ne débarque à ses côtés.
« Tu fumes toi maintenant ? s'étonna-t-il en souriant doucement.
Candice haussa les épaules, laissant la fumée s'évaporer de sa bouche.
- Ça me détend… expliqua-t-elle maladroitement. »
Nathan acquiesça, laissant le silence régner. Aucun mot n'était bienvenu. Les nouvelles venaient de s'enchaîner et face aux condoléances et aux faux-espoirs… il était difficile de trouver quoi dire. Le capitaine se contenta de l'observer le regard grave. Elle fixait droit devant elle, contenant son émotion. Il hocha la tête et laissa finalement sortir tout bas « Si on retrouve celui qu'a fait ça je… ». Émue, Candice écrasa sa cigarette et se tourna doucement vers lui.
« J'suis désolée Nathan. Je sais que vous étiez très proches.
- Ouais… chuchota-t-il. Avec elle c'était pas comme avec Romain ou Ludo… On se connaissait depuis 6 ans…
- Je sais… J'étais pas dans l'équipe depuis longtemps mais… assez pour savoir qu'Émilie était quelqu'un de bien.
- Pourtant…
- Je te jure qu'on va retrouver qui a fait ça… Enfin « on » … répliqua-t-elle en se corrigeant volontairement.
- C'est qu'on n'ait pas obtenu l'enquête qui t'agace ou… c'est de devoir rebosser avec eux ?
- Les deux ? proposa-t-elle en souriant. Enfin non… Je les adore et je sais de quoi ils sont capables mais… y en a certains que j'aurais préféré garder loin…
- Tu veux parler de ton commissaire ? osa-t-il.
- Ouais…
- Ça risque d'être un peu tendu mais… je serai là…
- C'est gentil… répondit-elle sincèrement.
- Enfin je connais pas toute l'histoire mais… si jamais t'as besoin d'en parler… tu sais où me trouver. Puis si ça part en cacahuète, je serai aussi là pour temporiser…
- Nan mais ça va aller… c'est juste que j'avais commencé à accepter la distance et… le retrouver comme ça… et devoir faire comme si de rien ça va être bizarre…
- Hum… et puis qui sait ? Ça va peut-être permettre de vous retrouver ?
- Pas tant que j'aurais réglé mes problèmes… conclut-elle sans s'éterniser sur l'histoire. »
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