TW : châtiment corporel, mention de suicide, auto-mutilation
(ça allait un peu trop bien depuis un moment, non ?)


Le Patronus Messager flotta un instant avant de s'évaporer.

Drago garda les yeux fixés sur l'endroit où la sphère avait disparu. Elle allait évidemment réapparaître, et Potter annoncerait à Mullan l'avoir menée en bateau. Puisqu'il était le Directeur, la Major se forcerait à rire à sa plaisanterie de mauvais goût, puis repartirait faire son travail en laissant Drago s'occuper du sien.

« Malfoy. »

Drago ne la regarda pas. Dans quelques secondes, le Patronus réapparaîtrait. Encore quelques minuscules secondes. Une dernière seconde. Maintenant.

« Malfoy… »

Drago refusa toujours de la regarder. « Je vous assure… chercha-t-il à expliquer, que je ne me souviens pas avoir entendu Monsieur Potter parler de sa chaise de bureau ou de… » Il bafouilla.

Mullan contourna le bureau et saisit Drago par le bras. Ils faisaient à peu près la même taille, mais elle était deux fois plus lourde et musclée. Drago se sentit comme une poupée de chiffon, incapable de résister. « Il plaisantait. Demandez-lui, je vous promets, il plaisantait. »

– Allonge-toi par terre, ordonna-t-elle. Ça évitera au moins de te blesser. »

Drago s'agenouilla en continuant à plaider son cas : « Il a oublié. Je suis sûr qu'il a simplement oublié de m'en parler. Je ne recommencerai jamais, je vous promets.

– La ferme, Malfoy ! A terre ! Pour la dernière fois, ne me fais pas perdre mon temps ! » Elle le lâcha et recula, en pointant sa baguette vers lui.

Le visage de Drago se tordit en un rictus lamentable pour tenter d'apitoyer la gardienne. « S'il vous plait ?

Endo

– Attendez, attendez, je vais m'allonger ! Je… ! » Mullan n'était pas connue pour sa patience. Peut-être Drago avait-il de la chance, peut-être était-il parvenu à lui faire pitié. Pas assez pour qu'elle renonce à la punition, mais suffisamment pour qu'elle lui accorde quelques secondes supplémentaires. Le temps de se rouler en boule sur le sol et de mordre dans son avant-bras pour étouffer ses cris.

« Endoloris »

Les serpents. Les viols. Le plomb en fusion. Ses yeux qu'on arrachait, ses muscles qui se déchiraient, les os à l'intérieur qui se tordaient et perçaient la peau. Potter qui riait.

On racontait que chaque sortilège Doloris était plus douloureux que le précédent. Quiconque avait déjà subi cette torture une fois refusait d'y croire. Deux fois, on y croyait. Trois fois, on pensait qu'il était impossible que ça puisse continuer. Quatre fois. Cinq fois. Six fois. On finissait invariablement fou. On souhaitait le devenir pour y échapper.

Drago se mordit au sang, s'arracha un lambeau de peau et de chair. Ses yeux se remplirent de larmes, et quand le sort s'arrêta, il voulut mourir. Il serra ses genoux contre sa poitrine et sanglota. Il entendit Mullan parler, puis sortir. Il s'en moquait. Il voulait mourir, mourir, mourir. Il voulait oublier qu'il avait existé.

C'est à cet instant que le poème lui revint.

« Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. » *

Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid. Drago ferma les yeux. Comique et laid. Infirme. Maladroit et honteux. Il se souvint du poème et comprit pourquoi son esprit dérangé avait tenu à le lui rappeler. C'était de lui dont on parlait.

Il se tourna sur le dos et observa le plafond. Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Il ricana. C'était présomptueux. Drago avait effectivement été un roi de l'azur, ou plutôt un petit prince des ténèbres, il y a bien longtemps… Mais ses ailes ne l'avaient jamais empêché d'aller nulle part. Ses ailes avaient été arrachées, tordues, écartelées. Il leva les bras et observa ses doigts crochus, déformés, répugnants.

Un poète, tu parles. Il dit à voix haute : « Le poète se fait enculer, Beaudelaire. »

Puisque jurer comme un charretier lui faisait du bien, il ajouta : « Une bite est une bite. »

Et pour finir : « Va te faire foutre, Potter. »

Le sortilège Doloris provoquait la douleur la plus intense que l'on puisse imaginer, mais celle-ci ne durait pas. Drago n'avait plus mal, à l'exception de la morsure sur son bras. Il y enfonça les doigts et tripatouilla dans la chair sanguinolente. Un ruisseau rouge s'écoula de son avant-bras, dégringola pour former un étang dans le creux du coude, puis reprendre son cours pour aller imbiber le tissu gris de la manche de sa robe.

Drago aurait dû mordre l'intérieur du bras. Peut-être aurait-il réussi alors à faire disparaître la trace délavée de sa Marque des Ténèbres. Peut-être serait-il parvenu à arracher l'artère…

Il s'en voulut aussitôt d'avoir eu cette pensée. Souhaiter la mort pendant et juste après un Doloris était normal. Mais plusieurs minutes avaient passé, et il était plus que temps de reprendre ses esprits.

Il se leva maladroitement, et se rendit à la salle de bain ou il plongea son bras dans un lavabo plein d'eau glacée. Il savait que s'il relevait la tête, il verrait son reflet dans le miroir. Cela faisait trois ans qu'il ne l'avait pas aperçu. Le bras toujours dans l'eau, il farfouilla dans les tiroirs jusqu'à trouver une petite trousse de pharmacie qu'il avait déjà remarqué. Il s'empara d'une bande de gaze et réalisa un bandage épais et serré autour de sa blessure. Il attendit quelques minutes, pour voir si le sang transperçait le bandage. Rassuré, il rinça la manche de sa robe. Il s'empara ensuite d'un torchon dans la cuisine – Mullan était repartie avec le chariot d'entretien – et partit nettoyer le sol du bureau.

Bonne nouvelle : Peu de sang, pas d'urine. Il avait juste abondamment bavé et pleuré. Il fallait se satisfaire des petites victoires.

Quand il eut fini, il récupéra les documents à recopier et reprit son travail, à quatre pattes sur le sol. Comme un chien.

Il était un peu plus de 16h – Drago avait de nouveau déplacé l'horloge du salon, cette fois vers le bureau – quand la porte des appartements s'ouvrit à nouveau.

Il se redressa et se hâta de rassembler les documents sur lesquels il avait bien avancé en trois tas parfaits qu'il déposa sur le bureau. Ce faisant, il entendait Potter l'appeler dans l'entrée :

« Putain, quelle journée ! Malfoy ! T'es là ?! Tu sais pas ce que m'a dit Runcorn ?! On commence à recevoir CV sur CV ! Demain tu vas avoir du travail à t'en… Ça va ? »

Drago tournait le dos à la porte du bureau, mais il sentait la présence de Potter derrière lui, qui l'observait. Il ne voulut pas lui montrer ce que sa petite farce lui avait coûté, et se redressa donc avec toute la morgue dont il disposait encore. Il se composa un visage hautain et assuré et tourna la tête pour le toiser.

« Veux-tu parler du travail de demain ou me laisseras-tu finir celui de ce soir, Potter ? »

Potter se permit un reniflement amusé. « Qu'est-ce qu'il y a encore, Malfoy ? »

Drago avait plus que jamais envie de l'étrangler. Il s'empara d'une feuille laissée à part qu'il tendit à Potter. « Mon contrat de travail. Je veux mon premier salaire d'avance. Maintenant. En liquide. »

Potter s'empara du papier qu'il parcourut des yeux. « Me dis pas que tu fais la gueule pour ce qu'il s'est passé avec Mullan ? »

Rectification. Maintenant, à cet instant précis, il avait plus que jamais envie de l'étrangler. Il voulait planter ses dents dans sa gorge et arracher, comme il s'était arraché un morceau de chair. Il voulait de nouveau voir le sang couler. Pour lancer un Doloris efficace, il fallait souhaiter plus que tout la douleur de l'adversaire, pouvoir se la figurer. A cet instant précis, Drago aurait été capable d'invoquer le sortilège Doloris le plus formidable qui ait jamais existé.

Potter surprit son expression et en rajouta une couche : « Ça va. T'es plus à une petite punition prés, si ? »

Drago ferma les yeux, compta trois profondes respirations. Quand il ouvrit la bouche, sa voix ne trembla pas, mais elle était aussi sèche et froide qu'un continent de glace.

« Mon argent. Maintenant. »

Potter fronça ses sourcils, se rendit derrière le bureau. « Oublie pas à qui tu parles, Malfoy. » Il récupéra un bloc de cire à cacheter, qu'il fit fondre puis couler en bas du contrat. Il y enfonça le sceau d'une bague qu'il portait à l'index, puis signa. Après quoi, il sortit une bourse de sa poche pour en extraire deux pièces d'or.

« En petite monnaie, s'il te plait, Potter.

– Tu commences tout doucement à me saouler, Malfoy », prévint Potter. Il s'exécuta pourtant et farfouilla dans un bruit de ferraille jusqu'à obtenir la somme en Mornilles et en Noises. Il tendit le tout à Drago qui s'en empara et qu'il fourra sans plus de cérémonie dans sa poche. « Je suppose que tu ne veux pas prendre une Bièraubeurre avec moi ? ironisa-t-il.

– On n'a pas élevé les cochons ensemble, je m'en passerai, cracha Drago en retour.

– J'aimerais bien que tu fermes ta putain de grande gueule le temps de te ramener à ta cellule, si c'est pas trop te demander ? »

Drago exprima tout ce qu'il pouvait de haine en un regard appuyé.

De retour dans sa cellule, Drago poursuivit l'écriture de sa lettre à son père. Il raconta être parvenu à obtenir un poste rémunéré, qui lui permettrait à l'avenir des nouvelles plus fraîches et avec d'avantage d'intérêt. Il indiqua à son père la somme qu'il comptait joindre au document, afin que tout manquement puisse être remarqué.

La missive s'étendait sur une page complète. Drago se donnait l'impression d'être une vraie pipelette. Il doutait cependant que son père appréciât de recevoir un courrier aussi bref et sec que ceux qu'il adressait à son fils.

Il effectua un pliage complexe du papier qui lui permit d'obtenir une forme d'enveloppe dans laquelle il glissa l'argent.

Il avait oublié de voler de la nourriture, ce jour-là. Le sandwich du midi avait toutefois été copieux, et Drago n'avait pas faim.

Il ôta sa robe, qu'il frotta sans conviction quelques minutes dans le lavabo, puis qu'il laissa à sécher sur le mur tiède des cuisines, pincée entre deux pierres.

Après quoi, il souleva la couette de son lit, et se coucha.


* Le poème est évidemment « L'Albatros » de Charles Baudelaire.
Grâce à l'écriture de cette fic, j'ai appris ce qu'était un brûle-gueule, et c'est hyper rassurant, en fait X,D Peut-être que mon esprit serait moins dérangé aujourd'hui si on m'avait expliqué ça plus tôt !