Petit mot de l'auteure : Ce texte répond au 59e défi de Bibliothèque de fiction : votre personnage se retrouve à un moment donné à escalader un arc-en-ciel. Vous devrez placer les mots 'hibou, chocolat, mèche'
Le ciel est violet lorsqu'il est couronné de gloire.
Les pétales parmes des fleurs embaument l'air. Leur pollen lui pique les yeux, mais Jaime n'y fait pas attention – leur désagrément n'est que secondaire et ne peut gâcher la joie et la fierté qu'il ressent. La foule l'acclame, Gerold Hightower lui place sur les épaules le manteau blanc, le roi l'accueille parmi les siens. De ce moment, Jaime n'en retient pas la blancheur lumineuse dont il est paré, ni le rouge Lannister qu'il quitte. Il ne retient que le violet floral de ces pétales qui, comme lui, quittent leur foyer de toujours pour gagner des terres inconnues.
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Mais très vite, le violet devient indigo, cette couleur indéfinie qui se fond au violet.
Peut-être est-ce pour cela que Jaime ne remarque pas que le ciel c'est assombri. Pour lui, ce dernier est toujours violet – heureux, glorieux, porteur de promesses, de joie et de reconnaissance. Ce qui est faux. Mais ce n'est que lorsque qu'Aerys, dans l'intimité de la tente royale, déclare que Jaime lui appartient désormais que le jeune garçon se rend compte que le ciel est devenu indigo.
Pas encore désastreux, mais déjà bien loin de la fraîcheur du printemps.
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Ses premiers mois à Port-Réal sont bleus.
Bleus, comme les ecchymoses qui parcourent le corps de Rhaenys. Bleus, comme les yeux qu'Arthur Dayne baisse alors qu'il lui répond qu'ils ont certes jurés de la protéger, mais pas contre le roi. Bleus, comme la viande cuite d'une manière qui ne satisfait pas le roi (ou était-ce une mousse au chocolat trop sucrée?) et qui conduit à l'exécution de l'infortuné cuisinier. Bleus, comme la peur qui règne depuis ce macabre incident dans tous le château, qui fait courber les corps et paniquer les âmes.
Tout le monde comprend que plus personne n'est en sécurité désormais...
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Jaime s'en rend vraiment compte lorsque son monde devient vert.
C'est une couleur qu'il avait toujours aimé – le vert, c'était les yeux de Cersei, les jardins du Roc, les livres de Tyrion. Mais maintenant, c'est une couleur qu'il haït – le vert est devenu cette rage qu'il déteste ressentir et pire, qu'il se déteste de camoufler. Il voudrait pouvoir la montrer au monde, dire qu'il n'est pas d'accord avec ce qu'il voit ou ce qu'il entend. Plusieurs fois, il est à deux doigts d'exploser mais à chaque fois, il contient ses sentiments et comme les yeux bleus d'Arthur auparavant, il baisse lui aussi les siens. Il baisse les yeux, et à chaque fois qu'il les lève pour se regarder dans le miroir, il en hait le vert honteux.
Mais il ne hait jamais autant que le vert que lorsqu' Aerys commence à parler de feu grégeois.
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Il pensait que les flammes vertes seraient les pires – une simple mèche allumée, et une ville entière de disparue, c'était horrible, non ?
Mais Jaime découvre rapidement qu'il se trompe : le plus traître, c'était le jaune. Il avait toujours cru que le jaune était synonyme de soleil estival et lions dorés – mais Aerys lui montre qu'encore une fois, il s'était bercé d'illusions. En réalité, le jaune est annonciateur de malheurs.
Et si le rire fou du roi ne lui avait pas encore fait comprendre, les flammes qui commencent à parcourir le corps de Brynden Stark s'en chargent.
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Comme le ciel orange du crépuscule, Jaime est à la croisée des chemins lorsqu'il avance dans les couloirs du château.
Sa vie peut prendre deux directions. La première est celle du jaune de son enfance : glorieux, doré, adulé. Pour cela, il lui suffit de protéger Aerys contre son père – il a respecté son serment royal envers et contre tout, murmurèrent alors tous avec respect. Cela serait si tentant. Mais Jaime a déjà essayée cette approche acidulée. Même ce vieil hibou de Varys l'a tenté de son côté – en vain.
Alors Jaime sait déjà qu'il se doit d'abandonner tout jaune pour ne garder de l'orange du crépuscule que le rouge.
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Aujourd'hui, son monde est devenu rouge.
Rouge, comme le sang d'Aerys. Rouge, comme ses mains salies à jamais et comme ses joues se colorant de honte à chaque fois que quelqu'un lui crache son nouveau surnom. Rouge, comme la couleur qu'il aurait aimé ne jamais connaître autrement que pour le pourpre de ses armoiries, mais qu'on lui a forcé à peindre. Peut-être était-il inévitablement destiné à le connaître – au moment même où son ciel était devenu violet, les forces s'étaient enclenchées pour que tout l'amène à escalader cet arc-en-ciel de violences et de blessures.
Mais rouge, c'est autant de cœurs qui continuent à battre grâce à lui – tout ce sang en valait-il alors peut-être la peine.
