Petit mot de l'auteure : voici un texte écrit pour le défi Saphique de Septembre sur le thème "Fête costumée". Il s'agit d'un Cersei / Lysa.

Merci à Marina et Angelica pour leurs review sur les OS précédents !


Cersei Lannister n'avait jamais prêté attention à Lysa Arryn. Il fallait dire que les deux femmes étaient bien différentes ; l'épouse de la Main du roi était bien fade aux yeux de la blonde. Ce constat n'engageait pas tant son physique que son caractère. Lysa était en effet effacée, ne parlait presque jamais, semblait en perpétuel décalage avec les autres dames de la cour. Certes, Cersei méprisait leurs commérages, mais savaient au moins y participer et s'intégrer, chose sont la châtaine semblait incapable. Comment pouvait-elle vivre à la cour sans savoir bien s'entourer ? C'était simple : elle se reposait exclusivement sur l'importance de son mari. Sans lui, Lysa ne tiendrait guère plus d'une semaine. En somme, elle était faible, et Cersei n'avait de temps à consacrer aux faibles.

Pourtant, ce soir là, Lysa Arryn attira son attention.

Étant à un bal costumé par le roi, elle n'aurait normalement pas dû savoir qu'il s'agissait d'elle. Mais Cersei la reconnu immédiatement malgré le masque qui camouflait son visage. Le riche costume qu'elle portait ne changeait en rien sa démarche hésitante et ses cheveux d'un léger roux reposaient sur une robe mauve. Au moins avait-elle quitté ses éternelles guenilles aussi grises que son humeur habituelle.

Toutefois, cette dernière semblait être aussi présente que d'ordinaire. Les épaules de la Arryn étaient en effet tendues, son pied tapait avec agacement la chaise sur laquelle elle était assise et sa mâchoire, qu'elle devinait en bas de son masque, était crispée. Cersei failli aller la voir pour la secouer – pensait-elle vraiment être la seule à passer un mauvais moment ? Ce n'était certainement pas le cas, mais voyait-on la reine se plaindre elle ? Non. Cersai souriait, répondait d'un ton affable, dansait malgré le dégoût que les mains masculines lui procuraient. En somme, elle jouait son rôle. Lysa Arryn ne pouvait-elle en faire de même ? Ou bien se pensait-elle plus haute que toutes les autres condamnées à feindre sourires et manières ?

Mais en observant d'avantage la situation, Cersei finit par remarquer un phénomène étrange : personne ne s'approchait de la lady. Malgré la richesse de sa robe, elle semblait invisible aux yeux des seigneurs qui évoluaient dans la salle de réception. Du moins, c'est ce qu'un œil non attentif aurait pu conclure ; après tout, Lysa était dans un coin, assise, et ne cherchait pas de compagnon de danse. Mais malgré cela, les regards se posaient sur elle. Parfois, quelques doigts étaient pointés en sa direction ; mais ils étaient rapidement suivis d'un petit ricanement qui ne plaisait guère à Cersei.

En somme, Lysa n'était remarquée que lorsque les autres daignaient se moquer d'elle.

Certes, Cersei était loin d'être la dernière pour penser du mal des autres, notamment de la dame des Eyriés, mais tout de même. De là à se montrer si irrespectueux en public...

Sans qu'elle se l'explique, elle jeta un nouveau regard vers la femme. Celle-ci, bien qu'ayant remarqué le petit manège humiliant, se tenait toujours le dos aussi droit. Ses bras étaient toujours croisés contre sa poitrine, dans un geste si peu noble qu'il en devenait presque beau. Il se dégageait en effet en cet instant une fierté que Cersei n'aurait jamais cru déceler un jour chez Lysa Arryn. Ce fut cette aura qui l'a conduit à s'approcher de la jeune femme.

- Voulez-vous danser ? Lui demanda-t-elle.

Deux grands yeux étonnés croisèrent alors les siens, le regard bleu se mêlant dans le vert.

- Pardon ? Demanda-t-elle, comme si elle avait été tirée d'une rêverie.

Cersei savait pourtant qu'il n'en était rien. Lysa l'avait parfaitement entendue, et son pardon n'exprimait que sa surprise de voir la reine lui adresser la parole. La blonde ne pouvait la blâmer ; elle-même n'était pas sûre de comprendre pourquoi elle avait fait cette proposition à la lady. Mais même si Cersei détestait se répéta, elle reformula sa demande.

Lorsqu'elle eut terminée, les yeux de Lysa étaient agités derrière son masque.

- C'est gentil mais... Je ne suis pas sûre que cela soit très convenable.

Effectivement, deux femmes dansant ensemble, c'était une chose que ce bal royal n'était pas censé accueillir. Mais Cersei, rejoignant Lysa dans sa gestuelle rebelle, haussa les épaules.

- Je suis la femme du roi et vous de la Main, les deux hommes les plus puissants de ce royaume. Alors si quiconque a quoi que ce soit à dire, nous pourrons leur répondre. Après, si vous voule...

- Je veux danser, la coupa Lysa. Et je préfère que cela soit aux bras d'une femme qui me ressemble plutôt que dans ceux d'un homme qui se retiendra tout du long de glousser.

Cersei n'eut pas le temps de lui rétorquer qu'elles deux n'avaient rien en commun que la lady s'était avancée vers la piste de danse. Elle avait marché droit, ses longs cheveux auburn formant un voile qui ne bougea qu'au moment de se tourner vers elle. À cette distance, Cersei ne discernait pas bien ses yeux, pourtant, elle eu l'impression que les deux billes bleues la défiait du regard.

Alors la reine s'avança jusqu'à se saisir de la main de Lysa.

Elle n'avait jamais été du genre à refuser un défi, après tout.

La musique entama un nouveau rythme et toutes deux s'élancèrent. Si Cersei avait prêté attention à ses pas, elle aurait remarqué que Lysa dansait plutôt bien pour quelqu'un qui n'était jamais invitée sur la piste. Si elle s'était souciée des autres, elle se serait rendue compte que tout autour d'elles, un espace s'était créé, remplis de murmures indignés et de quelques rires étouffés. Toutefois, personne ne vint tenter de les arrêter, tous ayant reconnu la reine comme propriétaire de l'épaisse chevelure d'or. Mais la vérité était que même si quelqu'un était venu les sortir de la pièce, Cersei n'aurait pas réagit. Tout son esprit était en effet tourné vers une seule chose, une seule phrase qui résonnait en elle.

« Je veux danser, et je préfère que cela soit aux bras d'une femme qui me ressemble »

Cersei n'avait décelé aucune malice dans ces mots. Alors pourquoi Lysa Arryn pensait-elle sincèrement lui ressembler ? Elles n'avaient rien en commun, si bien que si l'on avait demandé à quelqu'un de citer deux opposées, il aurait pu donner leurs noms en exemple. Décidément, il s'agissait là d'un mystère qu'elle ne comprenait pas.

Elle ancra donc ses yeux dans ceux de Lysa un peu plus profondément, pour essayer de trouver une once d'ironie qu'elle aurait raté à l'oral. Mais tout ce qu'elle vit fut un regard qu'elle cru être le sien. Si la couleur en différait, il était composé exactement comme le propre émeraude de ses yeux : une absence d'amour, de passion, d'espoirs.

Elle n'y rencontrait que les cendres de rêves brisés.

Était-ce cela que Lysa avait voulu dire ? Avait-elle regardé à la dérobée les émeraude de ses yeux et avait constaté qu'un démon avait pris leur précieux pour n'en laisser que deux pierres froides et meurtries ? Et plus important : s'y était-elle reconnue dedans ? Et si oui, qui était le démon qui avait emporté avec lui le saphir des yeux de Lysa ?

Jon n'était pas Robert.

Mais Jon était aussi un homme. Un époux, qui était censé veiller sur sa femme, et qui laissait pourtant la cour entière rire d'elle, car il préférait ses dossiers à sa famille. Le désintérêt de la personne censée partager votre vie était déjà une blessure en soi ; elle vous faisait sentir que vous n'étiez rien qu'un objet que l'on expose dans un coin de la pièce avant de se rappeler de son existence en cas de besoin. Et puis, même si Jon Arryn semblait être aussi innocent qu'un agneau, Cersei était bien placée pour savoir que les apparences étaient souvent trompeuses.

Alors peut-être que oui, Lysa Arryn avait raison. Peut-être se ressemblaient-elles toutes les deux.

Et lorsque Cersei vit Lysa poser un dur regard sur une personne qui riait d'elles, la blonde se dit que oui, elles étaient bien semblables. Ce qu'elle prenait pour de la faiblesse n'en était peut-être pas tant, finalement. Ses robes dépréciées, son caractère secret, son refus de se fondre dans la masse... Au fond, tous ces gestes ne faisaient que traduire sa volonté de ne pas se fondre dans le moule, de ne pas se noyer au milieu des autres lady, de garder en elle la flamme qui faisait d'elle une personne et non un énième bijou.

Elles avaient toutes deux empruntés deux voix bien différentes, mais voulaient toucher au même but : exister.

Alors Cersei raffermit sa prise sur le bras de Lysa et songea distraitement qu'elle serait prête à danser à l'éternité à ses côtés. Et si cela n'était pas possible, elle se contenterai de cette nuit.