Petit mot de l'auteure : ce texte a été écrit pour la 150e nuit du FOF sur le thème "Celui dont on ne doit pas prononcer le mot" avec la petite contrainte surgissant au bout de 15 min de ne pas utiliser de mot avec la syllabe "pro"


Dès qu'elle fut en âge de lire et écrire, Daenerys avait appris l'histoire de sa famille : la grandeur des Targaryen, la conquête de Aegon, le règne des dragons... Mais surtout, Viserys lui avait parlé du règne de leur père. Le grand Aerys, craint par tous ses sujets tant il était fort et puissant, voilà ce que son frère lui avait raconté. Ses yeux violets s'ouvraient alors avec une curiosité fascinée.

Plus tard, elle avait commencé à se poser des questions – si Père était si fort, pourquoi n'était-il pas là avec eux ? Pourquoi se retrouvaient-ils tous deux si loin de chez eux, de ce Port-Réal dont Viserys lui parlait tant mais qu'elle ne connaissait pas ?

C'est alors qu'il lui avait parlé de cet homme qui la ferait frémir toute sa vie : le Régicide.

Un chevalier qui avait juré de protéger son roi, de donner sa vie pour lui, mais qui au final la lui avait ôtée d'un coup d'épée dans le dos. Un traître qui avait précipité la chute de leur famille entière,|| conduit à la mort de leur mère et à leur exil à eux. Car Robert Baratheon avait beau avoir mené sa révolution, jamais il n'aurait pu destituer leur si puissant père... Seule la ruse et la félonie avait pu y arriver.

Daenerys se rappelait avoir éprouvé devant ce discours une peur intense alors qu'une image floue de ce traître naissait dans son esprit. Il avait alors l'apparence d'un monstre, des griffes à la place des mains, un rire cruel accompagnant ses pas.

- Comment s'appelle ce traître ? Avait-elle murmuré.

- Il n'a pas de nom, avait répondu Viserys. Il a perdu toute humanité en tuant Père.

De ce fait, l'homme était resté bien longtemps celui dont elle n'avait pas à dire le nom ; il n'était rien d'autre que « le Régicide ». Après tout, comme son frère lui avait dit, il n'était plus humain.

Il ne méritait plus d'avoir un nom.

Son amitié avec Tyrion avait été bouleversante.

Au fil du temps, Daenerys s'était certes rendue compte que les récits d'enfance de son frère ne recelaient pas toute la vérité. Barristan lui avait expliqué pourquoi son père méritait l'appellation de roi fou, avait avoué à demi-mot le contexte de sa conception et celle de Viserys. Parfois, elle se laissait à penser que le Régicide avait peut-être fait ce qui devait être fait. Néanmoins, elle repoussait rapidement cette idée ; son père était peut-être fou, mais il demeurait le Roi. Et ce tristement fameux Jaime Lannister lui demeurait un traître qui avait causé sa ruine.

Toutefois, avec l'arrivée de Tyrion, elle se rendait bien compte que Jaime Lannister ne pouvait être résumé à la simple appellation Régicide. Comme cette fois où ils s'étaient retrouvés sous les étoiles et où il lui avait donné tous les noms des constellations : Tyrion n'avait pu s'empêcher de laisser échapper quelque information à son sujet.

« C'est Jaime qui me les avait apprises » avait-il dit mélancoliquement.

Puis il s'était figé, voyant le trouble de Daenerys à la mention de l'homme honni. Après cela, ils avaient passé un accord tacite : éviter d'aborder le nom de cet homme qu'ils avaient paradoxalement en commun. Par respect pour elle, Tyrion ne voulait pas humaniser l'homme qui avait tué son père ; tout comme elle ne voulait détruire l'image du frère qui avait tant aimé son ami.

Se taire était donc plus simple.

Elle n'avait pas pu se taire indéfiniment.

Le Régicide s'était en effet retrouvé face à elle, seul, sans défense, démuni, pour lui annoncer piteusement que Cersei avait mentit et qu'ils allaient devoir se débrouiller sans elle. En cet instant, une flamme vengeresse avait brûlé dans les yeux de Daenerys : elle tenait sa revanche. Elle n'avait rien attenté contre lui à Port-Réal pour des raisons diplomatiques évidentes. Mais maintenant que les Lannister les avaient officiellement trahis... Elle pouvait laisser libre court à ses représailles. À ses côtés, Sansa Stark semblait penser pareil. C'était en ce sens qu'elle s'était exprimée, mais Brienne s'était interposée, défendant l'homme, gagnant la louve à sa cause.

Daenerys avait alors avalé sa frustration, sa colère.

Mais quand elle avait croisé par hasard l'homme, elle n'avait pu se contenir.

Comment avait-il osé ? Pourquoi revenait-il la tourmenter ? N'avait-il pas honte ? De décence ? Il avait tué son père, essayé de la tuer elle, et maintenant, il la poursuivait ?

Il s'était laissé hurler dessus sans rien dire, lui laissant un regard infiniment triste, qui l'avait tant chamboulé qu'elle n'en avait su que répondre.

« Je suis désolé » avait-il dit.

Ça lui faisait une belle jambe.

À cet instant, elle avait eu envie de l'enfoncer d'avantage, mais se retint. Après tout, ils avaient une guerre à gagner. Et avec un peu de chance, l'autre mourrait durant celle-ci.

Aucun des vœux de Daenerys ne s'étaient jamais réalisés.

Ainsi, comme une fatalité dont elle aurait dû se douter, le Régicide avait survécu. Ce qui posait maintenant une énigme de taille : que faire de lui ? Une partie d'elle voulait toujours le tuer, le faire payer pour ses actes passés mais... pouvait-elle vraiment ordonner la mort d'un homme qui c'était battu de leur côté ? Quel genre de message enverrait-elle à ses possibles alliés ? Elle ne voulait pas alimenter l'image d'une souveraine folle que certains lui avaient déjà donné.

Elle convoqua alors le traître dans ses appartements. Mouvement risqué, mais nécessaire si elle voulait entendre ce qu'il avait à dire sur cette sinistre journée qui avait scellé la mort d'Aerys.

Lorsqu'il eut terminé son récit, elle ne sut quoi dire pendant un long moment.

Son père avait voulu réduire en cendres une ville entière. Tuer des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants. Dans ce contexte, que faire d'autre que le tuer ? L'arrêter n'aurait pas suffit ; il aurait fini par s'échapper, corrompre un garde pour faire sa sale besogne...

En tuant Aerys, des milliers de vies avaient été sauvées.

En sachant cela, Daenerys songeait qu'elle ne pouvait décemment pas continuer d'appeler l'autre Régicide.

Toutefois, elle ne pouvait pas encore l'appeler par son nom ; des années de haines ne pouvaient disparaître comme par enchantement.

Finalement, la question de sa désignation fut résolue en même temps qu'elle sut quoi faire de lui.

- Merci pour votre récit, Lord Commandant.