Novembre 2000
Hermione avait pris cette décision deux semaines plus tôt. Elle avait tourné et retourné son plan dans son esprit des dizaines de fois. C'était clair, net et précis. Elle n'aurait pas le droit à l'erreur.
Au moindre faux pas, elle perdrait tout son avancement. L'échec la ramènerait au plus bas, elle en était consciente. Ce serait tout, ou rien.
Elle décida d'agir étape par étape :
Ouvrir la porte d'entrée, sortir, puis refermer derrière elle.
Vérifier que chacune des entrées était verrouillée. Magiquement et manuellement.
Vérifier chaque fenêtre.
Vérifier que le dôme de protection était toujours en place.
Une fois cela fait, elle se permit de respirer un grand coup. Elle s'assit sur le rebord du mur de pierres entourant le domaine et se passa une main sur le visage. Elle avait déjà bien avancé.
Quitter sa routine quotidienne se révélait être bien plus difficile que ce qu'elle avait imaginé. Elle sortait tous les jours pour travailler, suivait le chemin jusqu'au village, ouvrait sa boutique et y passait la journée.
Mais d'une certaine façon, les choses étaient différentes maintenant qu'elle était consciente de ne pas exécuter sa routine habituelle. Elle savait qu'elle ne se rendait pas à la librairie et cela la paniquait.
Tout le travail qu'elle avait fait pour se rendre sereinement au travail chaque jour se montrait inutile. C'était totalement différent, mais à la fois très similaire. Elle sortait de chez elle, voilà tout.
Un coup de vent vint agiter les mèches emmêlées de ses cheveux, la sortant de ses pensées. Elle allait être en retard. Elle avait pris trop de temps à se remettre de ses émotions.
Décidant de ne pas se laisser submerger par sa panique, elle prit une longue inspiration et se leva. Elle jeta un dernier coup d'œil au portail de sa maison et se mit en chemin.
Elle avait très exactement dix-huit minutes de marche. Dix-huit minutes durant lesquelles elle devrait lutter pour ne pas faire demi-tour.
Elle se força à réciter la liste de sa prochaine commande de livres sur le chemin. C'était un bon moyen de rester concentrée. Des clients lui avaient demandé des ouvrages qu'elle n'avait pas en stock mais qu'elle recevrait bientôt.
Des clients fidèles à n'en pas douter.
C'était l'emploi parfait, elle se le répétait souvent. Peu de clients, donc peu d'intéractions sociales. Elle pouvait passer ses journées à lire dans la boutique, à conseiller les quelques personnes qui venaient acheter quelque chose, puis reprendre sa lecture jusqu'à l'heure de fermeture.
C'était simple. Elle n'avait jamais de problème.
Les gens étaient bienveillants, même lorsqu'elle faisait des fautes de français, et les habitants du village la connaissaient bien. Certains lui offraient même parfois des paniers de leurs récoltes, étant pour la plupart des agriculteurs de la région. Elle se sentait chanceuse.
De quoi occuper ses journées et oublier sa détresse.
Elle commençait à apercevoir la maison de sa voisine au loin. Une petite bâtisse qui ne payait pas de mine, entourée d'un jardin fleuri et bien entretenu. Elle se trouvait à environ deux kilomètres de la ferme d'Hermione et à cinq kilomètres du village le plus proche. Complètement coupée du monde, en somme.
Mais Hermione aimait ça. Elle y était tranquille, seule.
Seule.
La campagne était calme, les villageois aimables et les journées tranquilles. Elle aurait difficilement pu rêver mieux.
Pourtant, ses angoisses venaient entacher tout ça.
Chaque nuit, elles ressurgissaient et la menaient plus bas que terre. Mais elle apprenait à les faire taire.
Alors qu'elle apercevait le toit de Madame Laroche, elle sentit son estomac se tordre. Un poids s'abattit sur ses épaules lorsqu'elle atteignit le portillon de la petite maison.
Et si quelque chose se passait mal ? Et si Madame Laroche changeait d'avis ?
Elle dut se tenir au portillon pour ne pas chanceler. Sa respiration s'accélérait à nouveau.
Soudainement, la porte d'entrée de la maison s'ouvrit et Madame Laroche fit son apparition.
Hermione n'avait plus le temps de paniquer.
– Mademoiselle Granger ! Vous êtes en avance ! sourit la vieille femme.
Elle portait un grand châle mauve par-dessus une robe grise qu'Hermione qualifierait d'affreuse, malgré ses moindres talents de mode. Comme chaque fois qu'elle la croisait au village, le matin sur le chemin, ou bien à sa librairie, Madame Laroche était accompagnée de sa vieille patou, Neige, qui semblait toujours plus épuisée que la veille.
Cette chienne avait eu le don de réconforter plusieurs fois Hermione, lorsqu'elle avait pu la croiser. Madame Laroche l'avait bien entendu remarqué, prenant particulièrement soin de sa jeune voisine, petite-fille de ses anciens voisins, les Granger-Landy.
C'est alors qu'elle avait suggéré à Hermione d'adopter le fils de Neige, encore tout jeune. La chienne avait eu sa dernière portée, deux ans plus tôt, et si le reste des chiots avaient été vendus, il en restait un qui n'avait été choisi par personne.
Madame Laroche lui avait expliqué que, depuis le décès de son mari, elle n'avait plus l'énergie de s'occuper d'un chien de plus et avait donc proposé à Hermione d'accueillir le petit dernier de la portée.
Hermione avait longuement hésité, se sentant incapable de s'occuper d'un être vivant alors qu'elle ne parvenait pas à s'entretenir elle-même. Elle avait fait une liste de pour et de contre. Quatre fois.
Elle avait fait des tas de recherches sur les patous. Elle avait même cherché des noms de chiens, puisque Madame Laroche ne l'avait jamais vraiment fait. Elle en avait trouvé dix-neuf avant de faire un choix.
Elle avait fait des crises de panique en s'imaginant que le chien puisse se blesser. Cinq fois.
Elle avait loupé le travail une fois, trop anxieuse pour s'y rendre, et avait passé la journée à réfléchir à la proposition de Madame Laroche.
Finalement, elle avait accepté. Et la voilà quatre jours plus tard, agenouillée face à Neige, caressant son poil blanc et doux.
– J'étais impatiente, mentit-elle en souriant timidement.
Elle avait surtout programmé son départ en avance pour éviter d'être en retard à cause d'une potentielle crise de panique.
– J'espère que je ne vous dérange pas, Madame Laroche, ajouta-t-elle en se redressant.
– Pas du tout, ma chérie ! Pas du tout ! Et je t'en prie, appelle-moi Marie, sourit-elle.
Hermione hocha la tête avec un rictus gêné. Sa voisine lui répétait de l'appeler par son prénom depuis des semaines, mais elle n'avait jamais pu s'y résoudre.
– Suis-moi, il est encore endormi dans son panier, fit Marie en entrant à nouveau chez elle.
Hermione la suivit sans un mot de plus, tirant sur ses manches anxieusement. Neige escortait sa maîtresse de près, jetant parfois des coups d'œil derrière elle, comme pour vérifier qu'Hermione les suivait. C'était une chienne intelligente, la jeune femme l'avait remarqué dès leur première rencontre.
À seulement un an, le chiot de Neige mesurait déjà une cinquantaine de centimètres et Hermione – s'étant particulièrement renseignée – savait qu'il ne tarderait pas à atteindre sa taille adulte.
Il dut les avoir entendu, puisqu'il releva la tête de son panier et Hermione croisa son regard. Elle n'avait plus aucun doute. Albert, car c'est ainsi qu'il s'appellerait, serait le parfait compagnon.
oOo
Janvier 2001
La France. Harry aurait adoré y vivre.
Il aimait s'y rendre, plusieurs fois par an, découvrant chaque fois des paysages somptueux.
Les montagnes, les campagnes, les lacs et les rivières, la mer et l'océan… C'était bien plus vaste que la Grande-Bretagne, où il avait vécu toute sa vie.
Il optait toujours pour le train moldu lorsqu'il s'y rendait. Le voyage était plus long et il traversait des tas de paysages. Il avait l'impression d'enfin respirer là-bas. Les gens ne le calculaient pas, ne lui parlaient pas et ne lui cherchaient pas des ennuis.
Il n'était personne lorsqu'il y allait. Personne.
Une fois qu'il descendait de son premier train, celui venant tout droit de Londres, il continuait son voyage jusqu'à Pau. De là, il montait dans un bus qui l'emmenait le plus près possible de la ferme de sa meilleure amie. Ne lui restant qu'une heure de marche, il profitait de la beauté des paysages pyrénéens sur les petites routes de montagne.
Et pour la première fois de l'année 2001, Harry se rendait chez Hermione.
Il lui avait envoyé un hibou deux semaines plus tôt et elle lui avait répondu seulement la veille. Il était parti le soir-même. Elle mettait toujours un temps fou à lui écrire en retour, ce qu'Harry comprenait plus que quiconque. S'il avait pu laisser les tas de courriers qu'il recevait chaque jour au fond d'un tiroir sans y toucher, il l'aurait fait sans aucun doute.
La nuit était tombée lorsqu'il aperçut enfin la ferme d'Hermione au bout du chemin. Il avait fini par la connaître par cœur. Des petites lanternes illuminaient les murs extérieurs.
Elle avait fait de nouvelles rénovations depuis la dernière fois. Il se rappelait encore de l'état de la ferme lorsqu'elle l'avait récupérée. Il était allé la rejoindre une semaine plus tard pour l'aider à la remettre en ordre. Il n'avait pas accepté son premier refus, lui répétant que le travail à faire était colossal et qu'il ne voulait pas qu'elle vive dans un tel débarras pendant des mois. Elle avait fini par accepter.
La ferme était constituée de trois bâtiments.
Le premier était la maison principale, particulièrement grande et spacieuse. Il y avait deux étages, ainsi qu'une cave. Quatre chambres, trois salles de bains – dont seulement deux utilisables – une buanderie, une grande bibliothèque, deux cheminées, un garde-manger et même un garage. Elle n'en utilisait pas la moitié, vivant recluse dans son jardin, dans le séjour ou dans sa chambre.
Le deuxième bâtiment était une grande étable, séparée en deux parties. La première était une petite écurie, ayant la place d'accueillir deux chevaux. La seconde pouvait contenir un troupeau de moutons, voire peut-être de vaches. Hermione ne s'y rendait jamais. Elle l'avait à peine remise en état.
Enfin, le dernier bâtiment était une serre, à côté de laquelle un poulailler donnant sur l'extérieur, ainsi qu'une pièce de rangement d'outils en tous genres, avaient été construits. Rien n'avait été retiré. Tous les objets ayant appartenu à ses grands-parents s'y trouvaient encore. Elle n'avait rien voulu bouger, malgré les encouragements de Harry qui jugeait certains outils particulièrement dangereux.
Quant à l'extérieur, la jeune femme était servie. Elle avait plusieurs hectares à sa disposition, de quoi faire ses propres plantations, creuser une piscine, voire même construire un terrain de golf. Mais Hermione ne voulait rien de tout cela.
Elle s'était installée une chaise longue dans un coin du jardin, sous les arbres, et passait son temps à lire. Elle n'avait jamais taillé leurs branches, ni la pelouse, pas plus qu'elle n'avait entretenu les plantes, seulement le potager extérieur. Elle considérait ne pas être en capacité de s'y mettre. Peut-être un jour, répétait-elle à Harry.
Depuis sa dernière visite, Hermione avait repeint l'entièreté de la façade de sa maison. Les pierres apparentes avaient été nettoyées, le toit rénové et une partie de la verdure entourant la résidence avait été taillée pour créer un chemin rejoignant la route de campagne.
Il était pourtant venu quatre mois plus tôt, ce qui prouvait que son amie n'avait pas chômé.
Elle avait même réparé le petit portillon qui joignait les murs de pierres entourant son domaine.
Au moment même où il l'ouvrit, des aboiements se firent entendre à seulement quelques mètres de lui. Il sursauta vivement et lâcha le portail en reculant. Avec l'obscurité de la nuit, il n'arrivait pas à voir d'où provenait ce bruit soudain.
– Albert, reviens ici ! s'exclama Hermione au loin.
Il leva les yeux vers la maison et l'aperçut dans l'entrebâillement de la porte, vêtue – de ce qu'il pouvait voir – d'un simple peignoir.
Il n'eut qu'à attendre quelques secondes pour voir apparaître un grand chien blanc dans la lumière de la maison. Il se frotta aux jambes d'Hermione. Harry fronça les sourcils.
Alors comme ça, elle avait pris un chien ?
Il ouvrit le portillon sans les quitter des yeux et entra, sur ses gardes. Il n'avait pas envie que le chien lui saute dessus.
– Un chien ? Je n'étais pas au courant, sourit-il doucement en arrivant près d'elle.
Hermione releva la tête vers lui et un léger sourire se dessina sur ses lèvres.
– Ma voisine cherchait à le donner et me l'a proposé. Je n'ai pas résisté, avoua-t-elle en se mordillant la lèvre.
– Il est magnifique, dit-il en posant un genou à terre et en tendant la main vers Albert.
Celui-ci était encore collé aux jambes de sa maîtresse et regarda sa main comme s'il s'agissait d'une proie.
– Je crois qu'il va lui falloir plus de temps pour t'accepter, expliqua-t-elle en se baissant pour le caresser. Il est du genre… hostile envers les inconnus.
– Vous vous êtes bien trouvés alors, plaisanta-t-il en se redressant, le regard rieur.
Elle lui tira puérilement la langue et se leva à son tour, lui faisant signe d'entrer.
Étrangement, Harry sentit un poids se retirer de ses épaules. Hermione semblait plus détendue, plus en paix, comparé à leur dernière rencontre. Peut-être était-ce l'effet de leurs retrouvailles, mais cela lui donna de l'espoir. Elle commençait à s'en sortir. Du moins, il l'espérait.
oOo
Octobre 2001
Harry frappa quelques coups à la porte d'entrée de l'appartement de son meilleur ami. Il ne reçut aucune réponse. Il soupira. Il en avait l'habitude.
Il toqua à nouveau pour la forme, mais savait parfaitement comment les choses se dérouleraient.
N'obtenant toujours pas de réponse, il sortit sa baguette et déverrouilla lui-même la porte. Aussitôt, une odeur capiteuse d'alcool le prit au nez et il déglutit. Il allait encore passer une bonne heure à s'en occuper, il le sentait.
Il referma la porte derrière lui et alluma le bout de sa baguette. L'appartement était plongé dans le noir. Il s'avança du mieux qu'il le put à travers le petit salon, prenant garde à ne faire tomber aucune bouteille de whisky, ni marcher sur une pizza à moitié mangée.
D'un coup de baguette, il ouvrit les fenêtres et les volets et l'air frais d'octobre s'immisça dans la pièce. Comme il avait pu le voir malgré la faible luminosité, l'appartement était sens dessus dessous.
C'était la même chose chaque fois qu'il passait trop de temps sans aller voir Ron. Il avait alors l'impression de revenir en arrière et de perdre tous les progrès qu'il pensait avoir fait. Mais en avaient-ils vraiment fait ?
Avec le mois qu'il venait de passer, Harry n'avait pas eu une seule journée de libre pour aller voir son meilleur ami. De plus, le rouquin faisait toujours son possible pour apparaître présentable aux réunions de famille et n'invitait personne chez lui. Il avait trop honte. Harry n'avait donc pas pu missionner l'un des frères Weasley ou même Ginny, sachant que Ron faisait tout pour leur cacher son état. Il était le seul dans la confidence.
D'un large mouvement de baguette, il commença à ranger les déchets qui traînaient sur le sol, alors que l'air de la pièce continuait de se renouveler.
Décidant de partir à la recherche de son ami, il se dirigea vers les toilettes, tandis que la pièce continuait de se remettre magiquement en ordre. Vides. La salle de bain l'était elle aussi.
Ron aurait-il enfin décidé de dormir dans son lit ? C'était inhabituel.
Ce ne fut cependant pas ce qui le surprit le plus. En effet, en ouvrant la porte de la chambre, Harry découvrit que, non seulement, Ron était blottit dans son lit, mais aussi, et surtout, qu'il n'était pas seul.
Une masse de cheveux blonds et bouclés recouvrait la moitié des oreillers et était serrée en cuillère contre Ron. Harry ne pouvait pas voir son visage.
La chambre n'était pas dans un meilleur état que le séjour. Elle était infestée d'une odeur mélangeant cannabis et alcool, des vêtements étaient entassés dans un coin, des restes de nourriture étaient accumulés au bord du lit, la table de nuit était pleine de cendriers remplis de mégots, une pile de journaux – principalement la Gazette du Sorcier et diverses revues de Quidditch – était renversée près de la fenêtre, il y avait des cendres sur le sol, ou encore des traces de bottes pleines de terre…
La pièce était un bordel sans nom. Pire que le reste de l'appartement, Harry n'en avait aucun doute.
Il se tint immobile dans l'entrebâillement de la porte, ne sachant que faire. Devait-il les réveiller ? La fille avec qui il était était-elle une sorcière ? Était-elle de passage ? Il était perdu.
Finalement, il se passa une main sur le visage et décida d'aller attendre que son ami se réveille dans le séjour. Il en profiterait pour tout ranger.
Il ne voulait pas risquer de les embêter d'une quelconque façon. Si Ron était accompagné, peu importe qui était celle qui était dans son lit, il n'avait pas à intervenir.
Le salon était déjà dans un bien meilleur état lorsqu'il y retourna. La pièce était aérée et la plupart des déchets s'étaient magiquement envolés. Il se chargea donc de débarrasser le reste petit à petit, puis de nettoyer le sol, les vitres et le plan de travail de la petite cuisine, de vider le réfrigérateur et les placards de tous les aliments périmés, de faire la vaisselle, de nettoyer la cheminée, ainsi que de désinfecter les différents fauteuils.
Il put s'installer dans l'un d'eux après plus d'une heure et demi de rangement. L'appartement était méconnaissable. Contrairement à ce que n'importe qui aurait pu croire en y entrant avant qu'il soit remis en ordre, Ron vivait dans un quartier bien fréquenté, l'endroit était joli et la décoration de l'appartement était tout à fait charmante. Méconnaissable.
Harry venait à peine de s'asseoir lorsqu'il entendit la porte de la chambre s'ouvrir. Il sursauta et se tourna vivement vers l'origine du bruit. Juste à temps pour voir Ron en sortir, vêtu d'un simple caleçon et l'air plus groggy que jamais.
Il était particulièrement pâle et ses cheveux roux flamboyants étaient en bataille. Harry n'eut pas besoin de jeter un coup d'œil à son torse pour savoir qu'il était toujours marqué par les traces laissées par les cerveaux au Département des Mystères. Les seules cicatrices que son meilleur ami n'avait jamais réussi à faire disparaître. Celles qui – Harry les savait parfaitement – le hantaient chaque jour.
Ron sembla surpris de voir le séjour rangé et écarquilla les yeux en remarquant Harry. Il se figea.
– Harry ?
– Je suis désolé de ne pas être venu plus tôt. J'ai été pris par le travail.
Harry s'en voulait réellement. Il se savait être le seul soutien qu'avait Ron et aurait voulu être bien plus présent pour lui. Malheureusement, il était dans une situation compliquée. Que devait-il choisir ? Soutenir Ron coûte que coûte ? Ou donner son maximum pour que l'homme qu'il aimait puisse sortir de prison ?
Ron fronça les sourcils en scrutant la pièce.
– Je ne voulais pas vous déranger toi et…?
– Lavande, répondit Ron d'un ton rauque.
Il détourna les yeux lorsque Harry ouvrit grand les siens. Il ne s'était pas attendu à ça.
Alors comme ça, Ron fricotait avec son ex-petite amie ?
– Je ne savais pas que tu la voyais, dit-il simplement, alors que le rouquin se dirigeait vers la machine à café moldue que Hermione lui avait offerte avant qu'elle ne s'en aille.
– Qu'est-ce que tu fais là, Harry ? demanda brusquement Ron.
Le brun fronça les sourcils. Il venait souvent le voir – enfin, avant qu'il ne soit submergé par le travail – ce n'était pas nouveau. Il était son ami. Cette question n'avait aucun sens.
– Je suis venu te rendre visite, répondit-il donc comme si c'était une évidence.
– Oh, tu veux dire que tu t'es rappelé de mon existence ?
– Ron, qu'est-ce que…
– Laisse tomber. Tu sais quoi, Harry ? Je pense que tu peux te barrer. Ta pitié, j'en ai plus qu'assez. Tu ne viens même plus pour me voir moi, mais pour essayer de me sauver, histoire d'avoir bonne conscience, l'accusa Ron en le pointant du doigt, les oreilles déjà rouges de colère. Pourquoi es-tu là ? Hein ? Pour venir constater les dégâts ? Pour ranger mon appart', vérifier que je prends mes médocs, puis te barrer et recommencer dans un mois ? C'est ce que tu appelles être un ami ?
– Ron, je…
– Non, Harry. C'est trop tard. Tu ne peux rien pour moi et tu le sais, dit-il avec un rire faux, presque triste. J'ai Lavande maintenant. Elle, elle sait comment me soutenir. Elle ne vient pas juste quand elle a du temps.
– Alors c'est sérieux entre elle et toi ? demanda Harry en se levant, les larmes aux yeux.
– Tu demandes ça pour aller le répéter à ma mère, ou parce que ça t'intéresse vraiment ? Parce qu'autant te le dire tout de suite, je ne suis pas allé voir mes parents depuis presque trois semaines. Tu étais venu pour ça aussi, n'est-ce pas ? Pour me faire la morale et me parler de mes pauvres parents, qui se noient dans leur deuil et pleurent tous les soirs devant la tombe de Fred ? Tu crois que je ne le sais pas ? Hein ?
– Ron, calme-toi, s'il te…
Mais le rouquin ne le laissa pas finir et lâcha sa tasse de café sur le sol, la laissant s'éclater en mille morceaux.
– Harry Potter, le Sauveur des âmes déchues ! Mais regarde-toi, mon pauvre ! Tu n'es pas mieux. Tu ne vis pas, tu survis ! Tu attends juste que ton idiot de copain soit enfin libéré d'Azkaban. Tout ça pour quoi ? Pour qu'il ne soit, au final, plus que l'ombre de lui-même ! Tu ferais mieux de te trouver un autre corps à baiser plutôt que…
– Comment oses-tu ? explosa Harry, des larmes dévalant désormais librement ses joues. Comment oses-tu parler de lui ainsi ? Tu ne sais pas ce que c'est !
– Je ne sais pas ce que c'est ? Répète un peu ça pour voir ! s'emporta Ron en fonçant vers lui, les poings serrés.
Harry constata alors qu'il n'était pas dans son état normal. Ses pupilles étaient entièrement dilatées. Le blanc de ses yeux était passé au rouge. Il avait pris quelque chose. Quelque chose de fort.
Il recula de plusieurs pas et secoua la tête, peinant à croire ce qu'il se passait.
– Je suis désolé, chuchota-t-il avant de transplaner, les yeux gorgés de larmes.
oOo
Février 2002
L'Angleterre subissait une tempête de neige particulièrement violente et inédite depuis deux jours déjà. Le vent frappait contre les murs du manoir, secouant les volets, la vaisselle et faisant même chuter quelques tableaux accrochés au mur. C'était effrayant.
Blaise se tenait au centre de la salle à manger, les mains dans les poches, jaugeant du regard les meubles encore en état. Des pas se firent alors entendre derrière lui. Il ne se retourna pas pour autant; il avait reconnu le claquement des talons de sa femme.
Il commençait à avoir froid. C'était comme si le manoir n'avait pas été habité depuis des années. Pourtant il l'avait été, mais il doutait qu'il ait été vivant. Il soupira.
Il était perdu, il ne savait plus quoi faire.
– La cérémonie va commencer, chuchota Pansy en s'approchant de lui jusqu'à poser une main sur son bras.
Il pouvait entendre son inquiétude au simple ton de sa voix. Elle avait de quoi l'être.
– Je te rejoins, répondit-il gravement.
Il n'avait aucune envie de s'y rendre.
Il la vit hocher la tête du coin de l'œil, avant qu'elle ne se mette sur la pointe des pieds pour l'embrasser du bout des lèvres. Les talons s'éloignèrent à nouveau. Et il se retrouva seul.
Il ne savait même pas comment se sentir. En colère ? Triste ? Indifférent ? Las ?
Il était perdu, épuisé. Des années qu'il luttait, sans résultat. Il commençait à se demander si tout son travail avait un jour été nécessaire. Sa conscience lui chuchotait alors qu'il y avait eu quelques accomplissements, mais ce n'était jamais suffisant à ses yeux. Il aurait voulu combattre toutes les injustices.
Un rêve d'enfant trop optimiste, pensait-il sarcastiquement.
Il réajusta sa cravate, lissa les plis inexistants de sa veste de costume et jeta un dernier coup d'œil à la pièce abandonnée dans laquelle il se tenait depuis une heure déjà.
Il n'y avait pas foule, ce fut son premier constat. Une petite dizaine de personnes se tenait à l'extérieur, protégée par de grands parapluies noirs, recouverts de neige blanche. Le domaine était tout aussi blanc. Un beau contraste, quand on prenait le temps de l'admirer.
Ils n'attendaient plus que lui, bien que Blaise soupçonnait être le seul à vraiment se préoccuper de cette cérémonie. Les autres étaient là par principe, pour leur image, et rien n'aurait pu davantage dégouter le jeune homme de la société dans laquelle il vivait.
Il avança sous la neige, sans faire l'effort de s'en protéger, et rejoignit sa femme sous son parapluie. Elle attrapa sa main et posa sa tête sur son épaule.
Peut-être était-elle la seule autre personne à s'en soucier après tout.
– Nous sommes réunis ici pour dire adieu à Mrs. Narcissa Esther Malefoy, qui nous a quittés il y a quelques jours.
Retrouvée pendue au centre de son salon, pensa Blaise avec amertume.
– Accompagnez mes paroles de vos prières et de vos…
Blaise cessa d'écouter et ferma fortement les yeux. Et dire que son meilleur ami n'apprendrait le décès de sa mère qu'à sa sortie de prison. Il avait du mal à contenir sa colère. Il aurait voulu tous les envoyer se faire foutre. Il aurait voulu crier au maître de cérémonie que Narcissa Malefoy méritait bien mieux qu'une pauvre réunion de dix personnes le jour de ses obsèques.
Mais il ne dit rien. Il se tut et laissa ses larmes s'écouler sous ses paupières fermées.
Merci à Kat, Genny, Lyra, Damelith et BBTea pour leur soutien sur cette fic !
A dimanche prochain ;)
