Marcel était un homme d'une soixantaine d'années. Il était passionné par sa profession et d'une gentillesse incomparable, si bien que même les habitants des villages voisins en parlaient.

Marcel tenait une boucherie depuis plus de trente ans. Enfin, il avait récupéré celle de son père et avait commencé à y travailler dès sa sortie d'études. Il achetait sa viande chez les producteurs du coin, parmi les différents hameaux alentour. Il était amoureux de son métier, qu'il jugeait indispensable au bon fonctionnement de son village natal. Il était le parfait commerçant, il connaissait tous ses clients et était prêt à faire des offres lorsqu'il le fallait.

Il embauchait parfois des jeunes du bourg pour faire des livraisons à domicile, ce qui leur permettait ainsi de recevoir un petit salaire durant l'été. Yvonne, son épouse, s'occupait de la caisse et de la partie purement marchande de la boutique. Elle réalisait la comptabilité et gérait les commandes par téléphone.

À deux, ils formaient une fine équipe, ils dynamisaient le village et donnaient le sourire à leurs clients, dont ils étaient tous proches.

Ce lundi matin, Yvonne s'était retrouvée clouée au lit à cause d'une grippe. Marcel se retrouvait donc seul dans son commerce à voyager entre sa chambre froide et sa caisse. Il n'avait pas eu beaucoup de clients ce jour-là. En effet, en période de semaine, la plupart des habitants travaillaient en ville ou dans leurs fermes. Le marché avait lieu le mardi et il s'agissait de sa journée la plus fatigante.

Lorsque midi sonna, Marcel s'essuya les mains sur son tablier, le retira, puis se dirigea vers la porte d'entrée pour tourner le panneau du côté « fermé ». Cependant, à l'instant où il s'apprêtait à le faire, une jeune femme qu'il connaissait bien se précipita sur la poignée, l'air essoufflé et en détresse.

– Hermione ? s'inquiéta-t-il en reculant pour la laisser passer. Est-ce que tout va bien ?

Cette petite n'habitait pas dans le coin depuis longtemps, mais Marcel s'était rapidement attaché à elle. Après le décès de l'une de ses proches amies, Marie Laroche, il avait pris sous son aile la petite fille des Granger-Landry, qu'il avait connue dans sa jeunesse. Du moins, c'était ainsi qu'il aimait se l'imaginer.

C'était Henri Laroche qui l'avait prévenu qu'Hermione avait été proche de Marie. Marcel s'était alors promis de garder un œil sur elle. La gamine n'était pas vraiment bavarde, elle ne passait pas souvent le voir et il n'avait jamais mis les pieds chez elle, mais cela ne l'empêchait pas de veiller sur elle de loin.

Il s'assurait toujours de lui acheter quelques bouquins, même s'il était certain qu'il ne les lirait jamais. Il lui vendait systématiquement ses meilleurs morceaux de viande et lui faisait des prix plus bas – sans la mettre au courant, sachant qu'elle refuserait – pour qu'elle puisse se nourrir correctement. Il lui prêtait sa voiture lorsqu'elle avait besoin de se rendre chez le vétérinaire qui, bien que situé dans le coin, n'était pas très accessible à pied ou en transports en commun. Il lui avait même un jour recommandé un plombier qu'il connaissait, lorsque le robinet de sa cuisine avait cessé de fonctionner.

Il se portait en quelque sorte garant des petites choses de son quotidien, sans pour autant s'y imposer. Il avait vite compris qu'elle ne le laisserait pas faire et cela lui suffisait. Il avait tout de même l'impression de l'aider et elle ne semblait pas contre ces petites attentions. Elle lui rappelait parfois sa propre fille qui, bien que plus âgée de quelques années, était tout aussi maligne que semblait l'être Hermione.

Ainsi, la découvrir dans un tel état l'inquiéta aussitôt. Il était rare qu'elle montre la moindre faiblesse, ou bien qu'elle appelle à l'aide.

– C'est Albert, s'exclama-t-elle, essoufflée.

Enfin, elle avait bien un talon d'Achille…

– Je me suis réveillée avec un mauvais pressentiment et j'ai tout de suite compris en le voyant que quelque chose clochait, expliqua-t-elle en se tenant au chambranle de la porte pour reprendre son souffle. Il a l'air de souffrir et il n'a même pas bougé quand je suis venue le voir.

Marcel fronça les sourcils. Il était évident que quelque chose n'allait pas, sans qu'il ne soit capable d'en jauger la gravité.

– Tu veux que j'aille l'ausculter ? tenta-t-il en se décalant pour la laisser entrer dans la boutique.

– Non, non, refusa-t-elle aussitôt en se passant une main sur le front.

Il s'y était attendu. Il lui avait déjà offert un nombre incalculable de fois de l'aider – pour Albert, comme pour d'autres problèmes qu'elle pouvait avoir chez elle – mais elle déclinait toujours ses propositions.

Marcel soupira et se gratta l'arrière de la tête.

– Tu penses qu'il va pouvoir se lever ? demanda-t-il.

Hermione détourna les yeux et il grimaça.

– Tu peux toujours demander au véto de venir, tu sais.

Il le lui avait dit tant de fois qu'il s'attendait déjà à un refus.

– Je…

– Si tu ne veux pas risquer que quelque chose de grave arrive à ton chien, je pense que c'est la meilleure solution, Hermione.

Marcel s'en voulut aussitôt de la manipuler ainsi. Il savait à quel point cet argument la toucherait, mais il souhaitait la pousser à agir. Il n'arrivait pas à saisir la réticence qu'elle avait depuis tout ce temps. De quoi pouvait-elle avoir peur ?

Il ne comprenait pas. Cela lui paraissait si absurde.

Il la vit écarquiller les yeux et se contenta de lui offrir un sourire encourageant.

Il voyait à son regard que ses neurones s'activaient, qu'elle réfléchissait pour la première fois à cette possibilité. Elle l'envisageait, une chose qu'elle n'avait jamais faite auparavant.

– Tu me prêterais ton téléphone ?

Comment pourrait-il refuser ?

oOo

Le chemin jusque chez elle lui semblait tellement long. Avait-il été allongé dans la matinée ? S'était-elle trompée de route ?

Peut-être marchait-elle doucement. Peut-être que ses pensées, tournées en boucle autour de son chien, l'empêchaient d'avancer. Peut-être aurait-elle dû rester travailler. Peut-être que…

Elle ne pouvait s'empêcher de ruminer.

Finalement, la maison n'était pas si loin. Hermione en apercevait déjà le toit.

Elle s'arrêta l'espace d'un instant et ferma les yeux pour profiter du souffle du vent sur son visage et se calmer.

Marcel avait eu raison de la renvoyer chez elle. Appeler le vétérinaire avait été bien trop épuisant pour qu'elle retourne travailler. Elle n'était de toute manière pas dans le bon état d'esprit pour cela.

Elle ne parvenait pas à en sortir Albert. Le regard fatigué qu'il lui avait envoyé le matin même la hantait. Elle s'imaginait les pires scénarios le concernant et le fait que le vétérinaire ne puisse pas se déplacer avant le lendemain n'améliorait pas les choses.

Hermione avait toujours refusé l'idée que qui que ce soit d'autre que ses amis les plus proches puisse entrer chez elle. C'était son cocon, sa zone de confort, le seul endroit où elle se sentait chez elle, où elle se sentait bien.

Qu'un intrus y entre… ce serait trop difficile. Elle n'en était pas capable. Ce serait trop d'efforts.

Et pourtant, alors qu'elle reprenait la route pour rejoindre le portail de sa maison, elle réalisait qu'elle s'était très largement sous-estimée. Elle l'avait fait. Elle le faisait tous les jours.

Elle cohabitait avec un inconnu depuis presque cinq mois. Et elle était en vie.

Quelqu'un vivait avec elle et elle s'en sortait, elle n'en était pas déstabilisée, pas plus que de mesure, du moins. Plus autant qu'au départ. Au contraire, il s'était glissé dans son quotidien sans se faire remarquer.

Hermione avait lutté un moment contre cette soudaine intrusion, elle avait refusé d'y voir autre chose qu'une simple colocation. Elle n'avait pas voulu s'avouer que Drago Malefoy, l'être humain – car il avait fini par le redevenir, bien qu'il fut arrivé à moitié mort – qui vivait chez elle, ne la dérangeait pas. Il ne polluait pas son environnement, il ne se conduisait pas bizarrement, il ne venait pas l'importuner, il ne touchait pas ses affaires, il…

Il ne faisait rien. Il existait et cette simple idée l'avait gênée pendant longtemps.

Elle réalisait pour la première fois depuis des semaines, des mois, voire des années, qu'elle n'avait pas autant besoin de cette solitude qu'elle s'imposait – et qu'elle imposait aux autres – depuis son arrivée en France. Toutes ses illusions s'envolaient.

Peut-être avaient-elles été réelles pendant un temps. Pendant plusieurs années, même. Cependant, ces dernières étaient justement passées. De l'eau avait coulé sous les ponts, elle avait mûri, vieilli – peut-être même grandi –, réfléchi et pris du recul.

Peut-être n'était-elle pas aussi solitaire qu'elle le pensait. Peut-être pouvait-elle accepter la présence de quelqu'un d'autre dans son quotidien. Peut-être pouvait-elle supporter que son espace personnel soit envahi par un individu qu'elle ne connaissait pas.

Mais deux ? En était-elle capable ? Était-elle prête à cela ?

Malgré toute la bonne volonté d'Hermione, elle était certaine que non. Ce serait trop. Elle ne pourrait pas le gérer.

L'anxiété qu'elle subissait à cause de l'état d'Albert ne lui permettrait pas de se concentrer sur autre chose, elle serait incapable de cumuler les deux.

Elle s'arrêta une nouvelle fois, les larmes aux yeux. La porte d'entrée de chez elle n'était pourtant plus qu'à quelques pas.

Elle se sentait dépassée. Impuissante. Incapable.

Comment pourrait-elle faire le moindre effort pour aller mieux si son seul pilier s'effondrait ? Comment pourrait-elle affronter son quotidien si Albert n'était plus là pour l'accompagner ?

Soudainement, toutes ses bonnes résolutions, ses réalisations, semblaient vaines. Ce n'était pas comparable au naufrage qu'elle subirait si Albert venait à la quitter.

Elle fixa la porte comme s'il s'agissait de son pire ennemi. Comme si elle ne renfermait que deux possibilités. Son chien vivant. Son chien mort. Comme si derrière elle, l'enfer ou le paradis l'attendait. La lumière. L'obscurité. Blanc. Noir. Il n'y avait pas d'autres alternatives.

Il fallait qu'elle se calme, qu'elle respire. Il fallait qu'elle prenne son courage à deux mains et qu'elle avance. Elle était bonne à ça, n'est-ce pas ? Marcher, avancer, courir même.

Alors elle le fit. La porte s'ouvrit et elle fut plongée dans le silence de sa maison. Pas d'aboiements ni de gémissements de douleur. Non. Rien d'autre que le silence.

Elle lâcha la poignée et entra dans le séjour. Elle s'attendait à retrouver un Albert endormi près de la cheminée, comme lorsqu'elle l'avait quitté le matin même.

La réalité fut toute autre.

Albert était assis devant un fauteuil qui faisait face à Hermione. Sa tête était posée sur le siège. Non. Elle était posée sur…

Sur les genoux de Malefoy. Qui avait passé sa main dans la fourrure du grand chien blanc.

Elle laissa tomber son sac sur le sol dans un bruit sourd. Elle ne pouvait pas y croire. Elle se sentait défaillir.

Malefoy leva aussitôt la tête vers elle et elle vit son visage se charger de terreur. Son regard était effrayé et il avait arrêté de caresser le pelage d'Albert. Celui-ci s'était tourné vers sa maîtresse et se dirigea vers elle dès qu'il l'eut aperçue.

Mais Hermione n'arrivait pas à quitter Malefoy des yeux. Comment avait-elle pu penser que les choses pourraient bien se passer ? Il était un intrus. Il n'avait rien à faire là. Il envahissait son espace. Ses réflexions passées étaient si dérisoires désormais.

– Je suis désolé ! s'exclama-t-il alors en se levant et en reculant, apeuré. Il… Il est venu tout seul !

Devait-elle le croire ? Le pouvait-elle ?

Albert se frottait à ses jambes en gémissant tout bas, mais elle ne parvenait pas à se concentrer sur autre chose que la présence de Malefoy ici.

Elle était envahie par trop d'informations à la fois.

Elle le voyait au rez-de-chaussée pour la première fois. Depuis quand descendait-il jusqu'ici ? Et ce dans son dos. Elle n'avait pas le contrôle sur tout ça. Elle ne pouvait pas savoir ce qu'il faisait. Elle n'avait aucun moyen de maîtriser ses mouvements. Et cela la terrifiait. C'était trop, trop d'un coup.

Il avait posé ses mains sur Albert. Il l'avait touché, caressé, comme si c'était son chien. Mais ce n'était pas le cas, se répéta-t-elle. Albert était à elle et seulement à elle ! Il n'avait pas le droit de l'approcher, n'est-ce pas ? Ce n'était pas normal.

Et puis il lui adressait encore la parole. Il s'excusait une nouvelle fois. Il la regardait avec effroi, comme s'il s'attendait à ce qu'elle lui fasse du mal.

Et, finalement, c'était peut-être ce qui perturba le plus Hermione. Ses tourments vis-à-vis d'Albert n'avaient plus d'intérêt comparés à cette peur qu'elle lisait dans les yeux de son colocataire.

Alors elle prit sur elle. Elle ne sut ni comment ni pourquoi, mais elle se calma et prit du recul sur la situation.

Un intrus chez elle, apeuré chaque fois qu'il la voyait et qui avait osé approcher son chien ? Qu'est-ce qui était le plus grave dans tout cela ? Était-ce vraiment un intrus ? Un inconnu ?

Tout en s'accroupissant pour caresser Albert, elle réalisa qu'après cinq mois à cohabiter, elle ne connaissait pas Drago Malefoy. La seule chose qu'elle savait était qu'il n'avait plus rien du garçon qu'il avait été à Poudlard. Plus d'arrogance, de méchanceté, de cruauté, de suprémacisme… Il n'était plus le même, sans qu'elle ne sache vraiment qui il était.

Azkaban l'avait transformé, elle en était certaine, mais à quel point ? Devait-elle réellement être effrayée à l'idée qu'il approche Albert ?

Hermione déglutit et baissa les yeux sur son chien. Peut-être était-il temps qu'elle essaye de connaître celui qui vivait chez elle depuis tant de semaines ? Peut-être cette cohabitation se passerait-elle mieux ? Peut-être serait-elle plus sereine ? Peut-être.

oOo

Drago se sentait à la limite du malaise tant il était terrifié.

Le regard que Granger lui lançait le déstabilisait plus qu'il ne l'aurait cru. Elle le regardait comme si elle allait le bannir de chez elle à tout jamais, comme si elle s'apprêtait à le réduire en morceaux.

Il s'était aussitôt excusé, sans pouvoir s'en empêcher, il espérait du plus profond de son être que cela pourrait améliorer les choses.

Pourtant, Granger n'avait pas bougé. Elle était restée à l'exact même endroit, n'avait pas ouvert la bouche, ni même esquissé le moindre mouvement. Elle le fixait toujours aussi bizarrement et Drago se sentait se recroqueviller sous son regard.

Il avait envie de partir en courant et de s'enfermer dans sa chambre jusqu'à la fin de ses jours.

Qu'était-il devenu ? pensa-t-il.

Terrorisé par un simple regard, tel un enfant pris sur le fait. Il se sentait misérable, incapable. Il était tombé bien bas. Sa fierté était enterrée bien loin sous terre.

Il aurait dû rester à l'étage, réalisa-t-il. Il n'aurait jamais dû mettre un pied sur les marches de l'escalier. Cela menait à trop de danger, de risques. Pourquoi n'avait-il pas écouté ses ruminations et ses angoisses sur le moment ? Il venait de faire une terrible erreur. Il venait de ruiner toutes ses chances de vivre une vie convenable, de survivre après des années d'enfer.

Il n'avait pourtant jamais voulu ça.

Le monstre s'était avancé vers lui sans qu'il ne puisse l'en empêcher. Drago s'était figé dans son fauteuil, tel un spectateur de la scène. Il avait pensé qu'en restant immobile, il ne risquait rien. Peut-être que la créature effrayante s'en irait sans le remarquer.

Il avait eu tort.

Une fois debout, il avait compris qu'il s'agissait d'un chien. D'un énorme chien. De plus près et dans une telle position, Drago avait reconnu la queue, les pattes et le museau d'un tel animal. Il ne s'agissait plus d'une masse indistincte de poils blancs, mais bien d'un canidé. Il s'était senti idiot de ne pas l'avoir compris plus tôt.

Pourtant, cela ne l'avait pas rassuré pour autant. Le chien restait dangereux, il en était persuadé.

Et lorsqu'il s'était approché jusqu'à poser son museau sur ses genoux, Drago avait cru que son cœur finirait par sortir de sa poitrine tant il était stressé. Il avait mis près d'une heure à oser le toucher, le caresser. Il lui avait fallu se calmer, se rassurer quant à la réalité de la situation, et relativiser pendant de longues minutes.

À quoi bon ? Il se retrouvait désormais dans une position plus que cruciale. Il s'imaginait déjà être mis à la porte. Il avait osé toucher au chien de Granger, il était certain qu'il n'en avait pas le droit. Peut-être allaient-ils même le renvoyer à Azkaban, puisqu'il n'avait nulle part où aller. Il se voyait allongé au milieu de sa cellule. Il en frissonna.

– Il s'appelle Albert.

Il écarquilla les yeux et usa de toutes ses forces pour empêcher ses genoux de lâcher sous son poids pourtant si léger.

Avait-il bien entendu ? Granger venait-elle bien de lui parler sans animosité ? Venait-elle de lui donner le nom de son chien ? De faire un pas vers lui ?

Le regard de sa colocataire lui semblait impatient, presque… nerveux.

Drago déglutit. Il ne comprenait pas. C'était surréaliste. C'était tout l'inverse de ce qui aurait dû se passer, de ce qu'il s'était imaginé.

– Il est malade, ajouta-t-elle à sa plus grande surprise. Quelqu'un va venir le soigner demain.

Sans vraiment y réfléchir, Drago hocha la tête. C'était bien la seule chose dont il était capable en cet instant.

Il resterait enfermé dans sa chambre le lendemain s'il le fallait. C'était bien le dernier de ses soucis.

Petit à petit, ses appréhensions le quittaient. Granger ne semblait pas prête à lui sauter à la gorge, le menacer, ou lui crier dessus pour ce qu'il avait osé faire. Au contraire, elle semblait tout aussi perturbée que lui. Et, mine de rien, cela fit quelque chose à Drago.

Elle ne lui voulait pas de mal. Elle était nerveuse, elle aussi. Elle n'avait rien de dangereux, ni même de menaçant. Elle était humaine.

C'était bien la première fois que Drago le réalisait. Bien sûr, il savait qu'elle était tout aussi humaine que lui, il n'en avait simplement pas compris la dimension. Elle était humaine et elle avait un cœur et des émotions, comme lui.

Elle aussi était détruite, il le voyait à son regard nerveux, aux cernes sous ses yeux, à son corps frêle et ses lèvres gercées. Elle n'allait pas mieux que lui. Elle ne vivait pas, elle survivait. Comme lui.

Comme lui.

Cela résonna dans sa tête.

– Tu ne travailles pas ? demanda-t-il le cœur battant.

Les premiers mots normaux qu'il lui adressait. Pas d'excuses, pas de banalité, pas de crainte.

– Je suis rentrée pour veiller sur lui, expliqua-t-elle d'une petite voix.

Il hocha une nouvelle fois la tête et baissa les yeux. Il avait du mal à croire que les choses puissent se passer ainsi entre eux.

– Je vais préparer le déjeuner, bafouilla-t-elle.

Il releva la tête juste à temps pour la voir s'éclipser dans la pièce adjacente, son chien sur les talons. Il songea qu'elle avait déjà cuisiné leur repas le matin même, mais n'en fit pas la remarque. Peut-être préparerait-elle quelque chose pour Albert.

Albert. Albert.

Quel nom étrange, pensa-t-il. Il était pourtant certain que ce prénom convenait plutôt aux humains. Il ne s'attarda pas sur ce détail, ce n'était pas important.

Le chien ne l'avait pas attaqué, Granger non plus et ils s'étaient adressé la parole comme deux personnes normales. Tout allait bien. C'était inhabituel, surnaturel, mais tout allait bien.

Il pouvait reprendre sa journée, comme si rien ne s'était passé. Il pouvait retourner à l'étage et lire des tas de livres de cuisine jusqu'à ce que le sommeil l'emporte. Il pouvait planifier sa visite de la pièce. Il pouvait…

Il pouvait faire ce qu'il voulait. Granger ne l'en empêcherait pas.


Un fanart a été réalisé pour ce chapitre, vous pourrez le retrouver sur mes différents réseaux sociaux, sous mon pseudo Nova Frogster !

A jeudi prochain !