L'état de la banshee s'était stabilisé, pour le plus grand bonheur de Jordan, qui avait décidé de rester à son chevet. D'ici une heure, il passerait sans doute rendre visite au shérif… Si Melissa McCall l'y autorisait. Protectrice, elle gérait elle-même les soins de Noah, en compagnie du docteur Dunbar, qu'elle avait appelé pour l'occasion. L'homme était de congé ce soir-là, mais elle n'avait confiance qu'en lui, d'autant plus… Que Liam était un des amis de Stiles. L'infirmière comptait exposer la situation au médecin de sorte… Qu'il sache quoi dire à son fils. Pour l'instant, seuls Parrish et Lydia étaient au courant et la banshee… Elle allait mal. On lui avait trouvé un peu d'eau dans les poumons, mais elle avait été prise en charge à temps et Melissa avait joué de son autorité et du respect qu'elle inspirait aux autres pour laisser Jordan Parrish rester avec la rouquine – le statut de celui-ci aidait. Un adjoint du shérif avait beaucoup de droits.

Le docteur Dunbar avait dû, de son côté, constater le décès du jeune Stilinski et s'était assuré personnellement de son déplacement à la morgue, où l'autopsie aurait lieu le lendemain tôt dans la matinée. Il n'avait pas les qualifications requises pour la faire, s'étant déjà spécialisés dans certains domaines de la médecine, mais il y assisterait. Parce que ce jeune homme, il le connaissait. Parce qu'il s'agissait du fils du shérif. D'un des amis proches de son fils. Alors, il lui devait bien ça.

Si cette soirée et cette nuit étaient des plus difficiles, chacun redoutait le lendemain. La mort avait cela de morbide qu'elle provoquait un arrêt brutal. Il fallait maintenant laisser le temps au vide de se créer, de s'installer, d'écraser les proches avec sa lourdeur conséquente. Si la vie s'était arrêtée pour l'un, elle continuait pour les autres. Et c'était ça le plus dur. Pour l'instant, la partie au courant de l'entourage le savait, mais elle n'avait pas encore forcément réalisé. Parce que c'était trop tôt et que tout s'enchaînait.

Melissa craqua aux alentours de trois heures du matin, alors que l'état du shérif s'était définitivement stabilisé. Lydia, un peu plus tard dans la nuit, se réveilla et pleura toutes les larmes de son corps dans les bras de l'adjoint qui l'enserra avec amour. Le docteur Dunbar se rongea les sangs quant à ce qu'il allait devoir dire à son fils. Et chacun se demanda comment l'annoncer à la meute et qui devrait le faire. L'on s'accorda toutefois cette nuit pour réfléchir et prendre certaines dispositions, le shérif n'ayant pas la possibilité de le faire. Sédaté, il dormait à poings fermés et l'on avait décidé de le maintenir ainsi au moins jusqu'au lendemain. Il s'agissait d'un père au cœur brisé, d'un père qui, sur le moment, n'avait pu accepter la vérité. Un père qui aimait profondément son fils, le dernier membre de leur famille en lambeaux. Et voilà qu'il ne restait plus que lui. La mère s'en était allée à causse d'une maladie aussi perfide que destructrice et voilà que le fils… Avait été tué. C'était tout ce que l'on savait et ce qui serait sans aucun doute confirmé le lendemain lors de l'autopsie. Pourquoi avoir noyé Stiles Stilinski ? Personne n'y réfléchit pour l'instant. Personne. C'était trop tôt. On était à peine en train de comprendre qu'il était réellement parti, que son corps toujours nu reposait dans l'un des frigos de la morgue. Un endroit vide et froid, loin de tout ce que Stiles aimait, lui qui était l'incarnation du soleil et de la joie. Son sourire réchauffait les cœurs et les âmes, son regard rassurait, ses mots, bien que toujours trop nombreux, réconfortaient.

Le soleil s'était couché, pour ne plus jamais se lever.

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Sept heures. Les yeux ternes et cernés de Melissa accrochèrent l'horloge du vestiaire. Elle avait fini son service depuis une demi-heure, mais n'arrivait pas à se résoudre à quitter l'hôpital. Elle pensait à Noah, dont le choc l'avait plongé dans une forme de folie nécessitant une sédation prolongée. Elle pensait aux larmes qu'elle avait versées en secret, les larmes pour ce fils qui n'était pourtant pas le sien.

Elle revoyait son visage, souriant. Ses oreilles bourdonnaient, comme s'il l'abreuvait encore et toujours de babillages infinis, sans jamais s'arrêter. Elle le revoyait montrant nonchalamment le double des clés de sa maison, qu'il avait fait fabriquer pour pouvoir venir voir Scott n'importe quand.

Et là, son cœur se brisa. Comment lui dire ? Comment annoncer à son fils qu'il avait perdu son meilleur ami ? Non, pas qu'il avait perdu. Que l'on avait tué. Melissa étouffa un sanglot et se recroquevilla sur elle-même. L'infirmière avait quelque chose à faire avant de partir, quelque chose d'important.

Elle voulait le voir, une dernière fois, comme s'il fallait que l'image s'imprime dans sa rétine pour qu'elle accepte l'horrible réalité. Parce que Stiles, elle l'avait toujours connu. Il faisait comme… Partie du paysage, partie de sa famille. C'était un peu son deuxième fils, le frère qu'elle aurait aimé avoir pour Scott. C'était un jeune homme adorable qui avait le bien-être des autres à cœur et qui n'hésitait jamais à dire ou faire une bêtise pour amuser la galerie. Pourquoi les étoiles comme lui partaient toujours en premier ? Qu'est-ce que les gentils faisaient qui leur valait un destin aussi funeste ? Ne pouvait-on pas les laisser en paix et continuer de faire le bien autour d'eux ? Stiles n'avait demandé qu'à protéger les autres. Sa famille, ses amis, sa meute. Que lui voulait-on ? Pourquoi avait-on décidé de le tuer, lui ? S'agissait-il d'un voleur, que Stiles aurait surpris par inadvertance ? Jordan Parrish lui avait dit qu'il avait été retrouvé noyé, dans son bain. Alors, ça ne collait pas. Mais alors… Merde, qu'avait-il pu se passer ? Pourquoi ? Melissa essuya maladroitement ses joues, n'ayant cure de la manière dont elle tâchait ses manches avec son maquillage partant graduellement en lambeaux. A cet instant, elle se fichait de la tête qu'elle avait, de l'image qu'elle renvoyait. Elle allait mal et personne ne pouvait lui en vouloir de craquer après une nuit de service aussi difficile qu'éprouvante émotionnellement, nuit durant laquelle elle avait dû assurer malgré tout, faire bonne figure. Car elle n'avait pas pu s'occuper uniquement de Noah et Lydia. L'infirmière avait tout fait pour retourner à leur chevet, croisant très régulièrement Parrish qui alternait entre les deux.

Alors voilà, elle n'en pouvait plus et espérait sincèrement que le docteur Dunbar accepterait sa requête. Peu importait qu'elle lui ait sucré un soir de congé. C'était égoïste, mais elle n'y pensait plus. Elle n'en avait pas la force.

Lorsqu'elle se fut calmée et démaquillée pour avoir l'air un minimum présentable, Melissa McCall contacta le docteur Dunbar, dont elle avait le numéro enregistré sur son téléphone depuis longtemps. Le médecin lui répondit dans la minute par la positive, en lui indiquant l'entrée de la morgue comme point de rendez-vous à rejoindre d'ici quelques minutes.

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Melissa, elle attendit. Le docteur Dunbar avait du retard, mais elle ne lui en voulait pas : puisqu'elle l'avait fait venir, il avait naturellement du pain sur la planche et des tas de patients à voir, d'autant plus qu'il s'était avéré que l'un de ses collègues n'avait pas pu venir travailler à cause d'un empêchement. Frissonnant à cause de la fatigue et de son froid intérieur qui la glaçait sur place, Melissa, changée, resserra les pans de sa veste sur sa poitrine. Il ne lui tardait qu'une chose : dormir. Sombrer. Fermer les yeux et laisser le temps se consumer durant quelques heures, les seules durant lesquelles elle ne penserait pas au triste destin de son presque deuxième fils. Ensuite seulement, la réalité reviendrait la frapper avec force et elle devrait se confronter à l'inévitable : annoncer la nouvelle à Scott. Sur le coup, elle s'en sentit incapable et choisit de concentrer ses pensées sur autre chose. Sur l'attente. Enfin, son collègue finit par pointer le bout de son nez. Lui aussi avait les yeux cernés, lui aussi désirait ardemment dormir et mettre fin à cette nuit d'horreur. Il lui lança un regard, ils se comprirent. Ils pensaient à leurs enfants, à leur devoir de parents. Chacun allait devoir affronter cela comme il le pourrait et cela ne serait pas facile. L'homme posa la main sur l'épaule de l'infirmière et lui demanda si elle était sûre de son choix. Melissa hocha la tête. Il fallait qu'elle le fasse maintenant. Plus tard, elle n'en serait pas capable. Ainsi, il la poussa à l'intérieur de la morgue. Les deux collègues traversèrent plusieurs couloirs et arrivèrent dans la salle où les corps les plus récents étaient rangés, chacun dans un congélateur numéroté.

Le docteur Dunbar se figea sur place. Melissa s'avança et soupira.

- Toujours les mêmes, maugréa-t-elle.

Tous les employés de l'hôpital n'avaient pas la même rigueur du travail qu'elle et elle se retrouvait ainsi, régulièrement, à devoir rattraper leurs bêtises. Laisser un congélateur – ici, vide – ouvert en était une, bien qu'elle ne s'occupe pas de cette aile du bâtiment en général. Disons que certains de ses collègues avaient tendance à faire leur travail à moitié.

- Melissa… Entendit-elle.

L'infirmière, à bout et désirant ne pas rester dans cet endroit sordide plus que nécessaire, se retourna vers le père de Liam. Blanc comme un lingue, il avait le regard rempli d'effroi. Melissa soupira à nouveau. Si elle était en meilleur état, sans doute lui aurait-elle demandé ce qu'il lui arrivait, mais elle chercha plutôt à aller à l'essentiel.

- Dans quel congélateur se trouve-t-il ?

Elle avait la voix fatiguée et brisée, la bouche pâteuse. Si elle restait trop longtemps, les larmes finiraient par revenir et l'infirmière ne tenait pas à ce que son collègue soit témoin de son émotion tout en sachant qu'elle venait justement pour voir le cadavre du fils de son ami le shérif.

- Le numéro cinq, articula le médecin.

Melissa tourna lentement la tête vers la rangée de congélateurs de la morgue et se figea à son tour avant même de réaliser ce qu'elle voyait, ce qu'elle pouvait comprendre, ce qu'elle pouvait déduire de son observation qui, si elle était sommaire, n'en restait pas moins révélatrice.

Le congélateur numéro cinq, complètement vide, était celui qu'elle venait de fermer.