Stiles ferma sa veste et tira fort les manches, jusqu'à ce que seuls ses doigts dépassent et pourtant, même avec ça, il avait froid. Il frissonnait comme si le vent d'automne s'insinuait à l'intérieur de ses vêtements. Blanc comme un linge, il se tapota les joues, histoire de se donner des couleurs. Parce que le froid qui le glaçait venait de l'intérieur. Il était perfide et puissant. Pressé de sortir de chez lui, Stiles s'assura d'être présentable, prit son sac, et s'en alla.

Lorsqu'il passa la porte, Stiles se sentit mieux. Pas énormément, mais il respirait à nouveau un air pur, frais. Un air que ne respirait pas Théo. Un air… Qui n'était pas celui de sa chambre. A nouveau parcouru de frissons plus désagréables les uns que les autres, Stiles monta à l'intérieur de sa Jeep et démarra sans attendre, comme s'il avait peur d'être poursuivi s'il prenait trop de temps. Pour être honnête… Il ne tenait pas vraiment à risquer de voir Théo s'approcher à nouveau de lui et… L'accompagner. Néanmoins, l'hyperactif n'était pas dupe. Il se doutait bien que la chimère allait venir au lycée, le suivre dans l'ombre. Parce qu'il comptait bien le surveiller de loin et veiller à ce qu'il ne parle pas de cette espèce d'accord auquel Stiles… Avait été forcé de dire oui.

Les choses avaient pris du temps et si Stiles était du genre têtu, Théo l'était aussi. A vrai dire, il avait de quoi se montrer persuasif et l'hyperactif n'avait jamais été réellement… En position de force. C'était même l'inverse. Honnêtement, il n'aurait jamais pensé céder sous quelque torture que ce soit, mais plusieurs facteurs avaient joué.

Théo avait des mains baladeuses. Un sens de la manipulation inné. Des arguments de taille. De la force dans ses poings.

Et la vie de Noah Stilinski entre ses griffes.

Les « négociations » avaient duré une grande partie de la nuit et si Stiles avait progressivement gagné la condition de pantin, il avait sincèrement tout fait pour résister. Mais Théo… Il avait l'habitude. La chimère n'en était sans doute pas à son premier coup d'essai tant il avait maîtrisé le déroulé de cette nuit d'une main de maître. Parce que même lorsque Stiles avait fini par céder, Théo avait continué à lui en faire baver, comme pour assoir sa domination sur lui et le décourager de toute les façons que ce soit. Il avait trouvé le moyen de l'humilier, sans jamais aller jusqu'au bout de ses actes. Il avait trouvé le moyen de lui faire mal sans trop lui laisser de marques. Il avait trouvé le moyen de briser le peu de confiance en lui qu'il avait encore. Il avait trouvé le moyen… De le briser, tout simplement.

Et Stiles allait au lycée au lieu de… Se reposer, de rattraper ces heures de sommeil perdues. Dormir, il l'avait pu. Un peu.

Deux heures.

C'était son maximum.

Les phalanges de l'hyperactif blanchirent rapidement tant il avait les mains crispées sur le volant. Cette nuit resterait à jamais gravée dans sa mémoire. Comment aurait-il pu dormir plus tout en sachant Théo près de lui ? Contre lui ? Parce qu'il ne l'avait pas lâché, même après avoir cessé sa petite séance de tortures multiples. Le mal qu'il lui avait fait n'était pas seulement physique : la chimère l'avait marqué au fer rouge. Et même après qu'il lui ait donné droit au repos, Stiles avait peiné à fermer l'œil parce qu'au final, Théo avait continué de le tourmenter. En s'allongeant contre lui, jouant le rôle de la grande cuillère, un bras autour de son corps. Sans rien faire de plus qu'imposer sa présence. C'était malsain et Stiles savait fort bien pourquoi il avait fait cela. La manipulation ne lui avait ni fait perdre son intelligence, ni sa lucidité. Théo avait veillé à jouer avec lui et tout faire pour le déranger jusqu'à son sommeil. C'était ainsi qu'il voulait continuer d'assoir sa domination, lui montrer qu'il n'était rien. Rien de plus que son pantin, sa marionnette. Rien de plus qu'un jeune homme qu'il utilisait sciemment.

Rien de plus qu'un humain qui trahirait sa meute.

Stiles arrêta brusquement sa Jeep au bord de la route et s'écroula sur le bas-côté, rendant violemment le contenu, déjà pas bien grand, de son estomac. Il ressentit les contractions maladives, la bile lui brûlant la gorge, la douleur irradiant à nouveau dans ses côtes, ses bras. Et bien vite, il se retrouva là, la bouche entrouverte, un filet terminant sa chute dans l'herbe souillée. Tremblant comme une feuille, les yeux embués de larmes dues à l'effort, l'hyperactif peina à se redresser. Autant dire que retourner dans la Jeep et s'essuyer la bouche avec un mouchoir fut une épreuve. A peine eut-il réussit qu'il se demanda si tout ceci avait un sens. Stiles laissa l'arrière de son crâne reposer contre l'appui-tête et ferma un instant les yeux, le visage crispé dans une expression de souffrance. Dans cet état, il avait tout, sauf envie d'aller en cours. En temps normal, sans doute en aurait-il profité pour sécher, histoire de faire autre chose de plus constructif que prendre des cours qu'il maîtrisait déjà à la perfection. Oui, il aurait fait cela, parce que cela n'aurait pas de véritables conséquences, si ce n'est prévenir son père qui lui aurait passé un savon, pour la forme. Sauf que cette fois-ci, Noah Stilinski faisait partie de l'équation et Stiles… Cette nuit l'avait changé. Ses mains tremblantes se posèrent à nouveau sur le volant. Et il démarra, alors que sa seule envie était de rentrer et de s'isoler. Se retirer du monde. Et oublier. Juste oublier. Juste se dire que Théo n'était jamais venu. Ne l'avait jamais torturé. Ne l'avait jamais mis face à un choix aussi cornélien. Ne lui avait jamais fait vivre l'enfer.

Stiles ne voulait pas trahir sa meute. A vrai dire, il leur devait une loyauté sans faille, mais Théo… Était en train de le pousser à commettre l'irréparable. En d'autres circonstances, l'hyperactif ne l'aurait pas laissé faire, mais fut un moment dans la nuit où le shérif était rentré et la chimère avait voulu lui faire une petite démonstration de ses menaces mais Stiles avait tout fait pour l'en empêcher. A vrai dire, sachant son père à quelques pièces de sa chambre, il avait capitulé, d'autant plus que Théo s'était mis à le bâillonner et l'avait à nouveau frappé, juste pour être certain qu'il se taise. En fait, il l'avait mis au pied du mur. Si Stiles n'était pas encore complètement redevenu lui-même, l'hyperactif parfaitement conscient de ses forces et faiblesses, contrôlant chacune de ses réactions, il se rapprochait dangereusement du lycée. Il freina, y alla plus doucement, retardant le plus possible le moment où il allait devoir faire son entrée.

Parce qu'à ce moment précis, Stiles saurait qu'il n'avait aucun espoir de se sortir de cet enfer. Parler ? Inenvisageable. Mais si Théo avait été moins prévoyant… Stiles aurait pu jouer sur un détail, un indice.

L'odeur de la chimère.

Indétectable.

Parce qu'il ne la portait plus.

Deux douches. Un regard froid posé sur lui, du début à la fin. Pas une seule seconde d'intimité. Juste une épée de Damoclès au-dessus de la tête, la menace permanente de représailles. Si elles étaient contre lui, Stiles n'en aurait eu cure… Mais Noah était le seul parent qu'il lui restait. Un parent qu'il aimait d'amour et qu'il ne pourrait jamais trahir. Stiles pensait également cela concernant la meute et à vrai dire, il aurait aimé trouver une solution. Plus tard, peut-être. Lorsqu'il irait mieux, que cet état de choc l'aurait quitté. Pour l'instant, protéger l'homme qui lui avait donné la vie était sa seule source de motivation. Le souvenir de la douleur, aussi morale que physique, l'embrouilla.

Stiles tourna au dernier moment, juste avant le lycée, et s'engouffra dans une autre rue. Le bâtiment scolaire s'éloigna peu à peu de sa vue. Si de l'extérieur, la Jeep avançait à nouveau à une allure normale, son conducteur commençait à hyperventiler. Il n'allait pas y arriver, non ! Il n'allait pas y arriver. Il bifurqua, à nouveau et ne s'arrêta que lorsque sa vue se fit trop floue pour qu'il puisse continuer. A nouveau, il étouffait. Aux abords de la forêt, il sortit de sa voiture en tremblant.

- Je peux pas… Murmura-t-il de manière quasi inaudible. Je peux pas, je peux pas, je…

Il prit péniblement appui contre un arbre et se laissa glisser contre lui, vidé. Non, vraiment, ça n'allait pas, il ne tiendrait pas le coup, pas déja. Si seulement ses souvenirs ne se rejouaient pas en boucle dans sa tête ! Si seulement chaque contact, chaque violence ne l'avait pas marqué au fer rouge ! Si seulement la menace ne lui importait pas autant ! Théo était capable de bien plus d'horreurs qu'on ne le pensait autrefois et c'était terrifiant. Si Stiles était parfaitement lucide quant au fait que le blond le manipulait éhontément, il savait ne pouvoir se soustraire à lui. Parce qu'il s'agissait d'un être surnaturel. D'une chimère. Qu'il savait ne pas pouvoir lui échapper.

La preuve en était que – déjà ! – Théo l'avait retrouvé.

Stiles n'entendit pas ses pas, et eut à peine le temps d'entrevoir les orbes bleu ciel de son bourreau.