Liam ne comprenait pour ainsi dire… Rien à la situation. Il ne savait pas grand-chose, juste que son père avait besoin de lui. Au fait de sa nature lupine, le médecin l'avait appelé à sept heures trente, heure à laquelle il avait l'habitude de se lever. Les cours commençaient une heure plus tard, mais Liam aimait prendre le temps de se réveiller, de petit-déjeuner et de se préparer. Se dépêcher, il détestait ça. C'était son côté un peu paresseux qui parlait. Il acceptait de faire les choses, à condition de ne pas avoir à se presser outre mesure, et… Son père lui avait demandé de venir expressément à l'hôpital. Expressément.

Enfin, ses mots exacts étaient les suivants : « il faut que tu me rejoignes à l'hôpital… Tout de suite ! »

Son ton légèrement tremblant suggérait tout autant l'urgence que ses mots. Le pire, c'est qu'il n'avait rien voulu lâcher. Pas un indice, pas une information. Rien. Juste une demande impérieuse. Forcément, Liam ne se fit pas désirer. Rares étaient les fois où il avait entendu la voix de son père aussi chevrotante. Un poil seulement. Mais pour lui, cela suffisait à ne pas respecter son code de conduite habituel, à savoir ne pas se presser. Ainsi, il ne prit même pas la peine de s'habiller et sauta dans sa voiture, encore en pyjama. Pour être honnête, il se fichait de sa tenue : si son père avait besoin de lui, il n'allait pas risquer qu'il lui arrive quoi que ce soit en prenant son temps pour choisir ses vêtements. Il se fichait de la manière dont il se présenterait à l'hôpital… Tant qu'il arrivait vite.

Le trajet ne fut pas très long et Liam savait qu'il avait grillé un feu rouge, mais peu importe. Même si l'obtention de son permis ne datait que de quelques mois, il avait une maîtrise du véhicule assez stupéfiante. Elle l'était déjà lorsqu'il était humain, l'on pouvait même dire qu'elle s'était carrément accrue depuis sa transformation, et pour cause : le lycéen était plus attentif à tout, ses yeux lupins accrochaient le moindre détail, percevaient le moindre mouvement, captaient le moindre changement dans son champ de vision. Ses réflexes ? N'en parlons pas. Mais Liam ne faisait pas attention à tout cela tellement ça lui paraissait naturel. Ainsi, il ne perdit pas de temps à réfléchir outre mesure et se précipita à l'intérieur de l'enceinte de l'hôpital une fois sorti de sa voiture – qu'il avait, en passant, oublié de fermer à clé. Liam avait de bons réflexes, mais il avait tendance à oublier des choses, comme celle-ci. Disons qu'elles ne faisaient pas partie de ses priorités.

Le jeune homme se précipita à l'accueil et la secrétaire, qui le connaissait, lui indiqua… Comment ça, la morgue ? Liam sentit un frisson le parcourir et fronça les sourcils.

- Je cherche mon père, précisa-t-il d'un air sceptique.

- Et il se trouve à la morgue, répéta la secrétaire, à moitié blasée. Il t'y attend.

Soit. Liam la remercia sans réelle conviction et se dirigea l'ascenseur. Aux dernières nouvelles, son paternel n'était pas devenu médecin légiste : il avait toujours préféré s'occuper des vivants plutôt que des morts. Mais alors… Pourquoi vouloir qu'il le rejoigne dans un endroit aussi sordide ? A l'idée de se retrouver au milieu de frigos remplis de morts, Liam frissonna. Il avait beau avoir basculé dans le monde surnaturel depuis des mois et côtoyé la mort de près, il n'était toujours pas à l'aise avec le concept… Et se trouvait, objectivement, toujours un peu jeune pour s'y frotter. A part au niveau du sport, Liam n'avait pas l'habitude de faire le chaud, le fier, de se montrer plus fort qu'il ne l'était. Dans ce monde, comprenant naturel et surnaturel, Liam se sentait insignifiant. Tout petit. Inexpérimenté. Un peu dépassé, par moments. En cela, la meute l'aidait beaucoup, le soutenait et lui permettait d'apprendre, petit à petit, à s'adapter à cette nouvelle vie dans laquelle il avait brutalement mis les pieds il y a quelques mois. Il avait même un formateur : Stiles. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'hyperactif l'avait pris sous son aile pour lui enseigner à se contrôler correctement alors même qu'il n'était rien d'autre qu'un humain. Mais avec Scott et Malia, il avait l'habitude. Il avait tout découvert avec le premier – qui avait d'ailleurs manqué de le tuer au début – et continué avec la seconde, particulièrement sauvage de par ces quelques années passées sous sa forme de coyote.

En somme, le fils du shérif savait y faire, parfois mieux que certains loups. Il avait l'expérience et l'objectivité du spectateur, d'autant plus qu'il avait un excellent sens de l'observation et une bonne mémoire. Il parlait beaucoup, tant et si bien que Liam se perdait dans ce flot de mot incommensurables mais lorsqu'il arrivait à suivre le rythme, tout était très clair. Isaac supervisait d'ailleurs régulièrement les entraînements – on n'était jamais à l'abri d'un accident, d'une perte de contrôle inopinée. L'humain avait beau gérer la situation, il valait mieux qu'un autre loup soit présent pour assurer ses arrières et Liam n'en était que plus rassuré. Pour autant, ce n'était pas Scott, leur alpha, qui était à l'origine de cette précaution : non, l'initiative venait de Lydia. Par la suite, Isaac s'était proposé et lorsqu'il n'était pas disponible, Jackson le remplaçait.

Personne ne voulait prendre le risque qu'il soit fait du mal au seul humain de la meute.

Liam se retrouva dans un couloir un peu sombre avec, face à lui, deux rangées de portes : une à droite, une à gauche. Et maintenant ? Se demanda-t-il. Il avait l'habitude du service dont son père s'occupait, mais la morgue… Liam décida de ne pas perdre de temps et de se servir de ses sens olfactifs. Bien vite, il repéra la signature odorante de son père : il reconnut son parfum, léger, discret mais agréable. Disons qu'il faisait des efforts pour en mettre moins depuis la transformation de son fils, qui avait du mal avec les eaux de Cologne et compagnie à la maison. En somme, il s'était adapté.

Ainsi, Liam ouvrit précipitamment une porte et tomba sur le visage cerné de son paternel. Ce dernier n'était pas seul : Melissa McCall se trouvait à ses côtés et l'on pouvait clairement deviner à son visage que rien n'allait tant il était décomposé. On ne peut plus perturbé, Liam réagit à peine lorsque son père vint l'étreindre et le remercier d'être venu aussi vite. Il était perdu. Même si tous les frigos autour de lui était fermés, il se savait entouré de morts et il était là, dans les bras de son père, bien vivant, au top de sa forme… Un peu en retrait, Melissa avait les yeux rivés au sol. Même si elle ne paraissait pas très en forme, elle avait l'air d'aller bien. Son odorat lupin ne capta aucune odeur de sang frais, rien qui n'alerte son instinct animal. Ayant besoin de comprendre, Liam repoussa doucement son paternel et lui demanda de but en blanc ce qu'il se passait. Si tout allait bien, pourquoi lui demander de venir avec une telle urgence ? Il se douta que la raison à tout cela ne se trouvait pas dans cette salle.

Melissa et le docteur Dunbar se regardèrent et Liam perçut autant leur inquiétude qu'il la vit. Une nouvelle vague de stress le traversa. Il détestait ne pas savoir les choses ou du moins, qu'on prenne des pincettes avec lui et que l'on retarde le moment. S'il s'était passé quelque chose de grave, il fallait le lui dire ! Il était grand, bon sang ! Encore jeune, certes, et il en était diablement conscient, mais il avait grandi. Le surnaturel, à défaut de lui voler complètement son innocence, lui avait ouvert les yeux sur bon nombre de choses et sur le danger omniprésent, sous toutes ses formes.

Enfin, Melissa – elle avait les yeux un peu rouges, non ? – tourna la tête vers lui.

- Tu serais capable de reconnaître l'odeur de Stiles ? Demanda-t-elle faiblement.

Elle avait la voix rauque, enrouée. Le genre de voix qui laissait entendre qu'il s'était passé quelque chose de grave. Liam, déjà passablement tendu, se retrouva complètement crispé et son regard se voila tandis qu'il hochait la tête.

- Je peux, mais ça serait bien que j'ai un référent… Un vêtement à lui, précisa-t-il.

Sauf qu'il ne ferait rien tant qu'on ne lui aurait pas expliqué la situation. Si Stiles avait disparu… Pourquoi l'attendait-on ici, à la morgue ? Quelques hypothèses toutes plus farfelues les unes que les autres lui traversèrent l'esprit, mais aucune ne le satisfit. A l'intérieur de lui s'était d'ores et déjà créé une forme de blocage l'empêchant d'aller très loin dans ses réflexions.

Melissa et le docteur Dunbar se regardèrent. L'hésitation se lisait sur leurs traits, d'autant plus qu'une grande inquiétude avait commencé à faire pâlir son père.

- Papa, dit-il, il faut que tu me dises ce qu'il se passe. Moi, je ne comprends pas : tu me fais venir en urgence, ici et je… Merde, quel rapport avec Stiles ? Et puis pourquoi t'es là, d'abord ? Tu ne travailles pas dans ce service, à ce que je sache !

Le docteur Dunbar soupira et prit un air réellement soucieux, voire bouleversé. Il hésita, encore. Melissa, de son côté, garda le silence, mais son odeur nauséabonde ne lui disait rien qui vaille. Enfin, le médecin s'anima : mais son geste n'eut aucun sens aux yeux du blondinet.

Car il venait d'ouvrir l'un des frigos.

Liam se tendit, mais retint un soupir de soulagement en voyant qu'il était vide.

- Approche-toi et sens, lui demanda son père d'un ton… Un peu fébrile.

Le jeune homme, non sans se méfier et d'un air dégoûté, s'exécuta, se pencha et… Sentit un frisson horrible le parcourir de part en part. Parce que son odorat était très fort et avait capté quelque chose de très particulier. Quelque chose qui fit renforça certaines idées, certaines connexions. Sauf que Liam était jeune et il y avait des choses que son côté conscient préférait ne pas imaginer pour le protéger.

Ce qu'il ne savait pas, c'est que son père avait sincèrement cherché à le protéger, mais… Malheureusement, il avait dû prendre une décision difficile.

Le mêler à quelque chose qui le dépassait lui-même.

Au départ, c'était Scott que l'on avait voulu faire venir, mais celui-ci… Ne répondait pas. Melissa s'était alors souvenu qu'il dormait chez une copine et qu'il était généralement injoignable dans ces moments-là – ce que Stiles avait déjà déploré par le passé et dont Melissa se plaignait également. Les autres ? Au vu de l'heure, il y avait peu de chances qu'ils soient réveillés. Liam était malheureusement le seul lycanthrope disponible parce que son père connaissait son fonctionnement par cœur.

Et cette fois, ils avaient besoin d'un loup.

Liam releva un regard à la fois affolé et perdu vers son géniteur.

- A quoi ça rime ? Demanda-t-il, plus que troublé.

L'horrible vérité ne lui était pas parvenue. Pas encore. Son inconscient avait fait le lien.

- Je ne sais pas, mon fils, déplora son père. Je n'en sais rien.

- Tu dois bien savoir pourquoi ça sent Stiles dans ce… Ce truc !

Parce qu'il ne pouvait pas imaginer l'étincelle éteinte, tout simplement. Tant qu'on ne le lui disait pas, Stiles… Allait bien. Il s'agissait d'un déni volontaire.

- Ecoute, l'important, c'est que tu retrouves sa trace au plus vite, intervint une Melissa tremblante. Tu es si jeune… Comme ton père, je ne voulais vraiment pas t'inclure dans l'équation, mais… Il faut que tu suives cette odeur, le temps qu'on trouve un moyen de se procurer l'un de ses vêtements. Nous devons faire vite…

L'infirmière semblait encore à deux doigts de pleurer et son visage complètement défait n'aidait en rien Liam à réfléchir correctement, d'autant plus qu'il la sentait on ne peut plus fébrile, comme si elle était à deux doigts de s'effondrer – si elle ne l'avait pas déjà fait. Doucement, le blondinet commença à s'énerver et demander de plus amples explications d'un ton sans équivoque, un ton qui appelait à l'éclaircissement. Il était là, perdu, englué malgré lui dans une situation dont il ne savait pas s'il était capable de la supporter. En lui, son conscient et son inconscient se battaient. L'issue de ce combat mental était tout sauf clair, tant et si bien que le jeune homme ne savait pas quoi penser, ne savait pas ce qu'il devait comprendre. Réalité. Déni. Protection.

- Ton ami est mort et son corps a disparu, Liam ! S'exclama finalement le docteur Dunbar d'une voix étranglée, à bout émotionnellement. On l'a enlevé !