- Tu m'expliques ?
Evidemment, Stiles ne semblait pas à son aise. Il ne cessait de fuir son regard, d'essayer de se dérober, d'être si discret que l'on aurait dit qu'il cherchait simplement à se faire oublier… Ce qui semblait être le cas – Derek en était même certain. Cependant, il ne pouvait pas ignorer l'attitude un peu trop soumises de l'hyperactif qui… Ne devait clairement pas l'être. Premièrement, il avait l'âme d'un rebelle. Ensuite… Il avait un gosse, merde ! Il s'agissait là d'ailleurs d'un motif suffisant pour ne justement pas s'écraser. Là, Stiles avait clairement laissé l'enfant lui marcher dessus en le laissant faire ce qu'il voulait et lui dire des choses… Des choses que Derek lui-même n'arrivait pas à digérer. Alors oui, il voulait bien comprendre qu'il avait été un peu rude dès son réveil et pas très agréable avec lui, mais ce n'était pas une raison pour s'effacer ainsi ! Et étonnamment, voir ce visage pâle et sentir cette odeur toujours aussi piquante, toujours aussi lourde… Le poussa à se promettre de faire un effort, au moins pour se montrer moins rustre. Il était vrai qu'il n'était pas le seul à devoir subir cette situation. Stiles aussi. Peut-être était-ce pour cette raison que l'hyperactif s'était laissé faire face à son… Leur fils ? Derek retint une grimace. Imaginer sa vie partagée de cette manière lui faisait tout drôle : c'était même bizarre. Il s'obligea à se recentrer. Dans tous les cas, trouble ou pas, rien ne justifiait l'attitude basse et soumise du châtain face au petit monstre. Une petite voix intérieure lui souffla que ce n'était peut-être pas la première fois qu'une telle scène se produisait ici.
Sans trop savoir pourquoi, il la crut instantanément. Parce qu'elle était le reflet de son instinct. Dans son esprit, des tas d'alarmes s'étaient enclenchées et il ne comptait pas les ignorer… Pas cette fois. S'il voulait comprendre et améliorer sa situation, il fallait maximiser leur entente. Mais avant d'en arriver là, il allait falloir travailler l'hyperactif au corps et il le savait.
Sans se douter d'à quel point il avait raison.
Derek croisa son bras sur son torse et se tint bien droit, pour lui montrer qu'il ne comptait pas abandonner à cause de son silence. Il fallait avouer que celui-ci était perturbant, mais… Le loup n'était pas du genre à laisser tomber pour si peu. Encore moins lorsqu'il sentait que quelque chose de profond se tramait.
Et Stiles continuait d'éviter son regard en gardant le sien baissé. Il n'avait pas essayé de parti ou de résister lorsqu'il l'avait entraîné ici, néanmoins… Il était clair que la honte le dominait en plus de cette douleur qui semblait ne jamais le quitter. Même à son réveil, il avait l'impression de l'avoir sentie, comme si… Comme si ça n'allait déjà pas vraiment dans la vie de l'hyperactif avant qu'il ne vienne la bouleverser malgré lui.
- Stiles, tu m'expliques ? Répéta-t-il, voyant que le silence du châtain durait.
Le susnommé finit par pousser un profond soupir après s'être assis au bord du lit. De… Leur lit. Derek frissonna rien qu'à cette pensée. Pas parce qu'elle était dégoûtante, juste… Parce qu'il n'arrivait pas à se dire qu'il avait potentiellement fait sa vie avec Stiles. L'idée de leur union lui paraissait… Etrange. Incongrue. Anormale. Anormale parce qu'elle lui semblait tout sauf naturelle. Lui, avec celui qui avait toujours cherché à le faire sortir de ses gonds ? C'était bizarre. Derek était du genre à avoir besoin de calme, de stabilité.
Quoiqu'en y repensant, Stiles n'avait pas montré le moindre signe d'hyperactivité depuis qu'il s'était réveillé dans cette vie-là. Ce point suffit à lui confirmer que le châtain lui cachait beaucoup de choses… Des choses qu'il comptait bien découvrir, pour leur bien à tous les deux.
Stiles finit par lever un regard mi-triste mi-agacé dans sa direction et pour la première fois depuis qu'il avait affaire à lui, Derek fut heureux de voir ce semblant de colère. Parce qu'ainsi, son regard paraissait plus vivant. Il avait l'impression de le reconnaître – dans une moindre mesure, certes. Parce que le Stiles qu'il avait côtoyé s'emportait lorsque quelque chose n'allait pas et ne se laissait pas faire. Il avait dans le sang cette fibre rebelle qui l'obligeait à ouvrir la bouche sans arrêt, histoire de faire entendre sa voix – au sens propre comme au sens figuré. Bien que cette lueur soit trop légère, trop faible pour être celle qu'il avait toujours connue, elle était là et il la reconnaissait.
- Et toi, tu pourrais m'expliquer ce que tu es venu faire ? Cracha-t-il en serrant les poings sur ses cuisses.
S'il y avait bien une chose à laquelle Derek ne s'attendait pas, c'était cette question. Parce qu'elle était… Tout simplement incongrue. Le loup retrouvait là l'hyperactif : l'imprévisibilité était une caractéristique qui lui allait étrangement fort bien, elle flirtait même avec la qualité.
Néanmoins, Derek ne l'avait pas entraîné ici après avoir « puni » l'enfant, pour s'extasier sur un souvenir – alors qu'il devrait y être insensible, selon lui. Ainsi, il choisit de ne rien montrer de son trouble mis à part son étonnement qui avait été trop instinctif pour être dissimulé à temps.
- Tu te poses vraiment la question ? Rétorqua Derek. Stiles, tu le laissais te marcher dessus ! Le gosse n'a même pas l'air d'avoir dix ans et tu le laisses te dire toutes ces choses ! Tu trouves ça normal ?!
L'ire calme ne sembla pas quitter le regard ambré de l'hyperactif qui, étonnamment, n'éleva pas la voix lorsqu'il décida de répondre :
- Je ne dis pas que c'est normal. Simplement, je n'ai pas vraiment le choix. Si tu te souvenais de notre vie, peut-être que tu comprendrais, mais en l'état actuel des choses… Permets-moi de te dire que tu n'as pas ton mot à dire.
Il y avait quelque chose d'alarmant, quelque chose qui transparaissait autant dans ses mots que dans son ton. En Derek, son loup s'agitait, percevant et devinant avant son côté humain un schéma des plus malsains. Alors, il choisit d'accepter de jouer à ce petit jeu soulevé par l'hyperactif :
- Et si tu essayais de m'expliquer ce que tu entends par là ? Peut-être que ça me rafraîchirait la mémoire.
Il avait plus ou moins délibérément pris un ton acerbe, presque arrogant, juste pour ne pas se laisser faire et lui montrer qu'il avait son mot à dire. Et en même temps, il savait que Stiles lui dirait ce qu'il désirait savoir : si tel n'était pas le cas, l'hyperactif ne lui aurait jamais laissé entendre quoi que ce soit. Lorsqu'il désirait garder quelque chose secret, personne n'avait jamais connaissance de cette idée. Alors oui, Derek devinait qu'en un sens, l'humain désirait réellement en parler, sans toutefois le dire directement. La chose lui pesait, mais il ne voulait sans doute pas passer pour celui qui se plaignait. En tout cas, c'était l'analyse qu'il se faisait selon ce qu'il connaissait de son Stiles à lui. Enfin non, pas son Stiles, mais… Derek balaya sa confusion d'une pensée. Il ne devait pas s'égarer. Pas maintenant.
Une nouvelle lueur naquit dans le regard ambré si particulier de Stiles.
- Je ne t'expliquerai qu'à une seule condition.
- Laquelle ? Rebondit aussitôt Derek.
La rapidité de sa réaction laissait si peu place au doute qu'il savait que dans un sens, il s'était mis dans une position de faiblesse. Ainsi, Stiles devait s'attendre à ce qu'il accepte – presque par avance – sa proposition future. Et le pire, c'est qu'il aurait sans doute intérêt à le faire. Pour le moment, il choisit de ne pas y penser, histoire de se concentrer sur le visage de son… « Mari ». Mari qui ne perdit pas de temps avant d'exposer sa demande :
- Que tu acceptes de laisser Deaton t'ausculter.
- Pas de problème, répondit instantanément Derek.
Stiles ouvrit de grands yeux, surpris et le loup sut qu'il avait marqué un point. La demande de l'hyperactif n'était pas difficile à accepter, d'autant plus que Derek n'avait rien à perdre. Deaton était un ami et… Oui, peut-être qu'il aurait la solution à son problème. Et même s'il ne l'avait pas, au moins, il gagnait des aveux de la part du châtain sans que cela ne lui coûte rien. Se faire ausculter par l'émissaire ne le dérangeait pas le moins du monde s'il pouvait, à côté, a minima comprendre l'attitude de soumission plus qu'étrange de l'hyperactif.
Derek ne fit même pas attention au fait qu'il ne pensait plus tout à fait de la même manière qu'à son réveil. Oui, il voulait comprendre et retrouver sa vie d'avant : néanmoins, le comportement de Stiles le perturbait réellement. Il le reconnaissait… Mais rien n'allait. En fait, il avait l'impression de faire face à une sorte de coquille à moitié vide et cela ne lui allait pas le moins du monde.
- J'irai le voir sans problème, dit-il comme pour confirmer ses dires.
- Tu ne… Tu n'essaies pas de résister ? Balbutia l'hyperactif. Tu n'essaies même pas de négocier pour ne pas y aller ?
- Je ne vois pas pourquoi je le ferais. En tous les cas, reprit Derek pour recentrer le sujet sur ce qui l'intéressait, tu dois m'expliquer pourquoi tu te comportes comme ça avec… Eli.
Prononcer son nom lui était réellement étrange : c'était à la fois bizarre et naturel. Comme si son nom avait sa place sur sa langue… Tout en continuant de lui être étranger. Un paradoxe mystérieux qu'il aimerait bien réussir à résoudre… Au moins pour dissiper toutes les zones d'ombres qui entouraient son arrivée dans cette espèce de monde parallèle.
Stiles parut réfléchir à ses paroles un instant, avant de soupirer, encore. Aux yeux du loup, il ne semblait faire que ça. Et la manière dont il obéit fut bien trop rapide pour que Derek soit rassuré, car sa réponse lui donna l'image d'un hyperactif qui n'était plus que l'ombre de lui-même.
- C'est juste… C'est comme ça, c'est tout.
Derek haussa un sourcil et domina comme il le put le semblant de colère qui montait doucement en lui. Pas que Stiles l'énervait en soit : c'était son attitude molle et frêle qui l'agaçait, parce qu'elle n'avait rien avoir avec l'hyperactif qu'il avait connu. Absolument rien. Le même corps – qu'est-ce qu'il en savait ? –, les mêmes yeux ambrés, la même frimousse… La personnalité en moins. Bordel, il ne semblait même plus être hyperactif.
- Mais encore ? Tenta le loup.
Pour l'instant, il gardait une attitude civilisée et luttait contre son côté sauvage qui ne demandait qu'à s'exprimer. Et si Derek avait l'habitude de se montrer rustre, il savait que cela ne l'aiderait pas à convaincre Stiles de coopérer. Dans cette histoire, ils devaient s'allier pour régler les choses au mieux et l'ancien alpha devait reconnaître qu'il n'avait pas été des plus sympathiques au départ, alors… Il tentait de se maîtriser, au moins pour ne pas empirer la situation. C'était loin d'être aisé, mais il faisait de son mieux. En tout cas, il se montrait un peu plus civilisé qu'au départ et c'était un bon début, à ses yeux. Disons que le choc était plus ou moins passé et qu'il réagissait moins au quart de tour… Pour l'instant. Sa nature lupine rendait parfois un peu difficile la gestion des émotions et par extension, de ses réactions.
- Eli est assez… Il a du mal quand tu n'es pas là, commença Stiles en détournant les yeux, toute colère ayant disparu autant de ses iris que de son odeur. Et tu es… Tu es souvent absent.
Derek croisa ses bras sur son torse et fronça les sourcils en essayant d'accepter cette éventualité. Il fallait qu'il s'approprie cette idée, au moins pour pouvoir comprendre et avancer.
- Ton travail te prend… Te prenait beaucoup de temps. C'est pour ça que j'ai fait en sorte d'alléger mon emploi du temps, histoire de pouvoir compenser, avec le petit.
Jusque-là, Derek suivait. Pour lui, les éléments n'étaient pas encore probants, mais il savait que Stiles allait bientôt y venir. Alors, il garda le silence en attendant la suite.
- Il a son caractère, et… Il te considère comme son modèle.
- Pourquoi ? Ne put s'empêcher de demander Derek.
- Parce que tu es comme lui, répondit tout naturellement l'hyperactif. Un loup-garou.
Derek fronça d'autant plus les sourcils. Dans sa tête, le schéma se faisait un peu plus claire, un peu plus précis, d'autant plus qu'il sentait la douleur dans les mots du châtain qui ne pouvait s'empêcher de tripoter son alliance distraitement. Derek garda un instant les yeux rivés sur ses doigts avant de les détourner, pour s'éviter un trouble supplémentaire.
- Avant, tout se passait bien avec lui, mais depuis quelques mois… Il est imbuvable avec moi, rit douloureusement Stiles.
- Tu sais que tu le confortes dans son comportement en le laissant faire ? Lui rappela le loup.
- Oui.
Sa franchise étonna le loup, qui s'attendait à une espèce de déni, ou une tentative de diversion de sa part. Mais non, Stiles ne lui cachait rien et semblait réellement conscient de tout cela… Ce qui rendait la chose d'autant plus perturbante.
- Alors pourquoi tu te laisses faire ? Ne put s'empêcher de demander Derek, perplexe.
Disons que la logique de l'hyperactif le dépassait. Pour l'instant, il ne voyait rien qui puisse justifier une telle attitude et un tel manque de volonté.
- Ces derniers mois, tu étais très pris par ton travail, lui apprit Stiles, et quand tu rentrais… Tu étais juste épuisé. Alors c'est bête, mais le laisser passer ses nerfs sur moi est la seule idée que j'avais trouvée. Comme ça, le soir, quand tu rentrais, il était calme… Tu ne subissais pas ses humeurs et il te couvrait d'amour. Il t'aime, tu sais ? Alors même si tu ne te souviens de rien, tu ne peux pas lui en vouloir de te réclamer.
- Mais je peux lui en vouloir de te parler de cette manière, rétorqua Derek.
Pour lui, les explications que lui donnaient l'hyperactif ne justifiaient en rien son attitude. Elles étaient sincères, il n'avait aucun doute là-dessus, cependant… Dans l'éventualité où tout cela était réel, il y avait encore des incohérences, des zones d'ombres qui n'allaient toujours pas au loup qui, dans son idée de faire des efforts, décida d'aller s'assoir à côté du châtain. Châtain qui se crispa et dont l'odeur gagna en piquant. Derek le vit très nettement serrer les poings tout en évitant de le regarder… Comme si c'était trop douloureux pour lui.
- Tu n'as pas à lui en vouloir pour quelque chose comme ça. C'est rien et… J'ai l'habitude, lâcha l'hyperactif en baissant les yeux.
Derek tiqua : cela faisait deux fois déjà que Stiles lui sortait cette phrase, cette idiotie. Mauvais, lui souffla son instinct. Et il était complètement d'accord avec lui.
- Donc pour toi, c'est normal qu'il te manque de respect, railla le loup.
- Non, ce n'est pas ça, mais…
- Mais ?
Il y avait autre chose. Autre chose de bien plus profond, bien plus sombre. Et Derek sentait qu'il le frôlait.
- Laisse tomber, lâcha soudainement Stiles en se levant. De toute manière, je ne vois pas en quoi ça t'intéresse. A tes yeux, ce n'est même pas ton fils.
Sa voix s'était mise à trembler sur la fin et Derek crut entendre d'autre mots sortir de sa bouche. Des mots à peine soufflés, tant et si bien qu'il ne fut même pas sûr de les avoir entendus. Mais il les comprit malgré tout.
« Et pourtant c'est toi qu'il aime. »
- Tu vas où ? Lui demanda-t-il, sourcils froncés.
- M'en griller une, répondit l'hyperactif en se dirigeant vers la porte.
Derek se leva à son tour, mû par un étrange instinct. Comme s'il devait agir, là maintenant.
- On n'a pas fini de parler.
Mais Stiles lui lança un regard qui le tétanisa sur place tant il était douloureux. C'est alors qu'il souffla simplement :
- J'ai besoin d'un temps mort, là maintenant. Laisse-moi tranquille.
