Derek avait eu du mal à s'endormir, voire à dormir tout court. Il avait toujours été du genre à rester dans son endroit à lui, son lit, sa tanière. L'inconnu ne le rassurait pas. Et cette maison… Elle ne lui disait rien. Il avait bien essayé de prendre le canapé à la place de ce lit trop grand pour lui, mais Stiles ne lui avait pas laissé le choix : il s'était installé d'autorité dans le salon et n'avait pas voulu poser un pied dans la chambre. Usé par cette journée à rallonge pour le moins incompréhensible, Derek n'avait pas vraiment lutté. Et pourtant, il avait pensé avoir cruellement besoin de sommeil. Plus que cela, le loup avait eu un espoir.

L'espoir de se réveiller chez lui, dans son monde, dans sa vie. L'espoir de confirmer que toute sa désillusion n'était que le fruit d'un simple cauchemar. L'espoir de retrouver ses repères et reprendre le cours de cette existence qu'il avait laissée en plan malgré lui.

Oui mais voilà, il se trouvait toujours dans ce lit, dans cette chambre qui n'était pas la sienne. Et il avait passé un temps monstre à réfléchir ou plutôt ruminer, si bien qu'il avait entendu Stiles s'activer dès l'aube pour faire il ne savait quoi. Puis, à sept heures, il avait levé le petit qui, bien sûr, avait râlé. Fort heureusement, il n'avait pas manqué de respect à Stiles – et cette idée lui était très importante. S'il ne portait pas l'hyperactif dans son cœur, il trouvait néanmoins totalement anormal qu'un gosse lui parle comme il l'avait fait la veille.

Mais comme tout s'était « bien passé » ce matin, Derek n'avait pas ressenti le besoin d'intervenir et de toute manière… Il n'en avait pas le courage. Ni l'envie. Rien ne l'animait actuellement, pour être honnête. Son réveil… Était aussi décourageant que sa nuit. Alors non, Derek n'avait aucune énergie, qu'elle soit physique ou mentale. Son coup de mou dura un moment – plusieurs heures – avant qu'il ne finisse par se lever. Se débarbouiller lui demanda des efforts considérables et traverser cette maison… Lui fit l'effet d'un coup de poignard car jamais il ne s'était senti aussi étranger à sa propre vie. Il se faisait l'effet d'un intrus, un imposteur. Mais dans la chambre, dans le salon, dans les couloirs… Il y avait des photos. Des tas de photos. Parfois, ils étaient deux. Juste Stiles et lui, souriant comme jamais. Mais la plupart du temps, ils étaient trois. Eli se trouvait tantôt dans ses bras, tantôt dans ceux de l'hyperactif. Et ils semblaient heureux. Tous.

Sauf que Derek n'arrivait pas à se reconnaître. Sur ces photos, c'était lui… Sans être lui. Sourire ? Ce n'était pas son genre. Prendre quelqu'un dans ses bras ? Non plus. Il évitait les contacts comme la peste alors forcément, il avait dû prendre sur lui la veille, lorsqu'il avait fallu qu'il honore sa promesse. Effectivement, il avait laissé le temps au gnome de réfléchir à ses paroles avant d'aller passer quelques minutes avec lui, ne serait-ce que pour faire illusion. Faire ce qu'on attendait de lui. Puis à ce moment-là, c'était plus facile d'agir par automatisme que de réfléchir. L'échange qu'il avait eu avec Stiles avant que celui-ci ne close définitivement leur discussion l'avait sans doute un peu trop sonné. Cette manière qu'il avait d'abandonner sans arrêt… Ce n'était tellement pas lui ! Ou alors si, mais trop usé pour pouvoir se battre contre quelque chose qui le dépassait… Ce que Derek, avec du recul, pouvait tout à fait comprendre.

Toutefois, cela ne l'empêchait pas de continuer de ruminer à son propos et de se dire… Qu'ils avaient besoin d'avoir une réelle discussion. Celles qu'ils avaient eu la veille ne comptaient pas car elles s'étaient avérées stériles, vides de sens. Quoique dire cela serait mentir : dans un sens Derek en avait appris davantage sur Stiles. Sur l'homme qu'il semblait être devenu. Sur cette étrange relation qu'il entretenait avec son… Leur fils. Si Derek voulait comprendre au mieux cette situation pour s'en débarrasser, autant faire comme s'il l'acceptait. Enfin, il allait essayer. Parce qu'envisager qu'il avait été consentant quant au fait de fonder une famille… C'était difficile à imaginer pour lui, l'éternel solitaire pour qui l'amour était un serpent déguisé en colombe.

En tous les cas, Derek avait mentalement dressé un portrait de cette étrange famille qu'ils semblaient former. Un loup-garou solitaire et bougon. Un gosse ingrat et agaçant. Un hyperactif mou et effacé. Le tableau n'était pas très joyeux et ce, même s'il s'extirpait momentanément de l'équation. En fait, il semblait même se durcir. Car le petit semblait lui porter un respect certain ainsi qu'une admiration manifeste : une fois qu'il disparaissait de son champ de vision, son sourire s'en allait et il se montrait désagréable avec son autre père. Depuis qu'il était arrivé dans cette espèce de… Monde parallèle – Derek ne savait pas comment voir la chose autrement –, l'ancien alpha ne l'avait pas entendu lui adresser un seul mot d'amour. Après, peut-être tombait-il mal, peut-être… Que cette tension entre le père et le fils n'était que passagère.

Puis, il se souvint des mots de Stiles et se rendit à l'évidence : en fait, il y avait un véritable problème entre eux. Derek se demanda un instant s'il devait réparer leurs différends pour espérer retourner dans sa vie, comme dans certains films ou livres, avant de se faire la réflexion que cette idée était complètement stupide. Digne d'un enfant. Ou d'un homme désespéré.

En arrivant dans la cuisine, Derek n'eut même pas envie de manger un bout. Même si cet endroit semblait être sa maison, il ne s'y sentait pas à l'aise. Pas pour l'instant en tout cas. De même, il était beaucoup trop préoccupé pour être capable d'avaler quoi que ce soit – c'était à peine s'il avait grignoté quelque chose la veille au soir. Derek n'avait aucun problème avec la nourriture : pour cette fois, il avait juste… Un peu de mal avec l'incongruité de cette situation qui le dépassait complètement. Alors, il passa simplement un moment à se morfondre et à réfléchir, à se demander ce qu'il pourrait faire… Au moins pour améliorer son étrange relation avec Stiles. Le reste… Il imaginait que cela viendrait tout seul. De toute évidence, il semblait parti pour rester là, alors… Il avait le temps. Et ce temps, il ne comptait pas le passer à lancer des piques à tout va ou subir la mollesse de Stiles… Quoique les mots étaient plus ou moins mal choisis. Disons qu'il ne voulait pas continuer de voir une aussi peu flatteuse version de l'hyperactif qui, s'il avait tendance à l'agacer, était pourvu de nombreuses qualités qui le rendaient lumineux.

Ce Stiles-là, son époux… Il était terriblement terne. Et Derek avait l'impression que sa déchéance n'était pas uniquement due à leur relation, ou à Eli. Il y avait autre chose, oui, mais quoi ? Le loup-garou n'avait pas forcément envie de le savoir tant il avait de problèmes de son côté, cependant…. Cependant, il le fallait. Quitte à être coincé ici, autant apporter son aide autant que faire se peut.

Fut un moment où Derek entendit un verrou se déverrouiller et une porte s'ouvrir puis se fermer depuis l'entrée. En toute honnêteté, le loup-garou avait le temps de fuir cette pièce et regagner la chambre dans laquelle il avait dormi et ce, grâce à la rapidité que lui conférait sa nature surnaturelle… Mais il ne le fit pas et ce, même s'il reconnaissait l'odeur de Stiles. Qu'il la sentait piquante. Piquante, oui, tout en étant mesurée. Il se contrôlait.

Si Derek s'attendait donc à voir Stiles débarquer, l'hyperactif ne cacha pas sa surprise de le trouver là. Le loup eut même l'impression qu'il tombait des nues tant il avait l'air… Abasourdi. Et alors qu'il s'attendait à des questions, un genre de salutations ou des reproches, l'ancien alpha le vit se figer face à lui avant de tourner les talons et de sortir de la pièce. Une fuite pure et simple. Derek fronça les sourcils, mais ne s'avoua pas vaincu. Le châtain était têtu, certes. Il n'était pas le seul. Alors, l'ancien alpha se lança tranquillement à sa poursuite, dans cette maison dont il ne connaissait rien, à part le couloir menant à cette chambre dans laquelle il rêvait paradoxalement de s'isoler à nouveau. La solitude lui paraissait bien agréable à côté de cet inconnu dans lequel il avait sombré malgré lui. Cependant, il était décidé à faire avancer les choses, alors ce n'était pas maintenant qu'il allait reculer. Puis d'un autre côté, son esprit de contradiction lui donnait tout simplement envie d'aller contre Stiles. Il refusait la conversation, il fuyait ? Eh bien Derek le rattraperait et lui parlerait.

Rien ne pourrait l'en dissuader, surtout pas maintenant qu'il était désespéré… Et qu'il le savait dans le même état.