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Je me gare en double file sur le trottoir juste en face de la grille d'entrée du lycée. Impossible de le rater, d'ici.
Quand je pense que c'est la première fois que je viendrais le chercher au lycée... Pourquoi il faut que ça soit dans ces putains de circonstances... ?!
Mes mains tremblent encore sur le volant. J'arrive pas à les arrêter. J'ai failli me manger plusieurs voitures en venant à cause ça. Sûrement aussi à cause du petit cent soixante kilomètres heures que j'ai fait tout le long de l'autoroute... Heureusement que je suis pas tombé sur les flics, parce que dans mon état de panique actuel, j'aurais fini en garde à vue. Et ça n'aurait vraiment, mais alors vraiment pas été le moment.
Je me décide à sortir dehors lorsque je vois les premières vagues de lycéens tout sourires d'être enfin libérés provisoirement de cet enfer. C'est exactement ce que je me disais à chaque fin de journée, il y a trois ans en arrière. Une nouvelle journée en enfer qui s'achève jusqu'à la nouvelle qui commencera demain matin, 8h tapantes.
C'est fou comme on relativise beaucoup plus sur une banale notion comme « l'enfer » quand le monde autour de nous s'écroule subitement...
Je m'allume une clope et mes putains de mains tremblent encore tellement que j'ai du mal à gratter correctement la pierre du Zippo. Je finis par m'adosser à la bagnole en attendant de repérer mon colis parmi toutes ces têtes de bébés immatures. Je dois avoir une gueule à faire peur vu la tronche que tirent certains en me regardant.
Pas comme si ça changeait beaucoup de d'habitude, en soi.
Les minutes passent et ma jambe gauche ne peut pas s'empêcher de tressauter d'impatience. J'en peux plus. Ça fait trois heures que j'étouffe. Je sais qu'il n'y aura pas grand-chose dans l'immédiat qui me fera me sentir mieux –à moins d'un bon gros pur, mais ça on verra plus tard-, mais je sais que je me sentirais déjà un peu plus léger dès qu'il sera là.
J'vais toujours un peu mieux quand il est là.
- Ace... ?
Je relève la tête et mon regard s'accroche à une tête verte qui me dit vaguement quelque chose : le regard froid et le visage fermé, les trois boucles d'oreilles dorées... J'avise le brun juste derrière lui qui me regarde avec des yeux comme des ballons et je replace immédiatement le long nez carrément anormal dont je me suis tellement foutu dans ma tête.
Usopp et Zoro, si je ne me plante pas. Ça fait un bail que j'ai pas vu le premier et j'ai juste aperçu le deuxième en coup de vent à mes dernières vacances chez les parents, alors qu'il venait chercher mon petit frère. Des bons gars, d'après ce qu'il me dit. Ses meilleurs potes, même.
- Salut, lancé-je platement -j'ai pas la foi de faire plus accueillant actuellement, même si je ne suis pas non plus réputé pour être le mec le plus sociable qui soit en temps normal, surtout avec les inconnus.
J'observe rapidement les trois autres qui leur collent au train, en devinant aisément qu'il s'agit du reste de la bande que je ne connais pas. Je me doute immédiatement que le nain de jardin affublé d'un bonnet bizarre est le fameux surdoué qui est arrivé en cours d'année dont m'a tellement parlé Luffy, Chopper, il me semble. Le blond doit être –par élimination- le dénommé Sanji, tandis que la rouquine doit être la fameuse Nami. Elle me regarde encore plus bizarrement que les autres, d'ailleurs. Sûrement que ça doit lui faire drôle de rencontrer enfin le mystérieux aîné de son pote. Car je ne doute pas que Luffy doit leur parler de moi à tout bout de champ.
En tout cas je l'espère, car moi je parle vraiment beaucoup trop de lui à mes propres potes, parfois.
- Qu'est-ce que tu fais là... ? S'étonne Usopp avec une mine pas des plus rassurées. T'es venu chercher Luffy ? Il est parti avec le directeur tout à l'heure mais je sais pas pourquoi et il a pas répondu à mes messages... Et là il répond pas non plus à mes appels...
Je le vois zieuter son portable les sourcils froncés. Ouais... Comment lui dire que je ne suis pas certain que mon petit frère ait très envie de papoter, là tout de suite... ?
- ... On peut savoir ce qu'il se passe... ? Me demande Zoro à tâtons et je suis content de constater que Luffy s'est trouvé quelques potes qui ont l'air d'avoir un peu plus de neurones que lui.
Mais j'ai pas le temps de lui répondre que mon regard est attiré par une touffe de cheveux noire qui accourt dans notre direction. Quelque chose se décolle dans ma poitrine, mais en même temps je sens mon cœur se serrer en constatant qu'il se planque le visage sous ses cheveux. Je suis autant soulagé de le voir enfin qu'effondré de constater qu'il a l'air de pleurer comme il ne l'a pas fait depuis au moins six bonnes années. Et c'est pas la sensation la plus agréable qui soit.
L'instant d'après, j'ai une tornade qui s'écrase contre moi en bousculant maladroitement ses potes au passage, sans même se retourner. Mes bras se referment automatiquement sur lui et je le serre de toutes mes forces contre moi en sentant ses sanglots.
Putain. Je veux pas le voir comme ça.
Je me noie dans ses cheveux comme j'aime souvent le faire, et pour une fois ce geste pourtant si réconfortant en temps normal devient un véritable supplice en cet instant. Ses larmes sont bruyantes même s'il essaie de les étouffer contre moi et ça m'explose le cœur. Voir Luffy pleurer a toujours eu le don de me vriller l'âme et là on atteint un point culminant. À tel point que j'ai moi-même les yeux qui picotent méchamment.
Ses potes nous avisent d'un air aussi éberlué que désolé. Peut-être qu'ils ont compris, mais ils ne disent rien. Il n'y a rien à dire, dans ces moments-là.
Il y a juste à encaisser du mieux qu'on peut.
Je sens mon petit frère s'effondrer contre moi, ses jambes le lâchent. Je ne lui en tiens pas rigueur une seconde : il a même le droit de se rouler par terre en hurlant que je le comprendrais. Mais pas ici. Je le soutiens et ouvre la portière passager d'une main pour l'y faire monter, en prenant bien soin de poser une main sur sa tête pour ne pas qu'il se mange le toit au passage.
Dans d'autres circonstances ça aurait pu me faire marrer, n'en doutez pas.
La portière claque et je prends quand même sur moi pour saluer ses potes d'un léger signe de tête avant de faire le tour de la voiture pour prendre le volant. Mais le dénommé Sanji est plus rapide et rouvre la portière derrière laquelle Luffy s'est recroquevillé, juste assez pour qu'il l'entende :
- Luffy, on est là si t'as besoin !
Je vois Nami et Usopp acquiescer derrière alors que Zoro prend la place du blond pour s'approcher un peu plus de son pote.
- N'hésite pas à appeler, même en plein milieu de la nuit s'il faut.
Je ne vois pas si mon frère leur répond, mais le vert n'attend pas plus pour refermer et se reculer. Je réitère mon geste de la tête en espérant qu'ils comprennent que je les remercie aussi de leur prévenance. Ses potes, il va en avoir besoin dans les semaines qui viennent.
À part moi, il ne lui reste plus qu'eux, maintenant...
Ses pleurs sont insupportables à entendre dès lors qu'on se retrouve dans l'isolement acoustique de la voiture. Je n'ose même pas lui accorder un regard, sinon je ne serai plus capable de conduire. Je lui frotte doucement la tête avant de démarrer et me barrer vite fait.
'Pas sûr que ça sera vraiment mieux dès qu'on sera arrivés à l'appart, néanmoins...
.
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J'ouvre les paupières et j'constate qu'il fait jour dans ma chambre. Je jette un coup d'œil au réveil sur ma table de chevet pour y lire 11h43. Okay... Ça sera qu'une journée de plus où j'ferais ma grosse larve.
Je m'éjecte des draps pour m'asseoir sur le rebord du lit et me frotter le visage d'un geste las. Je sais plus trop quel jour où est, mais je sais que ça fait une semaine aujourd'hui. Une semaine que le dirlo est venu me chercher pour m'apprendre la pire nouvelle de ma vie. Une semaine que je sais même plus pourquoi je continue de me lever, en fait...
J'aurais jamais cru qu'on pouvait passer du tout au tout comme ça aussi violemment, juste avec quelques petits mots. Trois petits mots, ça a été suffisant pour que la psy du lycée foute ma vie en l'air. Pas que ça soit d'sa faute, la pauvre. En vrai elle a été vraiment chic avec moi. J'ai dû passer une heure entière à chialer dans le bureau recroquevillé sur moi-même, sans arriver à répondre à une seule de ses phrases. Mais elle est restée là près de moi, à me frotter le dos avec douceur. Dans l'fond c'était vraiment sympa de sa part même si c'est son boulot, dommage que ça me mettait encore plus mal sur le coup.
Parce que quand t'as une parfaite inconnue qui compatit avec toi au point de te supporter alors que t'es dans le pire des états, tu sais que la situation est pas à prendre à la légère.
Et depuis ce moment j'ai tellement chialé que j'en suis venu à me demander si j'allais pas finir par me dessécher. J'ai les yeux qui menacent de sortir de leurs orbites tellement mes paupières sont gonflées et j'crois que j'me suis percé un tympan à force d'me moucher.
Quand je pense que la semaine dernière à cette heure-là, mon plus gros problème c'était de savoir si j'allais prendre des lasagnes ou du hachis parmentier au self pendant le repas du midi...
J'suis tellement largué.
Une semaine que j'ai l'impression que quelqu'un a pris la télécommande pour mettre ma vie sur pause. J'ai finalement réussi à me débarrasser de la pensée parasite qui me faisait espérer que j'allais finalement me réveiller d'un cauchemar merdique ou que quelqu'un allait m'annoncer la blague du siècle, mais ça m'fait pas aller mieux pour autant.
Ace dit que j'ai juste passé la première phase de déni. Effectivement je crois que j'ai arrêté d'espérer dès que j'entends un bruit dans le couloir de l'immeuble.
Mes parents sont morts. Ils ne reviendront plus.
Je le sais, mais j'm'y fais pas.
Perdre quelqu'un c'est déjà tellement dur. J'me rappelle de quand Maman avait perdu sa propre mère. J'étais encore jeune donc je m'en souviens plus vraiment, mais j'me rappelle de ses larmes. J'me rappelle comme elle a été inconsolable pendant des jours et des jours. Et moi, du haut de ma dizaine d'années, ça me brisait le cœur de voir ma fière maman si effondrée, si démunie.
Alors qu'elle vivait même plus avec elle. Alors qu'elle ne se parlaient plus tant que ça, pendant les dernières années.
Moi, j'étais encore leur petit garçon et je m'entendais super bien avec eux. C'était dans leurs yeux que j'grandissais et que j'me sentais fier d'être c'que j'suis. Mais moi, j'ai perdu les deux d'un coup. Sans prévenir, tout s'est arrêté et j'me suis jamais senti aussi seul sur terre.
C'est pas juste.
Et me r'voilà qui chiale.
J'en ai marre. J'veux juste me recoucher et me réveiller quand ça sera fini. Quand ça fera plus autant mal. D'ailleurs je me remets dans le lit, la couverture me recouvrant jusqu'aux cheveux. En ce moment y'a qu'ici que je me sens un peu mieux. Ici, dans mes draps qui forment un cocon protecteur autour de moi.
Et dans les bras d'Ace, aussi.
En parlant de lui, il est où ? J'ai eu l'impression de l'entendre parler.
Je calme mes larmes pour tendre l'oreille et effectivement, sa voix me parvient. À tous les coups il doit encore être au téléphone...
J'voudrais rester là toute ma vie et plus jamais me lever, mais rien que pour lui j'peux pas. Les draps volent de nouveau et je me mets directement sur mes pieds pour enfiler rapidement le bas de pyjama qui traînait par terre. Je sors ma tête de la chambre pour jeter un coup d'œil au bout du couloir, où on peut voir le salon directement.
Et comme je m'en doute il est là, à faire les cents pas entre le meuble TV et la table basse, le téléphone fixe calé contre l'oreille. Son visage renfrogné est de pire en pire avec les jours qui passent. Sans déconner, il a pris facilement cinq ans dans les dents en l'espace d'une semaine...
Avec toutes les corvées administratives qu'il est en train de se manger, 'pas sûr que son « amour » pour le monde extérieur va beaucoup s'améliorer. Il m'annoncerait qu'il a commis un meurtre dans les jours qui viennent que ça m'étonnerait même pas.
Il est tellement concentré dans sa conversation qu'il ne m'entend pas arriver. Je m'approche à pas de loups et l'attrape soudainement par derrière pour un câlin surprise, et j'suis bien content de lui arracher un sursaut.
- Putain Luffy ! Fais pas des trucs comme ça ! Crache-t-il tout en me repoussant, ce qui me plaît moyen. Oui excusez-moi j'ai pas entendu ce que vous disiez... ?
La moue de bouderie sort toute seule, j'peux pas m'en empêcher. Je sais qu'Ace est un énervé de la vie et je sais aussi que c'est vraiment compliqué pour lui en ce moment, mais j'aime pas qu'il me repousse. C'est tellement rare quand ça arrive et en général, c'est parce qu'il y a vraiment quelque chose de méchant qui le travaille.
Ça n'empêche pas mes stupides larmes de revenir tambouriner à la porte de mes paupières. Ras l'bol. J'suis trop à fleur de peau c'est horrible. D'habitude on me reproche de trop rire et d'être jamais sérieux, 'sûr que Nami ferait un AVC si elle me voyait en ce moment.
J'vais pour m'enfuir vers la cuisine. Pas besoin d'infliger encore mes pleurs à Ace, il a pas besoin de ça en plus et je sais qu'c'est pas sa faute. Mais une puissante poigne m'enserre soudainement l'avant-bras et l'instant d'après, je me retrouve collé au torse de mon grand frère qui m'embrasse le sommet de la tête, en murmurant un petit « excuse-moi » avant de m'emprisonner contre lui.
Il continue sa discussion téléphonique, mais ça m'empêche pas de me lover confortablement contre lui en inspirant l'odeur de son t-shirt au passage. Hmmm... Le bonheur... Papa et Maman étaient les premiers étonnés –autant qu'attendris-, de constater comme on a toujours été hyper tactiles, tous les deux. Le pire, c'est que ni lui ni moi sommes forcément câlins avec les autres (enfin, moi si, un peu quand même, mais quand j'aime vraiment les gens...) Mais nos câlins à nous, ce sont juste les meilleurs. J'en ai besoin autant que lui et en ce moment plus que jamais.
Ça me rappelle encore plus qu'il est et sera toujours là pour moi. Mon grand frère parfait.
Je finis par me décoller de lui quand mon ventre me rappelle bruyamment à la réalité, faisant pouffer mon ainé. Je me barre vers la cuisine en n'oubliant pas de lui envoyer un coup de coude bien senti au passage et je vais vite eme préparer un encas.
Et c'est toujours le même sentiment quand je pénètre dans cette foutue pièce le matin. Un sentiment de vide. Comme si quelque chose manquait.
Le matin était toujours le moment clé de notre famille, comme aimait bien le répéter Papa. Avec leurs horaires à la con, ça arrivait hyper souvent qu'ils rentrent très tard le soir. Le matin était le seul moment où on pouvait se retrouver à coup sûr. C'était là qu'on faisait nos débriefings de la journée de la veille, que je leur racontais mes nouvelles stupidités avec mes amis, que je leur parlais des cours qui ne me passionnaient que moyennement et que je les entendais en rire. Rire de leur idiot de fils qui ne feraient certainement pas de longues études, mais qui était heureux dans sa vie de tous les jours. Et ça, c'était tout ce qui comptait à leurs yeux.
... J'avais vraiment des sacrés parents...
Je m'assois lourdement sur ma chaise attitrée de la table qui bouffe toute la partie centrale de la pièce en avisant la place vide à ma droite et celle d'en face. Est-ce que j'arriverais un jour à les regarder sans les imaginer dessus ? Papa en train de boire son thé avec le journal en main, Maman avec sa tasse de café fumante qui écoute la radio... Une scène que j'ai vécu des centaines et des centaines de fois.
C'est fou comme la plus petite et insignifiante des routines peut nous manquer autant dès qu'elle disparaît.
C'est insupportable. Je récupère mon bol et ma cuillère et j'décampe en direction de la table basse du salon. Les parents avaient en horreur qu'on y mange, ça tombe bien : au moins j'pense un peu moins à eux quand j'y fais mes repas.
On a pris cette habitude avec Ace depuis la semaine dernière et j'suis pas sûr que ça va changer. De son côté, ça l'a toujours fait râler de devoir suivre cette routine qu'il jugeait stricte pour rien de devoir coller son cul à table à heure fixe et de même pas pouvoir mater la télé pendant qu'on mange. Pas que les conversations avec les parents le faisaient chier mais... Un peu quand même. C'est pas qu'il les aimait pas, juste que sa phase d'adolescence a été un peu plus violente que la mienne, j'pense.
On est vraiment le jour et la nuit sur certains trucs, lui et moi. Je l'observe qui continue à faire ses aller-retours inlassables dans le salon, toujours en pleine conversation, alors que je déglingue mes céréales avec avidité. J'me demande comment il vit ça, au fond. On s'connait par cœur lui et moi, mais y'a toujours eu ce truc chez lui qui fait que j'ai jamais su lire parfaitement dans sa tête comme lui lit en moi. J'veux dire, okay on s'entend tellement bien qu'on a dû vraiment s'engueuler quoi, trois fois dans notre vie ? On est toujours branchés sur les mêmes délires, on a souvent les mêmes idées au même moment, on a un millier de goûts en commun et y'a plein de gens qui se demandaient sérieusement si on était pas jumeaux quand on était plus jeunes. Il devine à quoi je pense à la tronche que je tire et il peut même me devancer sur certaines phrases...
Mais moi, des fois, je sais pas ce qu'il pense. Ou du moins pas totalement. Parce qu'on a beau se ressembler sur plein de trucs, dans le fond on est foncièrement différents. Et j'dois bien avouer que depuis qu'il est venu me chercher au bahut la semaine dernière et après toutes les épreuves de merde qu'on a passé ensemble collés h24 –de la préparation des obsèques auxdites obsèques, des retrouvailles familiales pourries et surtout de tout le bordel administratif à gérer-, j'en reviens toujours pas de pas l'avoir vu verser une larme. Pendant que moi à côté d'lui j'étais une véritable rivière.
Pas. Une seule. Foutue larme.
Comment il fait ?
Quoique j'dis ça, mais je sais que pendant le moment recueillement juste avant la mise en bière, il a demandé à rester tout seul avec les deux cercueils. J'espère que c'est à ce moment-là qu'il s'est permis de craquer. Parce que même pendant son discours il l'a pas fait. Son foutu discours tellement émouvant qui m'a noué la gorge au point que j'me suis retrouvé incapable de faire le mien juste après.
Et devinez qui s'est du coup proposé pour le lire à ma place... ?
J'aurais tellement été merdique si les rôles avaient été inversés. Quoique c'est peut-être un truc d'ainé, en fin de compte. Peut-être que le fait d'être le plus vieux donne des sortes de super pouvoirs.
... J'aimerais trop le voir un jour avec une cape et un slip par-dessus son froc.
- Ta tête... ! Pouffe-t-il soudainement et je prends conscience qu'il a enfin raccroché.
- Quoi ma tête ?! Lui rétorqué-je en lui tirant ma plus belle grimace.
- T'avais la tête du Luffy qui pense à une belle grosse connerie. Tu fais partager ?
Je ricane en me refaisant l'image mentale d'Ace le super-héros du dimanche.
- Ça dépend... T'es prêt à enfiler un slip par-dessus des collants ou pas ?
- Ça dépend... T'es prêt à mourir si t'approches des collants de moi ou pas ?
Et on se marre. Il s'assoit lourdement à ma gauche sur le canapé et pousse un soupir fatigué à fendre l'âme.
- T'es levé depuis quelle heure ? Demandé-je la bouche pleine.
- Un truc genre 8h... J'avais rendez-vous à l'assurance à 9h mais j'devais rappeler le boulot de Papa avant. Il manque encore des papelards, ceux que j'ai retrouvé hier suffisent pas apparemment...
J'avise rapidement la tonne de paperasse qui gît sur la table devant moi, l'autre sur le fauteuil à côté et une dernière partie qui s'aligne soigneusement devant la télé sur le meuble en face. Je sais même pas de quoi ça parle que ça m'fout déjà un mal de crâne pas possible. J'comprends pas comment il fait. J'me demande s'il se rend compte à quel point je l'admire, tout particulièrement en ce moment.
Il se met à effriter sa weed et je devine sans peine que c'est l'heure de la pause. Peut-être que c'est justement grâce à ça qu'il tient...
- ... T'arrives à t'y retrouver dans tout c'foutoir ?
- Ça va. 'Suffit d'être un minimum organisé et putain, heureusement que Dragon l'était. Encore un trait que t'as pas du tout hérité de lui, tiens, rajoute-t-il en me lançant un regard moqueur en coin.
J'fais la moue pour la forme, mais le cœur n'y est pas vraiment. J'ai peut-être encore le bide en charpie de toute cette histoire, mais balancer des petites répliques dans le genre sur les parents me fait un bien fou, en vrai. Une compétence en plus à rajouter à la longue liste secrète de mon frangin pour me remonter le moral.
- Parce que toi t'es organisé p't'être ? Répliqué-je. T'as vu ta chambre ?! Y'a plus de fringues par terre que dans ton armoire !
- Sauf que moi j'suis pas en train de chouiner toutes les cinq minutes parce que je retrouve pas mes affaires... !
- Mais ça n'a rien à voir !
- C'est vrai t'as raison, ça concerne plus le fait que t'ais un pois-chiche à la place du cerveau, ça, raille-t-il et j'ai envie de lui arracher les yeux.
J'vais l'faire d'ailleurs. J'vais lui arracher les yeux.
J'me jette sur lui et je commence à lui tirer les cheveux sans ménagement, tandis qu'il essaie de me repousser d'une main, l'autre tenant sa précieuse herbe haute perchée pour éviter qu'on la renverse.
Et il explose de rire en m'enfonçant un pouce dans la bouche pour me faire reculer. J'suis obligé de le suivre dans son hilarité. J'aime beaucoup trop quand il rit.
On se calme et je le laisse terminer son joint tranquillement, tandis que je me demande très sérieusement si je devrais reprendre un autre bol de céréales ou si je devrais carrément prendre mon déjeuner tout de suite, avant de me rappeler que j'ai eu un pincement au cœur en voyant le frigo à moitié vide tout à l'heure. Il était jamais vide y'a encore une semaine. Maman y veillait toujours avec attention, traumatisée qu'elle était depuis que j'avais fait une crise d'angoisse quand j'étais un peu plus jeune en voyant nos réserves vides.
- Faut qu'on aille faire les courses nan ? Demandé-je à mon aîné.
- J'ai acheté deux-trois trucs tout à l'heure mais ouais, vu que tu commences à retrouver l'appétit, vaut mieux qu'on se magne d'aller en faire des vraies...
- Gneugneugneu. J'te ferais remarquer que tu manges autant que moi.
Il me jette un regard en biais bizarrement sérieux. J'me sens un peu jugé, là.
- Lu'... Tu te rends vraiment pas compte.
Ras l'bol que tout le monde me dise ça. J'suis en pleine croissance, merde. C'normal de se faire quatre assiettes en un repas pourtant.
- Brrrrref, grogné-je en éludant sa remarque. On ira tout à l'heure ? Et y'a intérêt à ce qu'on achète plein de viande !
Comment ça me motive ! Je saute littéralement sur mes pieds pour me remettre debout et je fonce dans la cuisine pour voir ce qu'Ace a pris tout à l'heure, histoire de me caller. Mais j'fais une grimace en voyant les sacs de ce magasin discount en carton. Pourquoi il a été là-bas ?! On y allait jamais avec les parents, Maman disait que certains produits étaient carrément moins bons et j'étais d'accord avec elle concernant la viande, justement. J'retourne dans le salon pour secouer le sac sous le nez de mon frère qui s'est écroulé sur le canap' comme une larve.
- Pourquoi t'as été là-bas ?! J'te préviens on va pas y acheter la viande, hein ! J'veux de la qualité moi !
Il me regarde et j'aime moyennement l'air froid et un peu triste qui se dégage de ses yeux. Qu'est-ce que j'ai dit, encore... ?
- Lu'...
Il soupire et j'devine qu'il réfléchit à la suite de sa phrase. Il a l'air tellement crevé, ça m'fait limite mal de le voir comme ça...
- ... J'veux pas te brusquer p'tit frère, mais faut qu'tu te rendes compte de la situation dans laquelle on est... Continue-t-il en fronçant les sourcils, tout en retirant la cendre de sa roulée en la faisant glisser minutieusement le long des rebords du cendrier. Pour l'instant, les comptes des parents sont bloqués. On peut pas y toucher tant que toutes les putains de phases administratives sont pas terminées. Et ça peut prendre du temps...
... J'y avais même pas pensé, à ça. Abruti que j'suis.
- Mais... On vit de quoi alors, depuis la semaine dernière... ? Lui demandé-je en me sentant me décomposer sur place.
- De ma thune. Mais t'inquiète pas, j'en avais pas mal de côté avec mon taf.
Cette fois c'est à mon tour de froncer les sourcils. Son taf... Il parle de son boulot étudiant de barman qu'il fait les week-end. J'y connais rien bien sûr, mais j'suis sûr que ça rapporte pas tant que ça. Et au-delà d'ça... J'réalise que j'avais pas du tout pensé à la situation d'Ace, depuis le début. Merde. Comment j'ai fait pour oublier ça... ?
- Mais c'est vrai ça, ton taf ?! Et les cours ?! Tu vas devoir faire la route tous les jours ou...
J'me rends compte de la stupidité de ma question au moment où j'la pose : évidemment qu'Ace va pas se taper quatre cents bornes aller-retour tous les jours. Depuis deux ans qu'il a changé de ville, il a toute sa vie qui est là-bas, maintenant. Il revenait nous voir de temps en temps pendant les vacances, mais entre la fac, le boulot et certainement sa vie tout court –'pas oublier qu'Ace est quand même un sacré fêtard-, il était quasiment plus là depuis qu'il avait eu son bac. Et maintenant que moi, du haut de mes dix-sept ans et de mon statut de p'tit lycéen qui connait rien à la vie, j'me retrouve tout seul comme un con... Ça va se passer comment ?
Naïf que j'suis, j'y avais pas réfléchi, mais j'me disais qu'Ace allait tout simplement rester avec moi...
- T'es bête ou tu l'fais exprès ? Se marre-t-il en m'envoyant un sourire en coin. J'vais revenir vivre ici, du coup. Je peux pas te laisser tout seul p'tit frère, tu l'sais bien.
Et il continue de me sourire. Est-ce qu'il se rend seulement compte de ce qu'il dit... ?
- Mais ta licence ?! Et ton taf ?! Tu disais que tu le kiffais trop ce boulot et que ton patron était limite comme un deuxième père pour toi ! Et l'appart que t'as avec Sabo, aussi ?! Et les potes dont tu m'parlais, et...
- Luffy, me coupe-t-il, sec. On s'en branle, de tout ça. On vient de perdre nos parents et t'es mineur. Même si tu fêtes tes dix-huit ans dans sept mois, si j'viens pas ici pour m'occuper de toi, tu vas te retrouver en foyer...
... Et ouais ça m'revient maintenant. Ace a eu cette conversation avec mon grand-père après les obsèques. Mon timbré de grand-père qui a rien trouvé de mieux à faire que se casser méchamment une jambe y'a quelques mois et qui ronge son frein en maison de repos depuis, le temps qu'il puisse enfin remarcher correctement. On avait déjà été lui rendre visite plusieurs fois avec mon père, mais le voir se ramener en fauteuil roulant à la cérémonie et l'entendre me dire en pleurs qu'il se sent terriblement inutile de ne même pas pouvoir être présent pour moi dans cette période horrible, ça a été le coup de massue. J'étais déjà pas hyper frais, mais j'me rappelle maintenant que mon cerveau a déconnecté après ça. J'suis resté collé à Ace tout le temps mais je comprenais que la moitié ce qu'ils se racontaient, avec la famille. J'me rappelle vaguement qu'ils ont parlé de moi, de c'que j'allais devenir maintenant...
Une semaine complète enfermé chez moi à rien faire d'autre que ressasser, et j'y avais même pas pensé : qu'est-ce que j'vais devenir, moi... ?
Des nouvelles larmes me picotent les yeux et je regarde mon frère qui m'observe, avec toujours cet air abattu collé au visage que je supporte plus de voir.
- ... Tu vas quand même pas tout plaquer pour t'occuper de moi ? Murmuré-je d'une voix cassée.
- La question s'pose même pas Lu'. Tu sais très bien que je t'abandonnerai jamais.
… Ça m'fait mal. J'veux pas qu'Ace se sacrifie pour moi.
Mais d'un autre côté, en bon égoïste, ça m'fait tellement plaisir... Ça m'fait plaisir parce qu'y'a nulle part d'autre où j'veux aller. J'veux pas partir d'ici. Même si grand-père rentrait chez lui dans les jours qui viennent, jamais je voudrais aller vivre avec lui. J'préfère mille fois rester ici et si j'peux en plus récupérer Ace en bonus, c'est tout bénéf' non... ?
- ... Ça va te rendre malheureux de quitter tout ça, soufflé-je en me réfugiant dans ses bras avec mes larmes qui recommencent à couler silencieusement.
- Mais nan... J'serais plutôt malheureux si j'te savais dans un endroit où tu veux pas être... T'inquiète pas pour moi, va. Du taf, j'vais vite en retrouver. Quant à la fac, j'te rappelle que ça fait des mois que j'y vais quasiment plus.
- ... Pourquoi ? J'croyais que ça te plaisait vraiment.
- J'aime bien, mais j'ai fait ça plus par défaut qu'autre chose... En plus STAPS, ça demande vraiment beaucoup d'implication. J'sais même pas comment j'ai réussi à passer ma première année...
J'avise ses biceps qui ont triplé de volume depuis qu'il est parti de la maison et je hausse un sourcil malgré moi.
- P't'être ton côté « armoire à glace » qui a bien aidé... ?
Il éclate de rire avant de m'ébouriffer les cheveux.
- 'Sûr que les matières sportives ont bien aidé, mais y'a pas que ça, j'te l'ai déjà dit ! Les cours d'anatomie et tout, faut les apprendre les putains de six cents muscles et quelques qu'on a dans l'corps, tu sais !
Il m'attrape pour me maintenir contre lui alors qu'il va pour poser sa roulée déjà bien entamée, qu'il avise d'un air songeur.
- ... Et j't'avoue que ça aide pas non plus d'fumer comme un pompier. Jamais je l'aurais eu mon année...
- T'as qu'à arrêter, claqué-je d'un ton qui indique à peine que je trouve sa logique complètement débile.
Il me répond juste avec un de ses sourires en coin mystérieux avant de prendre une dernière latte et d'écraser le joint dans le cendrier.
- Du coup, tu penses que tu vas survivre à de la viande discount... ?
Je grimace.
- Pas trop l'choix...
- On y va maintenant ? Me demande-t-il en me repoussant doucement pour s'étirer. J'ferais une sieste en rentrant comme ça, j'suis vraiment K.O.
- Faut qu'je mange avant, sinon j'aurais même pas la force de marcher...
- J'te foutrais dans le caddie si c'est qu'ça.
- J'suis pas un môme !
- Un peu quand même... Raille-t-il. En plus p't'être que si j'te pose sur le tapis, le caissier pourra m'dire combien tu coûtes ?
- Tu pourras jamais m'acheter tellement je coûte cher ! Crané-je avec un sourire jusqu'aux oreilles.
- 'Possible. Mais je paierai cher pour le voir scanner le code barre qui se planque sur la peau de ton cul.
Je tire une grimace outrée.
- Pourquoi y'aurait un code barre sur mon cul ?!
J'le vois attraper un feutre qui traîne sur la table et le rouler entre ses doigts avec un sourire démoniaque.
- Qui sait...
Je déglutis avant de bondir pour me barrer vite fait, mais je l'entends qui court à ma suite dans la volée et j'me mets à hurler. Même si j'sais bien m'défendre, cet enfoiré a toujours été beaucoup trop fort pour moi et s'il m'attrape, j'suis bon pour me faire défroquer et gribouiller sur les fesses. Et merci bien, mais j'suis pas trop fan de l'idée !
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- David Hallyday - Tu ne m'as pas laissé le temps -
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Bon beh voilà. J'espère que vous êtes motivés pour avoir beaucoup de scènes débiles comme ça, parce que je prédis pas que cette fic volera beaucoup plus haut xD J'ai décidé que j'écrirais du fluff parce que j'en ai BESOIN, okay ?! Bon, y'aura pas que des conneries et des arcs-en-ciels partout non plus, maiiiis j'ai besoin de scènes cutes de AceLu en ce moment et si j'peux en plus vous rendre aussi heureux que moi au passage, je le ferais sans hésiter. Vous voilà prévenus. Je sais que vous avez peur là héhéhé
À très vite ? :D
